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L’ADOPTION ET LA VALIDITE DU PROCEDE DE PASSERELLE DANS LES DROITS FRANÇAIS ET OHADA

« Avant d’aborder l’examen d’une question juridique il n’est pas inutile d’interroger le passé et de voir comment la solution actuellement appliquée procède de l’évolution historique dans laquelle elle a puisé ses sources ».91

91G. CRANCHET, La notion de cessation des paiements dans la faillite et le règlement judiciaire, thèse de doctorat, bibl. dr. privé, t. XXXV, Paris, 1962, p. 8.

33. La prévention des difficultés des entreprises en droit français, avant la loi de sauvegarde de 200592, présente plusieurs traits de ressemblance avec celle en vigueur en droit OHADA. Spécifiquement, l’organisation de la procédure de conciliation, dans les deux droits, présente des caractéristiques communes, notamment en ce qui concerne les aspects négatifs. A cet égard, il importe de préciser que les développements qui vont suivre se circonscrivent dans le temps, soit avant l’adoption du procédé de passerelle en droit français. Il s’agira notamment d’analyser, au travers des deux systèmes préventifs, la justification de l’adoption de la technique de la passerelle en droit français et, éventuellement, en droit OHADA.

34. L’appellation « droit des entreprises en difficulté » est récente et remplace celle plus classique de « procédures collectives de paiement », ou encore celle plus ancienne de « droit de la faillite ». « Ces modifications de la terminologie, purement formelles en apparence, révèlent,

en réalité, une évolution très profonde de la matière qui, d’une discipline orientée vers le désintéressement des créanciers d’un commerçant qui cesse ses paiements, devient un ensemble de règles destinées à prévenir et à traiter les défaillances d’entreprises ».93 La prévention des difficultés des entreprises est au cœur des législations française et OHADA. Le concept de prévention est aussi important que complexe dans son appréhension générale. C’est pourquoi, selon un auteur, il faut le cerner sous l’angle de « toutes formes de captation, de partage et

d’analyse de l’information, jusque et y compris dans son expression finale et la plus achevée au moment de l’écoute du dirigeant par le président du tribunal ».94

35. Ce droit des entreprises en difficulté est une des disciplines du droit des affaires qui reste marquée par de récurrentes réformes du fait de la nécessité d’adapter la matière à son environnement largement entendu et aux fluctuations économiques. Cette adaptation se matérialise par ces nombreux réformes et revirements respectivement sur le plan législatif et jurisprudentiel. Toute chose qui s’avère bien pour la matière selon un auteur pour qui, « les

scandales sont des sources de progrès pour les sciences juridiques »95, ou encore, selon un autre auteur qui considère qu’« il s’agit en quelques mots, de sauver les entreprises susceptibles

de remonter leurs difficultés en leur accordant un répit et en leur offrant un cadre de

92 V. supra, n°16.

93 C. SAINT-ALARY-HOUIN, Droit des entreprises en difficulté, 10e éd., LGDJ, 2016, p. 15.

94 A.-M. ROMANI, Les techniques de prévention des risques de défaillance des entreprises, procédures collectives et droit des affaires, éd., Frison Roches, 2000, p. 173.

95Y. CHAPUT, Quel Code de commerce pour demain ? Du Code de commerce à un Code de la sauvegarde des entreprises, éd., Litec, 2007. p. 220.

négociation avec leurs créanciers ; et de liquider sans traîner les autres pour ne pas laisser gonfler stérilement leur passif, et donner une chance aux entrepreneurs malchanceux de se relancer ».96

36. Si les législateurs français et OHADA suivent ces mouvements de près, force est de reconnaître cependant qu’ils mettent du temps à réagir, même s’il pourrait être argué que toute réforme nécessite une étude préalable et l’observation de certaines procédures. Or, dès que des difficultés d’ordre juridique, économique ou financier sont détectées au sein d’une entreprise, la gestion du temps pour leur résolution devient prioritaire. Plus elles perdurent, plus elles affectent la viabilité de l’entreprise concernée. C’est en cela que l’échec de la procédure de conciliation, faute d’accord unanime, contribue lentement à l’aggravation de la situation globale de l’entreprise. Pour les entreprises engagées dans une telle procédure, la seule véritable issue reste soit de redemander l’ouverture d’une conciliation dans les conditions des articles L.611-697 du code de commerce et 5-3, alinéa premier, de l’Acte uniforme des procédures collectives98, soit de se mettre sous protection judiciaire en demandant l’ouverture d’une procédure de sauvegarde classique/règlement préventif. Cette dernière procédure étant judiciaire, ne permet pas non plus, dans la plupart des cas, de pérenniser l’entreprise, puisque les difficultés ne sont pas souvent anticipées en amont. En cas de cessation des paiements, elle aboutit soit à un redressement judiciaire dans le meilleur des cas, soit à une liquidation judiciaire99.

