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111. En l’état actuel des droits français et OHADA des entreprises en difficulté, l’engagement dans un accord de conciliation relève du droit commun des contrats, de sorte que la réussite de la procédure reste logiquement tributaire d’un accord unanime des créanciers. Ce qui revient à dire qu’une réticence sur cent possible peut faire échec à quatre-vingt-dix-neuf accords sur cent possible. La force minoritaire se voit doter de tout pouvoir pour anéantir la volonté majoritaire. Dès lors elle défavorise la croissance de l’économie nationale en ce qu’une entreprise viable en difficulté est synonyme d’une assiette fiscale et des emplois menacés. Sous cet angle comparatif, il semble clair que la balance est déséquilibrée en défaveur de l’intérêt général. Or, les législateurs français et OHADA auraient pu trouver une solution à cette problématique. L’adoption de la règle de la majorité (I), ou l’adaptation du mécanisme de plan pré-arrangé à l’américaine, étaient (le sont encore) des approches plus réalistes (II).

I. L’adoption de la règle de la majorité

112. Afin de favoriser le redressement des entreprises, dès la première manifestation des difficultés, les législateurs français et OHADA auraient pu adopter la règle de la majorité, dans le but de favoriser la conclusion rapide d’un accord (A), sans encourir une question prioritaire de constitutionnalité (B).

A. Le mérite de la mesure

113. La règle de la majorité dans la procédure de conciliation est un sujet rarement débattu au sein de la doctrine296. Pourtant, sous l’empire de la loi du 1er mars 1984297 ayant institué le règlement amiable en droit français, cette règle s’appliquait. Elle se traduisait par l’intervention du tribunal dans la procédure. Cette mesure visait à faciliter (par un brin de contrainte) la conclusion de l’accord en vertu des dispositions de l’ancien article L.611-4, III et IV du code de commerce. Lorsqu’une majorité se dégageait au sein des principaux créanciers, le tribunal obligeait les minoritaires à adhérer au projet d’accord proposé par le chef d’entreprise, en neutralisant

296 Ce qui peut se comprendre dans la mesure où qui dit contrat dit consensualisme, de sorte que la question de la règle de la majorité dans la procédure de conciliation vient en contresens de toute logique juridique. Cela peut également se comprendre dans le sens que la majorité des auteurs apprécie la législation en la matière.

notamment les démarches individualistes de ces derniers. En ce sens, le III du texte précité disposait que « s’il estime qu’une suspension provisoire des poursuites serait de nature à

faciliter la conclusion de l’accord, le conciliateur peut saisir le tribunal. Après avoir recueilli l’avis des principaux créanciers, ce dernier peut rendre une ordonnance la prononçant pour une durée n’excédant pas le terme de la mission du conciliateur », et selon le IV du même

texte : « cette ordonnance suspend ou interdit toute action en justice de la part de tous les

créanciers dont la créance a son origine antérieure à ladite décision et tendant : 1° à la condamnation du débiteur au paiement d’une somme d’argent ; 2° à la résolution d’un contrat pour défaut de paiement d’une somme d’argent ».

114. La différence entre l’ancien règlement amiable du droit français et la conciliation en droit OHADA et en droit français aujourd’hui réside dans le rôle autrefois dirigiste du juge, qui, aujourd’hui, n’intervient que pour valider l’accord librement intervenu entre les parties. Sauf qu’un tel accord s’obtient difficilement, d’où l’importance de la règle de la majorité dont l’adoption dans la conciliation n’est pas un acte inconstitutionnel.

B. La constitutionnalité de la mesure

115. L’adoption de la règle de la majorité dans le but de faciliter la conclusion d’un accord de conciliation n’encourt aucun risque d’incompatibilité constitutionnelle. Les législateurs français et OHADA auraient pu en effet prévoir une règle spéciale en la matière - instaurer la règle de la majorité en l’occurrence - qui aurait dérogé à la règle générale du droit commun des contrats - à savoir le consensualisme -, à l’appoint de la protection de l’intérêt général. La primauté du droit spécial sur le droit général ainsi que la protection de l’intérêt général sont autant d’arguments juridiques qui peuvent attester de la constitutionnalité de la règle de la majorité dans la procédure de conciliation.

116. Il est vrai que l’adage selon lequel speciala generalibus derogant (ce qui est spécial déroge à ce qui est général) - et qui semble assoir un principe de primauté du droit spécial sur le droit commun -, n’est pas du droit positif. Cependant cet adage est exploité par les tribunaux dans certains contentieux. L’ancien article 1107 du code civil français, qui était inchangé depuis 1804, prévoyait la cohabitation entre le droit spécial et le droit général sans pour autant déterminer celui qui prime : « les contrats, soit qu’ils aient une dénomination propre, soit qu’ils

n’en aient pas, sont soumis à des règles générales qui sont l’objet du présent titre. Les règles particulières à certains contrats sont établies sous les titres relatifs à chacun d’eux ; et les

règles particulières aux transactions commerciales sont établies par les lois relatives au commerce ». Ce manque de précision a inquiété plusieurs auteurs298 et praticiens.

