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Filmer les acteurs à côté des personnages

LES ACTEURS L’ACTEUR

B. Filmer les acteurs à côté des personnages

Selon la deuxième modalité, c'est-à-dire la place donnée à l’individualité et à la subjectivité des acteurs, on pourrait suspecter le cinéma d’Oliveira d’exalter la figure de l’acteur au détriment des personnages, comme le suggère la formule de Luis Miguel Cintra : « filmer les acteurs plutôt que les personnages72 ». Or, Manoel de Oliveira n’encourage pas ses acteurs à entrer en

compétition avec les personnages. Même si les interprètes sont très importants pour la conception du film, le rapport du réalisateur aux personnages, notamment historiques et de grande valeur humaine (le roi D. Sebastião, Camilo Castelo Branco, père António Vieira), est basé sur un énorme respect et sur une déférence incontestable.

En outre, Oliveira n’est pas contre un minimum d’interaction entre personnage et acteur : « pour moi, l’acteur, c’est le personnage. Donc si je trouve l’acteur qui correspond au personnage, le personnage devient l’acteur et tout en est facilité73. » Cette identification primaire entre acteur

et personnage ne doit pas pour autant s’accompagner d’une identification ou confusion totale qui annulerait ainsi la personnalité de l’acteur en faveur d’une interprétation psychologisante du personnage. L’identification qu’Oliveira cherche avant tout à éviter est celle du spectateur au personnage, ce qui passe souvent, il est vrai, par un effet de séparation entre personnage et acteur. En répondant aux critiques reçues à l’époque de La Lettre, Oliveira s’est exprimé ainsi :

71 ) Propos de Manoel de Oliveira, répondant à João Bénard da Costa qui lui demandait si ce plan était un hommage à Méliès, Oliveira, l’architecte, Cinéastes de notre temps – Manoel de Oliveira, réalisé par Paulo Rocha, en 1993.

72 ) Voir annexe II.

« On a condamné la femme [le personnage de Chiara Mastroianni] parce qu’elle agissait de telle façon [elle refuse d’épouser son amant même après la mort de son mari]. C’est une bêtise, je fais le contraire du cinéma américain, eux, ils cherchent l’adhésion des spectateurs au personnage. Dans mon cinéma, je fais tout pour qu’il n’y ait pas cette adhésion. Chaque spectateur est différent et il n’est surtout pas le personnage74. »

Comme personnage et acteur sont, en réalité, deux entités plus liées que ne voulaient le laisser croire les défenseurs de la distanciation brechtienne, il serait possible de nuancer la formule de Cintra en la reformulant : « filmer les acteurs et personnages, les acteurs à côté des personnages », dans un jeu de complémentarité plutôt que d’annulation. Celui est le premier parti pris important d’Oliveira concernant l’acteur. La triangulation s’établit alors car acteur et personnage se trouvent ainsi devant le spectateur, qui ne s’identifie à aucun d’eux, pas plus qu’acteurs et personnages ne se mélangent.

Dans le cinéma d’Oliveira, la problématique de l’acteur est si importante qu’elle met en jeu la notion même de mise en scène. L’acteur est ainsi la pointe de l’iceberg d’une problématique beaucoup plus large et profonde que la simple interprétation. Mathias Lavin distingue, dans sa thèse de doctorat qui sert de base à son ouvrage sur Oliveira, quatre régimes de figuration des personnages sur lesquels nous ne nous attarderons guère75. Ces classifications, même si elles n’ont

rien d’original ni de spécifique aux personnages du cinéma d’Oliveira, renforcent l’idée que le personnage oliveirien est presque un prétexte pour mettre en scène ses acteurs de prédilection.

Le fait de travailler souvent avec les mêmes acteurs, d’avoir formé autour de lui une espèce de « famille d’acteurs » est en réalité ce qui fonde les analyses sur l’individualité créatrice de l’acteur oliveirien. Il est impossible pour un réalisateur qui n’évolue pas à côté de ses interprètes de créer un rapport quelconque avec ses acteurs et de pouvoir jouer avec leurs personnalités et leurs corps. Les exemples du rapport entre John Cassavetes, Alain Resnais ou Andy Warhol et leurs acteurs confirment cette assertion. Chez Oliveira, cette relation intrinsèque avec les acteurs débute assez tard, plus précisément dans les années 70 avec la « tétralogie des amours

74 ) Propos du réalisateur in « Um grito no deserto (entrevista a Manoel de Oliveira), J.M. Grilo, O cinema da não ilusão,

op. cit., p. 134-135. Je traduis.