37. L’échec de la procédure de conciliation, pour cause d’absence d’un accord unanime ou de la survenance de la cessation des paiements, ainsi que les écueils100 d’une procédure judiciaire peuvent expliquer l’aggravation de la situation des entreprises qui sont en difficulté. C’est dire que ni la procédure de conciliation, ni celle de la sauvegarde/règlement préventif, prises séparément, ne se révèlent être des solutions pérennes au redressement des entreprises.

38. Si la prévention, dans les droits français et OHADA, présente des faiblesses communes, il n’en est pas de même des solutions adoptées (Titre 1). Face à l’inefficacité des procédures judiciaires

96 A. LIENHARD, Procédures collectives 2017-2018, 7e éd., Delmas, 2016, p. 5.

97 « {…} A défaut, elles prennent fin de plein droit et une nouvelle conciliation ne peut être ouverte dans les trois mois qui suivent {…} ».

98 « {…} A l’expiration de ces délais, la conciliation prend fin de plein droit et il ne peut être ouvert une nouvelle procédure de conciliation avant l’expiration d’un délai de trois mois (3) moi ».

99 Art. L.626-7, al. 3, c. com. ; Art. 15, al. 2, AUPC.

pour redresser les entreprises, des souhaits101 avaient été émis en France pour l’expérimentation de la procédure américaine de prepackaged plan ou plan pré-arrangé. Cette méthode de traitement des difficultés des entreprises consiste, pour un chef d’entreprise, à négocier amiablement un plan de restructuration, et de le faire adopter judiciairement, présentant ainsi l’avantage de la célérité, mais aussi de la contrainte à l’encontre des créanciers non diligents. Ces souhaits, pouvant être formulés à l’égard du droit OHADA, conduisent à analyser l’application du procédé de passerelle en droit français et, éventuellement, en droit OHADA (Titre 2).

101 V. supra, n°47.

TITRE 1

LES RAISONS POUVANT EXPLIQUER L’ADOPTION DU PROCEDE DE PASSERELLE DANS LES DROITS FRANÇAIS ET OHADA

39. La prévention des difficultés des entreprises dans les droits français et OHADA repose sur une organisation presque identique. Celle-ci se subdivise en deux niveaux dont l’un tient aux moyens préventifs internes, telle l’alerte102 du commissaire aux comptes par rapport à tout fait de nature à compromettre la production normale de l’entreprise, et l’autre aux moyens préventifs externes, telles les procédures de conciliation103, de mandat ad hoc104 et de médiation105. Ces procédures préventives externes, bien qu’elles consacrent une négociation contractuelle de la restructuration des entreprises, comportent des faiblesses qui impactent leur efficacité. Il en est ainsi parce que la conciliation, qui est la principale procédure préventive en droit français et en droit OHADA, est biaisée, d’une part, par le principe d’unanimité106 de l’accord et, d’autre part, par l’effet immédiat de la cessation des paiements107, c’est-à-dire une conséquence effective dès le premier jour de la constatation de cet état.

40. Ces faiblesses présentent un risque, celui de l’échec de l’accord de conciliation (Chapitre 1). Afin de contourner ces obstacles, la pratique française, sur impulsion de la doctrine, a pu se trouver un moyen, celui du procédé de passerelle au travers des affaires Thomson108 et Autodistribution109, nonobstant l’absence d’un cadre juridique adapté. Il a pu en être ainsi, parce

102 Art. L.234-1, c. com. ; Art. 150 et s., AUDSC.

103 Art. L.611-4, c. com. ; Art. 5-1, AUPC.

104 Art. L.611-3, c. com.

105 Art. 1-2, AUPC.

106 Art. 2, al. 1, AUPC : « La conciliation est une procédure préventive, consensuelle et confidentielle, {…} » ; droit français : Cela résulte du caractère contractuel de la conciliation. Or, un contrat ne peut être conclu que sur la base d’un consensus, suivant le principe de la liberté contractuelle. C’est pourquoi l’alinéa 6 de l’art. L.611-7, c. com. en tire les conséquences en disposant qu’il est mis fin à la conciliation si les parties ne parviennent pas à un accord (consensuel).

