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L’idée d’une écologie politique

Dans le document Être ensemble et temporalités politiques (Page 63-65)

Seconde partie : L’écologie politique dans un cadre ontogénétique

Chapitre 14. L’idée d’une écologie politique

Après cette revue forcément sélective des questions de philosophies politiques des trois premiers chapitres, il nous faut exploiter ce matériau pour notre propre questionnement, dans le cadre de l’ontogénèse narrative décrit dans la première partie. Nous reprenons pour cela les idées de liberté, d’égalité et de fraternité, complétées ici aussi par le propre et la compassion.

La première question se résume en trouver une légitimité à parler d’autonomie dans un monde construit comme pure hétéronomie (c’est la dimension systémique). L’idée de nouveau que la liberté incarnerait (à la Bergson) est consistante avec notre cadre et avec l’initiative d’Arendt ou de Ricœur. Mais elle ne peut se penser comme un solipsisme ou en opposition à la liberté des autres. Si l’autonomie est capacité à se forger ses lois et capacité à les respecter, et si elle se matérialise dans un geste au présent d’initiative, il convient de revenir sur ce qui est création et ce qui est reconfiguration. L’enjeu de la liberté semble être de pouvoir choisir son histoire comme l’ensemble des plausibles sur la base desquels nous émergeons authentiquement. La liberté serait-elle la possibilité offerte de « réviser » son histoire, lorsque la réalité – au sens du déroulement des vécus qui s’en suivent – nous rappelle à l’ordre et nécessite de remettre à niveau nos ambitions ? Ou est- elle plutôt, au sein d’un cadre donné, l’imprévisibilité qu’il nous reste aux yeux des autres – et aux nôtres ? Ou bien encore, n’est-elle pas la garantie qu’il n’y aura pas de jugement des autres – de révisions de qui nous sommes dans leurs regards et dans leurs paroles – lorsque nous agirons ? Est- elle également l’absence de comptes à rendre ? L’absence d’autorisation à demander ou à attendre des autres lorsqu’il s’agit d’agir ? Ma liberté consisterait justement à éprouver l’ensemble de ces capacités. La puissance serait l’étendue des plausibles au sein desquels nous choisissons qui nous sommes. Sachant que je ne choisis jamais à proprement parler qui je suis, mais que je réponds à un appel de ce qui, informe, me constitue et souhaite, tel le geste de l’artiste, être. Et que l’expression de cet être au sein d’un récit donnera de fait forme. Le pari ici est fait que l’étendue des plausibles est corrélé avec l’ambition qui la précède, et que la liberté, alors, est d’être conforme aux lois qui me constituent.

La seconde question relève d’un questionnement éthique et permet d’aller plus loin dans ce que serait l’autonomie pour soi, pour les autres : peut-on décliner l’impératif catégorique dans un tel univers ? Lorsqu’on considère la dimension temporelle, l’émancipation apparaît comme une clef pédagogique qu’il convient de considérer collectivement ou individuellement. Une éthique rationnelle commence alors à se dessiner. Aux côtés des questions de justice, que nous abordons dans le chapitre suivant et qui nous enjoint à viser juste, mais aussi à accepter l’idée d’une juste démesure, le concept d’empowerment est introduit. Cette idée de donner de la puissance à l’autre va, selon nous, avec une autre idée qui consiste à rendre beau. Notre rapport aux autres, s’il doit viser rationnellement la construction d’une Cité, passe par l’idée de donner – ou de rendre – ce qui constitue pour tous et donc pour nous une source de vie, au sens de susciter l’incarnation du nouveau. Rendre beau, rendre libre, rendre puissant, pourrait alors constituer la base d’une éthique

61 rationnellement fondée, c’est-à-dire indépendamment de toute transcendance extérieure justifiant nos valeurs. Elle donnera lieu à des développements dans les chapitres qui suivent. L’ergodicité nous permet d’aborder les questions d’égalité et de fraternité. Elle suppose à chaque instant que nous pourrions être – plus précisément, que nous aurions pu être – l’autre et que l’autre pourrait être nous ; elle ne hiérarchise aucune expérience a priori puisque toutes sont sources d’apprentissage pour tous ; elle devrait impliquer le respect de chacun. Une ambiguïté réside néanmoins dans ce conditionnel car il semble bien que soit requis une dimension supplémentaire, si l’on veut que l’ergodicité se transporte rationnellement sur le plan moral, i.e. que le « ça aurait pu être moi » et le « ça pourrait être moi » entraîne une empathie spontanée, et non un simple enrichissement de ma base de connaissance. On peut arguer, et c’est l’un des points que nous développerons, que l’ergodicité s’articule naturellement à l’empowerment au sens où il est rationnel d’agir de façon à donner plus de possibles aux autres de façon à ce que les trajectoires de tous s’enrichissent mutuellement. On peut également observer que la notion d’égalité – et en particulier celle d’égalité des chances – n’offre pas beaucoup plus de garantie morale. L’égalité en droit contient une autre idée. L’on sait combien une telle égalité est théorique, mais elle reste une condition de recours et d’idéal essentielle.

Nous travaillons également l’idée de propre et l’idée de proche, notamment avec Abel. En contrepoint, le care et la compassion sont discutés, avec en particulier le concept de vulnérabilité, pour lequel nous proposons une définition compatible avec notre cadre d’analyse.

Nous interrogeons en parallèle ce qui, au-delà de la raison, pourrait nous aider au plan éthique, en étudiant notamment les travaux d’Abel. Nous retrouvons en particulier l’idée de sincérité qu’il étudie à partir de Bayle. L’éthique du temps et l’éthique de la prise, proposées par Abel, sont également discutées. Enfin, nous cherchons à montrer la valeur des concepts d’honneur et de code d’honneur, aujourd’hui quelque peu désuets.