75 ) Il serait pourtant utile d’actualiser cette liste, étant donné le nombre de films réalisés par Oliveira depuis la

soutenance de sa thèse en 2004. Les quatre régimes de création de personnages proposés par Lavin sont : a) le même personnage dans plusieurs films (Camilo Castelo Branco, nous ajouterons le roi dom Sebastião réapparu dans Le

Cinquième Empire) ; b) plusieurs acteurs pour un même personnage dans le même film (Leonor Silveira et Cecilia Sanz

de Alba jouent Ema ; Cintra, Ricardo Trêpa et Lima Duarte jouent le Père Vieira ; les petits-enfants d’Oliveira jouent le rôle du réalisateur dans Porto de mon enfance ; nous ajouterons Simão Botelho dont un remplacement d’un acteur par un autre à l’âge très proche rappelle celui opéré sur Ema) ; c) un même acteur dans différents personnages à l’intérieur du même film (les soldats de NON ou la vaine gloire de commander, auxquels il faudrait rajouter Leonor Silveira et Rita Blanco, à la fois cocotes et, pour un petit instant, dames dans Inquiétude ; et Ricardo Trêpa, qui apparaît comme commissaire de police à la fin du Principe de l’Incertitude), ici nous ajouterons comme un sous-cas celui analysé par la suite du Principe de l’Incertitude/Miroir Magique; d) un même acteur comme entité présente dans plusieurs films (Cintra), dans lequel ne serait pas faux d’ajouter d’autres acteurs comme Leonor Silveira, Diogo Dória ou Isabel Ruth.

frustrées76 », lorsque le réalisateur commence à travailler systématiquement avec des acteurs

professionnels. La tétralogie est sans doute le moment fondateur de la filmographie d’Oliveira et elle jette les bases d’un grand nombre de partis pris esthétiques du réalisateur. Il ne saurait pas en être autrement pour ce qui est du travail avec les acteurs. Jorge Silva Melo, qui consacre un texte aux interprètes de ces quatre films, affirme que

« dans Le Passé et le Présent, Oliveira met ses acteurs en représentation [...] mais pas pour en filmer la représentation (ce qu’ils font) mais surtout pour, à travers celle-ci, filmer (cachées, révélées) les personnes (ce qu’elles sont – ou comment elles étaient)77. »

Même si la plupart des acteurs de la tétralogie n’apparaissent pas dans les films d’Oliveira les plus récents, l’affirmation de Silva Melo garde bel et bien son actualité. Ce qui a pourtant changé depuis l’époque de la tétralogie, c’est l’établissement d’une complicité autour d’une poignée d’acteurs qui reviennent souvent dans les films du réalisateur. Il existe deux sortes d’acteurs avec lesquels Oliveira noue des liens de proximité et dont la répartition est essentielle pour comprendre ses différents rapports avec les comédiens. D’abord, ceux dont Oliveira suit de près le mûrissement professionnel dans une collaboration qui dure parfois plus de 20 ans : Luis Miguel Cintra, Diogo Dória, Isabel Ruth, Isabel de Castro, Manuela de Freitas ou Glória de Matos. Parmi ceux-là, se trouvent les plus importants interprètes portugais d’actualité, aussi bien de la scène que des plateaux. Cette catégorie comporte une sous-qualification si l’on pense à des acteurs comme Catherine Deneuve, John Malkovich, Michel Piccoli ou Irène Papas. L’arrivée, tardive d’ailleurs, de vedettes internationales implique un changement esthétique considérable dans l’univers oliveirien. D’abord, parce qu’elles ont ouvert aux films du réalisateur les portes du marché international, auquel ils n’avaient guère accès jusqu’alors. Ensuite, parce qu’elles entraînent une caractérisation spéciale de personnages, plus que les acteurs portugais d’ailleurs. Cette caractérisation prend en compte leur origine, leur langue maternelle, leur façon de parler le français – ou leur impossibilité, dans le cas de Malkovich –, ainsi que leur rayonnement international et leurs expériences avec d’autres réalisateurs importants du cinéma mondial.