117. La réforme du droit des contrats, opérée par l’ordonnance du 10 février 2016299, a apporté une précision importante sur la question de la primauté entre le droit spécial et le droit général. L’ancien article 1107, devenu 1105, dispose désormais que « les contrats, qu’ils aient ou non

une dénomination propre, sont soumis à des règles générales, qui sont l’objet du présent sous-titre. Les règles particulières à certains contrats sont établies dans les dispositions propres à chacun d’eux. Les règles générales s’appliquent sous réserve de ces règles particulières. ». En

d’autres termes, en présence d’un droit spécial, le droit général ou commun n’a pas vocation à s’appliquer. Le même principe sera-t-il consacré par l’Acte uniforme des contrats en projet en droit OHADA ? L’avant-projet ne permet pas d’apporter une réponse précise ; il faudrait attendre la rédaction finale.

118. Au plus, les législateurs français et OHADA auraient pu s’appuyer sur l’argument de la protection de l’intérêt général. En droit français particulièrement, cela peut être fondé sur une décision du Conseil constitutionnel du 19 décembre 2000300. Dans cette décision, il a été indiqué que le législateur pouvait porter atteinte à la liberté de contracter ou non, pour des motifs tirés d’intérêt général, et à condition que cette atteinte à la liberté contractuelle soit proportionnée au but poursuivi. Il semble ressortir de cette décision, par rapport au cas précis qui nous intéresse ici, que l’intérêt général, qui tient au sauvetage d’une entreprise économiquement stable, remplit cette condition. En tout état de cause, il ne semble ni équitable, ni juste qu’une minorité des créanciers puisse empêcher l’aboutissement d’un accord dont la finalité est de redresser le débiteur. Outre la solution de la règle de la majorité, les législateurs avaient le choix de celle relative au prepackaged plan ou plan pré-négocié.

II. L’approche d’une procédure judiciaire à plan pré-arrangé

119. L’autre solution que les législateurs français et OHADA auraient pu adopter, lors des dernières réformes, pour contrecarrer l’opposition des créanciers minoritaires à la conclusion d’un accord de conciliation, était l’approche d’une procédure judiciaire à plan pré-négocié, comme cela se

298 N. BALAT, « Réforme du droit des contrats : et les conflits entre droit commun et droit spécial ? » D. 2015, chron., p. 699.

299 Ord. n°2016-131 du 10 févr. 2016 portant réforme du droit des contrats, du régime général et de la preuve des obligations, JORF n°0035 du 11 févr. 2016, texte n°26.

pratique dans le cadre du chapitre 11 du code fédéral américain de la faillite301. La raison d’un tel choix réside dans le vote (A). Ce choix aurait toutefois nécessité la création d’une procédure collective supplémentaire (B).

A. Les raisons

120. Hormis son caractère contraignant - puisque le plan adopté sous l’égide du tribunal est opposable à tous les créanciers y compris ceux qui ne l’ont pas voté - cette procédure judiciaire à plan pré-négocié présente l’avantage d’être pilotée en amont par le débiteur lui-même en complicité avec le conciliateur. En pratique, dans le cadre d’une telle procédure, le chef d’entreprise présente le projet d’accord de conciliation, tenu en échec par les créanciers minoritaires sur le terrain de la conciliation, comme projet de plan/concordat (de sauvegarde/préventif) dans le cadre de la procédure judiciaire. Déjà soutenu par la majorité des créanciers depuis la phase amiable, un tel plan sera judiciairement et facilement adopté au moyen du vote, les créanciers majoritaires devant alors réitérer leur adhésion. En adoptant la solution précédemment décrite, les législateurs auraient toutefois été obligés de prévoir une procédure judiciaire de plus.

B. Les conséquences

121. La solution du prepackaged plan, pour contourner le blocus que forment les minoritaires lors de la négociation d’un accord de conciliation, aurait logiquement requis la création d’une nouvelle procédure judiciaire, qui serait alors expresse et au régime dérogatoire, puisqu’il aurait fallu compresser les délais procéduraux ordinaires.

122. Il résulte des réformes intervenues dans les droit français et OHADA que les législateurs sont restés sur la même longueur d’onde en ce qu’ils ont préféré tous les deux la règle de l’unanimité à celle de la majorité dans la procédure de conciliation.

123. En droit OHADA plus particulièrement, cette décision législative peut se justifier par le fait que la procédure conciliation n’existait pas avant la réforme de 2015 ; il est compréhensible que le législateur ait voulu prendre le temps de la réflexion. Quoiqu’il en soit, le procédé de plan pré-arrangé est une solution tacitement admise aussi bien dans ce droit que dans celui de la France

301 V. infra, n°145 et s.

bien avant sa reconnaissance législative. Ce qui signifie, qu’au besoin, les praticiens peuvent légalement y recourir.

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