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Epistémologie et herméneutique

Dans le document Être ensemble et temporalités politiques (Page 188-196)

Le rapport à la « réalité historique »

Les travaux de Ricœur n’ont jamais cessé de s’interroger sur l’épistémologie de la science historique, d’Histoire et vérité dans les années 50 à La mémoire, l’histoire, l’oubli au tournant du siècle.

De ce travail, à suivre Bedarida, deux points ressortent en particulier : le premier, que nous ne développons pas directement ici1, est celui qui définit l’histoire comme « une recherche (au sens

étymologique grec d’istoria) qui a pour tâche de nommer ce qui a changé, ce qui est aboli, ce qui fut autre. À travers elle resurgit la vieille dialectique du même et de l’autre. En sorte que le langage historique est nécessairement équivoque, bien que l’historien s’efforce de « ressaisir en vérité » cette histoire échue. »2

Le second point est l’imbrication du réel et de la fiction. Ricœur s’est toujours gardé de donner trop de poids aux narrativistes mais a également toujours refusé la séparation simple entre la science historique visant une vérité historique et le récit que l’on en fait, « de mémoire ». L’approche herméneutique de Ricœur est dynamique, qui pense que, parce que chaque fois nous changeons, nous devons chaque fois reconsidérer ce que nous gardons du passé et toujours à l’horizon de ce qui lui donne sens, lui aussi chaque fois reconstruit.

Dans Histoire et vérité, Ricœur donne « mille fois raison [à Marc Bloch] de nier que l’historien ait pour tâche de restituer les choses « telles qu’elles se sont passées ». L’histoire n’a pas pour ambition de faire revivre, mais de re-composer, de re-constituer, c’est-à-dire de composer, de constituer un enchaînement rétrospectif. L’objectivité de l’histoire consiste précisément dans ce renoncement à coïncider, à revivre, dans cette ambition d’élaborer des enchaînements de faits au niveau d’une intelligence historienne »3.

Pour Ricœur, « il est possible de parler de la redescription métaphorique du passé par l’histoire »4.

S’il s’agit de montrer les événements tels qu’ils se sont effectivement passés, le « réellement passé » quoique « inséparable » de « l’effectivement passé », reste inatteignable.

Ricœur ne renonce pas pourtant à l’idée d’une réalité historique, mais dans des catégories qui l’éloignent d’un réalisme plat : « la représentation historienne est bien une image présente d’une chose absente ; mais la chose absente se dédouble elle-même en disparition et existence au passé.

1 Le Chapitre 4, traite en particulier de la « recherche » de l’invariant ou sur l’identification de la variation. 2 François BEDARIDA (2001) : « Une invitation à penser l'histoire : Paul Ricœur: La mémoire, l'histoire et

l'oubli », Revue historique, dorénavant [UIPH].

3 Paul RICŒUR (1955) : Histoire et vérité, Seuil, dorénavant [H&V], p. 26.

4 Voir RICŒUR [TR3] ou Paul Ricœur (2000) : La mémoire, l’histoire, l’oubli, Seuil, Point Essais, dorénavant

186 Les choses passées sont abolies, mais nul ne peut faire qu’elles n’aient été. (…) Il n’est pas inacceptable de suggérer que l’avoir-été constitue l’ultime référent visé à travers le n’être-plus. (…) C’est en ce sens que l’auparavant signifierait la réalité, mais la réalité au passé. (…) J’appellerai condition historique ce régime d’existence placé sous le signe du passé comme n’étant plus et ayant été. »1

La lieutenance2 ou représentance3 vise chez Ricœur à conceptualiser le rapport entre l’histoire telle

qu’on l’écrit rétrospectivement et le passé tel qu’il fut. La « réalité » de ce dernier nécessitera toujours enquête et reconstitution, collecte et analyse critique de traces et de témoignages4,

conditionnées par l’intentionnalité même de l’historien. Par cet effort, la lieutenance exerce son droit à chercher la vérité5. La subjectivité en science sociale n’est pas un frein à la recherche de la

vérité ; paradoxalement, elle doit servir cette quête, consciente des biais qu’elle entraîne : l’historien doit bien conserver la prétention à « représenter en vérité le passé ».6

Derrière ce concept, il faut voir la complexité de la catégorie du « n’être-plus » adjointe à celle de « l’avoir-été » (être-été disent les Allemands) ; le vis-à-vis de la réalité du passé se doit d’être la projection de la réalité tout court qui ne peut qu’inclure le futur. Il n’y a pas d’accès au passé qui ne soit narration recontextualisant et donnant une dimension quasi-causale à l’événement. Qu’il s’agisse de l’odeur d’une madeleine, qui renvoie à une histoire vécue, ou qu’il s’agisse du passé des historiens.

