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Une divergence des législations sur l’unicité de la date de cessation des paiements

Paragraphe I. Le régime rigide de la cessation des paiements

B. Une divergence des législations sur l’unicité de la date de cessation des paiements

61. Jusqu’en 2014, le droit français des entreprises en difficulté admettait l’indépendance des dates de la cessation des paiements. En d’autres termes, la date retenue au jugement d’ouverture pouvait être différente de celle retenue par les juges dans le cadre de la procédure des sanctions188. L’unicité de la date de cessation des paiements a été confirmée par la chambre commerciale de la Cour de cassation en 2014189. En l’espèce, le 4 février 2008, une procédure de redressement judiciaire a été ouverte en faveur d’une société civile immobilière. La procédure a ensuite été convertie en liquidation judiciaire le 9 avril 2008. Le liquidateur judiciaire assigne alors le gérant afin que soit retenue sa responsabilité au titre de l’insuffisance d’actif et que soit prononcée la sanction d’interdiction de gérer à son encontre. La demande était fondée sur le défaut de déclaration de l’état de cessation des paiements dans le délai légal de quarante-cinq jours, cette faute de gestion étant sanctionnée sur le fondement de l’article L.651-2 du code de commerce. La cour d’appel d’Aix-en-Provence a fait suite190 à la demande et condamné le dirigeant à supporter notamment une partie de l’insuffisance d’actif. Le dirigeant poursuivi se pourvoie alors en cassation.

187 TGI, Wagadougou, 25 avr. 2001, n°423, réf. Ohadata J-03-94 : définition de la cessation des paiements ; Wagadougou, 24 mai 2001, n°90 Bis, réf. Ohadata J-00-58 ; CCJA, Ass. plén. 27 avr. 2015, n°050/2015, pourvoi du 2 déc. 2011, n°119/2011/PC : condition d’absence de cessation des paiements pour être admis en règlement préventif ; Littoral, 16 mars 2002, n°040/C, réf. Ohadata J-14-14 : définition de la cessation des paiements ; Lomé, 20 avr. 2009, n°066/09, réf. Ohadata J-10-156 : refus de concordat préventif pour cause de cessation des paiements ; TGI, Wagadougou, 18 févr. 2004, n°45, réf. Ohadata J-04-374 : immobilisations et cessation des paiements. La liste n’est pas exhaustive.

188 Dans le cadre des actions en responsabilité contre le gérant.

189 Com., 4 nov. 2014, n°13-23.070, P+B+R+1, legavox, 20 déc. 2015, note N. BENABDELAZIZ

190 Aix-en Provence, 8e ch., sect. A, 10 janv. 2013, RG n°12/04261 ; JCP E, n°48, 27 nov. 2014, note Ph. ROUSSEL

62. La Cour de cassation a cassé l’arrêt et estimé que « l’omission de déclaration de cessation des

paiements dans le délai légal, susceptible de constituer une faute de gestion, s’apprécie au regard de la seule date de cessation des paiements fixée dans le jugement d’ouverture ou dans un jugement de report ».

63. Or, jusqu’à la loi de sauvegarde des entreprises du 26 juillet 2005191, pour apprécier la date à partir de laquelle la déclaration de cessation des paiements aurait dû être déposée par le dirigeant poursuivi, les juges français n’étaient pas liés par la date fixée par un tribunal lors de l’ouverture de la procédure collective192 ou à l’occasion d’un jugement de report. Le demandeur pouvait démontrer la cessation des paiements sans même être lié par l’interdiction de report de la date de cessation des paiements à plus de dix-huit mois avant celle du jugement d’ouverture193. A la lumière des pièces et éléments fournis dans le cadre de la procédure de sanction, le tribunal pouvait en conséquence fixer une date différente, et le défendeur à l’action contester une date fixée par un jugement antérieur. Il convient de rappeler qu’à l’occasion de la loi de sauvegarde citée plus haut, le principe d’indépendance des dates de la cessation des paiements avait été mis à mal par le pouvoir réglementaire s’agissant des sanctions personnelles, puisque selon l’article R.653-1 du code de commerce, « pour l’application de

l’article L.653-8194, la date retenue pour la cessation des paiements ne peut être différente de celle retenue en application de l’article L.631-8 ».195

64. Désormais, le principe d’indépendance des dates de la cessation des paiements est définitivement abandonné à travers cet arrêt de la Cour de cassation qui constitue un véritable revirement de jurisprudence. Par cet arrêt, la Cour de cassation a unifié les modalités

191 L. n°2005-845, du 26 juill. 2005 de sauvegarde des entreprises, JORF n°173 du 27 juill. 2005, p. 12187, texte n°5.

191 Com. 17 juin 1997, Bull. civ. IV, n°193.

192 Com. 11 juin 1996, n°94-18.844 : « Action en responsabilité pour insuffisance d’actif : modalités de détermination de la date de cessation des paiements », en ligne www.kpratique.fr.