Les questions normatives abordées, vient celle de la gouvernementalité, qui réclame une vision positive du monde qui est le nôtre, et une explicitation des critères susceptibles d’être ceux d’un tel gouvernement et de ses institutions. Pour cela nous re-décrivons synthétiquement le système dynamique d’une communauté. Nous prenons le temps de faire jouer le rôle critique de la figure de l’insensé, au travers de la lecture de Spector. Puis nous abordons l’idée de décentralisation du critère, cher aux économistes normatifs et sous-jacente à l’idée de gouvernementalité de Foucault. Le concept de nudge, de Thaler et Sunstein, a remis au goût du jour cette vision au cœur de la pensée libérale lorsqu’elle se souvient qu’elle est système.

Nous abordons, avec Abel, Benasayag et del Rey, la question du conflit et du rôle de la colère dans ce qui fait que le système reste système, car – justement – la gouvernementalité doit inclure le conflit dans sa version la plus efficace. Les stratégies de justification, avec Ricœur, ou Boltanski et Thévenot, ne nous paraissent pas rendre véritablement compte de la difficulté.

Nous reprenons donc positivement l’idée de gouvernementalité de Foucault en proposant une vision des risques en termes de vulnérabilité. Le critère global ne peut se contenter d’un critère de minimisation du risque, de maintien de la viabilité du système, comme la pensée de Varela le suggère pour tout système vivant. L’enjeu est de faire en sorte que puisse émerger un critère et réussir à le mettre en œuvre dans le respect de l’histoire de chacun, tout en réduisant les vulnérabilités individuelles et en surveillant la vulnérabilité globale. Ce critère global peut selon nous reprendre les maximes issues de l’impératif catégorique de façon à en favoriser le recours : apprendre ensemble, rendre libre, beau et puissant, apporter justesse, fidélité et sensibilité nous semblent constituer un programme éducatif, législatif et juridique digne d’être considéré… Mais l’enjeu est situé à différents niveaux simultanément, et notamment la forme démocratique et ses règles, et le fond de ce qui est débattu et décidé. La mise en place d’une gouvernementalité doit

62 disposer d’institutions suffisamment ouvertes pour ne pas figer la dynamique sociétale ni s’enliser dans l’institué. Sans cette ouverture, la critique foucaldienne redevient pertinente quel que soit le critère du gouvernement.

Enfin, nous abordons le thème de l’écologie politique, en vue d’en clarifier notre propre définition de cette pensée. Nous retraçons avec Zin et Sas la généalogie de l’idée et les différentes définitions envisageables. Nous précisons également la pensée de Gorz et son évolution au fil des années. Le principe d’ontogénèse que nous avons retenu souligne notre proximité avec la pensée de Gorz ou d’Illich lorsqu’il s’agit de penser l’individu comme se co-construisant avec la société qui l’entoure. La notions de contre-productivité d’Illich est – dans un tel cadre d’un système dynamique endogène, sans transcendance – naturelle. L’autonomie passe par ailleurs par une lutte contre l’hétéronomie comprise comme une prise de conscience réflexive partagée de ces dynamiques qui nous concernent, dont nous sommes responsables, mais qui nous dépassent également. Une certaine idée du « proche » est en tension – plus chez Gorz que chez Illich – avec une pensée de l’universel. C’est l’un des points que nous travaillons avec le thème républicain. Mais l’idée de singularité, ces « dieux passibles » des confins, que nous avons trouvé chez Lyotard, ne doit pas nous quitter malgré la tournure qu’a pris notre monde, et malgré – ou plutôt grâce à – la représentation systémique que nous avons retenue.

Le passage de l’égalité à la solidarité, de la fraternité à la responsabilité que préconisent certains écologistes reste à éprouver, et nos propres catégories n’y conduisent pas directement. De même, la démocratie participative, telle que proposée dans une logique habermassienne ou le principe responsabilité de Jonas, ne correspondent pas spontanément avec nos analyses. Elles semblent par ailleurs quelque peu reprises, et Sas l’indique, par un manque de perspectives positives, constructives et collectives, de l’idéologie libertaire, surtout lorsqu’elle est teintée d’austérité comme chez Illich.

Nous essayons dans notre travail de séparer ce qui relève du cadre axiomatique, de l’éthique qui en découle logiquement, de celle qui est le fruit de nos propres souhaits, de ce que nécessite la mise en œuvre positive ici et maintenant pour se rapprocher au mieux de ce vivre-ensemble idéal. Jonas n’apparait objectivement à aucun de ces moments. Habermas pourrait apparaître dans le dernier temps, mais comme nous l’avons vu dans les chapitres précédents, ou au travers de la discussion sur le conflit et sur la conviction, d’autres formes institutionnelles semblent devoir être trouvées. La logique pragmatiste reprise à Dewey par exemple, ouvre selon nous de meilleures pistes, car moins contraintes par une normativité a priori.

Seconde sous-partie : Essais pour fonder en raison une éthique

De l’analyse précédente, il ressort la nécessité de fonder le juste « en raison », afin de décliner l’impératif catégorique dans notre cadre. Justesse, fidélité et sensibilité apparaissent trois qualités qui, loin de réclamer la fameuse juste mesure qui va d’Aristote à Ricœur en passant par Camus, nous entraine vers une juste démesure. Rendre beau, libre et puissant pourraient alors compléter l’idéal moral fondé en raison, ainsi que, plus profondément encore, l’injonction à apprendre ensemble. Quelle constitution collective peut-on imaginer sur ces bases ? Quel Droit ? La vision finale que nous offrons de la société est-elle condamnée à nous offrir le pire du libéral sécuritaire ?

Dans le document Être ensemble et temporalités politiques (Page 63-65)