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Être ensemble et temporalités politiques

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Academic year: 2021

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Texte intégral

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École des Hautes Études en Sciences Sociales

Ecole doctorale de l’EHESS

Centre de Recherches sur les Arts et le Langage

Doctorat

Discipline : Philosophie

N

ICOLAÏ

J

EAN

-P

AUL

Ê t r e e n s e m b l e e t t e m p o r a l i t é s

p o l i t i q u e s

Thèse dirigée par Olivier Abel

Date de soutenance : le 15 janvier 2020

Rapporteurs 1 Jean Greisch, Professeur émérite à l’Institut Catholique de Paris 2 Gilbert Vincent, Professeur émérite de la Faculté de théologie

protestante de l’Université de Strasbourg

Jury 1 Michaël Fœssel, Professeur à l'École polytechnique

2 Jean Greisch, Professeur émérite à l’Institut Catholique de Paris

3 Alain Trannoy, Directeur d’étude de l’EHESS, Professeur à l’Ecole d’Economie d’Aix-Marseille

4 Gilbert Vincent, Professeur émérite de la Faculté de théologie protestante de l’Université de Strasbourg

5 Joëlle Zask, Maître de conférences à l'Université de Provence

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A tous mes proches, d’hier et d’aujourd’hui, qui font ce que je suis. Merci à eux pour m’avoir évité de me perdre dans les confins sans pour autant jamais m’interdire de les rencontrer.

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Résumé et mots clés

Résumé

Afin d’espérer développer une philosophie politique qui reconnaisse d’emblée notre interdépendance, nous travaillons dans une première partie à établir des hypothèses sur ce qu’on entend par réalité et sur notre accès à cette dernière. Une ontologie événementielle paraît compatible avec l’ontogénèse narrative qui nous constitue individuellement en constituant un « nous ». Il faut pour cela imaginer chacun s’imaginant le monde et apprenant au travers d’histoires, dans une logique inductive qui peut réconcilier la phénoménologie herméneutique d'une part et l’apprentissage statistique de l'autre. De ces histoires chacun tire des universaux, interprétables comme des composantes principales d’une analyse statistique factorielle de ces histoires qui nous constituent. Le temps joue un rôle clef dans la dynamique de cette constitution autant que dans celle des événements rassemblés dans ces histoires. L’enjeu est finalement de partager ces universaux dans une histoire commune, ou, à l’inverse, dans une rupture temporelle qui permet peut-être de mieux accéder à un monde commun. Nous travaillons alors dans une seconde partie la question du vivre ensemble avec les idées républicaines de liberté, d’égalité et de fraternité, et avec celles de pluralité et de confins. L’écologie politique que l’on aperçoit alors est aussi républicaine que libertaire. Dans ce cadre, la justice s’exprime par la justesse, la fidélité, la sensibilité et par une juste démesure. L’impératif catégorique s’y décline dans la nécessité de rendre les autres beaux, libres, et puissants et d’apprendre ensemble. Le Droit apparaît comme s’élaborant dynamiquement dans le temps même où s’élabore la Cité. La possibilité du radicalement nouveau travaillée dans la première partie autorise d’articuler la liberté et les institutions. La logique d’un code d’honneur permet in fine de ne pas s’abandonner à la Raison toute puissante sans pour autant renoncer aux Lumières.

Mots clés

Phénoménologie herméneutique, psychologie écologique, philosophie du temps, narrativité, républicanisme, anthropologie, libertaire, écologie politique, apprentissage statistique, identité narrative, inférence inductive, autotranscendance, métaphore, koan, temporalité, événement, ontologie, ontogénèse, Bateson, Bergson, Castoriadis, Dewey, Dupuy, Foucault, Heidegger, Husserl, Lyotard, Peirce, Ricœur, Romano, Schapp, Varela.

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Abstract and Keywords

Abstract

In order to hope to develop a political philosophy that immediately recognizes our interdependence, we work in a first part to establish assumptions about what we mean by reality and our access to it. An event-based ontology seems compatible with the narrative ontogenesis which constitutes us individually by constituting a "we". This requires imagining everyone imagining the world and learning through stories, in an inductive logic that can reconcile hermeneutic phenomenology on the one hand and statistical learning on the other. From these stories each identifies universals, interpretable as principal components of a factorial statistical analysis of these stories that constitute us. Time plays a key role in the dynamics of this constitution as well as in the events gathered in these stories. The stakes are ultimately to share these universals in a common story, or, conversely, in a temporal break that may allow better access to a common world. We then work in a second part on the question of living together with republican ideas of freedom, equality and fraternity, and with those of plurality and boundaries. The political ecology that we see then is as republican as libertarian. In this context, justice is expressed by rightness, fidelity, sensitivity and a “fair excess”. The categorical imperative lies in the need to make others beautiful, free, and powerful, and to learn together. Law appears to develop dynamically in the very time that the City is developed. The possibility of the radically “new” worked in the first part allows articulating freedom and institutions. The logic of a code of honor ultimately allows not to surrender to the Almighty Reason without giving up the Enlightenment.

Keywords

Hermeneutical phenomenology, Ecological psychology, Philosophy of time, Narrativity, Republicanism, Anthropology, Libertarian, Political ecology, Statistical learning, Narrative identity, Inductive inference, Autotranscendance, Metaphor, Koan, Temporality, Event, Ontology, Ontogenesis, Bateson, Bergson, Castoriadis, Dewey, Dupuy, Foucault, Heidegger, Husserl , Lyotard, Peirce, Ricœur, Romano, Schapp, Varela.

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Table des matières

RESUME ET MOTS CLES 2

ABSTRACT AND KEYWORDS 4

TABLE DES MATIERES 6

PREAMBULE PERSONNEL 14

INTRODUCTION 16

POURQUOI ? 16

L’ECOLOGIE POLITIQUE 17

LE TEMPS, LE RISQUE 18

VERS UNE ECOLOGIE DE L’ESPRIT 18

UNE PHENOMENOLOGIE HERMENEUTIQUE 19

DEUX POINTS DE DEPART 19

LE VIVANT COMME REGULARITES EMERGENTES D’UN SYSTEME DYNAMIQUE 19

UN MONDE D’HISTOIRES 31

METHODES 38

L’ENCOMPASSING 38

LA METAPHORE STATISTIQUE 40

LA METAPHORE NARRATIVE 41

PERSPECTIVE GENERALE DU PROJET 42

L’ONTOGENESE NARRATIVE 42

LE TEMPS DE L’HISTOIRE ET LE TEMPS MORT 43 LES CLEFS D’UNE PHILOSOPHIE POLITIQUE 43

LES CLEFS D’UNE PHILOSOPHIE MORALE 44

PRINCIPAUX RESULTATS 45

SYNOPSIS 46

INTRODUCTION 46

PREMIERE PARTIE :ONTOGENESE D’UN REEL PARTAGE 46 SECONDE PARTIE :L’ECOLOGIE POLITIQUE DANS UN CADRE ONTOGENETIQUE 58

CONCLUSION GENERALE 65

PREMIERE PARTIE : ONTOGENESE D’UN REEL PARTAGE 66

CHAPITRE 1 : L’HERMENEUTIQUE EVENEMENTIALE DE ROMANO 68

L’HERMENEUTIQUE EVENEMENTIALE DE ROMANO 69

L’EVENEMENT 69

(10)

7 L’ADVENANT ET L’IPSEITE 70

L’EX-PER-IENCE ET LA TEMPORALITE 71

L’A-VENTURE 71

CINQ PISTES POUR METTRE EN LIEN 71

PISTES 72

QUI PHILOSOPHE ? 72

LA PROFONDEUR INSTANTANEE DE LA TEMPORALITE 73

LA DENSITE DE L’AVENTURE 74 L’ETHIQUE ET L’IDENTITE NARRATIVE 76

TUER LE TEMPS 78

EN CONCLUSION 79

L’HYPOTHESE REALISTE 79

TRAVAUX A CONDUIRE 80

CHAPITRE 2 : ONTOLOGIE EVENEMENTIELLE ET NARRATION 82

ONTOLOGIE ET EVENEMENTS 84

DAVIDSON ET LA FORME LOGIQUE DES PHRASES D’ACTION 84 AUTRES ONTOLOGIES EVENEMENTIELLES MAJEURES 87 LES NEODAVIDSONIENS ET LA SEMANTIQUE FORMELLE 91 LA NARRATION D’EVENEMENT CHEZ RICŒUR 97