Ricœur est tenté de suivre les travaux de White7 et son approche tropologique vers le concept

d’« être-comme » de l’événement passé : « On ne saurait donc confondre la valeur iconique de la représentation du passé avec un modèle, au sens de modèle à l’échelle, comme le sont les cartes de géographie, car il n’y a pas d’original donné auquel comparer le modèle ; c’est précisément l’étrangeté de l’original, tel que les documents le font apparaître, qui suscite l’effort de l’histoire pour en préfigurer le style. C’est pourquoi, entre un récit et un cours d’événements, il n’y a pas une

1 RICŒUR [MHO], p. 367. 2 RICŒUR [TR3], page 49. 3 RICŒUR [MHO], p. 228.

4 « l'historien sait que sa preuve relève d'une logique de la probabilité plutôt que de la nécessité logique, la

probabilité portant moins sur le caractère aléatoire des événements que sur le degré de fiabilité du témoignage et, de proche en proche, de toutes les propositions du discours historique. Est plus ou moins probable le fait que... ceci ou cela soit arrivé tel qu'on le dit. Ce caractère probabiliste de la preuve documentaire, terminus ad quem du procès de mise en intrigue, procède en dernier ressort de la structure fiduciaire du témoignage, terminus a quo du processus entier. (…) Sur cet autre front l'historien sait que sa preuve n'est pas de même nature que celle des sciences de la nature : la critique du témoignage reste le modèle pour l'ensemble du champ documentaire relevant du paradigme indiciaire : indirecte et conjecturale, telle elle reste. » (RICŒUR (2000) : « L'écriture de l'histoire et la représentation du passé », Annales, Histoire, Sciences Sociales, dorénavant [EHRP])

5 « l'intention de viser et si possible d'atteindre ce qui fut le cas, l'événement. J'ai proposé dans Temps et

Récit le terme de « représentance » pour dire la vigueur de cette intention-prétention. L'idée que recouvre le mot est à la fois celle d'une suppléance et celle d'une approximation. Suppléance, comme dans le terme latin representatio appliqué à l'époque hellénistique puis byzantine à la fonction du personnage habilité à figurer la présence du souverain absent ; la même idée de fonction vicaire, de lieutenance, se retrouve dans l'allemand Vertretung, dans l'anglais representative et, après tout, aussi dans l'expression française « représentants du peuple » et « représentation nationale ». Fonction vicaire, donc, complétée par celle d'approximation, d'une cible : c'est le côté prétention de l'intention, mais prétention à une percée, à une avancée. » (RICŒUR [EHRP])

6 RICŒUR [MHO], p. 304. 7 Dans RICŒUR [TR3], p. 278.

187 relation de reproduction, de reduplication, d’équivalence, mais une relation métaphorique : le lecteur est dirigé vers la sorte de figure qui assimile les événements rapportés à une forme narrative que notre culture nous a rendue familière. »

Cette approche « tropicale » toutefois « risque d’effacer la frontière entre la fiction et l’histoire » et Ricœur ne peut concevoir un monde où la réalité historique n’est plus la référence. Son choix du terme de lieutenance indique une fonction « vicaire » par rapport à la réalité historique et Ricœur se refuse à aller ontologiquement plus loin. Le négationnisme projette de plus une ombre sur ces débats qui mélange les niveaux de discours et n’aide pas à avancer en la matière1. Il faudrait bien

pourtant questionner cette panique qui nous envahit dès que le « réellement passé » n’est plus posé comme référent.

Quoi qu’il en soit, le risque, pour Ricœur, serait « d’occulter l’intentionnalité qui traverse la « tropique du discours » en direction des événements passés. » Or cette intentionnalité est nécessaire pour comprendre que des configurations sont en compétition comme « compétition entre figurations poétiques rivales de ce en quoi le passé peut avoir consisté. (…) « Nous ne pouvons connaître l’effectif (the actuel) qu’en le contrastant ou en le comparant avec l’imaginable. » »2.

