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COMMENT LA REUNION PEUT-ELLE SORTIR DE

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Academic year: 2022

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Texte intégral

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F O R M A T IO N

R S M A -R Q u ar tie r S U A C O T – B P 3 8 2 9 7 4 4 8 S A IN T -P IE R R E C E D E X ch ef -s ec -c d c@ rs m a r.r e

R E D A C T E U R

C ap ita in e P au l P R E D IG N A C O ff ic ie r a d jo in t

T U T E U R

L ie u te n an t- co lo n el L o ïc W IE R Z B IN S K I

C O M M E N T L A R E U N IO N P E U T -E L L E S O R T IR D E

L A M O N O C U L T U R E ?

E d iti o n d ’a v ril 2 0 1 9

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3 Rédacteur : Capitaine Paul PREDIGNAC

Formation d’appartenance : RSMA-R

Séjour : 2017-2019

FICHE SYNTHESE

Objet : Comment La Réunion peut-elle sortir de la monoculture ?

Introduction

Pour celui qui s’intéresse auxquestions agricoles à La Réunion, seposetrèsrapidement un étrange paradoxe : pourquoi une île où les produits agricoles semblent pousser abondamment et mieux qu’ailleurs, a-t-elle choisi de produire massivement du sucre, produit à très faible valeur ajoutée ? Or, la production de canne à sucre n’est pas rentable économiquement parlant, elledépend en effet en grande partie des subventions de la Politique Agricole Commune (PAC). Le prix du sucre est trop faible pour générer des bénéfices, et La Réunion trop petite pour faire face à la concurrence internationale. Notre objectif est de considérer les possibilités de diversification pour les agriculteurs, afinque LaRéuniondéveloppe une agricultureà lafoisplus variéeet générant plus debénéfices et d’emplois. En somme, nous soutenons qu’il faut sortir de la monoculture, en tant qu’elle entrave le formidable potentiel réunionnais, mais qu’il faut absolument conserver enpartie et à moyen terme la canne à sucre.

La première partie de ce mémoire abordera brièvement la question de la canne. Cettepartie restera succincte, mais nous ne pouvons nous lancer dans un travail qui traiterait de lamonoculture sans une définition rigoureuse de ce terme. Nous aborderons ensuite trois études de cas tour à tour. Nous étudierons tout d’abordune exploitation qui a choisi de se tourner vers l’agro-tourisme. Nous nous pencherons ensuitesur les enjeux du maraîchage à La Réunion. Nous étudierons enfin la possibilité de cultiverdes produits à haute valeur ajoutée, en l’occurrence le café.

1.Quelques repères pour aborder le monde de la canne à sucre

L’histoire de la canne à sucre commence au début du XIXème siècle, entre 1806 et 1810. Pendant ces quelques années, d’importants cyclones frappent l’île et ruinent une grande partie de ses plantations. Face à cette situation, la population réunionnaise va se tournerprogressivement vers la canne à sucre, plus adaptée aux cyclones. Au fil des décennies, la culture de la canne s’est imposée comme culture majoritaire, si bien qu’on peut parler de monoculture : aujourd’hui 56% des terres agricoles de l’île sont occupées par la canne. Le caillou réunionnais est donc directement en concurrence avec les géants du sucre mondial qui bénéficient de coûts de main-d’œuvre et d’économies d’échelle impensables à LaRéunion.

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4 Comment donc le sucre réunionnais peut-il garder la tête hors de l’eau, dans ce climatde libre-marché international ? A travers le fonds POSEI, la PAC déverse sur l’île chaqueannée environ 50 millions d’euros pour permettre à la filière canne-sucre de ne pas périr. La culture de la canne est multiséculaire et fait partie du patrimoine de l’île, de même que l’économiede lafilièrecanne-sucre est ancienne etprofondément enracinée : il est illusoire de croire qu’onpourrait bouleverser dujour aulendemaincemodèle.Ladiversification et la sortie de la monoculture doivent être accompagnées et envisagées sur letemps long.

2.Gadiamb City : de la canne à l’agro-tourisme

Au cœur des collines de Bassin Plat, nous avons rencontré Alain Tirano, ancienexploitant de canne à sucre, aujourd’hui en cours de reconversion dans l’agro-tourisme. Encoopération avec Pasqual Porcel, il monte sur ses terres le complexe agro-touristique Gadiamb City. Gadiamb City est un projet-touristique qui vise à reconvertir ces terres cannières en unparc de loisirs, enchâssé dans un terroir agricole et d’élevage. Un fil rouge se dégage : le soucide s’enraciner dans le terroir réunionnais et de respecter son environnement. Il nous apparaît que ceprojet, mûrement réfléchi, va répondretant à une volontépolitique qu’à une évolution de la demande touristique, et qu’il va donc aisément trouver sonpublic. Gadiamb City nous apparaît rentable économiquement, mais il est surtout soutenable àlong terme du point de vue écologique. Nous avons été très sensibles à la dimension circulairede l’économie de l’entreprise. Ici, chaque activité valorise l’ensemble du centre. En outre, il ne fait aucun doute que cette activité équestre en immersion dans les champs, va grandement contribuer à valoriser la culture (au sens large) de la canne à sucre. Enfin, cette valorisation de la culture réunionnaise par l’implantation du site, doit êtremise en parallèle avec la volonté de transmission intergénérationnelle qui anime ces entrepreneurs.

3.Les défis du maraîchage Peï

A travers l’étude d’un maraîcher « des hauts », nous pourrons aborder ici les questions passionnantes de l’autonomiealimentaire de l’îleouencorede lacohérence descircuitscourts. Pour ce faire, nous avons rencontré David Trovalet, exploitant agricole à Trois-Mares. Cette étude de cas sera étayée par l’analyse de Luca Piccin, doctorant au CIRAD en géo-économie.

A l’origine, l’exploitation Trovalet est liée à une coopérative à laquelle elle revend latotalité de ses légumes. Or, David Trovalet décide en 2017 de quitter cette dernière, pour setourner principalement vers la vente au marché de gros. Se sentant les mains liés, il a choisi de gagner en indépendance et en souplesse, ce qui lui a permis de diversifier son activité dans lemaraîchage. Encore une fois, David Trovalet est un paysan typique de son époque : après avoirquitté la coopérative, il se tourne vers le circuit court. Ces dernières années ont fleuri uncertain nombre d’AMAP, on en dénombre une quinzaine sur toute l’île. Le but de ces associations est de permettre la mise en place de circuits courts, du producteur auconsommateur.

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5 En outre, il nous est apparu que l’autonomie alimentaire est possible à La Réunion, entenant compte des avantages et des contraintes propres à l’île. En revanche, elle ne sera le fruit que d’une volonté politique forte, couplée à une évolution générale de l’alimentation. Enfin, si La Réunion poursuit le double objectif de la sortie de la monoculture et de l’autosuffisance alimentaire, elle devra mettre en place des micro-réseaux de producteurs, avec une organisation horizontale et un ancrage local, afin de diffuser les connaissances, les recherches et les innovations.

4.L’agriculture à haute valeur ajoutée : le renouveau du café Bourbon

Nous l’avons déjà évoqué, l’île de La Réunion présente deux caractéristiques : unterroir riche et fertile, et des petites surfaces exploitables en raison de son relief escarpé. Sonterroir lui permet de cultiver des produits à haute valeur ajoutée, tel que le café. Le raffinement de ces produits est reconnu mondialement, leur culture sur des petites surfacespeut donc s’avérer extrêmement rentable. La culture du café est fondamentale pour comprendre l’histoire et la construction de l’île Bourbon. D’abord parce que la découverte puis la culture du café sont presque concomitants avec la colonisation de l’île, avant qu’il ne disparaisse au cours du XX ème siècle. Dans le cas du café Bourbon, sa renaissance doit beaucoup à un certain Yoshiaki Kawashima, de la firme japonaise UCC. A compter de 2002, 90 producteurs expérimentaux, répartis sur toute l’île à divers altitudes et climats, se lancent dans l’aventure. Ils vont rapidement s’organiser au sein de l’association CAFE Réunion, puis en coopérative.

Le projet est ambitieux : il ne s’agit pas seulement de produire du café, mais de découvrir quels sont les terroirs et les savoir-faire nécessaires à la production d’un produit d’exception. Pour les agriculteurs, cette culture est présentée avant tout comme une filière de diversification qui leur permettrait d’accroître leur compétitivité. On comprend également que les cahiers des charge pour les producteurs réunionnais doivent être extrêmement stricts, sous peine d’être exclus de la niche des cafés de luxe, et deredescendredans ladivisiondescafés classiques. Comme pour lesucre,l’îlen’apasl’ampleur suffisante pour rivaliser face aux géants du café robusta.