193 Com. 20 octobre 1992, n°90-28.964, « Action en responsabilité pour insuffisance d’actif : modalités de détermination de la date de cessation des paiements », en ligne www.kpratique.fr.

194 « Dans les cas prévus aux articles L.653-3 à L.653-6 le tribunal peut prononcer, à la place de la faillite personnelle, l’interdiction de diriger, gérer, administrer ou contrôler, directement ou indirectement, soit toute entreprise commerciale ou artisanale, toute exploitation agricole ou toute personne morale, soit une ou plusieurs de celles-ci {…} »

195 « Le tribunal fixe la date de cessation des paiements après avoir sollicité les observations du débiteur. A défaut, de détermination de cette date, la cessation des paiements est réputée être intervenue à la date du jugement d’ouverture de la procédure. Elle peut être reportée une ou plusieurs fois, sans pouvoir être antérieure de plus de dix-huit mois avant le jugement d’ouverture de la procédure {…} »

d’appréciation de la date de la cessation des paiements dans le cadre de l’action en responsabilité pour insuffisance d’actif et celles applicables dans le cadre de l’interdiction de gérer196.

65. Par ricochet, l’établissement de la responsabilité du dirigeant, poursuivi pour faute de gestion sur le fondement de déclaration tardive de l’état de cessation des paiements, devient difficile ; un auteur parle de déclin de la responsabilité du dirigeant197. Plusieurs raisons peuvent expliquer cela : si la procédure est ouverte sur initiative du débiteur, cela veut dire que le tribunal ne statuera qu’au seul vu des éléments produits par lui, qui, de façon logique, ne devraient laisser transparaître une cessation des paiements antérieure à plus de quarante-cinq jours ; pour que le tribunal fixe une date antérieure au jugement d’ouverture, il doit déterminer de façon exacte la date de la cessation des paiements, ce qui est difficile au regard des seuls éléments à sa disposition au moment où il statut198 ; le liquidateur, souvent auteur de l’action en responsabilité pour insuffisance d’actif, doit l’anticiper et demander un report dans le délai d’un an que lui impartit la loi, ce qui nécessite un suivi rigoureux des dossiers dont toutes les pièces notamment comptables n’ont pas été transmises. Toutefois, l’unicité de la date de la cessation des paiements présente le mérite de fixer un point de départ déterminé pour de multiples délais en matière de procédures collectives.

66. Par ailleurs, dans le cadre de la poursuite du débiteur par le liquidateur ou le ministère public pour insuffisance d’actif, il importe de rappeler que la loi Sapin II199 a simplifié le régime de la faute de gestion, « afin de favoriser le rebond du dirigeant de bonne foi d’une société mise en

liquidation judiciaire {…} », selon les termes de l’exposé des motifs du texte. Désormais la

faute de gestion due à une « simple négligence » du dirigeant de droit ou de fait d’une société ne constitue plus une cause de recevabilité de l’action en insuffisance d’actif. Autrement dit, le chef d’entreprise qui a commis une faute de gestion par négligence, même si cela a aggravé le passif, ne peut voir sa responsabilité engagée au titre de l’insuffisance d’actif200. Est-ce une innovation trop poussée ? Déjà, l’article L.651-2 du code de commerce confère un large pouvoir

196 V. art. L.653-8 et R.653-1 c. com.

197 M. COTTIGNY, Responsabilité civile et procédures collectives, thèse de doctorat, Université de Lille 2, 2016, p. 196.

198 Com. 30 mars 2010, n°08-22.140, NP ; chron. Jurisp. Gaz. pal. 3 juill. 2010.

199 Loi n°2016-1691 du 09 déc. 2016 relative à la transparence, à la lutte contre la corruption et à la modernisation de la vie économique, JORF n°0287 du 10 sept. 2016, texte n°2.

200 Art. L. 651-2 C. com. tel que modifié par la Loi n°2016-1691 du 09 décembre 2016 relative à la transparence, à la lutte contre la corruption et à la modernisation de la vie économique JORF n°0287 du 10 sept. 2016, texte n°2.

d’appréciation au juge : il peut écarter la condamnation du dirigeant poursuivi en l’exonérant, tout comme il peut décider, en cas de pluralité de dirigeants de fait ou de droit, que le montant de l’insuffisance d’actif sera supporté, en tout ou partie, par tous les dirigeants ou certains d’entre eux, ayant contribué à la faute de gestion. La réforme du régime de la faute de gestion vient conforter le chef d’entreprise sachant, par ailleurs, qu’il n’y a point de responsabilité pour insuffisance d’actif sans faute de gestion.