NARRATION ET PERCEPTION 98

L’ONTOGENESE DE LA REFERENCE 98

PSYCHOLOGIES 106

ONTOGENESE : LES QUESTIONS EN SUSPENS 111

UNE PISTE ALTERNATIVE 112

NARRATION ET EVENEMENT 112

ELABORATION 118

EN CONCLUSION, S’AGIT-IL D’UNE ONTOLOGIE ? 122

CHAPITRE 3 : ERGODICITE ET MIT-SEIN 126

CE QU’IMPOSE UNE PENSEE SYSTEMIQUE 129

L’INDIVIDUALISME METHODOLOGIQUE COMPLEXE 129 L’ERGODICITE : APPRENDRE ENSEMBLE 132

LA REALITE DU MONDE 133

LA PHENOMENOLOGIE HERMENEUTIQUE COMME PENSEE SYSTEMIQUE 134

DE LA PHENOMENOLOGIE A LA PHENOMENOLOGIE HERMENEUTIQUE 134

LE DASEIN MODELISATEUR 137

ONTOGENESE D’UN REEL 140

UNE ANTHROPOLOGIE PHILOSOPHIQUE 143

PENSER L’HOMME QU’ON EST COMME UN AUTRE POUR VIVRE ENSEMBLE 143 ECRIRE SA « PROPRE » HISTOIRE AVEC LES AUTRES 144 CHAPITRE 4 : PHENOMENOLOGIE HERMENEUTIQUE ET INFERENCE INDUCTIVE 146

ENCORE UN MATIN 147

(11)

8 L’EXISTENCE D’UNE DISTRIBUTION DE PROBABILITE 148 L’EXISTENCE DES LOIS DE LA NATURE 152 L’INDUCTION AU QUOTIDIEN, ET SA FORMALISATION 153 CONCLUSION DE LA PREMIERE PARTIE 157

ONTOGENESE NARRATIVE ET INDUCTION 158

RETOUR SUR NOS HYPOTHESES 158

LA METAPHORE STATISTIQUE 159

INFATIGABLES NOMOGRAPHES 162 CONCLUSION DE LA DEUXIEME PARTIE 164

UNE LECTURE DE LA PHENOMENOLOGIE HERMENEUTIQUE 164

UNE VISION SYSTEMIQUE 164

REDUCTION EIDETIQUE ET PROJECTION SUR UNE BASE DE CONNAISSANCE 165

L’ELUCIDATION DES STRUCTURES ESSENTIELLES 169

UNE ONTOLOGIE EVENEMENTIELLE 171

LA NECESSITE D’UNE EXPLICITATION DE L’ONTOGENESE 172 LES VARIATIONS IMAGINATIVES 175 LE CERCLE HERMENEUTIQUE 177 LE MODELE DU TEXTE 179 CONCLUSION 180 CHAPITRE 5 : L’EQUIVOQUE 182 HISTOIRE ET VERITE 185 EPISTEMOLOGIE ET HERMENEUTIQUE 185 LE PLAUSIBLE 189 L’EQUIVOQUE AU QUOTIDIEN 193 LIEUTENANCE PERSONNELLE ET CONFRONTATION DES INTERPRETATIONS 197

L’AUTHENTIQUE ET LA SINCERITE – VERSION A-MORALE 200

SE-RECONNAITRE 200

L’AUTHENTIQUE 205

LA PARRESIA ET LE SOUCI DE SOI DE FOUCAULT 209 L’ETHIQUE ET L’ESTHETIQUE AU CŒUR DE L’HISTOIRE 214

LE TRAVAIL DE L’EQUIVOQUE 217

CHAPITRE 6 : HUSSERL, BERGSON, RICŒUR 220

LE RECIT, GARDIEN DU TEMPS 220

LA VIEILLE IDEE DE SUCCESSION ET DE MOUVEMENT 221

LE PRESENT ET LA NARRATION 223

QUELQUE CHOSE QUI DURE 224

HUSSERL, LE FLUX DE LA CONSCIENCE 224 BERGSON, LE FLUX DE NOUVEAU 227 LA DIFFICULTE DE SAISIR UN FLUX 235

L’EMERGENCE DU TEMPS 239

LA REPONSE RICŒURIENNE AUX APORIES DU TEMPS 239

LE TEMPS COMME ORDRE « QUASI-CAUSAL », DE LA CAUSE AU MOTIF 240 LE TEMPS EST INTRINSEQUE 241

PLUS LOIN 242

(12)

9 LA MEMOIRE ET L’ETRE-ETE, 243

CONCLUSION 245

CHAPITRE 7 : LE TEMPS COMME SINGULIER COLLECTIF 246

HEIDEGGER ET LE TEMPS DES HORLOGES 247

L’ETRE DANS LE TEMPS 247

LES AUTRES DANS LE MONDE 249

UNE HISTOIRE DU MONDE 250

RICŒUR, LE TEMPS RACONTE 251

INSTANT COSMOLOGIQUE ET PRESENT PHENOMENOLOGIQUE 251 LE CREDIT ACCORDE A LA PAROLE D’AUTRUI 253

LA MEMOIRE PARTAGEE 255

LE TEMPS DE L’UN ET LE TEMPS DES AUTRES 257

DISCUTER, CAUSER, SE RACONTER DES HISTOIRES 257

LE SUJET DES AUTRES : SE RACONTER, SE RENDRE PREVISIBLE 258

LA SINCERITE DE L’INITIATIVE 259 LE PROJET COMMUN D’UNE HISTOIRE COMMUNE 260 CHAPITRE 8 : LA PENSEE DU MIROITEMENT 1 – LE SECOND HEIDEGGER ET LE ZEN 262

LA PENSEE DU MIROITEMENT 264

HEIDEGGER, LE SECOND 264

LE SUBLIME ET L’EFFROI 268

HEIDEGGER ET LE ZEN 272

LE TEMPS CHINOIS 278

LE MOMENT, LES SAISONS 279 LE PROCESS ET LA REGULATION 280

METAPHORE VIVEET RUPTURE DE NIVEAU 283

HEIDEGGER ET LA POESIE 283

LE PROCESSUS METAPHORIQUE 284

PARADOXES ET SYSTEMES 288

TUER LE TEMPS 292

CHAPITRE 9 : LA PENSEE DU MIROITEMENT 2 – BREVE PHENOMENOLOGIE DU TEMPS MORT 294

LA POSSIBILITE D’UN CADRE CONCEPTUEL 295

NIVEAUX LOGIQUES DE COMMUNICATION 295 LE SUPPORT D’UNE CONVERGENCE 297

LE TEMPS MORT AU QUOTIDIEN, BREF SURVOL 299

LE TEMPS DU DESIR 299

LA PETITE MORT 301

L’ECLAT DE RIRE 302

PRENDRE APPUI SUR LE SUBLIME 308 DE L’EFFROI A L’INJUSTICE 308

TEMPS MORT PARTAGE 309

(13)

10

OU SE TROUVENT LES VRAIES COUPURES AXIOMATIQUES ? 310

RETOUR SUR LE CHEMIN PARCOURU JUSQU’ICI 313

JE N’AI AUCUNE IDEE DE LEURRE 315

SECONDE PARTIE : L’ECOLOGIE POLITIQUE DANS UN CADRE ONTOGENETIQUE 318

CHAPITRE 11 : LIBERTE, EGALITE, FRATERNITE 320

COMME UN ETENDARD 322

LA LIBERTE 323

L’AUTONOMIE COMME LIBERTE POSITIVE ET RISQUE TOTALITAIRE 323 LA LIBERTE DES MODERNES, DE L’ABSENCE D’INTERFERENCE A LA NON DOMINATION 324 LA LIBERTE COMME « TECHNOLOGIE » DE GOUVERNEMENT ET L’AGENCY 328

L’EGALITE 330

L’EGALITE COMME DROIT 330

L’EGALITE COMME REPOUSSOIR 331

L’EGALITE PAR LA LIBERTE 333

RAWLS,DWORKIN,SEN,COHEN,VALLENTYNE, ET LES THEORIES « EGALITAIRES » 334 LE MERITE ET LA RESPONSABILITE 341

LA FRATERNITE 344

LA FRATERNITE PRE-INSTITUTIONNELLE COMME PRESCRIPTION 345 LA FRATERNITE COMME TRANSCENDANCE EN PROCESS 347

L’AMITIE ET LA FRATERNITE 350

D’AUTRES IDEES 351

LA PROPRIETE, LE PROPRE ET LE PROCHAIN 351 LA COMPASSION ET LE CARE 354

UNE TENTATIVE DE RECONCILIATION 361

LA LIBERTE SOCIALE 361

EDUQUER LES PAUVRES 363

DEWEY 365

QUELLE REPRISE POSSIBLE DE LA PHILOSOPHIE DE DEWEY ? 371

CHAPITRE 12 : ENTRE LIBERALISME ET JACOBINISME 378

LE DEBAT ENTRE REPUBLICAIN ET DEMOCRATES 378

LA REPUBLIQUE SANS LA VERTU 379 LA PISTE COMMUNAUTARIENNE 381 LES SPHERES DE JUSTICE DE WALZER 385

PLURALISME ET REPUBLIQUE 387

L’IMPOSSIBILITE D’UN MULTICULTURALISME LIBERAL 387

L’ANALYSE MULTICULTURALISTE DES NEO-REPUBLICAINS 390 LA REPRISE DURKHEIMIENNE DE GUERARD DE LATOUR 394 BESSONE : UNE COMPREHENSION POLITIQUE DE LA TOLERANCE 396