Conclusion

Commençons par rappeler la nuance soulignée dans notre première partie (cf. 1.3) : lasortie de la monoculture n’est pas l’abandon radical et brutal de la canne à sucre. Il faut envisager son remplacement de façon progressive. En premier lieu, La Réunion pourra sortir de la monoculture par la diversification. De saproductionagricoletout d’abord, entrouvant unéquilibresoutenableentre cultures vivrières et spéculatives, diversification de ses activités ensuite, en orientant les anciennesterres cannières vers des reconversions variées. Ensuite, cettemutationnécessiteraunambitieuxplande formationdesfacteurshumains. Reconversion des producteurs et des saisonniers de la canne à sucre, formation desagriculteurs aux techniques d’agro-écologie, élaboration de réseaux de paysans pour diffuser les connaissances. Enfin, l’île sortira de la monoculture en s’appuyant sur le temps long. Les questions agricoles doivent être pensées sur le long terme, et les problématiques de reconversion et deformationplus encore. Ce sont les nouvelles générations qui pourront véritablement etdurablement opérer la mutation que nous présentons. Ce dont La Réunion a besoin, c’est d’une vision à 25 ans, soit à l’échelle d’une génération.

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C o m m en t L a R éu n io n p eu t- el le s o rt ir d e la m o n o cu lt u re ?

Introduction

Le paradoxe réunionnais

Dans le sud de l’île de La Réunion, le mois de juillet sonne le départ de la saisoncannière. Des centaines de saisonniers armés de machettes investissent les champs, les vieuxtracteurs lourdement chargés arpentent dès l’aube les petites routes pour aller vendre leur canne aux balances, les imposants « cachalots » envahissent la route des Tamarins pour aller livrer l’usine du Gol, dont les cheminées fumantes témoignent que la saison bat son plein. Ce fourmillement d’activité va modifier les paysages côtiers en quelques semaines àpeine, puis se poursuivra jusqu’en décembre. Il rappelle à toute La Réunion que la canne àsucre est bien la culture ultra-dominante de l’île, c’est pourquoi il est fréquent d’entendre leterme de monoculture pour la désigner.

Pour celui qui s’intéresse aux questions agricoles locales, se pose très rapidement unétrange paradoxe : pourquoi une île où les produits agricoles semblent pousser abondamment et mieux qu’ailleurs, a-t-elle choisi de produire massivement du sucre, produit à très faiblevaleur ajoutée ? Expliquons-nous : La Réunion est une île volcanique particulièrement jeune (bien plus jeune que l’île Maurice par exemple), et bénéficie donc d’un sol extrêmement riche et fertile.A ceci s’ajoute un climat favorable et très varié (altitude, pluviométrie, ensoleillement), qui permet le développement de nombreuses cultures. Il suffit de se rendre sur les marchés forains de l’île et de visiter quelques jardins botaniques pour se rendre compte que La Réunion offre un terroir tout à fait exceptionnel. Entémoignent le taux de sucre des ananas Victoria, la teneur en vanilline de la vanille locale, la taille étonnante des avocats Peï, ou encore la qualité du café Bourbon.

Pour autant, cette terre qui semble bénie des dieux produit massivement et en grandemajorité du sucre issu de la canne. Les produits agricoles cités ci-dessus restent minoritaires :l’île n’est ainsi pas indépendante du point de vue alimentaire, elle doit donc importer une partie de ses fruits et légumes, ainsi que de sa viande. Or, et c’est un secret de polichinelle, la production de canne à sucre n’est pas rentableéconomiquement parlant, elle dépend en effet en grande partie des subventions de la Politique Agricole Commune (PAC). Le prix du sucre est trop faible pour générer des bénéfices, et LaRéuniontroppetitepour faire faceà laconcurrenceinternationale, dominéeparlegigantesque Brésil (3000 fois plus grand que l’île). D’autres facteurs expliquent ce manque decompétitivité, que nous détaillerons ultérieurement.

Ce que ce mémoire n’est pas

Malgré son titre volontairement provocateur, et cet avant-propos qui met en avant leparadoxe réunionnais tel qu’il nous apparaît, nous voulons préciser que ce mémoire ne serapas un manifeste contre la culture de la canne à sucre, encore moins un brûlot contre l’UnionEuropéenne (UE) et la PAC. Il serait illusoire de croire que l’on pourrait balayer en quelques années deux siècles de culturecannière. Lesconséquences économiques, sociales, écologiques, mais aussi

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7 touristiques, en seraient désastreuses. La Réunion ne s’est pas tournée vers une forme de monoculture sans raison, nous en reparlerons. Notre objectif est de considérer les possibilités de diversification pour les agriculteurs, afinque LaRéuniondéveloppe une agricultureà lafoisplus variéeet générant plus debénéfices et d’emplois. En somme, nous soutenons qu’il faut sortir de la monoculture, en tant qu’elle entrave le formidable potentiel réunionnais, mais qu’il faut absolument conserver enpartie la canne à sucre, quand bien même celle-ci ne serait pas rentable à court terme.

Un deuxième écueil serait de chercher à décrire de façon exhaustive l’ensemble despossibilités qui existent à La Réunion pour étendre et diversifier l’agriculture. Nous n’avons ni le temps, ni les moyens de réaliser un tel travail. Nous nous concentrerons sur des études de terrain, ancrées dans la réalité du terroir.

Notre ambition : à la rencontre des exploitants

L’ambition de ce mémoire est modeste : explorer, à partir de visites d’exploitations agricoles sur leterrain, troispistes qui permettraient à La Réunionde diversifier sonagriculture, et ainsi sortir de son modèle de monoculture. Nous mènerons donc trois études de cas dans la région du Grand Sud réunionnais, qui présenteront chacune un agriculteur et sonexploitation, ainsi que les différents enjeux liés à leurs projets. Enoutre,lerédacteur de cemémoire a souhaitéque cetravail lui permettede découvrir en profondeur la société réunionnaise, par le biais du monde de l’agriculture, c’estpourquoi nous avons choisi ce mode d’action des « études de cas ». Il en va de même pour lechoix de s’enraciner dans la région Sud, qui est notre région d’habitation et de travail.

La première partie de ce mémoire abordera brièvement la question de la canne à sucre.Cette partie restera succincte, car la compréhension du monde de la canne et de ses enjeuxnécessiterait desannées d’étude,mais nous ne pouvons nous lancer dans untravail qui traiterait de la monoculture sans une définition rigoureuse de ce terme.

Nous aborderons ensuite nos trois études de cas tour à tour. Nous étudierons tout d’abordles possibilités de reconversiond’unagriculteur cannier, avec leprisme d’uneexploitation qui a choisi de se tourner vers l’agro-tourisme. Nous nous pencherons ensuite sur les enjeux du maraîchage à La Réunion, et ce sera l’occasiond’envisagerlaquestionde l’indépendance alimentaire de l’île. Enfin, nous étudierons lapossibilitéde cultiverdesproduits à haute valeur ajoutée, en l’occurrence le café. Chacune de ces études de cas gardera en fil directeur l’enjeu de la diversification : cetteculture ou cette forme d’exploitation est-elle viable à long terme ? Est-elle soutenableéconomiquement, socialement ou encore du point de vue de l’écologie ?

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8 1.Quelques repères pour aborder le monde de la canne à sucre

1.1Pourquoi la canne à sucre s’est-elle imposéecomme monocultureàLaRéunion ?

Si l’on remonte à l’époque de la colonisation de l’île par la Compagnie des IndesOrientales, la culture historique de La Réunion n’est pas la canne à sucre, mais bien le café. En l’occurrence le café Bourbon Rond, le fameux« l’unique-bon »cherà LouisXV. La productionde café, tournéevers l’exportation, était trèsimportanteauXVIIIème siècle, pourquoi donc La Réunion s’est-elle tournée vers la canne à sucre ?