Deuxièmement, apparaissent les acteurs sur les carrières desquels Oliveira garde un quasi- monopole : Leonor Silveira, Ricardo Trêpa, Leonor Baldaque, Julia Buisel et Duarte de Almeida. L’existence de ces acteurs dans le monde du cinéma n’est possible que grâce à leur collaboration étroite avec le réalisateur. Même s’ils ont déjà tourné avec d’autres metteurs en scène (notamment Duarte, avec Paulo Rocha et João César Monteiro), leur expression en dehors du cinéma d’Oliveira est restreinte et n’importe guère. Ces acteurs seront néanmoins importants notamment lorsque nous aborderons les contraintes infligées à l’image de l’acteur et au jeu de l’acteur par la

76 ) Ce terme est utilisé pour parler des quatre films de Manoel de Oliveira réalisés entre 1972 et 1981 : Le Passé et le

Présent (1972) ; Benilde ou la Vierge Mère (1975), Amour de Perdition (1978) et Francisca (1981). On se référera ici,

désormais, à la « tétralogie ».

mise en scène d’Oliveira.

La démarche de Manoel de Oliveira envers ses acteurs actualise en quelque sorte la querelle entre « paraître » et « apparaître », entre des acteurs qui cherchent à imiter une réalité corporelle (la vraisemblance) et ceux qui se contentent d’être, ou d’être là (la semblance). Cette dichotomie, plus actuelle que jamais dans le cinéma moderne, est également le socle du cinéma des avant- gardistes américains des années 60 comme Jack Smith et Andy Warhol. Issus du cinéma expérimental, Smith et Warhol poussent l’utilisation du corps de l’acteur au-delà des limites expérimentées par Oliveira, comme le prouve la série de Screen Tests, d’Andy Warhol, des films tournés entre 1965 et 1966 composés uniquement de gros plans fixes de modèles, personnalités et inconnus, d’environ 3 minutes chacun. Jorge Silva Melo reconnaît que les interprètes d’Oliveira « appartiennent à une autre race que celle des acteurs, ils ne jouent pas, ils sont78. » L’assertion de

Silva Melo, quoique tout à fait juste, peut engendrer une confusion terminologique puisqu’il utilise le verbe « être » dans le sens de « estar » (en langue portugaise, dénotant situation passagère) par opposition à « ser » (situation permanente). Si, pour Silva Melo, Oliveira filme ses acteurs comme ils « sont/estar » (c'est-à-dire comme ils réagissent au moment précis du tournage) les propos d’Oliveira lui-même n’éliminent pas pour autant l’idée de filmer l’acteur étant lui-même de façon permanente, dans une acception plus élargie et personnelle, en bref, en gardant son individualité : « Je demande toujours à mes acteurs : ne jouez pas, réagissez79. »

Un bon exemple des relations particulières entre personnage et acteur est celui du diptyque

Le Principe de l’Incertitude (2002) et Miroir Magique (2005). Ce dernier est censé être une suite du

premier film avec la reprise de quelques personnages, jeu créé en écho avec l’auteur des romans adaptés, Agustina Bessa-Luis. Le jeu pervers d’Oliveira consiste à reprendre les mêmes acteurs – à l’exception de deux, dont son petit-fils Ricardo Trêpa, qui sert de liaison entre les personnages – pour jouer des personnages aux caractères radicalement opposés à ceux du premier film. Ainsi, la jeune fille dépravée Vanessa devient la sainte Alfreda (Leonor Silveira) ; le gentleman Daniel Roper, prend l’allure du faussaire et manipulateur Filipe (Luis Miguel Cintra) ; et l’apparemment innocente Camila – au fond, une jeune fille dissimulatrice – devient l’apparemment opportuniste Abril/Vicenta – en réalité, une simple mère soucieuse de l’avenir de son enfant (Leonor Baldaque). Les personnages du deuxième film vont même jusqu’à faire référence à leurs confrères du premier film, parfois avec une pointe de malice et de sarcasme : « Tu penses toujours à Vanessa, n’est-ce pas, José Luciano ? », lance Leonor Silveira (la Vanessa du premier film), à Ricardo Trêpa ; « Cette robe appartenait à Camila et vu que Vicenta a la même carrure qu’elle… », dit José Luciano, alors que Camila et Vicenta sont effectivement jouées par Leonor Baldaque ; « Camila s’est mariée avec l’avocat, qui ressemblait beaucoup à Touro Azul », dit Filipe, alors que l’avocat et Touro Azul sont joués par Ricardo Trêpa, etc. Le peu de psychologie

78 ) « Intérpretes de Oliveira, os actores », art. cit., p. 63.

des personnages qui restait chez Oliveira est finalement complètement réduit à néant dans ces deux films.