LA RECONNAISSANCE ET L’ESTIME 399

TAYLOR 399

HONNETH 400

RICŒUR 403

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11

ABEL 409

CONCLUSION : ANTINOMIES CONSTITUTIVES 410

CHAPITRE 13 : DYNAMIQUES PLURIELLES 414

LE COLLECTIF ET L’INDIVIDU 415

L’INDIVIDU 415

LE SOUVERAIN ET AUTRES ENTITES COLLECTIVES 417

SE CONSTITUER 420

LA POSSIBILITE DE GOUVERNER ENSEMBLE 426

ARENDT OU LA PLURALITE 437

L’ORGANISATION DE LA CITE 437 LA PAROLE ET L’ACTION, L’INITIATIVE 438 L’ANTHROPOLOGIE DE LA PLURALITE PATIENTE 441

LE NOUVEAU VENU ET LA NATALITE 443

LE JUGEMENT POLITIQUE 444

CASTORIADIS OU LA POSSIBILITE DU NOUVEAU 447

L’AUTONOMIE ET L’IMAGINAIRE 447 L’ORIGINE INDIVIDUELLE ET LA DIMENSION SOCIALE 458

UNE ETHIQUE ? 462

LYOTARD OU L’HONNEUR DE PENSER 463

INCONVENANCES 463

UNE IDEE REPUBLICAINE AU CŒUR DU LIBERTAIRE 468

CHAPITRE 14 : L’IDEE D’UNE ECOLOGIE POLITIQUE 478

QUELLE IDEE REPUBLICAINE RETENIR ? 479

LA LIBERTE 480

L’EGALITE 482

LA FRATERNITE 484

LE PROPRE ET LA COMPASSION 484

UN IMPERATIF CATEGORIQUE ELARGI 489

RENDRE LIBRE, BEAU ET PUISSANT 489

VISER JUSTE 490

APPRENDRE ENSEMBLE 491

ELEMENTS D’ETHIQUE 492

UNE APPROCHE POSITIVE EN VUE D’UN GOUVERNEMENT DE SOI ET DES AUTRE POSSIBLE. 506

CE QUI NOUS CONSTITUE 506

LA DECENTRALISATION DU CRITERE ET LA RATIONALITE INDIVIDUELLE 511

DES INSTITUTIONS VIVES 519

UNE ECOLOGIE POLITIQUE 527

DEFINITION ET GENEALOGIE 527 GORZ, QUELQUES PRECISIONS 532 UNE ECOLOGIE POLITIQUE ENCORE A PRECISER 535

CHAPITRE 15 : LES RAISONS DU JUSTE 538

(15)

12 RIEN N’EXCUSE LA VIE DES LARMES DE L’ENFANCE 539 « JE ME REVOLTE DONC NOUS SOMMES » 539

LA CITE DES JUSTES 540

L’INENARRABLE 541

LE SENTIMENT D’INJUSTICE, UNE DROLE D’HISTOIRE 541 L’HYPOTHESE D’ERGODICITE 542

JUSTESSE, FIDELITE, SENSIBILITE 542

L’INTOLERABLE 545 LA REVOLTE 545 DISPOSITION OU DEVOIR 546 LA JUSTE DISTANCE 547 LE JUSTE EN ACTE 551 LE RENONCEMENT 551

SI JE ME PORTE EN JUGE, C’EST POUR MIEUX ME CONVAINCRE 553

HORS DROIT ET HORS RAISON 554

L’ESPERANCE 556

LA JUSTE DEMESURE 557

EN GUISE DE CONCLUSION 561

CHAPITRE 16 : RENDRE LIBRE, RENDRE BEAU, RENDRE PUISSANT 564

LIBRE, BEAU, PUISSANT 565

RETOUR SUR L’ONTOLOGIE DE L’ACTE CHEZ RICŒUR 565 L’AUTONOMIE DANS NOTRE CADRE 566 LE SUJET DU BEAU ET LA LIBERTE INFORME DU SUBLIME 567

LE SOUCI D’UNE BELLE HISTOIRE 573

UNE BELLE HISTOIRE 573

LE SOUCI DE SOI 583

LE GOUVERNEMENT DE SOI ET DES AUTRES. 600

LE GOUVERNEMENT DE SOI EST UN GOUVERNEMENT DES AUTRES. 600

RENDRE 602

OUVRIR LES POSSIBLES 602

LE PROCHE ET LE LOINTAIN.LE DEBUT DE L’INSTITUTION 603

LA POSTURE – LE SOUCI DE L’AUTRE AU RISQUE DU SUBLIME 603

CHAPITRE 17 : APPRENDRE ENSEMBLE 606

RICŒUR ET LA QUASI-CAUSALITE DU RECIT 609

LE MODELE DU TEXTE ET LA COMPLEXITE SYSTEMIQUE 609

« ON NE SE SOUVIENT PAS SEUL » 612

LA CAPACITE A APPRENDRE 613

RETOUR SUR LA METAPHORE DE L’APPRENTISSAGE STATISTIQUE 615

PEIRCE ET LA RECHERCHE OU L’ENQUETE 619

LES AUTRES AU CŒUR DU PROCESSUS D’APPRENTISSAGE 619

LA COMMUNAUTE ET LA RECHERCHE COLLABORATIVE 621

INTENTIONNALITE PARTAGEE ET CRITERE COLLECTIF 624

RETOUR SUR LE NOUS EN ACTIONS ET EN INTENTIONS 624 L’INTENTIONNALITE EN QUESTION 630 L’ESPRIT ETENDU ET L’ATTENTION JOINTE 636

(16)

13

LE TEMOIGNAGE ET LA TRANSMISSION DU SAVOIR 641

LE TEMOIGNAGE 641

L’APPRENTISSAGE DES ENFANTS 649

ONTOGENESE SYSTEMIQUE 658

DE L’AUTOPOÏESE DE VARELA A LA PSYCHOLOGIE ECOLOGIQUE DE RACZASZEK-LEONARDI 658

APPRENDRE ENSEMBLE 668

CHAPITRE 18 : CONCLUSION DE LA SECONDE PARTIE 674

L’INSTITUTION ET LE DROIT 676

QU’EST-CE QU’UNE INSTITUTION ? SELON SEARLE 676 L’OBLIGATION DE SE TENIR A LA FOIS POUR SUJET ET LEGISLATEUR 678

DWORKIN ET L’ELABORATION DU DROIT DANS LA CITE 680

LA REFERENCE A L’INTERPRETATION ARTISTIQUE ET TEXTUELLE 680

LA THEORIE DES DROITS ET LE DROIT-INTEGRITE 683

L’EXISTENCE D’UNE BONNE REPONSE 688

L’ELABORATION DU DROIT ET DE LA CITE 690

LA REGLE DE RECONNAISSANCE ET LA FORCE DU DROIT 690 L’EFFET RETOUR DU DROIT SUR LA CITE 695 UNIVERSALISER LE JUGE ET PENSER LA DEMOCRATIE 697

SE CONSTITUER 703

DES INSTITUTIONS VIVES, CE QUI NOUS CONSTITUE 703

LA METAPHORE STATISTIQUE 705

LA GOUVERNEMENTALITE 707

LE SOUVENIR D’UN AUTRE HIVER 709

LA DIMENSION STATISTIQUE 710

LE LIBERAL SECURITAIRE 711

CONCLUSION GENERALE 716

UNE ECOLOGIE POLITIQUE, REPUBLICAINE ET LIBERTAIRE 716

LA POSSIBILITE D’UNE PENSEE ECOLOGIQUE 716 LA REPUBLIQUE DES CONFINS 717 CE QUI S’OUVRE A PRESENT 718

ANGLES MORTS 719

LE PARI DE L’HONNEUR 720

LA RAISON 720

UNE POSTURE AMOUREUSE ET AMUSEE 720

L’HONNEUR 721

BIBLIOGRAPHIE 722

INDEX DES CONCEPTS 768

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14

Préambule personnel

Les mathématiques ont constitué ma formation initiale (Ecole polytechnique), complétée par l’économie et la statistique (ENSAE) et un DEA d’analyse et politique économique sous la direction de Roger Guesnerie. L’enseignement de l’économie que j’ai reçu était marqué par l’approche néolibérale de l’économie mathématique, même si certains de nos enseignants, en tant que chercheurs, avaient développé une analyse critique des fondements de cette approche.