L’histoire de la canne à sucre commence au début du XIXème siècle, entre 1806 et 1810. Pendant ces quelques années, d’importants cyclones frappent l’île et ruinent une grande partiedeses plantations. Faceà cettesituation, lapopulationréunionnaisevasetournerprogressivement vers la canne à sucre, plus adaptée aux cyclones, particulièrement entre 1815et 1860. Il serait faux de dire que le café a été complètement abandonné, nous y reviendrons ultérieurement (cf. 4.1). Des facteurs géopolitiques expliquent également ce virage. De façon concomitante, laFrance perd le contrôle de ses colonies de Saint-Domingue, qui proclame son indépendance etdevient Haïti en 1804, et de Maurice, qui passe sous contrôle britannique en 1810. A celas’ajoute le blocus continental contre la Grande-Bretagne, voulu par l’empereur Napoléon, qui cherche à bloquer les exportations britanniques, colonies comprises, vers l’Europe. Ainsi, la concurrence sur le marché du sucre de canne français s’esteffondrée enquelques années, alors même que la concurrence antillaise sur le marché du café se fait deplus en plus rude 1. De plus, les recherches sur le sucre de betterave ne sont pas encore assezavancées, malgré la farouche détermination de l’empereur à produire sur le continent, pour supplanter lacanne.La voieest ouvertepour exporter massivement dusucrevers lamétropole, et l’occasion est belle pour la colonie, qui se lance à corps perdu dans cette culture. L’île comptera ainsi près de 200 sucreries au milieu du XIXème siècle.

Au fil des décennies, la culture de la canne s’est imposée comme culture majoritaire, si bien qu’on peut parler de monoculture : aujourd’hui 56% des terres agricoles de l’île, soit 23000 hectares, sont occupées par la canne. Résistant aux cyclones et aux pluies diluviennesde la saison humide, elle est également considérée comme une valeur refuge : il n’est pas rareque les agriculteurs réservent quelques hectares à la canne, afin d’assurer un revenu de baseen cas de catastrophe climatique. Enfin, le sucre représente en volume 80% des exportations de l’île. 2

Dans les trentedernières années, lemonde de lacanne aconnudes évolutions significatives, tendant vers la modernisation, la concentration des moyens et la maximisationdes rendements. Ainsi, l’île ne compte plus que deux usines sucrières (à Bois-Rouge et auGol), appartenant toutes deuxaugéant mondial dusucre Tereos. De lamême façon, lasuperficie moyenne des exploitations a doublé pendant cette période, passant de 3,5 à 7,6hectares. 3

1 Jean-Pierre Coevoet, Le café, première culture clé de l’histoire de l’île Bourbon, 2012 2 Géraud Bosman-Delzons, A La Réunion, la canne à sucre se cherche un nouveau souffle, RFI, publiéle 28/07/2018, p. 3. 3 Ibid.

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9 Cette évolution mérite néanmoins d’être nuancée. Eneffet, nombre d’exploitations restent de taille très modeste et gérées de façon familiale. De plus, l’ensemble des domainessitués dans les pentes ne sont pas mécanisables, la coupe se fait donc toujours à la main.

1.2Pourquoi cette monoculture doit être questionnée

En octobre 2017, l’Union Européenne lève les quotas sucriers sur son territoire. Cesquotas, en plafonnant les volumes de production, permettaient de stabiliser le prix du sucre,donc le prix d’achat aux planteurs. La Réunion, jusqu’alors premier producteur de sucre decanne européen, voit la concurrence augmenter, particulièrement via le sucre de betterave,produit à bas coût sur le continent. Ainsi, cette levée des quotas a conduit à un affaissement du cours mondial du sucre, couplée à la mauvaise presse que ce produit subit depuis quelquesannées dans de nombreux pays, particulièrement en Occident. Cette nouvelle dérèglementation s’inscrit dans la logique libérale qui prévaut depuisun demi-siècle, le monde agricole n’échappant pas au phénomène. Le caillou réunionnais est donc directement en concurrence avec les géants du sucre mondial, le Brésil ou encore laThaïlande, qui bénéficient de coûts de main-d’œuvre et d’économies d’échelle impensables à La Réunion.

Comment donc le sucre réunionnais peut-il garder la tête hors de l’eau, dans ce climatde libre-marché international ? L’explication est simple et tient en trois lettres : PAC, pour Politique AgricoleCommune de l’UE. Atraverslefonds POSEI, créé pour soutenirles régions ultrapériphériques de l’UE, la PAC déverse sur l’île chaque année environ 50 millions d’euros pour permettre à la filière canne-sucre de ne pas périr. Pour rapporter les choses àl’échelle du planteur, celui-ci va être rémunéré en moyenne à hauteur de 80€ sa tonne de canne (selon le taux de sucre) : sur cette somme, 50€ sont financés par les subventions duPOSEI. 4 On comprend donc au premier coup d’œil que c’est bien une volonté politique qui maintient en vie la filière canne-sucre. Or, Bruxelles souhaite aujourd’hui revoir à la baisse lebudget de la PAC, pour pallier à l’arrêt des contributions de la Grande-Bretagne suite auBrexit. Le POSEI serait impacté à hauteur de 3,9% à compter de 2021. 5 Il est possible que les syndicats de producteurs et les lobbies de la filière parviennent à minimiser les pertes à court terme,mais cettealertedoit nous interroger :Tereos possède lemonopolede latransformation du sucre sur l’île, maintiendra-t-il son activité le jour où les subventions ne seront plus suffisantes pour générer une activité rentable ?

La filière canne-sucre est donc doublement dépendante : aux subventions publiquesd’abord, puisà une entreprise ensituationde monopole. Et à travers lafilière, c’est l’ensemblede l’économieréunionnaisequi est ensituationde dépendance : eneffet, ses 18000 emplois (directs et indirects) représentent près de 15% du secteur privé. Avec un tauxde chômage oscillant autour des 20%, on imagine les conséquences sociales dramatiques qui découleraient de l’effondrement de la canne à sucre. Face à ce constat, nous souhaitons remettre en question non pas la canne à sucre entant que telle, mais bien en tant qu’elle est aujourd’hui une monoculture. Nous envisagerons dans la suite de ce mémoire les possibilités de diversification qui existent pour l’agricultureréunionnaise. Mais avant cela, nous voulons approfondir notre brève étude sur la canne, pour

4 Ibid, p. 2. 5 Ibid.

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10 défendre l’idée qu’il serait illusoire et néfaste de penser que l’on pourrait balayer la culture dela canne du revers de la main.

1.3Pourquoi il faut maintenir la culture de la canne à moyen terme

La problématique de la canne est une question extrêmement sensible à La Réunion, et celui qui se frotte aux syndicats de producteur connaît le poids sentimental et affectif qui lieles planteursà leur terre.Ainsi, les producteurssont souvent rétifs à envisager unereconversion, ou même une diversification de leur activité. La culture de la canne est multiséculaire et fait partie du patrimoine de l’île, de même que l’économiede lafilièrecanne-sucre est ancienne etprofondément enracinée : il est illusoire de croire qu’onpourrait bouleverser dujour aulendemaincemodèle.La diversification et la sortie de la monoculture doivent être accompagnées et envisagées sur letemps long. En outre, le marché de l’emploi réunionnais est articulé de façon conséquente autour de la canne, particulièrement en ce qui concerne la main-d’œuvre non qualifiée. Des milliersde travailleurs saisonniers, peu ou pas qualifiés, peuvent subsister grâce à cette culture. Leur reconversion, qui impliquerait une volonté publique de formation, doit être envisagée sur letemps long.

De plus, nous soutenons qu’il faut maintenir en partie la culture de la canne, quandbienmême celle-ci ne serait pasrentable. Lapremièreraisonest environnementale : les cannes, grâce à leur profond système racinaire, retiennent les sols et participent à lutter contrel’érosion des pentes de l’île. De plus, grâce à la bagasse issue de la canne, elles contribuent àproduire 10% de l’électricité de l’île, en énergie renouvelable qui plus est. Nous avons évoqué plus haut lacanne comme« valeur refuge »(cf. 1.1). Il nous semble que cet aspect de la canne est encore largement valable, du moins pour certainescultures particulièrement sensibles auxtempêtesetcyclones, qui nécessitent untemps de pousse de plusieurs années une fois qu’elles ont été arrachées par les vents : on peut penser par exemple au plant de café ou encore au palmiste. Pour ces types de production, conserver quelques hectares de canne afin d’assurer un revenu minimum en cas de coup dur, relève d’uncalcul rationnel et prudent.

