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LE MONTAGE LA MONTEUSE

2. Entre création et technique, un équilibre délicat dans la relation du monteur au réalisateur

2.4. Le montage, métier féminin ?

64 ) « Dérapages contrôlés », Cinématographe n° 108, mars 1985, p. 2. Le montage de Double Messieurs a été, en réalité,

réalisé par sept personnes, dont Dedet et Stévenin.

65 ) V. Amiel, Esthétique du montage, op. cit., p. 94.

« Le montage est un métier féminin ». On a souvent répété cette maxime, sans pour autant se demander si elle était vraie, du point de vue historique, et sans se préoccuper de ce qu’elle révèle du processus de collaboration au cinéma. Même si cet aphorisme doit être relativisé, il cache sans doute une relation à la fois harmonieuse et tendue entre deux sensibilités (le réalisateur et la monteuse) qui entretiennent, à ce stade de la création du film, des rapports plus personnels et intimes que tout autre. N’est-ce pas par hasard si les spéculations autour de la nature de ces rapports mettent en question le sexe des participants, étant donné que, parfois, « les rapports avec la monteuse ressemblent à quelque chose d’amoureux », selon les mots de Noëlle Boisson67.

Boisson parle en connaissance de cause car elle est la femme de Jacques Douillon dont elle a été aussi la monteuse entre 1970 (plusieurs courts-métrages) et 1985 (La Tentation d’Isabelle). Le cas des monteuses qui épousent des réalisateurs reste, néanmoins, l’exception à la règle.

En effet, au contraire de la phase de préparation et du tournage, le montage met face à face le réalisateur et son œuvre, encore inachevée, les deux étant liés par l’intermède d’une seule personne, le monteur. Il n’est pas étonnant que le réalisateur tende à voir chez ce collaborateur, plus que chez tout autre, un prolongement de sa propre sensibilité. Dans ce moment d’extrême confiance et intimité, « les monteurs peuvent jouer plusieurs rôles auprès du réalisateur : thérapeute, conseiller, compagnon de route, figure maternelle ou paternelle, meilleur ami, diplomate, et même bouc émissaire68

La supériorité du nombre de monteuses par rapport à celui de monteurs reste cependant difficile à évaluer. Ce partage entre les sexes dans le métier du monteur est plutôt un phénomène qui varie selon les époques et les pays. Aux États-Unis, aux débuts du cinéma parlant, le montage était « une branche généralement réservée aux hommes69». Aujourd’hui, en France, la

prédominance des femmes paraît reconnue, ce qui n’est pas le cas aux États-Unis ou en Italie70.

Ce que l’on peut néanmoins affirmer est une présence plus massive de femmes dans le montage par rapport à d’autres postes de la chaîne cinématographique, à l’exception peut-être des scriptes, des costumières ou des attachées de presse. Dominique Villain déploie tout un éventail d’explications possibles à ce fait qui pourrait être résumé dans celle-ci : « le cinéma est fait par les hommes, mais vu surtout par les femmes71 ». C’est sur cette base que se développe également la

réflexion de Margareth Booth pour qui le metteur en scène serait plus à l’aise de partager avec une femme une « décision difficile et plus qu’embarrassante à prendre à propos d’une scène ou 67 ) Cinématographe n° 108 – Les monteurs, art. cit., p. 18.

68 ) G. Oldham, First cut – Conversations with film editor, op. cit., p. 6. « editors even describe themselves as assuming

various roles for the director : therapist, advisor, hand-holder, mother or father figure, best friend, diplomat, even whipping boy », je traduis.

69 ) Propos de Margareth Booth, recueilli par Stephen Watts, La technique du film par 16 artistes et spécialistes de Hollywood, op. cit., p. 147.

70 ) L’association Monteurs associés estime que, dans la totalité de la profession, 2/3 des postes sont exercés par des

femmes alors qu’aux Etats-Unis, l’American Cinema Editors recense actuellement seulement 33% de femmes dans le métier. L’information sur la prédominance des hommes sur les femmes dans le métier de monteur en Italie a été donnée par Noëlle Boisson, Cinématographe n° 108, art. cit., p. 20.

d’un détail psychologique72. » Les monteuses, en prenant la casquette de premier spectateur du

film, sauraient-elle ainsi trouver un rythme plus approprié et plus agréable pour les spectatrices ? Seraient-elles des interlocutrices privilégiées par rapport à leurs collègues hommes ? Rien n’est moins sûr et, selon nous, toute généralisation concernant les rapports entre les sexes dans ce domaine peut s’avérer périlleuse et réductrice.

Quel que soit le pourcentage d’hommes ou de femmes à exercer ce métier, le genre de la monteuse a, dans l’œuvre d’Oliveira, un poids tout à fait important. À part deux collaborations avec des monteurs hommes, Vieira de Souza (Aniki Bobo) et Rodolfo Wedeles (Mon Cas), toutes les collaboratrices du réalisateur pour le montage sont des femmes. Parmi elles, on pourrait citer Solveig Nordlund (Amour de Perdition), devenue réalisatrice d’une dizaine de films de fiction et documentaires par la suite ; Monique Rutler (Francisca), passée également à la réalisation jusqu’à l’abandon de la profession dans les années 90 ; Janine Martin (Le Soulier de Satin), monteuse peu expérimentée ; et Sabine Franel (Les Cannibales et NON ou la vaine gloire de commander), collaboratrice d’un autre réalisateur portugais, João Canijo.

Parmi ces collaboratrices, Valérie Loiseleux tient une place majeure, puisqu’elle est la monteuse de tous les films d’Oliveira à partir de 1991, début de leur collaboration avec La Divine

Comédie, à l’exception de deux, Le Principe de l’Incertitude et Singularités d’une jeune fille blonde, montés

par son assistante dans d’autres films, Catherine Krassovsky73. Au total, Loiseleux a monté dix-

huit films d’Oliveira, y compris un court-métrage sur José Régio, inédit et inachevé, et la version remontée de Douro, Faina Fluvial, de 1994. Un seul collaborateur, une autre femme en occurrence, la scripte Julia Buisel, est présente dans plus de films que Loiseleux. La collaboration entre Oliveira et Buisel a commencé avec Francisca (1981) et dure jusqu’à aujourd’hui, la scripte apparaissant de temps en temps aussi comme actrice (La Divine Comédie, Val Abraham, Le Principe

de l’Incertitude, Belle Toujours, Singularités d’une jeune fille blonde).

L’importance de ces deux femmes, monteuse et scripte, intervenant dans des moments « voisins » de la création du film, illustre la confiance que le réalisateur accorde aux femmes, notamment dans des métiers qui exigent le plus de rigueur et de précision possibles. Cette confiance naît néanmoins seulement avec la consolidation de leur collaboration, ce qui, dans le cas de Loiseleux, a demandé pas moins de cinq films. Réalisateur et monteuse se sont livrés à vraie bataille symbolique autour de la signature du montage.

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