J’ai contrebalancé certains biais de cette formation en travaillant en parallèle des thèmes plus en lien avec les sciences humaines. J’ai notamment étudié assez longuement les approches pluridisciplinaires de l’école de Palo Alto, qui regroupait l’anthropologue Gregory Bateson, et des chercheurs en psychiatrie et en communication. Les travaux d’Ivan Illich et la suite qu’en donne Jean-Pierre Dupuy m’ont également ouvert à la possibilité d’une recherche articulant une formation d’économiste walrassien et une ambition progressiste.

Mon parcours professionnel a alterné des postes directement en lien avec le monde de la recherche académique (comme économiste – EDF, Caisse des dépôts – Directeur adjoint de la recherche – Indosuez – ou Chef des études économiques et financières au Commissariat général à la prospective et à la stratégie – ex-Commissariat au Plan) et des postes de dirigeant d’entreprise (Legal & General France, Ecureuil Gestion, OTC Conseil, Witam MFO, WiseAM) où j’ai mis en place des programmes pluriannuels de recherche validés par le MESR. Chaque fois, de façon plus ou moins directe, j’ai été confronté à la question de la prévision et à celle de l’imprévisible.

Sur le plan académique, mes travaux ont concerné les champs de l’économétrie théorique, de l’économétrie appliquée et de la politique économique. J’ai eu à traiter des questions épistémologiques, notamment celles liées à la causalité statistique, aux anticipations rationnelles, à la décision et à la planification en avenir incertain, à la prévision, mais aussi des questions plus ouvertement en lien avec l’économie politique au sens large (l’utilitarisme, l’inégalité, la dépendance, le vieillissement, l’innovation, l’innovation financière, la mesure de la richesse). Les entreprises que j’ai dirigées intervenaient ou interviennent dans le secteur financier, là où l’économétrie de la finance pose méthodologiquement de nombreuses questions subtiles, mais qui peuvent relever du détail, et où le contexte macroéconomique, social, géopolitique, donne une ampleur et un enjeu qui ne se réduit pas aux intérêts particuliers.

Sur le plan politique, je n’ai cessé de souffrir d’un double engagement, à la fois libertaire et républicain, presque coupable de cette double sensibilité. L’écologie politique, telle qu’Ivan Illich la proposait était une première canalisation d’une pensée libertaire. Mais le chemin était long pour réconcilier à cette pensée les idéaux républicains. Candidat aux législatives de 2002 pour le Pôle républicain, je croisai à ce moment de nombreux militants issus de l’extrême gauche venant se joindre à des militants gaullistes au sein du Pôle républicain. Je n’y trouvai pas pourtant la vision recherchée. A l’issue de cette année de campagne, je ne renouvelai pas mon engagement militant et me dit que seules la création artistique ou la philosophie pouvaient permettre d’agir véritablement sur notre monde.

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15 Entré sans y prendre garde dans la famille de Paul Ricœur 10 ans plus tôt, je me retrouvai à ce moment-là à fréquenter ce philosophe régulièrement avec mon épouse, sa petite fille. Par amitié et par respect, j’ouvris alors Temps et récit.

La phénoménologie herméneutique de Ricœur, les thèmes qu’il avait travaillés, son accueil de la pensée des autres philosophes m’ouvrit tout un monde. L’envie d’échanger avec lui sur le fond de ses livres m’invita à lire et à me former. Le déclencheur de ce travail fut donc Paul Ricœur, et en particulier le moment de silence qui s’installa entre nous lorsque je suggérai que le plausible n’était pas une catégorie du discours, mais du réel. Olivier Abel est celui qui l’a rendu possible, par son ouverture à des pensées autres et par sa sagacité, qui pressentent les liens entre concepts et qui, d’un trait aussi simple que lumineux, les mettent en rapport.

Ce travail se devait de ne pas reproduire ce dont j’avais souffert, tant dans les milieux professionnels que j’avais fréquentés – finance, haute administration ou monde académique – que dans l’univers politique lui-même. Sur le plan épistémologique, je m’étais en effet chaque fois heurté à l’intrication entre le pouvoir et l’outil conceptuel. Surtout, cette intrication était souvent contre-nature, les idéologies semblant motiver les « décideurs » n’ayant rien à voir avec celles sous-tendues par les outils ou les concepts qu’ils maintenaient.

Il me fallait donc poser un cadre à la fois rigoureux et ouvert, et, surtout, il me fallait l’expliciter. De là il serait possible de reposer les questions qui me paraissaient clef, et peut-être d’y répondre. Ces questions visent in fine le politique, mais certaines relèvent du manque épistémologique ressenti dans ma vie professionnelle. En particulier, la prise en compte du temps et du risque dans l’analyse économique et financière (ces deux éléments n’y sont présents qu’en apparence1), ou celle du

caractère autoentretenu de la dynamique d’un groupe ou d’une économie, étaient des thèmes que je souhaitais aborder.

C’est donc armé essentiellement d’expériences et de concepts de statisticien, d’économiste et de chef d’entreprise que j’abordai ce travail. Je redoutai le piège du scientisme. J’avais passé l’essentiel de ma vie professionnelle et académique à critiquer la prétention mathématique à régir les champs du savoir sans partage. Je souhaitais déplacer des concepts, susciter des rencontres nouvelles, espérer des échanges fructueux. Il m’est alors apparu sain chaque fois de recourir aux outils mathématiques ou économiques à titre de « métaphores ».

Enfin, ce travail, initié au plan philosophique par la lecture de l’œuvre de Paul Ricœur, réclamait par essence de mobiliser de nombreuses autres pensées. Certaines étaient issues de mon passé pluridisciplinaire, d’autres vinrent des lectures qu’engendrèrent ma propre recherche ou les pistes ouvertes par mon Directeur de thèse, qui a apporté en plusieurs endroits un renouvellement important de mon travail. Nous allons devoir méthodiquement mélanger du vocabulaire appartenant à différentes écoles philosophiques. Nous serons vigilant, mais ces différentes pensées foisonnent parfois et peuvent troubler une attente conventionnelle ; cette large ouverture est néanmoins essentielle à ce projet et l’ambition est de ne pas s’y perdre, mais, bien au contraire, de renforcer la conviction des idées défendues. Certes, cela n’aide pas au classicisme académique. Il était toutefois nécessaire de faire se rencontrer des approches en apparence très différentes les unes des autres mais souvent recherchant leur propre formulation d’une même intuition. Nous montrerons également que des registres différents, aussi bien ontologiques que politiques, ne parlent au fond souvent que de la même chose. Je présente par avance mes excuses au lecteur pour ce foisonnement et l’enjoins à accorder un peu de crédit à la cohérence d’ensemble du propos.

1 Voir l’analyse d’Antoine d’Autume, par exemple (Antoine D’AUTUME (1982) : « L'introduction du temps dans

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Introduction

Pourquoi ?

La question des enfants, mais aussi celle des adultes, est inlassablement pourquoi ?. Les réponses rassurent… et entraînent d’autres pourquoi ?. Les réponses tantôt expliquent les raisons d’être : je remplis mon verre pour boire, parce que j’ai soif ; tantôt fournissent des explications causales factuelles : parce qu’il fait chaud, parce que c’est l’été, parce que nous sommes dans l’hémisphère nord, … Ces dernières peuvent toujours – au grand dam des parents – réclamer une explication supplémentaire. Que des électrons circulent dans des fils électriques et chauffent à l’incandescence une ampoule est assez loin d’une explication finale de la lumière dans l’obscurité. Adultes, éduqués vers une rationalité scientifique et technologique, nous sommes émerveillés de chaque nouvelle avancée explicative. La science comme la technologie structurent notre représentation du réel. Au point de nous faire croire que le réel et cette représentation se confondent.

Notre accès au réel ne serait pas toutefois aussi direct que ne le suggèrent la science et la technologie. Cet accès compréhensif réclamerait une structure plus complexe que le simple voir, entendre, toucher, goûter, sentir. Le réel auquel nous accédons serait déjà configuré, et les éléments simples ne le deviendraient que par recoupement entre complexes, et ne seraient jamais définitivement simples.

Une telle perspective s’inscrit dans une phénoménologie herméneutique, en particulier celle de Ricœur. Elle trouve aussi écho chez des philosophies pragmatistes (celle de Peirce notamment, et son concept de tiercéité), ou analytiques (Carnap, ou Quine et sa préférence pour l’ontogénèse à l’ontologie).