Outre ces facteurs environnementaux, il nous semble que le facteur culturel, et donc touristique, doit également être pris en compte. La Réunion, grâce à sa politique publique deParc nationaux et de Réserve marine, a su préserver son environnement et bénéficie donc dela réputation « d’île verte ». 6 La préservation de la culture de la canne, qui donne aux pentes de l’île cet aspect si reconnaissable et purifie son air, participe de cette volonté politique.Nous pensons que sur le long terme, la plus-value touristique se jouera plus sur ces facteursenvironnementaux et patrimoniaux, que sur la présence d’hôtels de luxe all-inclusive. Acetitre, il seraintéressant dans les années à venird’étudier l’évolutionde l’économie mauricienne. L’Île Maurice, dont l’autonomie et l’évolution économique sont àbien des égards des modèles pour La Réunion, a choisi une politique touristique orientée vers desgros complexeshôtelierscôtiers, afind’attirer les touristes occidentaux, desclasses moyennes aux classes supérieures. L’île est encore préservée, mais il est possible qu’à longterme la bétonisation de sa côte, couplée à la dégradation rapide de son lagon, ne nuisent durablement à son modèle économique.

6 Pasqual Porcel, GADIAMB City, Projet Agro-touristique, 2016, p. 5.

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11 Enfin, des pistes de recherche existent pour rentabiliser la canne. Finalement, tout leproblème de la filière canne-sucre ne vient-il pas uniquement de la faible valeur ajoutée de cedernier ?Ne pourrait-onpasenvisager unmaintiende laculturecanne,tout ens’affranchissant du débouché sucre ? Ainsi, le projet Sypecar, financé en grande partie par la PAC et conduit de 2013 à2015 par le CIRAD, a conduit d’importantes recherches sur les variétés de canne-fibre. 7 Cescannes, pauvres en sucre, sont en revanche très riches en fibres. On connaît déjà les vertus énergétiquesde labagasse,il s’agirait ici de maximisercettepotentialité.Untel projet permettrait surtout aux producteurs de gagner en autonomie vis-à-vis de Tereos, dont nous avons déjà souligné les effets pervers de son monopole à La Réunion (cf. 1.2). Cependant, ce projet canne-fibre est encore loin d’avoir percé, et pour l’heure, ses producteurs sont encore rémunérés de façon classique : en fonction du taux de sucre. Enparallèle, lasociétéAlbioma,qui gère les centralesélectriquesattenantes auxusines de sucre, a inauguré en 2018 une turbine fonctionnant au bioéthanol. 8 Cette ressource,issue de la distillation de la mélasse (avec laquelle on fabrique le rhum traditionnel faut-il lerappeler), pourrait devenir une source non négligeable d’énergie à terme.

Ce mémoire n’estpaslelieupour explorer de façonexhaustive les possibilités qu’offre la canne à sucre. Mais à l’heure où La Réunion est bien loin des objectifs de laCOP21 en termes d’énergies renouvelables, et encore plus loin du fantasme de l’autonomieénergétique, ces récentes recherches nous semblent devoir être encouragées, et suivies d’une réelleactiondespouvoirs publics pour accompagnerlatransition, àcommencer parlarévision des politiques de subventions.

2.Gadiamb City : de la canne à l’agro-tourisme

Au cœur des collines de Bassin Plat, à quelques encablures du Quartier Suacot, nous avons rencontré Alain Tirano 9, ancien exploitant de canne à sucre, aujourd’hui en cours de reconversion dans l’agro-tourisme. En coopération avec Pasqual Porcel, il monte sur ses terresle complexe agro-touristique Gadiamb City : centre équestre, camping de luxe, restauration. Une bascule du primaire vers le tertiaire : pourquoi ce virage, et comment l’opérer en restant ancré dans le terroir ?

2.1Un zoreil dans la canne

L’aventure cannière d’Alain Tirano commence en 1991. Métropolitain et militaire de carrière, lié à La Réunion par son épouse et un séjour à la compagnie agricole de Bourg-Murat en1984, il quitte leserviceactifetreprendledomainefamilialde sonbeau-père.L’exploitation s’étend sur 8 hectares dans le secteur de Bassin Plat, dans les hauts de Saint-Pierre, ce qui correspond à l’époque à une exploitation supérieure à la moyenne pour La Réunion. Dans les années 2010, il diversifie sa production à la marge, en produisant du foin et des fruits.

7 Géraud Bosman-Delzons, A La Réunion, la canne est une culture irremplaçable, RFI, publié le29/07/2018, p. 5.8 Ibid. p. 8. 9 Alain Tirano, Entrepreneur en agro-tourisme, entretien réalisé à Bassin Plat, 11/01/2019.

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12 Comme une grande partie des exploitations de l’île, le domaine n’est pas suffisamment grand pour être mécanisé, et seule la saison cannière de juillet à décembre nécessite l’emploi de saisonniers en plus des quelques employés.

Cetteactivitéest-ellerentable ?Auxdiresd’AlainTirano, ces8hectares lui permettaient de dégager un SMIC qui, cumulé avec sa retraite militaire, ont offert un niveaude vie convenable à sa famille. Enoutre,il souligneque cetteculturedelacanne à sucreest finalement assezconfortable. En effet, le prix du sucre étant protégé et donc stable (du moins jusqu’en 2017), il est simple d’anticiper les bénéfices annuels de son exploitation. De plus, la canne présentel’avantage d’être une culture pérenne, qui ne demande que peu de travail, excepté durant lasaison de la coupe 10.

Cetexempled’exploitationfamiliale etmodeste, « àl’ancienne », est assez représentatif du fonctionnement d’une partie de la canne à La Réunion. A l’échelle de larégion, il apparaît viteque cemodèle est unfreinaudéveloppement de l’emploi etdel’économie. Al’échelledudomaine,quandseposelaquestionde lasuccession, les troisfils d’Alain Tirano refusent de reprendre une activité qui n’est pas assez rentable et ne permetaucune perspective de développement. Un virage à 180° est alors envisagé, puis concrétisé en2016 : c’est le projet Gadiamb City.

2.2Gadiamb City : emploi et soutenabilité

Gadiamb City est un projet-touristique 11 qui vise à reconvertir ces terres cannières enun parc de loisirs, enchâssé dans un terroir agricole et d’élevage. Ce projet a d’abord été rendupossible par la modification du Plan Local d’Urbanisme (PLU) de la ville de Saint-Pierre,permettant dans cette zone de Bassin Plat l’implantation d’activités agro-touristiques. Unaccompagnement des pouvoirs publics vers une sortie de lacanneà sucre enquelque sorte, tout enpréservant leterroir, c’est-à-dire sans tomberdans lepiège de la« bétonisation ». Nous le verrons, Gadiamb City est bien loin des grands complexes hôteliersparfois kitsch et artificiels de la côte ouest. Alain Tirano, contrairement à la majorité desexploitants qui sont plutôt rétifs au changement, n’est lié à la canne que depuis peu et a doncprofité de sa liberté d’action pour s’engouffrer dans la brèche. Gagné par l’âge, il délègue ceprojet à ses deux fils, Cédric et Sébastien, et surtout à Pasqual Porcel, maître de conférences àl’IAE Réunion (Ecole universitaire de mangement). Ce dernier, fort de longues années de travaux universitaires dans les domaines dumanagement et du tourisme, défend une vision du tourisme réunionnais qui concilierait « luxe et nature, confort et authenticité » 12. Cette vision nous semble soutenable à long terme, nous en reparlerons ci-après.

Le projet comprend donc, pour la partie agricole : un élevage de chevaux et d’ânes, alimenté par les anciennes cultures de foin qui seront conservées, une ferme pédagogique, unvergerde letchis, etenfinlaculturede plantes aromatiquesetmédicinales(PAM). Le complexe touristique comprendra un centre équestre, bien entendu directement lié à l’activité

10Ibid. 11 Pasqual Porcel, GADIAMB City, Projet Agro-touristique. 12 Ibid. p. 3.

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13 d’élevage, 17 écolodges de type « glamping » (comprendre : camping glamour, c’est-à-dire deluxe) implantés à l’ombre du verger, un restaurant (le Dodo Vert) et un mini-golf. Un fil rouge se dégage de cette myriade d’activités : le souci de s’enraciner dans leterroir réunionnais et de respecter son environnement. A titre d’exemple, la carte du restaurant est construite autour de produits bios et diététiques, proposant des plats issus des cultures qui ont formé La Réunion.