Ricœur donne ainsi sa raison d’être au récit historique malgré sa fragilité, dès lors que l’effectif – à défaut du réel – joue un rôle de référent et nous apaise. Il va surtout élargir cette idée de comparaison pour en tirer une méthode.

Le pacte de vérité et le degré de vraisemblance

Pour Ricœur, la distinction entre récit historique et récit de fiction réside dans la nature du pacte implicite passé avec le lecteur. Ce pacte de vérité peut être tenu, du fait même de « l’intentionnalité régulatrice » de l'enquête historique. Mais est-ce un gage de vérité ? L’accès au réel étant interdit, seul un jugement de comparaison permet de donner mesure du degré de vraisemblance, de « vérisimilitude » du texte historique.

Il ne s’agit plus alors de mesurer la vraisemblance d’un seul texte mais, pour reprendre Ricœur, d'un dossier entier de controverse. Il avait ailleurs noté combien le travail historique, par essence, était ouvert au dialogue, fut-il conflictuel3.

Ce travail de comparaison est également un travail de mise en cohérence, car en matière de récit historique, « la vérité y est caractérisée principalement par la passion de l’unité ».4

1 « Si on ne peut pas se souvenir de tout, on ne peut pas non plus tout raconter. (…) Le récit comporte par

nécessité une dimension sélective. (…) Les stratégies de l’oubli se greffent directement sur le (ce) travail de configuration : on peut toujours raconter autrement (…). Pour qui a traversé toutes les couches de configuration et refiguration narrative depuis la constitution de l’identité personnelle jusqu’à celle des identités communautaires qui structurent nos liens d’appartenance, le péril majeur, en termes de parcours, est dans le maniement de l’histoire autorisée, imposée, célébrée, commémorée – de l’histoire officielle. La ressource du récit devient ainsi le piège (…) » (RICŒUR [MHO], p. 580)

2 Ricœur cite White avec lequel il converge sur ce point, dans [TR3], p. 279.

3 « L’histoire est donc une des manières dont les hommes « répètent » leur appartenance à la même

humanité ; elle est un secteur de la communication des consciences, un secteur scindé par l’étape méthodologique de la trace et du document, dont un secteur distinct du dialogue où l’autre « répond », mais non un secteur entièrement scindé de l’intersubjectivité totale, laquelle reste toujours ouverte et en débat. » (RICŒUR [H&V], p. 32).

188 Enfin, le jugement de comparaison peut également viser l’articulation entre l'histoire et la mémoire. La mémoire pour Ricœur est au cœur de la recherche en histoire1. Elle est la clef initiale et la force

de comparaison finale. Car la mémoire a un avantage sur tout travail de recherche des traces et des témoignages. Elle est le témoignage. Elle dispose d’un surcroît d’accès à la vérité, une étincelle qui permet, lorsque l’on se souvient, de reconnaitre, de retrouver ce qui fut : « le petit miracle de la reconnaissance et de son moment d'intuition et de croyance immédiate. » 2

L’on peut alors décider de se souvenir, au risque de transformer ce moment de reconnaissance en commémorations éteintes, et décalées du souvenir initial (de quoi se souvient-on quand on se souvient ?3). « Entre le vœu de fidélité de la mémoire et le pacte de vérité en histoire, l'ordre de

priorité est indécidable. Seul est habilité à trancher le débat le lecteur, et dans le lecteur le citoyen. »4