Notre travail vise à approfondir cette idée pour proposer un cadre au sein duquel une philosophie politique pourrait être développée. Toute ambition politique d’aider à vivre ensemble nous semble en effet réclamer un cadre conceptuel au sein duquel une organisation de la cité et une politique peuvent ensuite être légitimées. Il convient pour chaque option d’imaginer son impact réel, ce qui nécessite au préalable d’avoir défini ce que l’on entend par réalité et le rapport de chacun à celle-ci. Ces questions ontologiques nous apparaissent insuffisamment travaillées dans la plupart des philosophies politiques. C’est encore plus vrai dans les études appliquées de politique économique et sociale, d’ailleurs rarement explicitement rattachées à une philosophie politique. Parmi ces questions, celles du temps et du risque nous semblent particulièrement mériter plus de considérations.

Nous nous interdisons de penser la Cité des justes sans penser la Justice et nous n’imaginons pas penser la Justice sans penser l’Etre. Pour deux raisons : d’une part, si l’on sépare à la suite de Kant entendement et raison pour mieux définir un impératif catégorique, nous souhaitons étudier la possibilité d’élargir ce dernier à d’autres maximes que celles auxquelles nous sommes habitués ; d’autre part, toute considération normative, qu’elle soit établie sur la base d’un tel impératif ou sur

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17 la base de convictions personnelles explicitées, nécessite une représentation positive du réel sur lequel on entend agir. L’écologie politique, socialement progressiste et visant un monde juste, se doit de s’ancrer sur des bases explicitées. Notre ambition avouée est d’étudier normativement le politique dans un cadre philosophiquement et ontologiquement clarifié sous contrainte de cohérence avec le projet même d’une écologie politique.

Nous précisons ci-dessous ces thèmes de l’écologie politique, du temps et du risque. Nous présentons ensuite deux questionnements qui peuvent être considérés comme les points de départs de notre travail, ou du moins les deux points desquels notre perspective s’origine. Les grandes lignes de notre projet sont ensuite articulées. Puis nous décrivons les partis-pris méthodologiques que nous dérivons pour partie de notre compréhension de l’objet que constitue l’écologie politique, pour partie de la métaphore statistique à laquelle nous nous réfèrerons souvent, pour partie enfin de ce que nous appellerons la métaphore narrative. Enfin, un plan détaillé, sous forme de synopsis, décrit notre travail chapitre par chapitre.

L’écologie politique

L’écologie politique est une pensée systémique, ou chacun, chaque fois, contribue à la vie de tous, au passé, au présent et au futur, et qui souligne les responsabilités que cela implique pour chacun. Elle postule l’individu et vise son émancipation dans ce cadre systémique.

L’individu, politiquement, s’est imposé avec les Lumières et la Révolution française. Le progrès devait être son allié et lui offrir avec le temps la justice et le bien-être, à défaut de l’abondance. La liberté était au cœur de cette mutation historique attendue, et la philosophie politique d’alors se construisait comme une pensée libérale. Dans les faits, l’histoire des deux derniers siècles est celle du libéralisme économique, comme si cette seule facette de la pensée libérale avait su prospérer. Si l’on se félicite parfois d’avoir fait reculer l’extrême pauvreté dans le monde, force est de constater que l’accomplissement de l’idéal révolutionnaire de justice reste lointain. Pire, nombreux sont ceux qui pensent ou proclament que le chemin suivi ne peut conduire à un tel accomplissement. Il est vrai également que les plus progressistes ont bien du mal à penser une alternative qui resterait politiquement libérale.

L’individu ne peut être l’individu simple de la pensée néoclassique. Un niveau de complexité tenant à la dimension systémique de son existence au sein d’une communauté rend l’analyse plus riche mais en retour plus difficile. Il convient en effet d’y préciser la dynamique de la constitution du soi en lien avec celle de la communauté. La constitution du soi au sein d’un système lui-même dépendant de ce que sont les membres de la communauté paraît être la seule façon de comprendre le monde qui nous entoure : toute transcendance émerge des relations au sein de la communauté, et ne s’impose pas de façon exogène. Et ces transcendances qui vont structurer ce que sont les membres de la communauté et la communauté elle-même émergent dans le même mouvement que celui qui nous constitue, nous, chacun, et nous, en tant que collectif.

La critique de l’individualisme méthodologique et de l’utilitarisme n’a pas permis jusqu’ici de concilier le présupposé de l’individu et la pensée d’un monde qui ne serait pas condamné à l’hégémonie du libéralisme économique. L’enjeu réside pourtant là, de réconcilier l’autonomie de la personne et la logique de la Révolution française, fondatrice de la République. Certes, il existe beaucoup de discours ou de volonté politiques qui visent un tel objectif, mais rares sont ceux qui offrent une vision assez globale pour justifier les partis-pris. En particulier, l’articulation entre l’ambition de liberté et d’émancipation des personnes, le souci d’un projet collectif efficacement conduit et le refus des inégalités, quel que soit le sens que l’on donne précisément à ces concepts, reste à découvrir. La société, le corps social, le peuple, etc. sont des « singuliers collectifs » (pour reprendre l’expression de Ricœur) en quête d’une définition qui respecterait le concept même

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18 d’individu. Parmi ces singuliers collectifs que nous sommes censés partager, il y a l’Histoire, il y a le temps.

Le temps, le risque

Lorsque les physiciens aujourd’hui parlent du temps, ils butent sur l’impossibilité de le réduire à un déroulement linéaire, qui est pourtant notre représentation commune1. A la question du temps,

les philosophes ont apporté de leur côté de nombreuses réponses, plus sous forme de postulats que de déductions, ces dernières conduisant, comme l’a si bien écrit Ricœur, à des apories. La question de notre rapport au temps, quotidiennement, renvoie à celles de l’incertitude, du prévisible et de l’imprévisible. Le nouveau, le surgissement de l’imprévisible, est une notion peu facile à manier, mais qui paraît essentielle. L’ensemble de ces thèmes sont pourtant rarement présents dans le débat politique, et lorsqu’ils sont abordés – comme par exemple à propos du principe de précaution – il est difficile de prendre position ou de comprendre celles des autres, car nulle part ne sont explicitées les représentations que l’on pourrait partager en la matière. La question politique n’a pourtant pas de sens si elle n’est pas posée dans le temps. La question de qui nous sommes, comme celle de ce que nous faisons, avant même que l’on se pose celle de ce que nous avons à faire, ne peut pas non plus ignorer le temps.

Le temps a son dual : le risque. Le risque paraît une clef pour décoder les comportements et les attentes des individus. Le risque, mais aussi ce que l’on cherche à construire, au gré de notre découverte du monde, pour essayer de le contenir, pour se rassurer, au fil des jours : des histoires qui donnent du sens à notre passé, notre présent et peut-être notre futur ; qui nous aident à réduire l’ensemble des possibles – vertigineux – à quelques futurs sur la base desquels s’échafaude notre action.

La lecture de Temps et récit de Ricœur et la configuration du temps par l’activité narrative ouvre à ces questionnements sur le temps et sur l’action une porte vers le philosophique et le politique. La question du temps comme « singulier collectif » est en particulier une des façons d’aborder la question du vivre ensemble. L’une des dimensions de l’identité, l’identité narrative, permet alors de penser dynamiquement la constitution de soi et de la communauté, de façon totalement systémique.

Ricœur traite également de l’articulation entre la sédimentation et le nouveau, qu’il s’agisse de celle entre idéologie et utopie ou lorsqu’il fait travailler les concepts de dette et d’horizons d’attente. Nous y avons lu, sans doute de manière très projective, dans un vocabulaire bien différent du nôtre, la question d’un apprentissage endogène ; endogène du simple fait que l’individu gardait l’initiative, au cœur d’un système dont il est issu et qu’il ne découvre qu’en le constituant.

Vers une écologie de l’Esprit

Sous ce titre d’un des ouvrages de Bateson2, le lien peut être fait entre l’Ecole de Palo Alto, Dupuy,

et notre façon de comprendre le terme d’écologie. Il ne s’agit pas de penser seulement notre

1 Voir par exemple la communication de Darmour sur le temps : Thibaud DARMOUR (2011) : « Physique et

Réalité : le Temps existe-t-il ? », intervention à la CDC, Paris, 14 septembre 2011, dorénavant [P&R]. Darmour concluait son intervention en appelant à une philosophie capable de penser le temps tel qu’il s’imposait aux physiciens.

2 Gregory BATESON (1972) : Vers une écologie de l’Esprit I et II, Paris, Seuil, collection La couleur des idées,

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19 rapport avec la planète Terre, mais de penser notre co-constitution avec le monde qui est le nôtre. Le chemin de cet élargissement aux conséquences épistémologiques importantes était chez Bateson le fruit de son parcours d’anthropologue de terrain, de sa rencontre avec la cybernétique naissante et sans doute aussi de ses lectures du poète Blake. Il a trouvé dans l’Ecole de Palo Alto des applications concrètes en psychiatrie notamment. Il a également été suivi par d’autres chercheurs, parfois en parallèle, forcément souvent en se croisant. C’est le cas de Varela et de Dupuy, qui ont par ailleurs travaillé dans le même centre de recherche à partir des années 1980. Leurs recherches sont l’un des points de départ de notre propre travail, car elles ouvrent de nombreuses questions et proposent des outils et concepts qui nous seront essentiels dans la suite.