Acestade,nous voulons nous interrogersur les atoutséconomiquesd’unetelleentreprise. Au premier abord, ce projet qui pèse près de 1,5M€, dont plus de la moitié dans les coûts de construction, et qui emploiera à terme (juin 2019) 23 personnes 13, apparaît comme très positif pour l’économie locale. En outre, il faut souligner que les employés pourront bénéficier de formations en continu, entre autres dans les domaines de la maréchalerie et dessoins vétérinaires, ce qui permet de tirer le niveau de l’emploi vers le haut.

Il nous apparaît également que ce projet, mûrement réfléchi, va répondre tant à unevolonté politique qu’à une évolution de la demande touristique, et qu’il va donc aisément trouver son public. En effet, la demande touristique évolue en même temps que les mentalités : prise encomptede l’écologie, volontéd’authenticité, de vivreune expérienceculturelleforteetunique. Les classes supérieures et aisées sont aujourd’hui particulièrement sensibles à ces aspects, etceconstatest encoreplus marqué chezles populations nord-européennes(Allemagne, Belgique), dont le nombre en voyage à La Réunion est en nette augmentation cesdernières années. 14 De cette façon, Gadiamb n’est pas un énième hôtel-plage-piscine-restaurant construit dans une îleoùlasurpopulationcôtièresefait ressentirchaque jour ;il ne vient pasconcurrencer l’offre hôtelière existante. Il vient plutôt compléter cette offre, dans un secteur où la demande se fait pressante.

Acourt terme,GadiambCitynous sembledonc unpari gagnant pour l’ancienexploitant de canne à sucre. Bien évidemment, il n’est ni possible ni souhaitable que chaque cannier se fasse restaurateur ou professeur d’équitation, mais nous voulons néanmoins nous poser cettequestion : que peut apporter unprojet d’agro-tourisme aumonde agricoleréunionnais, et plus particulièrement au monde de la canne à sucre ?

2.3La mise en valeur du terroir : une vision d’avenir

Avant toute chose, nous rappelons que ce qu’on nomme culture de la canne à sucre, nedoit pas être compris strictement sous le prisme agricole, mais que cette culture multiséculaire a forgé les paysages, les hommes, l’histoire, la société réunionnaise enfin.

Nous en avons parlé, Gadiamb City nous apparait rentable économiquement, mais il est surtout soutenable à long terme du point de vue écologique. Nous avons été très sensibles à ladimensioncirculaire de l’économiede l’entreprise.Ici, chaque activitévalorisel’ensemble du centre. Ainsi, enplus d’abriterles écolodges, leur donnant leur cachetluxe etbio, etdedécorer l’ensemble du parc, les vergers de fruits et les plantations de légumes « lontans »fourniront le restaurant et les kiosques en produits frais et locaux. De la même façon, le foin

13 Ibid. p. 8. 14 Ibid. p. 12.

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14 produit sur placeservira à nourrirles chevaux, dont les déjections, transforméesparlombricompost, viendront enrichirles productions de fruitsetde plantes aromatiques, ensupprimant aupassagetout besoind’engraischimiques. Cesplantes aromatiques, particulièrement l’aloe vera, seront utilisées pour lutter contre la Dermatite Estivale, allergieaux piqûres de mouche qui frappe les équidés dans les pays chauds 15.

L’implantationdans cetterégioncannièrede BassinPlat, va permettre aucentreéquestre de s’appuyer sur le vaste réseau des chemins de canne de la zone, pour des sorties encarriole ou a cheval. En effet, ces anciens chemins datent d’une époque où la canne était transportée par chariots tirés par des bœufs ou des chevaux. Il ne fait aucun doute que cetteactivitééquestre enimmersiondans les champs, va grandement contribuerà valoriserlaculture (au sens large) de la canne à sucre. En outre, cette valorisation de la culture réunionnaise par l’implantation du site, doit êtremise enparallèleaveclavolontéde transmissionintergénérationnellequi anime ces entrepreneurs. Nombre d’outils pédagogiques, comme la ferme ou les parcours botaniques, viendront émailler le site, et permettront à Gadiamb City de développer des partenariats avec des écoles ou des centres de loisirs 16.

Ainsi, le projet Gadiamb City, en choisissant une sortie de la canne par la voie de l’agro-tourisme, nous semble porter une vision qui saura porter ses fruits, non seulement pour ses promoteurs, mais également pour l’ensemble du monde agricole de l’île.

Elargissons quelques instants notre champ de recherches. En 2016, l’Etat d’Hawaïconnaît sa dernière campagne sucrière. Malgré les gains de productivité liés à la mécanisation, l’îlene parvient pasà faire face àlaconcurrencedesmarchésmondiaux. Elleva donc abandonner très rapidement cette culture et opérer à grande échelle un virage à 180°, pour setourner entre autres vers l’agro-tourisme 17, activité que nous venons de développer ci-dessus. Outre l’essor de ce secteur, Hawaï cherche également à favoriser la diversification de son activité agricole, tournée vers l’autosuffisance alimentaire. Voilà bien l’enjeu final denotre deuxième étude de cas, sur le maraîchage à La Réunion.

3.Les défis du maraîchage Peï

A travers l’étude d’un maraîcher « des hauts », nous pourrons aborder ici les questions passionnantes de l’autonomie alimentaire de l’île, de l’avenir des produits biologiques ouencorede lacohérencedescircuitscourts. Pour cefaire,nous avons rencontré DavidTrovalet 18, exploitant agricole à Trois-Mares. Cette étude de cas sera étayée par l’analyse de LucaPiccin 19, doctorant auCIRADengéo-économie, spécialistelocal de laquestiondumarché des fruits et légumes et de la transition écologique.

15 Ibid. p. 6. 16 Alain Tirano, Entrepreneur en agro-tourisme.17 Luca Piccin, Doctorant au CIRAD, entretien réalisé au CIRAD de Bassin Plat, 25/03/2019. 18 David Trovalet, Agriculteur, entretien réalisé à Trois-Mares, 17/01/2019. 19 Luca Piccin, op. cit.

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15 3.1Le domaine Trovalet, de la coopérative au circuit court David Trovalet se lance dans l’élevage avec son frère dans les années 1990. Leur activité est très modeste à leurs débuts, mais ils vont acquérir progressivement du terrain et diversifier leur activité. En 2003, ils achètent une serre d’un hectare au 19 ème kilomètre, dans laquelleilscultivent tomatesetcourgettes hors-sol. Aujourd’hui, ledomaine s’étendsur plusieurs parcelles entre Trois-Mares et le Piton Hyacinthe. Les Trovalet ont acquis une certaine ampleur au fil des ans, avec des domaines de production variés : élevage de viande bovine, dont le cheptel est nourri par ensilage cultivédans les hauts, production sous serre, et enfin plus récemment cultures maraîchères (carottes,gros piments, oignons, poireaux, poivrons, patate douce..). Nous nous concentrerons ici sur les cultures de fruits et légumes, qui représentent en volume plus de 200 tonnes par an 20.

A l’origine, l’exploitation est liée à une coopérative à laquelle elle revend la totalité de ses légumes. Or, David Trovalet décide en 2017 de quitter cette dernière, pour se tourner principalement vers la vente au marché de gros, principal fournisseur des bazardiers (vendeursde fruits et légumes sur les bords des routes de l’île, en kiosques ou petites boutiques) et desforains de l’île. Il vend également une partie de sa production directement aux bazardiers. Pourquoi avoir quitté une coopérative, supposée unir et défendre les producteurs face à lagrande distribution ? La première raison est simple : elle se nomme profit. En effet, si la coopérative assureune relative stabilité des prix, vis-à-vis du marché de gros par exemple, dont les prix fluctuent selon l’offre et les saisons, elle maintient ceux-ci extrêmement bas. Le domaine a discernéqu’en s’ouvrant au risque des prix fluctuants, il pourrait en tirer plus de profits. L’année 2018lui a donné raison sur le plan financier, malgré les pénalités liées à la rupture du contrat.

Enoutre,il a souhaités’affranchirde l’obligationd’exclusivitévis-à-visde lacoopérative.Pour ses membres, nonseulement latotalité de laproductiondoit lui êtrerevendue, mais elle a également sur eux un pouvoir contraignant en terme de production : l’exploitant doit cultiver ce pour quoi il s’est engagé. Se sentant les mains liés, David Trovaleta choisi de gagner en indépendance et en souplesse, ce qui lui a permis de diversifier sonactivité dans le maraîchage. Le maraîchage présente tout d’abord l’avantage de pouvoir diversifier sa production, et donc d’adapter son offre en fonction du marché local et des saisons, voire des maladies oudes nuisibles. Le domaine Trovalet est donc dans une phase de découverte et de tests : quelleespèce à quelle hauteur et en quelle saison ? Il alterne aujourd’hui 16 produits et 3 récoltes tout aulongde l’année,etcommence à étudier lapossibilitéde cultiverles légumes« lontans » du terroir réunionnais, plus résistants et mieux adaptés au climat, mais méconnudu grand public des consommateurs.