107 Art. 5-1, al. 1, AUPC : « La conciliation est ouverte aux personnes visées par l’article 1-1 ci-dessus, {…} mais qui ne sont pas encore en état de cessation des paiements » ; droit français : jusqu’à la loi n°2005-845, du 26 juill. 2005 de sauvegarde des entreprises, JORF n°173 du 27 juill. 2005, p.12187, texte n°5, la conséquence de la cessation des paiements était immédiate, c’est-dire exclusive de l’ouverture d’une procédure amiable (l’ancien règlement préventif en l’occurrence). L’assouplissement du régime de la cessation des paiements, tel qu’il existe aujourd’hui, résulte de l’art. L.611-4 tel que modifié par le texte précité.

108 Trib. com. Nanterre, 30 nov. 2009, D. 2009, 2929, note A. LIENHARD ; B. GRELON, « L’affaire Thomson : la loi à l’épreuve de la finance », Rev. Sociétés, juin 2010, p. 244 ; « L’arrêt technicolor : entre rigueur et impuissance », Rev. Societés 2011, p. 239 ; Versailles 13e ch. 18 nov. 2010, n°10/01433, Rev. proc. coll. 2011, comm.41, note J.-J FRAIMOUT ; Com. 21 févr. 2012, n°11-11.693, Rev. proc. coll. 2012, comm. 82, note J.-J. FRAIMOUT.

109R. ROUTIER, N. LAURENT, « Analyse de l’opération Autodistribution : premier prepack à la française », cah. dr. entr., sept.-oct. 2009, p. 20.

que ce type de procédé de traitement des difficultés des entreprises est juridiquement admis aussi bien en droit français qu’en droit OHADA (Chapitre 2).

Chapitre 1. Le risque de l’échec de la procédure de conciliation

41. En droit français, sous l’empire de l’ancienne procédure de règlement amiable, à laquelle la procédure de conciliation a succédé en 2005110, l’accord était obtenu à l’aide de la règle de la majorité : l’approbation du projet d’accord par la majorité des créanciers permettait au tribunal de valider cet accord ; il faut dire que le règlement amiable était dirigiste, et donc moins contractuel111. Lors de l’adoption de la procédure de conciliation, le législateur français a préféré la règle de l’unanimité à celle de la majorité, dans le but de respecter la liberté contractuelle et, partant, contractualiser entièrement la procédure de conciliation. Cela eut pour conséquence la réduction de la marge de manœuvre du chef d’entreprise et du conciliateur au point d’entretenir un risque d’échec des négociations.

42. En droit OHADA, le législateur de 1998 n’avait institué que le règlement préventif112 comme procédure préventive. Comme le règlement amiable français, cette procédure de règlement préventif était exclusive de l’état de cessation des paiements. Elle a été dite préventive, mais elle était judiciaire en réalité car son ouverture était conditionnée à la préparation d’un concordat préventif113. Le législateur de 2015114, en introduisant la procédure conciliation dans l’Acte uniforme des procédures collectives, a adopté le même principe que son homologue français s’agissant du caractère unanime de l’accord de conciliation115. De ce fait, et comme en droit français, le même risque d’échec de la conciliation est présent. Ce risque tient principalement à deux faiblesses de la conciliation à savoir l’effet couperet de la cessation des paiements (Section 1) et l’unanimité qui doit caractériser l’accord (Section 2).

Section 1. L’immédiateté de l’effet de la cessation des paiements

43. « Avant d’aborder l’examen d’une question juridique il n’est pas inutile d’interroger le passé

et de voir comment la solution actuellement appliquée procède de l’évolution historique dans laquelle elle a puisé ses sources ».116 La cessation des paiements est une institution ancienne

110 Art. L.611-4, c. com. tel que modifié par la loi n°2005-845, du 26 juill. 2005 de sauvegarde des entreprises, JORF n°173 du 27 juill. 2005, p. 12187, texte n°5.