Une phénoménologie herméneutique

Varela a cherché au tournant du siècle à articuler son travail de biologiste et d’épistémologue à la phénoménologie. Nous ne retenons pas la piste qu’il préconise, comme nous le verrons ci-dessous. La phénoménologie herméneutique, qui accorde tant d’importance à la médiation symbolique, et en particulier aux récits chez Ricœur, nous paraît plus conforme à notre projet. Pour comprendre pourquoi, nous proposons un second point de départ de notre travail, très éloigné a priori du précédent. Nous repartons de la vision que Schapp, phénoménologue herméneute allemand connu pour ses travaux sur la perception, a proposé en 1953, bien avant l’engouement pour la théorie narrative et le story telling, d’un monde constitué d’histoires. Avec l’aide de Greisch, fin connaisseur de l’herméneutique allemande et de Ricœur, nous rapprochons l’idée de Schapp de celle d’intrigue, au cœur de Temps et récit. Comme nous allons le voir, les deux visions ne se réconcilient pas simplement et suggèrent une véritable recherche autour d’une herméneutique de l’événement et d’une ontologie événementielle, qui seront l’objet des deux premiers chapitres de notre travail. Très vite, néanmoins, nous aurons besoin de reprendre appui sur la vision systémique de Varela et de Dupuy pour progresser.

Deux points de départ

Le vivant comme régularités émergentes d’un système dynamique

Varela, de l’autopoïèse à la neurophénoménologie

L’autopoïèse est le mécanisme décrivant selon Maturana et Varela l’auto-organisation du vivant1.

Au départ, il s’agit d’une hypothèse permettant de comprendre comment une cellule émerge à

environnement ou contexte. Le sujet, quelle que soit sa situation privilégiée, n’est jamais indépendant du contexte et l’on ne peut saisir la véritable coupure entre soi et son contexte. Nous présentons ci-dessous l’énactivisme, un courant philosophique proche de ces idées, qui s’est développé suite aux travaux de Varela et Maturana sur l’auto-organisation des systèmes biologiques. Mais de nombreux travaux et auteurs, constructivistes, sont proches de cette ligne très transdisciplinaire (voir par exemple Paul WATZLAWICK (1981) :

L’invention de la réalité, Seuil, Points, dorénavant [IDLR], qui regroupe des travaux issus de l’école dite de Palo Alto).

1 L’autopoïèse a été définie par les biologistes Humberto Maturana et Francisco Varela en 1972. Elle décrit le

mécanisme d’identification d’une cellule vivante au sein d’un contexte, en montrant que la logique représentationnelle traditionnelle qui suppose un traitement de l’information entrante par un être vivant n’est pas pertinente et qu’il convient de penser l’être vivant comme un constant échange avec le contexte qui co-émerge avec lui, dans une logique de clôture organisationnelle. L’on trouve l’histoire de ce concept et des autres idées de Varela dans : Francisco VARELA (2017) : Le Cercle créateur – Écrits (1976-2001), Seuil, La Couleur des idées, dorénavant [LCC].

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20 partir d’un environnement puis se stabilise sous une forme qui lui-donne son identité. Cette stabilisation se fait au travers de la destruction et de la création incessantes de composants d’un système clos opérationnellement1. Cette idée s’est montrée très productive en biologie et a permis

des avancées en immunologie et en neurologie.

L’autopoïèse est rapidement devenue un paradigme pour l’émergence du vivant. Varela pourtant était critique de ses usages trop métaphoriques2. En revanche, la compréhension de l’identité

comme émergence fut conservée tout au long de ses travaux. « Si l’autopoïèse a été influente, c’est parce qu’elle a su s’articuler avec un autre projet, centré sur la capacité interprétative de l’être vivant, et concevant l’homme comme un agent qui, au lieu de « découvrir » le monde, le constitue »3.

L’analyse des systèmes dynamiques permet de définir le concept de valeurs propres. Il s’agit d’une certaine façon en mathématique d’identifier la matrice (au sens non mathématique du terme) de la dynamique du système. Dans de nombreux cas, ou après simplification, il est ainsi possible de résumer une dynamique multidimensionnelle infinie et complexe en quelques relations fixes dans le temps entre les différentes variables composantes du système.

Sur le plan épistémologique, cette idée est très puissante. C’est à partir d’elle que Dupuy, comme nous le verrons ci-dessous, définit le concept d’autotranscendance. En effet, selon la façon de regarder ce système dynamique, il est possible d’y voir une régularité stable dans le temps qui sert de matrice à l’évolution temporelle des différentes variables, ou bien de voir cette matrice comme la résultante tendancielle de cette dynamique elle-même. Pour les variables du système, les relations peuvent être vues comme exogènes, alors que pour l’observateur, elles sont purement endogènes.

Cette compréhension du monde en différents niveaux liés à la présence de l’observateur et à la dynamique entre variables pour lesquelles il peut y avoir des feedbacks est à rapprocher ce qu’on appelle la cybernétique de second ordre. Elle est également très liée comme nous le verrons à la pensée de Bateson.

Pour ce qui concerne les neurosciences, le paradigme de « l’identité comme émergence » permet d’abandonner la vision d’un cerveau qui enregistrerait des signaux comme des inputs qu’il transformerait en output, et même de dépasser la vision connexionniste. Comme cette dernière,

1 La « clôture » d’un tel système n’est certainement pas celle d’une fermeture physique à son environnement,

puisque c’est justement par ses échanges incessants avec l’environnement que le système maintient son unité et son identité. Il s’agit plutôt du terme qu’on retient en mathématique lorsqu’on parle de clôture fonctionnelle, i.e. une fonction opère d’un ensemble vers lui-même. Varela parle d’ailleurs de couplage structurel : « Le remplacement de la notion d’input-output par celle de couplage structurel marque une étape importante parce qu’il évite de tomber dans le piège du discours classique, qui considère l’organisme comme un système de traitement de l’information. » (VARELA [LCC], p. 68).

2 « Notez que l’autopoïèse n’est pas un paradigme, ni une recette universelle, mais plutôt un mode particulier

d’organisation autonome. » (VARELA [LCC], p. 338). « Je voudrais distinguer deux manières de transposer l’idée originale : d’abord, un usage littéral ou strict du concept ; ensuite, ce que j’appelle une utilisation par extension. Dans le premier cas, (…) de mon point de vue, ces tentatives sont basées sur un abus de langage. (…) L’usage du concept d’autopoïèse par extension est fort différent : il s’agit de prendre au sérieux la place centrale que l’autopoïèse cherche à donner à l’autonomie dans la caractérisation du vivant en biologie, tout en ouvrant la possibilité d’envisager que les êtres vivants soient dotés de capacités interprétatives depuis leur origine même. Cela permet de voir que le phénomène interprétatif est continu depuis l’origine jusqu’à sa manifestation humaine. » (ibid., p. 61).

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21 l’approche de Varela permet de comprendre comment des assemblées de neurones se mobilisent de façon transitoires pour répondre à différentes configurations, mais elle permet d’y ajouter du sens. Et, pour Varela, le cerveau ne produit du sens que parce qu’il a une histoire, celle de son action réciproque avec l’environnement. Il est alors possible et nécessaire d’envisager des connexions plus complètes entre le sensoriel et le moteur, et de retrouver la question initiale de l’autopoïèse, celle de l’identité au travers de la viabilité de l’ensemble d’un organisme co-émergeant dans un environnement.

Cette idée est devenue sous la plume de Varela (avec Thompson et Rosch) celle de l’enaction1. « En

anglais, le verbe to enact est couramment utilisé dans le sens de « faire advenir », ou de « faire émerger » une réalité, et c’est ce sens que je veux faire ressortir. » L’organisme en s’auto-organisant enacte le monde qui l’entoure. Cette compréhension donne alors au système cognitif un caractère immédiatement incarné. « Connaître, faire et être ne sont pas des choses séparables : la réalité et notre identité transitoire sont les partenaires d’une danse constructive. »2 « Autrement

dit, l’objet de la perception n’est pas une entité prédonnée et préexistante dans l’environnement extérieur, dont il s’agirait de bâtir dans un second temps une représentation plus ou moins fidèle ; au contraire, l’objet perçu co-advient avec le sujet lui-même, au cours de son interaction avec l’environnement qui devient de ce fait son « monde propre ». »3 Il est important de comprendre

que pour Varela « la perception consiste en une action guidée par la réflexion [et] les structures cognitives émergent des schèmes sensori-moteurs récurrents qui permettent à l’action d’être guidée par la perception »4 : cette dimension circulaire est importante et interdit toute séparation

de la perception et de l’action.