Le maraîchage lui permet également de sortir doucement du système de productionsous serre et hors-sol. En effet, cette forme de culture intensive et quelque peu artificielle, séduisante sur le papier et que les frères Trovalet avaient choisi en 2003, présente un vice caché nonnégligeable : ellerendcomplètement dépendant auximportations desproduitsagricoles. Chaque année, il faut importer les graines (puisque les graines vendues sur les marchés mondiaux sont stériles), les supports de culturehors-sol etles engrais. De plus,

20 David Trovalet, op. cit.

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16 David Trovalet a pu constater une nette augmentation du prix de ces produits agricoles, depuisle début des années 2000. 21 Ce constat doit néanmoins être nuancé : depuis 2003, sa serre a toujours bien résistéaux différentes tempêtes tropicales, dont Gamède en 2007, célèbre pour l’écroulement du pont de larivièreSaint-Etienne.Comme les quelqueslopins de canne pour d’autres, laserreTrovalet est une assurance-vie.

Enfin, étant aujourd’hui libre de sa clientèle, le domaine ne veut plus se contenter d’écouler son stock vers le marché de gros et les bazardiers. L’idée du circuit court commenceà faire son chemin. Il se limite aujourd’hui à la vente de quelques paniers hebdomadaires àdes particuliers, mais pourrait s’étendre dans les années à venir. En vendant sa production aupanier à 2€/kilo sans les intermédiaires actuels, il pourrait diviser sa production par deux et ainsi se concentrer sur la qualité de ses produits. Celui qui fréquente les rayons fruitsetlégumes de La Réunion comprendra vite qu’un tel prix avantage autant le producteur que leconsommateur. DavidTrovaletest conscient qu’une telleévolutionne peut sefaire dujour aulendemain. Il faut d’abord bénéficier d’une production suffisamment riche et variée tout aulong de l’année pour satisfaire les besoins de la clientèle. Il faut ensuite mettre en place unsystème de distribution robuste et simple, afin de ne pas disperser son activité.

Malgré sa volonté de limiter les pesticides et herbicides, il est plus nuancésur lapossibilité pour lui de se lancer la culture biologique. Un tel projet nécessite une formationsolide,particulièrement à La Réunion. Ici plus qu’ailleurs, laproblématique desinsectesnuisibles est prégnante, en témoigne le millésime 2019 des courgettes plein champ, décimépar une mouche pondeuse. 22

Il bénéficie de deux avantages structurels pour conduire cette évolution. Le premier réside dans la dispersion géographique de son domaine à l’échelle locale : situé à plusieursaltitudes, il peut jouersur les différentsclimats pour gagner endiversité. Ledeuxième avantage est son ancrage local et son réseau. En effet, pour faire face à l’impératif de diversité pour vendre dans le circuit court, desaccords entre agriculteurs peuvent être une bonne solution pour se fournir en cas de coups durs, particulièrement à la Réunion où les aléas climatiques sont une donnée essentielle dusecteur. Appelons cela troc, entraide, mini-coopérative ou encore AMAP (Association pour le maintien d’une agriculture paysanne). Nous y reviendrons plus loin (cf. 3.2 et 3.4).

Après avoir décrit l’évolution et les perspectives du domaine que nous avons choisi, nous allons maintenant tâcherde lemettre enperspective avecles problématiquesplus générales du maraîchage à La Réunion.

3.2Quelle distribution pour les fruits et légumes de l’île ?

Dès le début de notre entretien avec Luca Piccin 23, nous avons compris que le parcoursde David Trovalet était un cas typique de La Réunion.

21Ibid. 22 Ibid. 23 Luca Piccin, op. cit.

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17 A quoi sert une coopérative ? Elle est une union des producteurs, qui de nos jours leur permet de faire face aux ogres de la grande distribution. Ce système de vente comporte troisintermédiaires entre le producteur et le consommateur : la coopérative, la centrale d’achat et enfin les Grandes et moyennes surfaces (GMS). La marge de ces intermédiaires est partagéeentre le prix d’achat au producteur et le prix de vente au consommateur. A La Réunion, ce système ne représente que 20% du volume de la production desfruits et légumes. 80% de la filière est écoulé par circuit court, principalement par les marchésforains et les bazardiers 24. Ces derniers sont la figure centrale du marché des fruits et légumesde l’île. Ainsi, le système descoopératives est inadaptéà unmilieuinsulaire tel que LaRéunion, principalement du fait de l’insuffisance des volumes produits.

Encoreune fois, DavidTrovaletest unpaysantypiquedesonépoque,quoiquelégèrement précurseur : après avoir quitté la coopérative, il se tourne vers le circuit court. Cesdernières années ont fleuri un certain nombre d’AMAP, on en dénombre une quinzaine sur toute l’île. Le but de ces associations est de permettre la mise en place de circuits courts, duproducteur au consommateur. C’est une façon efficace pour les exploitants de se libérer dupoids desintermédiaires, etde vendreleursproduitsau« juste prix », sicher auxrevendications paysannes des dernières années.

Afind’aider à l’implantationde ces structures, leConseil Générala crééunesubvention de 30 000€ pour toute création d’AMAP. Résultat : on dénombre trois à quatreassociations qui ont fermé rapidement après avoir empoché la subvention. Pour que les aidessoient mieux cadrées, Luca Piccin propose qu’au lieu de distribuer des aides financières, les pouvoirs publics encouragent lacréationd’emplois, enfinançant provisoirement les cotisations patronales par exemple 25. Cette proposition est pertinente dans la mesure où l’agriculture biologique, en évitant les herbicides entre autres, nécessite une main d’œuvre plus importante. Nous avons déjàévoqué plus haut (cf. 1.3) laproblématique delamain-d’œuvrecannièrenonqualifiée.L’emploi dans le bio pourrait être une solution pour la reconversion de ces saisonniers de lacanne, avec l’avantage d’offrir un emploi toute l’année durant.

Enfin, nous voudrions citer enexemplel’entreprise La Ruche qui dit Oui, sorted’AMAP qui fait un carton tant en métropole qu’à La Réunion. Elle se présente sous la forme d’une plateformeenligne deproducteurslocaux, qui peuvent présenter etvendreleursproduitsdirectement auxconsommateurs, quandces derniersrécupèreront leur panier de façon hebdomadaire. Cette plateforme, qui fonctionne sans aucune subvention, reverse 80%de ses bénéfices directement aux exploitants. Sa force réside dans sa capacité à utiliser Internet, pour mettre au service de la ventedirecte un outil simple, accessible, transparent et ludique. Cette entreprise laisse également une grande liberté aux producteurs, et dans le même temps offre aux consommateurs une parfaite transparence des prix, de l’origine et éventuellement du label des produits.

3.3L’autonomie alimentaire est-elle un mirage ?

L’enjeude l’autonomiealimentaire fait partiede ces sujetsqui reviennent régulièrement dans les déclarations publiques, tout comme sasœur, l’autosuffisanceénergétique. Il est en effet étonnant que La Réunion, terre de cocagne à bien des égards, doive

24 Ibid. 25 Ibid.

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18 importer une grande partie de ses produits alimentaires. C’est cohérent vu sous le prisme de lathéorie des avantages comparatifs, socle de la mondialisation des échanges, mais c’est une absurdité non seulement écologique, mais également pour l’économie locale. Néanmoins, cemémoire n’est pas le lieu pour faire la critique des théories du libre-échange et du douxcommerce, nous voulons simplement nous concentrer sur la question alimentaire de l’île. Pour revenir à La Réunion, il y a une certaine schizophrénie du discours, qui voudrait atteindre l’autonomie tout en conservant les exportations de sucre. En somme, on voudrait revenirauproduire etmangerlocal, tout enrestant dans lejeudulibre-échange etdesavantages comparatifs (d’ailleurs en ce qui concerne le sucre réunionnais, l’avantage est tout relatif). Il faut le redire : l’indépendance alimentaire impliquera de renoncer aux exportations (dans le secteur primaire), au moins dans un premier temps 26.

Tenir les sols : hors de la canne, point de salut ?