67. Cependant pour le juge, une question d’ordre juridique pourrait lui poser un problème : comment cerner « une simple négligence » de gestion ayant provoqué l’insuffisance d’actif ou augmenter son montant ? D’autant que la plupart des fautes qualifiées, a priori, de négligence ou d’autres circonstances atténuantes telles les interférences d’un actionnaire majoritaire, n’ont engagé la responsabilité du dirigeant que du fait de leur poids considérable sur le montant du passif201. Deux possibilités pourraient s’offrir au juge : soit il choisit de cerner la faute présentée comme une « simple négligence » en mettant sur la balance ladite faute et son impact sur le passif, soit il choisit le critère de bonne foi du dirigeant. Ce dernier choix serait d’ailleurs en harmonie avec l’esprit des textes202. La sanction ne sera alors appliquée qu’à des fautes conscientes et intentionnelles qui ont aggravé l’état du passif de l’entreprise203.

68. L’Acte uniforme des procédures collectives du droit OHADA, qui a été réformé dans la foulée de l’arrêt de la Cour de cassation de 2014 ayant posé l’unicité de la date de la cessation des paiements en droit français, n’a pas tenu compte de ce revirement jurisprudentiel.

69.

Bien que le législateur OHADA de 2015 n’ait pas repris le principe d’unicité de la date de la cessation des paiements, posé en droit français, un rapprochement peut tout de même être relevé entre les deux législations. D’abord les deux législateurs ne déterminent pas si la date de la cessation des paiements, dans le cadre de la procédure de sanction, est à aligner ou non sur celle indiquée dans le cadre de la procédure collective, laissant de ce fait l’interprétation au juge. Pour le moment, ni une juridiction nationale, ni la Cour commune de justice et d’arbitrage, n’ont posé le principe d’unicité de la date de la cessation des paiements en droit OHADA. Ensuite, l’article 183 de l’Acte uniforme des procédures collectives pose, en convergence avec les dispositions de l’article L.650-1 du code de commerce, le principe de la sanction du dirigeant

201 Com. 22 janv. 2013, n°11-27.420, NP.

202 Dans l’exposé des motifs, il est mentionné que l’objectif de l’assouplissement du régime de la faute de gestion est de permettre le rebond des chefs d’entreprise de « bonne foi ».

qui s’est rendu coupable d’une faute de gestion : « lorsque le redressement judiciaire ou la

liquidation des biens d’une personne morale fait apparaître une insuffisance d’actif, la juridiction compétente peut, en cas de faute de gestion ayant contribué à cette insuffisance d’actif, décider, à la demande du syndic, du ministère public, ou de deux contrôleurs {…}, ou même d’office, que les dettes de la personne morale sont supportées en tout ou en partie, avec ou sans solidarité, par tous les dirigeants ou certains d’entre eux » ; et l’article 185 dispose,

dans le cadre de la sanction du dirigeant, que « la juridiction compétente peut enjoindre aux

dirigeants à la charge desquels a été mis tout ou partie du passif de la personne morale de passer leurs parts sociales, titres de capital ou valeurs mobilières, donnant accès au capital de celles-ci, ou ordonner leur cession forcée {…}». Les deux droits, convergents sur la définition

de la notion de la cessation des paiements et divergents sur l’unicité de la date de celle-ci, partagent les inconvénients de la rigidité du régime de la cessation des paiements.

II. Régime rigide de la cessation des paiements : des inconvénients partagés

dans les deux législations

70.

Le mécanisme de la mise en faillite, fondé sur la cessation des paiements, présente l’avantage de sanctionner la mauvaise gestion et le désordre dans les affaires, qui se symbolisent par le défaut de paiement du débiteur. Il permet ainsi aux créanciers, incapables d’avoir un contrôle effectif sur la comptabilité de leur débiteur, de prendre conscience, de l’extérieur, de la situation réelle et grave de ce dernier. Ce qui leur donne la possibilité d’engager des mesures nécessaires à la sauvegarde de leurs créances. Cependant, ce mécanisme présente l’inconvénient d’être injuste toutes les fois qu’il est appliqué sans discernement, c’est-à-dire mécaniquement (A). Cette application mécanique est souvent favorisée par la confusion qui est faite entre les notions de cessation des paiements et d’insolvabilité (B).

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