Herméneutique et vérité : la vérité de l’histoire

Ricœur a été critiqué par certains lors de la parution de La mémoire, l’histoire, l’oubli, pour sa remarque sur le « trop » de mémoire, et sur son ouverture au narrativistes. Il avait ailleurs pris pourtant moins de précautions, en célébrant dans la plupart de ses livres le récit et la poésie comme puissances ontologiques. Par exemple, lorsqu’il rappelle que pour Aristote dans la Poétique, le tragique et l’épique sont au-dessus du simple récit historique, dans l’ordre de la vérité. Pour Ricœur, c’est l’effort de pré-figuration / configuration / re-figuration (les trois mimèsis décrites dans Temps et récit) qui justifie cela, par sa capacité à enrichir la succession historique : « La fonction de transfiguration du réel que nous reconnaissons à la fiction poétique implique que nous cessions d’identifier réalité et réalité empirique ou, ce qui revient au même, que nous cessions d’identifier expérience et expérience empirique. Le langage poétique tire son prestige de sa capacité à porter au langage des aspects de ce que Husserl appelait Lebenswelt et Heidegger In-der-Welt-Sein. Par là même, il exige que nous remettions aussi en chantier notre concept conventionnel de vérité, c’est- à-dire que nous cessions de le limiter à la cohérence logique et à la vérification empirique, de manière à prendre en compte la prétention à la vérité qui s’attache à l’action transfigurante de la fiction. »5

1 « Qu’est-ce qui permet, en dernière analyse, de mettre ce processus d’historisation de la mémoire au

compte de la mémoire plutôt que de l’histoire ? c’est le besoin de compléter l’eidétique de la mémoire par un examen des variations imaginatives que le cours de l’histoire a privilégiées. L’eidétique n’atteint finalement qu’une capacité, un pouvoir faire, le pouvoir faire mémoire, comme autorise à le dire l’approche de la mémoire en tant qu’exercée. A cet égard, les potentialités mnémoniques sont du même ordre que celles parcourues dans Soi-même comme un autre sous les rubriques du Je peux faire, parler, raconter et me tenir capable d’imputation morale. Toutes ces potentialités désignent les aptitudes de ce que j’appelle l’homme capable, autre dénomination du soi-même. Le Je peux me souvenir s’inscrit lui-aussi dans le registre des pouvoir-faire de l’homme capable. Comme les autres capacités, elle relève de ce mode de certitude qui mérite le nom d’attestation, laquelle est à la fois irréfutable en termes de preuve cognitive et soumise au soupçon en vertu de son caractère de croyance. La phénoménologie du témoignage a conduit l’analyse de l’attestation jusqu’au seuil du faire l’histoire. Cela dit, ces potentialités, dont l’eidétique prétend atteindre le noyau invariant, restent indéterminées quant à leur effectuation historique. » (RICŒUR [MHO], pp. 510-511).

2 RICŒUR [EHRP].

3 Car Ricœur souligne également la fragilité de ce « petit bonheur » : « le petit bonheur de la reconnaissance,

seul et précaire gage de la fidélité de la mémoire. » (RICŒUR [EHRP]).

4 RICŒUR [EHRP]. 5 RICŒUR [DTAA], p. 28.

189 Le principe de mise en intrigue1 est la clef d’accès à cette vérité. Sans doute parce qu’elle est aussi

la clef d’accès au lecteur ou à l’auditeur. Celle qui permet à ce dernier, comme nous l’avons décrit aux chapitres précédents, de l’intégrer à sa propre histoire, de la redéployer dans son propre référentiel et ouvrir de plus belle un monde à habiter par soi mais aussi par les autres.

Frege distinguait pour une proposition son sens – l’objet idéal qu’elle vise – et sa référence – sa valeur de vérité, sa prétention à atteindre la réalité. Dans le discours oral, la référence est facilement montrée d’un point de vue spatio-temporel (supposé) commun. Dans le récit, le monde comme référence commune immédiate est « détruit ». « Et pourtant, il n’est pas de discours tellement fictif qui ne rejoigne la réalité, mais à un autre niveau, plus fondamental que celui qu’atteint le discours descriptif, constatatif, didactique, que nous appelons langage ordinaire. » 2

Selon Ricœur, et c’est l’une des thèses que nous avons développées dans les chapitres précédents, l’ambition référentielle d’un récit, via la mimèsis, est bien plus grande que celle de la simple prédication3. L’herméneutique que Ricœur généralise (et nous plus encore au-delà de la lecture des

textes) va d’ailleurs bien plus loin que la seule question référentielle : « Ce qui est en effet interprétation dans un texte, c’est une proposition de monde, d’un monde tel que je puisse l’habiter pour y projeter un de mes possibles les plus propres. »4 Ce monde est propre à un texte singulier

et à ma propre singularité à un moment donné.

Mais ce monde élargi est-il encore réel ? Est-il un monde possible ? Quelles sont les catégories requises pour le penser ?