Lesdéfenseursdelacanne invoquent souvent ses vertus antiérosives, connuesetreconnues à La Réunion. Or, il existe bien d’autres cultures qui peuvent tenir les pentes etlutter contre l’érosion. Les haies par exemple, en plus de favoriser la biodiversité et de vivifier les écosystèmes, seraient un excellent moyen de remplacer la canne à sucre. Il est aujourd’hui intéressant de constater la marche arrière que tentent d’impulser les pouvoirs publics, en terme de modélisation des exploitations et donc des paysages ruraux : après avoir mené grand train la suppression des haies, des arbres et des éléments traditionnels de nos campagnes, au profit de l’agrandissement des parcelles, l’Etat encourage aujourd’hui les paysans qui replantent ces fameuses haies. Il s’agit d’enrayer l’effondrement de labiodiversité en milieu agricole (particulièrement les oiseaux), avant de subir de plein fouet degraves conséquences en termes de production alimentaire. Le biologiste Vincent Bretagnolle 27, chercheur au CNRS, pointe du doigt le rôle de laPAC, qui pour desraisons de rentabilité, nous a poussé dans lepiège de l’agriculturemoderne, sciant la branche sur laquelle nous sommes assis : « Nous pointons du doigt le rôlede la PAC. Or tous les pays européens n’y sont pas entrés au même moment ; on peut donc les comparer. Et onconstatesystématiquement que ledéclincommenceaumoment oùilsintègrent la PAC » 28. En ce qui concerne La Réunion, la reconstruction des écosystèmes ruraux pourrait donc aller de pair avec une politique de sortie de la monoculture. Cette modélisation despaysages devra être pensée en fonction des contraintes locales, c’est pourquoi l’économie de la connaissance jouera à La Réunion plus qu’ailleurs un rôle primordial (cf. 3.4).

Après avoirmontré que l’argument de l’érosionn’était pasunfacteur absolument bloquant à la diversification, préalable à la sortie de la monoculture, revenons à notre propos sur l’autonomiealimentaire.Nous voulons affirmerici que l’autonomiealimentaire est possible à La Réunion, en tenant compte des avantages et des contraintes propres à l’île. Enrevanche, elle ne sera le fruit que d’une volonté politique forte, couplée à une évolutiongénérale de l’alimentation.

L’autonomie alimentaire : renoncements et redécouvertes

26 Ibid. 27 Vincent Bretagnolle, Sans oiseaux ni insectes, nous n’aurons plus rien à manger, entretien recueillipar Johannes Hermann pour la revue Limite, janvier 2019. 28 Ibid. p. 81.

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19 Il faut insistersur cepoint :l’autosuffisancealimentaire passerad’abordparunrenoncement des consommateurs à certains produits ou habitudes. Produire local et « dans leterroir »implique d’abord de revenir au rythme des saisons. ALa Réunion, celasignifieglobalement fruits en été et maraîchage en hiver. Cela implique également de remplacer les importations : Luca Piccin propose par exemple de remplacer le riz, aliment de base de laculture créole, par les anciennes racines (manioc, songe), qui sont très adaptées au climat deLa Réunion, et présentent l’avantage d’être très facile à produire en bio. Cette parenthèse sur les racines nous conduit à notre deuxième propos : l’autonomiealimentaire pourra être l’occasion de redécouvrir des dizaines de variétés de fruits et légumestombés dans l’oubli et remplacés par les produits stéréotypés de la mondialisation (tomates, courgettes, pommes..), qui sont bien souvent tout à fait inadaptés au climat local.

Cette redécouverte, et l’explosion d’innovations à laquelle elle pourrait conduire, doit nous permettre de ne pas retomber dans le piège de la monoculture. Il ne s’agirait pas de quitter la canne pour se lancer à corps perdu dans une unique production, fut-elle bio. Laproduction actuelle d’ananas Victoria en masse, particulièrement dans les hauts de Montvert, est à ce titre un contre-exemple. De la même façon, en 2018, le frickl 29, qui est un petit parasite, a dévasté les cultures de bananes bios, malheureusement produites en monoculture. C’est bien la diversification qui permettra aux producteurs de se garantir contre les aléas climatiques et contre les épidémies.

Enfin, nous pouvons aborder brièvement la question de la viande à La Réunion. Sans rentrer dans les débats sur les enjeux sanitaires autour de l’élevage, nous voudrions souleverd’emblée une limite : étant dépendants à 100% des abattoirs, les éleveurs sont tenus par le système de lacoopérative.Il existenéanmoins enmétropoledesabattoirs mobiles, qui permettent à chaque éleveur d’abattre et de vendre au domaine. Cette initiative pourrait ouvrird’importantes perspectivesauxéleveursPeï, pour redécouvrir entre autresl’organisationcirculaire de laferme traditionnelle, que nous avons décrite dans notre étude de cassur Gadiamb City (cf. 2.3). Ainsi, un agriculteur-éleveur pourrait s’affranchir peu à peu de ladépendance aux engrais importés, qui représentent un poids financier conséquent à l’heureactuelle.

3.4Favoriser l’économie de la connaissance

Lesinternautes sont familiers desconférences grandpublicde l’essayisteIdriss Aberkane,célèbrepour soneffort devulgarisationdesneurosciencesetsapromotiondel’économie de la connaissance, ou encore économie du savoir. C’est bien de cela dont il est question ici. Si La Réunion poursuit le double objectif de la sortie de la monoculture et del’autosuffisance alimentaire,elle devra mettre en place des micro-réseaux de producteurs, avec une organisation horizontale et un ancrage local, afin de diffuser les connaissances, les recherches et les innovations.

Il existe déjà un réseau de producteurs spécifiques aux outre-mer, le RITA (Réseaud’Innovationetde Transfert Agricole). Mais Luca Piccincritique sonorganisationtrèspyramidale, dont la lourdeur étouffe une diffusion rapide des connaissances, qui dans ces secteurs florissants de l’agro-écologie ou de la permaculture, viennent bien souvent de la base de la pyramide 30. C’est pourquoi son idée de micro-réseaux liant chercheurs et producteurs,

29 Luca Piccin, op. cit. 30 Ibid.

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20 qui parfois sont une seule et même personne, nous semble pertinente : relier entre eux despersonnesayant encommunà lafoisunterroiretlavolontéd’améliorer à lafoisles rendements et la qualité de leurs produits.

Cesréseauxdoivent tout d’abordservirà vulgariserles résultatsde larechercheactuelle en permaculture et agriculture biologique, en l’occurrence du CIRAD. Ils doivent également aider les producteurs à se former via les différents organismes qui existent. Nous soulignons au passage le soutien politique en la matière, à travers Vivea, fonds publicà destination de la formation des agriculteurs. Par exemple actuellement, les producteurs bio àLa Réunion sont pour la plupart des autodidactes qui cherchent et tâtonnent de façon isolée, or des formations existent. En ce qui concerne la reconversion ou la diversification des producteurs de canne, cetenjeu de la formation est tout particulièrement prégnant. Nous enavons déjà parlé, cetteculture ne nécessite que peu de connaissances, ce sera donc un grand défi que de procéder à lareconversion de ces agriculteurs. Il nous semble qu’il y a une carte à jouer avec la nouvellegénération de planteurs, qui sera moins rétive au changement et sans doute plus sensible auxprojets agro-écologiques.

Outre cette action de diffusion de la connaissance du haut vers le bas, ces réseauxauront également vocation à fonctionner de façon horizontale. Il s’agit autant d’assouplir le cadre de la recherche, que de responsabiliser les producteurs vis-à-vis de leur production. D’une certaine façon, si l’on ose le mot, nos agriculteurs ont pris l’habitude perverse d’êtreinfantilisés : « Tu suivras tel cahier des charges 31 pour tel produit, en utilisant tel engrais et telpesticide... ». Il faut leur rendre les clés du camion, particulièrement si l’on souhaite qu’ils passent du préventif au curatif 32 dans le domaine si controversé des pesticides et herbicides. Cetteorganisationlargement décentralisée nous semblepertinentequant auxspécificités de laRéunion. L’île,connue pour ses multiples microclimats, permetune multiplicité des cultures et des procédés. En outre, la redécouverte des légumes lontans et desfruitstropicauxperdus, conduirait sans douteà unfourmillement de larecherche etdesinnovations.