Dernière étape de la pensée de Varela, la neurophénoménologie apparaît en 1996 pour répondre à la question de la conscience qui pense le système d’où elle émerge5. Varela juge nécessaire

d’articuler des expériences vécues à la première personne6 et des travaux neuroscientifiques (à la

troisième personne), chacune des deux pratiques devant apporter des savoirs contraignant l’autre7.

1 « Nous proposons (…) le terme d’enaction, dans le but de souligner la conviction croissante selon laquelle

la cognition, loin d’être la représentation d’un monde prédonné, est l’avènement conjoint d’un monde et d’un esprit à partir de l’histoire des diverses actions qu’accomplit un être dans le monde. » (Francisco J. VARELA, Evan THOMPSON et Eleanor ROSCH (1991) : L’inscription corporelle de l’esprit, Seuil, 1993, dorénavant [ICE], p.35). « Ce schéma de co-adaptation enactive est présenté par Francisco Varela comme une voie moyenne entre une théorie de la connaissance idéaliste, selon laquelle le sujet projette ses structures internes sur un monde, et une théorie de la connaissance réaliste, selon laquelle le monde projette sa structure externe dans la représentation du sujet. D’après la théorie enactive, et sa voie moyenne, les structures cognitives ne traduisent rien d’autre que les schèmes sensori-moteurs de guidage mutuel entre l’action et la perception. » (Michel BITBOL et Amy COHEN-VARELA (2017) : « Introduction », in F. VARELA, Le cercle créateur, Seuil, dorénavant [ILCC], p. 22).

2 VARELA [LCC], p. 71.

3 John STEWART (2017) : « Introduction au chapitre 4 », in F. VARELA, Le cercle créateur, Seuil, dorénavant [ICDL],

p. 152.

4 VARELA, THOMPSON and ROSCH [ICE].

5 Francisco VARELA (1996): “A Methodological Remedy for the Hard Problem”, Journal of Consciousness

Studies, 3, No. 4, 1996, pp. 330-349, repris et traduit dans VARELA [LCC], pp. 291-330.

6 Par opposition à des études à la troisième personne où l’observateur est extérieur à l’expérience conduite. 7 Il s’agit de mettre en rapport des enregistrements électro-encéphalographiques par exemple avec des

invariants (au sens phénoménologique) d’une expérience vécue à la première personne. Pour que ces derniers soient le plus pertinents possibles, il faut former les personnes à ce travail phénoménologique en influençant le moins possible le contenu de ce qu’ils en exprimeront. La nécessité de construire malgré tout

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22 L’argument le plus simple justifiant une approche à la première personne est la difficulté de prendre en compte l’état d’esprit des sujets lors d’enregistrements d’activité neuronale : en disposant d’information de chaque sujet vivant l’expérience, il est possible d’établir des configurations types qui vont permettre de conditionner les enregistrements et de mieux identifier d’éventuelles régularités1. L’on pourrait trouver là un complément naturel d’information, mais il y a bien derrière

une ambition épistémologique radicale : « La neurophénoménologie adopte comme hypothèse de travail que les données phénoménologiques et les données issues des sciences cognitives peuvent être utilisées comme des contraintes réciproques dans une science de la conscience. Partant de là, les explications neurophénoménologiques agissent dans deux sens complémentaires, de la phénoménologie de l’expérience en première personne vers la biologie de la conscience, et vice versa. Elles utilisent des modèles dynamiques formels pour permettre la transition de l’un à l’autre. La neurophénoménologie comprend donc trois domaines principaux de recherche : 1) les données phénoménologiques et les invariants a priori de l’expérience ; 2) les substrats neuronaux et somatiques ; et 3) le formalisme des modèles dynamiques. C’est dans ce contexte que les deux concepts clés d’émergence et d’incarnation viennent jouer un rôle central. Le concept d’émergence permet d’étendre et d’enrichir la notion de causalité naturelle, sans enfreindre pour autant la supposition d’une clôture causale de la physique. Le concept d’incarnation permet de traverser ce qu’on appelle le « fossé explicatif » (explanatory gap) entre la phénoménologie à la première personne et les neurosciences à la troisième personne. »2

Varela publie plusieurs articles mettant en œuvre ces idées3, initiant des travaux qui se poursuivent

encore aujourd’hui4. Son propre travail de méditation, liée à sa pratique bouddhiste, lui donne par

des questionnaires, de conduire des interviews, de former, d’échanger pour valider, etc. conduiront Varela et d’autres à parler d’expériences à la deuxième personne.

1 « Yet understanding such large-scale dynamic activity poses considerable challenges for the experimentalist,

because it is highly labile and variable from trial to trial, and cannot be fully controlled from the outside. Similarly, mental activity is variable from moment to moment, in the form of fluctuations in emotion, quality of attention, motivation, and so forth. Thus a large part of the subject’s internal activity at both psychological and experiential levels is externally uncontrollable and therefore unknown. The working hypothesis of neurophenomenology is that disciplined, first-person accounts of the phenomenology of mental processes can provide additional, valid information about these externally uncontrollable aspects of mental activity, and that this information can be used to detect significant patterns of dynamic activity at the neural level. » (Evan THOMPSON, Antoine LUTZ, and Diego COSMELLI (2005): “Neurophenomenology: An Introduction for Neurophilosophers”, in A. BROOK and K. AKINS (Eds.), Cognition and the brain: The philosophy and neuroscience movement, Cambridge University Press, dorénavant [NAIN]).

2 VARELA [LCC], p. 231.

3 Par exemple : Francisco J. VARELA (1999): “The Specious Present: A Neurophenomenology of Time

Consciousness”, in J. PETITOT, F. VARELA, B. PACHOUD, JM. ROY (Eds.), Naturalizing Phenomenology: Issues in Contemporary Phenomenology and Cognitive Science, Stanford University Press, dorénavant [NTC]. Ou encore : Antoine LUTZ, Jean-Philippe LACHAUX, Jacques MARTINERIE and Francisco J. VARELA (2002): “Guiding the study of brain dynamics by using first-person data: synchrony patterns correlate with ongoing conscious states during a simple visual task”, Proceedings of the national academy of sciences, pp. 1586-1591, dorénavant [SVT].

4 Les travaux de Lutz notamment se poursuivent. Lutz était co-auteur de l’article seminal de 2002 cité

ci-dessus, ou encore Antoine LUTZ and Evan THOMPSON (2003): “Neurophenomenology integrating subjective experience and brain dynamics in the neuroscience of consciousness”, Journal of consciousness studies, dorénavant [ISBD] jusqu’à aujourd’hui, par exemple : Tammi R. KRAL, Brianna S. SCHUYLER, Jeanette A. MUMFORD, Melissa A. ROSENKRANZ, Antoine LUTZ and Richard J. DAVIDSON (2018): “Impact of short-and long-term mindfulness meditation training on amygdala reactivity to emotional stimuli”, NeuroImage, dorénavant [SLTM].

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23 ailleurs accès à une forme inédite de conscience. C’est chez Husserl et chez Merleau-Ponty qu’il puise la phénoménologie (qui s’était donnée pour vocation l’accès aux monde au travers de l’expérience vécue à la première personne, ce qu’Husserl a nommé l’ego transcendantal) dont il a besoin.

Varela se défend néanmoins de tout idéalisme, qu’il s’agisse de l’enaction ou de la neurophénoménologie1. Certes, dans son approche, le corps et ses fonctions sensori-motrices ne

peuvent être dissocier de l’esprit. De plus, le monde qui environne l’individu co-émerge en même temps que ce dernier, qui l’enacte.

Le programme de recherche de la neurophénoménologie n’a pas eu le succès que Varela espérait. Bien sûr, il existe des travaux qui poursuivent cette voie d’expériences à la première personne, avec des résultats passionnants, à la fois appliqués2 et pour d’autres méthodologiques3, entrainant des

1 « Certaines formulations de Varela ont par ailleurs laissé penser qu’il avait partie liée avec l’idéalisme. Mais

là encore, il s’agit d’un faux-semblant. Au lieu d’une thèse de primauté ontologique de l’expérience vécue, ce qu’il fait valoir est l’intérêt pour la science d’une pratique de prise en compte de la totalité des aspects de cette expérience, qu’ils soient subjectifs ou objectifs. » (Michel BITBOL (2006) : « Une science de la conscience équitable. L’actualité de la neurophénoménologie de Francisco Varela », Intellectica, dorénavant [USCE]).