Le plausible

Du rationnel au racontable : raisons d’agir et raison pratique

Il convient avec Ricœur, de repartir de l’intelligibilité. Ricœur assimile raison pratique et intelligibilité de l’action, c’est-à-dire, une action dont un agent peut rendre compte à un autre ou à lui-même en répondant à toutes les questions Pourquoi ?.5 Ricœur en tire deux implications : les

1 « C’est à l’occasion de l’épopée et de la tragédie qu’Aristote a élaboré sa notion de « mise en intrigue »

(muthos) visant la « représentation » (mimèsis) de l’action. La mise en intrigue attribue une configuration intelligible à un ensemble hétérogène composé d’intentions, de causes et de hasards ; l’unité de sens qui en résulte repose sur un équilibre dynamique entre une exigence de concordance et l’admission de discordances qui, jusqu’à la clôture du récit, mettent en péril cette identité d’un genre unique ; la puissance d’unification ainsi appliquée à la dispersion épisodique du récit n’est autre que la « poésie » même. » (Paul RICŒUR (2004) : Parcours de la reconnaissance, Stock, dorénavant [PDLR], p. 151).

2 RICŒUR [DTAA], p. 128.

3 « Ma thèse est ici que l’abolition d’une référence de premier rang, abolition opérée par la fiction et par la

poésie, est la condition de possibilité pour que soit libérée une référence de second rang, qui atteint le monde non seulement au niveau des objets manipulables, mais au niveau que Husserl désignait par l’expression de Lebenswelt et Heidegger par celle d’être-au-monde. » (RICŒUR [DTAA], p. 127).

4 RICŒUR [DTAA], p. 128.

5 « Au niveau de la théorie de l’action, le concept de raison pratique s’identifie aux conditions d’intelligibilité

de l’action sensée, en entendant par action sensée celle dont un agent peut rendre compte – logon didonai – à un autre ou à lui-même, de telle sorte que celui qui reçoit ce compte rendu l’accepte comme intelligible. L’action peut donc être « irrationnelle » selon d’autres critères (…) : elle demeure sensée dans la mesure où elle rencontre les conditions d’acceptabilité établies dans une certaine communauté de langage et de valeur. Ces conditions d’acceptabilité sont celles auxquelles doivent satisfaire nos réponses à des questions telles que : que faites-vous ? Pourquoi, en vue de quoi le faites-vous ? Une réponse acceptable est celle qui termine l’interrogatoire en épuisant la série des « parce que », du moins dans la situation d’interrogation et d’interlocution où ces questions sont posées. » (RICŒUR [DTAA], p. 264).

190 motifs de l’action doivent présenter « une généralité d’une certaine sorte » et « la sorte de causalité ici invoquée n’est pas la causalité linéaire, dirigée de l’antécédent vers le conséquent, mais la causalité téléologique ».1 Nous avons vu dans les chapitres précédents que le concept de quasi-

causalité (englobant les deux types de causalité) est l’outil de rationalisation du discours, qui permet d’en assurer la fonction référentielle au sens de la mimèsis, et insère le rationnel dans le racontable, au travers de l’intelligible.

Le rationalisable relève donc du racontable. Mais ce racontable, s’il est pensable, doit aussi pouvoir être entendu. C’est là qu’interviennent des concepts comme ceux de vraisemblable et de plausible, catégories du discours initialement.2 C’est celui qui entend l’histoire qui la validera comme

rationnelle, vraisemblable, etc., et au premier chef comme intelligible3. Il est possible d’imaginer

une histoire, une succession d’événements, qui mette en situation et en cohérence ce pensable. Le plausible est donc le pensable dans un univers partagé par plusieurs subjectivités.

Ricœur dans La mémoire, l’histoire, l’oubli, reformule, avec Stone, l’intelligibilité narrative au travers de la définition de la « cohérence narrative »4. L’opération narrative fait surgir un tout

cohérent au sens de plausible : « les événements eux-mêmes reçoivent une intelligibilité dérivée de leur contribution à la progression de l’intrigue. »5

Ricœur propose par ailleurs l’activité narrative comme opérateur visant à l’émergence de sens. Au détour d’une note sur le jugement chez Kant, il ajoute au jugement déterminant et au jugement

Dans le document Être ensemble et temporalités politiques (Page 188-196)