111 F. MACORIG-VENIER, « Du règlement amiable à la conciliation », Rev. proc. coll. 2005/4, p. 352.

112 Art. 2, al.1, AUPC 1998.

113 Pour en savoir plus sur le règlement amiable, v. S. K. EVELAMENOU, Le concordat préventif en droit OHADA, thèse de doctorat, Université de Paris-Est Val-de-Marne, Université de Lomé, 2012. Il importe de préciser que le concordat préventif OHADA correspond au plan de sauvegarde en droit français.

114 Nouvel Acte uniforme des procédures collectives, adopté le 10 sept. 2015 en Côte d’Ivoire.

115 Art. 2, al. 1, AUPC : « La conciliation est une procédure préventive, consensuelle et confidentielle, {…} ».

en droit des entreprises en difficulté, où elle joue un rôle important en ce qu’elle a toujours été un évènement de référence pour la détermination du sort117 de l’entreprise et, par ricochet, de celui des créanciers. La survenance de la cessation des paiements dans la vie d’une entreprise crée la panique chez le chef d’entreprise - parce que cela suppose la mise éventuelle sous contrôle judiciaire de l’entreprise - et l’angoisse chez les créanciers - qui redoutent un paiement dérisoire. Ce climat anxiogène est le fait de l’immédiateté des conséquences à la fois factuelles et juridiques de cet état de cessation des paiements, suscitant ainsi de nombreux commentaires118.

44. En droit français, l’effet immédiat de la cessation des paiements a longtemps été une préoccupation. Jusqu’à la loi de régulation bancaire et financière de 2010119, une entreprise, dont la procédure de conciliation avait échoué, était obligée de recourir à une procédure judiciaire ordinaire, à défaut de s’engager à nouveau dans une procédure de conciliation ; alors même qu’elle pouvait arriver à un accord avec ses créanciers, si cet effet n’était pas immédiat, c’est-à-dire s’il était toléré de quelques jours comme il l’est depuis la loi de sauvegarde de 2005120. En droit OHADA, le législateur de 1998121 a adopté le même principe d’immédiateté de l’effet de la cessation des paiements qu’en droit français. Celui de 2015122 n’y a rien changé. Il en ressort que l’immédiateté de l’effet de la cessation des paiements était une mesure législative partagée dans les droits français et OHADA (Paragraphe I), avant que le législateur français n’ait opéré une réforme en la matière (Paragraphe II).

117 E. OSSOUMA-EFFAME, Le rôle de la cessation des paiements dans la prévention et le traitement des difficultés des entreprises, thèse de doctorat, Université de Toulon, 2015, p. 1.

118 B. DIALLO, « La cessation des paiements en OHADA », Juris info, n° sp., déc. 2010, p. 12, réf. Ohadata D.10-64 ; C. NDONGO, La prévention des difficultés des entreprises dans l’AUPC révisé, thèse de doctorat, LGDJ, 2018, p.76 -80 ; M.-L. COQUELET, Entreprise en difficulté, 5e éd., Dalloz, 2015, n°103 et s. ; A. JACQUEMONT, R. VABRES, Droit des entreprises en difficulté, 9e éd., LexisNexis, 2015, n°235 à 285 ; A. LIENHARD, Procédures collectives 2017-2018, 7e éd., Delmas, 2016, n°112-30 -112-39 ; Ph. PETEL, Procédures collectives, 8e éd., Dalloz, 2014, n°84 à 86 ; C. SAINT-ALARY-HOUIN, Droit des entreprises en difficulté, 9e éd., LGDJ, 2014, n°1068 -1070 ; F. PEROCHON, Entreprise en difficulté, 10e éd., LGDJ, 2014, n°406 à 412 ; J. VALLANSAN et Alii, Difficulté des entreprises, 6e éd., LexisNexis, 2012, n°306 à 308 ; D. VOINOT, Procédures collectives, 2e éd., LGDJ, 2013, n°188 à 189 ; G. CRANCHET, La notion de cessation des paiements dans la faillite et le règlement judiciaire, bibl. dr. privé, t. XXXV, Paris, 1962.

119 V. supra, n°17. En effet, cette loi a adopté la sauvegarde financière accélérée qui permet au chef d’entreprise de faire adopter l’accord tenu en échec dans le cadre de la conciliation par un vote majoritaire des créanciers ; cette procédure permettait ainsi la capitalisation des négociations menées dans la conciliation, contrairement à la sauvegarde classique.

120 Art. L.611-4, c. com.

121 1er Acte uniforme des procédures collectives d’apurement du passif, adopté le 10 avr. 1998.

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