La contrainte de séparer les esprits des acteurs et des personnages, et d’éviter ainsi une interprétation psychologique du rôle, est imposée aux acteurs, parfois, par les caractéristiques des personnages créés par Manoel de Oliveira. Les acteurs ne peuvent pas s’approcher très près de ces personnages ni essayer de leur donner une profondeur psychologique tout simplement parce qu’ils ont à faire à des mythes ou à des personnages littéraires ou historiques devenus de vrais icônes et symboles de toute une gamme d’actions et de comportements humains. C’est comme si l’entité à laquelle ces comédiens étaient censés donner vie les dépassait par leur puissance métaphorique. Dans cette perspective, deux œuvres s’imposent à l’esprit. D’abord, La Divine

Comédie, où les personnages du film (des internes d’un asile de fous) ne font que recréer des

passages de la vie (imaginaire ou supposée réelle) du personnage qu’ils incarnent toute la journée durant. Ainsi, Raskolnikov (Miguel Guilherme) prend une espèce de plaisir à revivre le crime qui a amené le personnage de Dostoïevski à se perdre ; Ève (Silveira) et Adam (Carlos Gomes) s’amusent (et amusent les autres internés) à rejouer la scène du Péché original ; et Jésus (Paulo Matos) profite de la moindre occasion pour rejouer l’épisode de la Cène ou du Sermon de la Montagne. L’une des internes, Leonor Silveira, se donne même le privilège de changer de personnage en cours de route : influencée par l’ambiance vertueuse et religieuse qui domine la maison, elle passera d’Ève (pécheresse) à Sainte Thérèse (vertueuse). Même s’il s’agit de personnages porteurs d’une forte charge dramatique et sentimentale, le récit d’Oliveira ne légitime pas la souffrance ou les interrogations des personnages qui les représentent (dans la diégèse filmique) puisqu’ils ne sont, en dernier lieu, que des acteurs jouant des fragments détachés de textes, mythiques, historiques ou littéraires, entendus mille fois.

Dans un registre analogue, Xavier Carrère remarque que les personnages du Couvent ne font « qu’imiter les mythes » : Michael Padovic (John Malkovich) imite Faust ; son épouse fatale, Hélène, (Catherine Deneuve), Hélène de Troie ; le mystérieux gardien Baltar (Luis Miguel Cintra), Lucifer ; et l’innocente Piedade (Leonor Silveira), Sainte Thérèse80. L’œuvre de Goethe, Faust agit

ici comme un intertexte donnant de la substance aux actions des personnages oliveiriens : l’œuvre est d’ailleurs citée plusieurs fois dans le film, ainsi que dans le roman d’Agustina Bessa-Luis, Les

terres du risque, dont est adapté le film. Sans coller étroitement à la peau de leurs modèles, les

personnages du Couvent sont invités, par la sobriété de la mise en scène et l’enfermement (spatial et symbolique) dans ce lieu hors du temps, à laisser apparaître la face de leurs interprètes sous la menace de ne pas exister en tant que simples êtres fictionnels. Ce n’est pas par hasard qu’Oliveira, pour décrire le film, dit qu’il « ne raconte pas d’histoire » et que « les acteurs jouent à

80 ) X. Carrère, « L’imitation de la parole selon Oliveira », Trafic n° 17, hiver 96, p. 21. La formulation la plus adéquate

ici serait « essaient d’imiter les mythes », sous peine de confondre la tentative frustrée des personnages du Couvent de ressembler aux personnages de Goethe à une imitation, au sens aristotélicien, réussie des mythes littéraires.

vide81 ». Il faut ajouter le poids de la présence de deux vedettes internationales, Deneuve et

Malkovich, dans une œuvre ouvertement « auteuriste» : cette intégration des stars dans le cinéma d’Oliveira est un tournant important dans sa filmographie82.