2 Par exemple sur les crises d’épilepsie et la possibilité de les contrôler, avec Le Van Quyen et surtout

Petitmengin (Claire PETITMENGIN (2005) : « Un exemple de recherche neuro-phénoménologique : l'anticipation des crises d'épilepsie », Intellectica, dorénavant [ACE]). Ou encore le rôle que peut jouer la méditation en matière de santé : Kieran FOX and B. Rael CAHN (2018): “Meditation and the brain in health and disease », forthcoming in FARIAS, BRAZIER, & LALLJEE (Eds.), The Oxford Handbook of Meditation, dorénavant [MBHD]. Ou Tracy BRANDMEYER and Arnaud DELORME (2013): “Meditation and neurofeedback”, Frontiers in psychology, dorénavant [M&NF]. Ou sur la perception auditive : Claire PETITMENGIN, Michel BITBOL, Jean-Michel NISSOU, Bernard PACHOUD, Hélène CURALLUCCI, Michel CERMOLACCE, and Jean VION-DURY (2009): “The validity of first-person descriptions as authenticity and coherence”, Journal of Consciousness Studies, dorénavant [VFPD]. Ou encore sur les rêves (Elizaveta SOLOMONOVA (2017): The embodied mind in sleep and dreaming: a theoretical framework and an empirical study of sleep, dreams and memory in meditators and controls. Thèse, doctorat en sciences biomédicales, Université de Montréal, dorénavant [EMSD]) ou la schizophrénie (Gilles LAFARGUE (2010) : « L’expérience subjective de l’effort volontaire dans la schizophrénie : approche neurophénoménologique », L'Evolution psychiatrique, dorénavant [EVDS]), ou encore sur les psychothérapies (Jean VION-DURY, Gaëlle MOUGIN (2017) : « Les psychothérapies comme expériences conscientes (I) Le neurofeedback : de la cybernétique à la phénoménologie », PSN, dorénavant [PCEC]).

3 Par exemple : Patricia BOCKELMAN, Lauren REINERMAN-JONES, and Shaun GALLAGHER (2013): “Methodological

lessons in neurophenomenology: review of a baseline study and recommendations for research approaches”, Frontiers in human neuroscience, dorénavant [MLNP]. Ces travaux soulignant l’importance de l’interdisciplinarité et le soin à apporter aux questionnaires et à la préparation des sujets devant expérimenter à la première personne. L’article prend comme exemple une étude conduite sur les états d’esprit des spationautes en vol longue durée (esthétique, spirituel, religieux, avec quatre types d’états affectifs : admiration, émerveillement, curiosité et humilité – awe, wonder, curiosity, and humility (AWCH)) et de corréler ce qu’en rapportent les spationautes avec des enregistrements d’activité neuronale en particulier. L’étude montre en particulier des différences importantes entre les états lorsque les spationautes regardent l’espace où lorsqu’ils regardent la Terre. Voir également : Shaun GALLAGHER (2010): “Phenomenology and non-reductionist cognitive science”, in D. SCHMICKING and S. GALLAGHER (Eds.), Handbook of phenomenology and cognitive science, Springer, dorénavant [PNRC]. Ou bien sur la neurophénoménologie à la deuxième personne (Francisco A. OLIVARES, Esteban VARGAS, Claudio FUENTES, David MARTINEZ-PERNIA and Andrès CANALES-JOHNSON (2015): “Neurophenomenology revisited: second-person methods for the study of human consciousness”, Frontiers in psychology, dorénavant [SPMC] ou Gaëlle MOUGIN et Jean VION-DURY (2017) : « L’entretien phénoménologique expérientiel de premier et de deuxième ordre: vers la découverte des “ métamorphoses expérientielles ” », soumis à Alter, dorénavant [EPEO]. Ou encore : Tracy BRANDMEYER (2017) : Etude du rôle des oscillations dans les états attentionnels endogènes et exogènes: les nouvelles méthodes en

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24 débats fructueux. A noter en particulier l’extraordinaire avancée des travaux sur la méditation et son impact sur le fonctionnement cérébral, dont un recensement peut-être par exemple trouvé au travers de l’échange récent entre le moine bouddhiste Ricard et le neurobiologiste Singer1. Nous

retrouverons plus loin certains des contributeurs à ces débats, comme Gallagher ou comme Hutto. Malgré tous ces résultats, l’orientation proposée par Varela n’a pas su convaincre ni la plupart des phénoménologues, qui y ont vu une trop grande proximité avec le naturalisme2, ni la plupart des

neuroscientifiques et moins encore les philosophes analytiques travaillant de façon active sur le mental (ce qu’on appelle la philosophie de l’esprit, qui a succédé d’une certaine manière à ce qu’on appelle la philosophie du langage)3.

D’une certaine façon, cette approche nous pose également difficulté du fait de la façon dont la compréhension du vivant de Varela vise à exclure le symbolique4. Selon nous, la seule

phénoménologie ne peut suffire : l’herméneutique, qu’il s’agisse de celle d’Heidegger ou de celle de Ricœur, certes dans des formes sans doute toutes deux à repenser, nous paraît devoir être l’un

neurophénoménologie. Thèse neuroscience, Université Toulouse III-Paul Sabatier, dorénavant [NMNP]. Ou encore : Michel BITBOL and Claire PETITMENGIN (2016): “On the possibility and reality of introspection”, Mind and Matter, dorénavant [P&RI]. On peut également citer la demande d’Hutto pour une approche de l’enaction plus radicale (Erik MYIN and Daniel D. HUTTO (2015): REC: Just radical enough. Studies in Logic, Grammar and Rhetoric, dorénavant [REC]. Ou Michael D. KIRCHHOFF and Daniel D. HUTTO (2016): “Never Mind the Gap: Neurophenomenology, Radical Enactivism, and the Hard Problem of Consciousness”, Constructivist Foundations, dorénavant [NMTG]) et des commentaires critiques en réponse (Michael ROBERTS (2018): “Phenomenological constraints: a problem for radical enactivism”, Phenomenology and the Cognitive Sciences, dorénavant [PCPE]). Ou de Jean Vion-Dury pour une phénoménologie plus proche du second Heidegger (Jean VION-DURY, Michel CERMOLACCCE, Jean-Michel AZORIN, Dominique PRINGUEY et Jean NAUDIN (2011) : « Neurosciences et phénoménologie-II: sortir du bocal à mouches », Annales Médico-psychologiques, revue psychiatrique, dorénavant [NSNP]).

1 Matthieu RICARD et Wolf SINGER (2016) : Cerveau et méditation, dialogue entre le bouddhisme et les

neurosciences, Allary Editions, Paris 2017, dorénavant [C&M].

2 Le naturalisme en philosophie a, en simplifiant, l’ambition d’expliquer l’ensemble du monde, y compris

l’esprit, par des relations causales initiées à partir des composantes de la nature. « De façon générale, très rares sont les philosophes phénoménologues à avoir pris le tournant naturaliste : J.-M. Roy, J.-L. Petit et Natalie Depraz, Catherine Malabou plus récemment. » (Wolf FEUERHAHN (2011) : « Un tournant neurocognitiviste en phénoménologie ? Sur l'acclimatation des neurosciences dans le paysage philosophique français », Revue d'Histoire des Sciences Humaines, dorénavant [TNCP]). A noter que Varela se défendait d’un tel naturalisme.

3 Une partie de ceux-ci, à la suite de Davidson, comme nous le verrons plus loin, préfèrent postuler une

survenance (supervenience) du mental sur le biologique, de façon à éviter ce que Varela appelle une causalité descendante.

4 « Exeunt les symboles » (VARELA [LCC], p. 206). « De mon point de vue, la relation la plus intéressante entre

les descriptions en termes d’émergence et celles en termes symboliques est une relation d’inclusion où les symboles fonctionnent comme une description de plus haut niveau des propriétés d’un système distribué sous-jacent. » (ibid., p. 207). En fait « la nécessité d’un niveau symbolique est reconnue, mais on laisse ouverte la possibilité que ce niveau soit seulement approximatif. Autrement dit les symboles ne sont pas pris pour argent comptant : ils sont considérés comme des descriptions approchées, à un niveau macroscopique, de certaines opérations dont la détermination effective se situe à un niveau sub-symbolique. » (VARELA, THOMPSON and ROSCH [ICE], p. 150. On notera néanmoins les travaux de Bottineau visant à construire le langage sur une base enactiviste (Didier BOTTINEAU (2017) : « Du languaging au sens linguistique », Intellectica, dorénavant [DLSL]), ainsi que ceux de Zwaan, que nous présentons plus loin. Nous verrons alors que notre travail n’est pas en contradiction avec cette approche qui considère le languaging comme une activité incarnée ni d’ailleurs avec l’idée de symbole comme description approchée, car les symboles seront pour nous le fruit d’une inférence (métaphoriquement) statistique.

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