4.L’agriculture à haute valeur ajoutée : le renouveau du café Bourbon

Nous l’avons déjà évoqué, l’île de La Réunion présentedeuxcaractéristiques : unterroir riche et fertile, et des petites surfaces exploitables en raison de son relief escarpé. Sonterroir lui permet de cultiver des produits à haute valeur ajoutée, tel que le café, la vanille ouencore les huiles essentielles. Le raffinement de ces produits est reconnu mondialement, leur culture sur des petites surfaces peut donc s’avérer extrêmement rentable. Cette quatrième et dernière partie semble au premier abord en contradiction avec la question de l’autosuffisance alimentaire développée ci-dessus (cf. 3.3). En effet, ce que nous appelons agricultureà hautevaleur ajoutée serait ledéveloppement d’une cultureditespéculative, c’est-à-dire tournée vers l’exportation. Sortir de la monoculture de la canne pour retomber dans le jeu du commerce mondial ? Nuançons ce propos : nous nous sommes déjà fait les défenseurs de la diversificationde l’agriculture Peï (cf. 3.3), et c’est dans cette optique que nous voulons aborder cette partie.

31 Vincent Bretagnolle, op. cit. , p. 83. 32 Ibid.

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21 Si cetteculturespéculative sait s’imposer deslimites entermesdesurfacesagricoles, etcultiver des produits de luxe sur de petites parcelles, en privilégiant la qualité à la quantité,elle pourra rester compatible avec le défi de la relance des cultures vivrières.

Dans ce cadre, nous avons choisi de nous appuyer sur l’étude de cas du Domaine duCafé Grillé 33, jardin botanique producteur de café à Pierrefonds, et plus particulièrement sur l’expertise de Laurence Luspot, caféologue au domaine. Pourquoi avoir choisi de faire unfocus sur le café ? Tout d’abord parce que le café a été la première culture à grande échelle de l’île, etque son renouveau récent, qui n’est pas loin de tenir du miracle, est un phénomène à la foispassionnant et émouvant. Ensuite parce que l’auteur de cemémoire a souhaitérendreauDomaine du Café Grillé ce qui leur revenait, puisque c’est la visite de ce jardin, ainsi quel’énergieetlapassionde l’équipe qui ytravaille, qui nous a poussésà entreprendrecemémoire. 4.1Au commencement était le café Bourbon La culture du café est fondamentale pour comprendre l’histoire et la construction del’îleBourbon. D’abordparceque ladécouvertepuislacultureducafésont presqueconcomitants avec la colonisation de l’île. En effet, celle-ci débute officiellement en 1665, sous l’égide de laCompagniedesIndesOrientales. Or, dès1711, LouisBoyvind’Hardancourt découvre des plants de caféiers sauvages dans les hauts de Saint-Paul 34, que l’onsait aujourd’hui êtreunevariétéde caféArabica,qu’onnommera par lasuitecafé Bourbon Pointu, en raison de la forme de ses graines 35.

En 1715, la Compagnie importe à Bourbon des plants de Moka (Yémen), dont deuxseulement survivront, permettant par la suite la multiplication rapide des plantations de cecafé Moka s’étant adapté au climat de l’île : le Bourbon Rond. La culture du Bourbon Pointu, ce café découvert à l’état sauvage en 1711, dont les origines restent assez mystérieuses, ne rencontre pas de succès en Europe, laissant la part belle au café issu de Moka.La Compagnie ne lésine pas sur les moyens pour imposer cette culture spéculative tournée vers l’exportation : en 1724, une ordonnance du Conseil supérieur de Bourbon stipuleque chaque concession doit planter deux cents caféiers par tête d’esclave, et que la destructiond’un plant sera punie de la peine de mort. Chacun y voit l’espoir d’un grand profit et les plantations se multiplient : des deux plants introduits en 1715, on en dénombrerait près de 150 000 en 1725, puis plus d’un million en 1735 36.

Le café est également incontournable car c’est sa culture qui a façonné la structureethnique et sociale de l’île. D’abord parce que les immenses besoins en main-d’œuvre, pour des tâches agricoles pénibles, ont conduit en 1723 le pouvoir royal à officialiser le systèmeesclavagistedans les îles Mascareignes. Ainsi, lenombred’esclaves importés depuisMadagascar et depuis l’Afrique de l’Est, les noirs de pioche, va exploser au cours du XVIII èmesiècle, atteignant sensiblement 40 000 esclaves à la veille de la Révolution Française 37. C’est

33 Laurence Luspot, Caféologue au Domaine du Café Grillé, entretien téléphonique réalisé le09/04/2019. 34 Jean-Pierre Coevoet, Le café, première culture clé de l’histoire de l’île Bourbon, 2012. 35 Bien que l’association des Caféiculteurs associés pour une filière économique à La Réunion réfute lelien entre le Bourbon Pointu (qu’ils produisent) et ce café sauvage, selon eux du Coffea Mauritiania de piètre qualité, dont la culture fut en effet un échec au XVIIIème siècle. 36 Jean-Pierre Coevoet, op. cit. 37 Ibid.

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22 bien cette période de l’esclavage qui donne aujourd’hui à La Réunion son caractère ethniquesi éclectique.

C’est également la culture du café qui a donné à l’île sa première élite économique.Dans les années 1760, une première crise frappe le secteur, ruinant nombre de petits colons, qui sont à l’origine de ceux que l’on appelle les « petits blancs des hauts », ou encore lesYabs. Les gros producteurs blancs rachètent à bas prix ces domaines qui feront leur fortune,ainsi la famille de Madame Desbassayns, dont la figure hante encore l’imaginaire collectif.

Nous avons déjà décrits (cf. 1.1) les évènements climatiques et géopolitiques qui ont conduit la canne à sucre à supplanter le café. Paradoxalement, si la production de café reculefortement enproportion, auprofitde l’explosionde lacanne,elleaugmenteenvolumejusqu’en 1830, dépassant même les meilleurs chiffres du XVIII ème scle38. Il serait donc fauxd’affirmer que les cyclones de 1806-1807 ont anéanti toute culture caféière sur l’île. Lecafévaconnaître une deuxième attaque dans les années 1870, par lebiaisde l’hemilea vestatrix, maladie introduite accidentellement à La Réunion, dont les ravages vont diviser les récoltes par six en quinze ans. Dès lors, le café va progressivement disparaître dupaysage réunionnais, pour tomber progressivement dans l’oubli.

4.2La filière japonaise et le renouveau des années 2000

Il suffit parfois de la passion et de l’énergie d’un seul homme, pourvu que celui-ci serévèle opiniâtre et laborieux, pour déplacer des montagnes. Dans le cas du café Bourbon, sarenaissance doit beaucoup à un certain Yoshiaki Kawashima. Directeur du centre de recherche agricolede lafirme japonaiseUeshima Coffee Company(UCC), géant mondial de latorréfaction et commercialisation du café, il part dès 1999 en croisade pour retrouver desplants de ce café mythique, dont il pressent l’immense potentiel.

Malgré son échec initial à trouver des plants ayant survécu, Kawashima ne lâche pasprise et finit par découvrir en 2001 trente plants à l’état sauvage 39 : du Bourbon Pointu, celui-là même qui aurait été boudé par la cour de Louis XV. A compter de 2002, 90 producteursexpérimentaux, répartis sur toute l’île à divers altitudes et climats, se lancent dans l’aventure, épaulés parlarégionRéunionetparles chercheursduCIRAD, particulièrement enlapersonne de Frédéric Descroix, surnommé dès lors le « pompier du café » 40. Ces producteursvont rapidement s’organiser au sein de l’association CAFE Réunion (Caféiculteurs associéspour une Filière Economique à La Réunion).

Leprojet est ambitieux : il ne s’agit passeulement de produire ducafé, mais de découvrir quels sont les terroirs et les savoir-faire nécessaires à la production d’un produit d’exception. Pour les agriculteurs, cette culture est présentée avant tout comme une filière dediversification qui leur permettrait d’accroître leur compétitivité 41 : on est loin d’une culturespéculative tournée vers l’exportation de masse. Les enjeux décrits sont les suivants : diversifier les cultures, aménager et valoriser les hautsde l’île, accroître parlarecherche laproductivitéagricoletout enrespectant

38 Ibid. 39 Ueshima Coffee Company, L’approche UCC, des grains de café verts exceptionnels, www.ucc-europe.co.uk. 40 Anne Kidoug, Le Bourbon Pointu : haute qualité obligatoire, Témoignages, publié le 9 mai 2003. 41 Café Réunion (Caféiculteurs associés pour une filière économique à La Réunion), La filière à LaRéunion, Enjeux et stratégie, www.cafe-reunion.com.

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