La création du personnage selon l’acteur

Une deuxième variation de la cohabitation entre acteurs et personnages au sein d’un même corps surgit lorsque le choix des acteurs détermine les traits caractéristiques de quelques personnages. C’est la première chose à montrer dans ce chapitre : comment l’acteur peut non seulement déterminer son personnage mais aussi, plus profondément, la structure thématique et formelle de l’œuvre. Que le choix d’un acteur soit déterminant pour la création d’un personnage est sans doute devenu monnaie courante dans les discours de réalisateurs – combien de fois n’a- t-on pas entendu un cinéaste dire qu’il a créé un personnage en pensant à un acteur ? Cette dimension garde néanmoins sa fraîcheur et son originalité dans le processus de création d’Oliveira car le choix de l’acteur ne va pas forcément entraîner une définition claire de la psychologie d’un personnage, mais va plutôt agir dans les petits détails de son élaboration (création d’un dialogue, respect d’un accent, etc.) Dans cette perspective, deux films sont exemplaires. Dans Party, les personnages portent les mêmes prénoms que les acteurs, moins dans le but de créer une identification entre acteur et personnage, que dans un souci de ne pas créer un personnage fictionnel à part entière. Jean A. Gili analyse ainsi ce parti pris d’Oliveira :

« Ils [les personnages] sont délibérément donnés comme archétypes – voire stéréotypes – auxquels l’auteur ne s’est même pas donné la peine de créer une identité pleinement autonome83. »

Les archétypes sont également évoqués dans Un film parlé, surtout dans la séquence du dîner à bord où Catherine Deneuve, Stefania Sandrelli, Irène Papas, John Malkovich et Leonor Silveira parlent chacun dans sa langue maternelle84. Au lieu de filmer une séquence avec un

dialogue dans une langue commune à tous, Oliveira se sert de l’individualité de chaque interprète pour jouer sur les particularités et différences culturelles, ce qui constitue l’un des points de départ du récit. Chaque acteur représente ainsi non seulement un personnage mais surtout toute l’identité culturelle et linguistique d’un peuple : les trois vedettes internationales (Deneuve, Sandrelli et Papas) incarnent, dans leurs splendeurs vieillissantes, la chute des valeurs de la vieille

81 ) Conversations avec Manoel de Oliveira, op. cit., p. 113.

82 ) Luis Miguel Cintra raconte que « sur le plateau, les relations avec Deneuve étaient imposées par elle. J’ai eu de

l’admiration et du respect envers elle, elle s’isole, ne reste pas en contact avec les autres acteurs, cela m’intimidait », voir l’annexe II. Nous verrons plus tard ce que la présence de Catherine Deneuve dans un film implique pour la conception de la mise en scène.

83 ) J.A Gili, « L’amour ou les mots de l’amour », Positif n° 428, octobre 1996, p. 33.

84 ) Dans Inquiétude, Irène Papas et Leonor Baldaque discutent ensemble, chacune dans sa langue maternelle, ainsi que

Europe, anciennement reluisante ; Leonor Silveira, en maîtresse d’école et mère dévouée, plus jeune et d’autant plus fascinante que les autres, montre encore une fois – pour le meilleur comme pour le pire – la place détachée du Portugal dans ce contexte ; et John Malkovich, capitaine américain pimpant, apparaît comme l’hôte séducteur et puissant symbolisant les États-Unis.

Le respect de la langue maternelle chez les acteurs se revêt d’un respect de leur façon de parler une langue étrangère. Puisqu’ils tournent souvent en France, les acteurs d’Oliveira, notamment les portugais, sont amenés à parler en français et cela ne présuppose, à aucun moment, un entraînement prosodique dans le but de masquer leur origine étrangère. Si l’accent de quelques acteurs comme Luis Miguel Cintra, Leonor Silveira ou Leonor Baldaque est quasiment imperceptible, ceci n’est pas le cas pour d’autres comme Marcello Mastroianni, Irène Papas, Ricardo Trêpa ou Julia Buisel – pour les deux premiers, Oliveira invente toujours un prétexte scénaristique, une origine étrangère bien définie, pour justifier leur accent. Pour Alain Fleischer, l’accent qui affecte un parler introduit dans le discours un effet « d’écart et de dissemblance » qui compromet le mimétisme parfait85. L’accent des acteurs est alors non

seulement respecté par le réalisateur mais parfois même sur-joué par les interprètes – voir la façon dont Papas prononce le mot « é-nig-ma-ti-que » dans Party, en faisant attention à bien séparer les syllabes ; les tirades du garçon de café (Ricardo Trêpa) dans Belle Toujours, à la limite de la non-intelligibilité. L’attention portée à l’individualité que les interprètes expriment à travers leur

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