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Ecrire sa « propre » histoire avec les autres

Dans le document Être ensemble et temporalités politiques (Page 147-150)

L’accès au monde ambiant se confirme comme intelligible via l’énoncé qui dévoile des structures déjà configurées. Le va-et-vient entre le monde ambiant et un retour à soi s’interprète comme une herméneutique de soi et du monde, apprentissage fondé sur l’exercice de l’inférence statistique. La temporalité, peut se définir comme un opérateur de possibilisation, via les variations imaginatives. En dérive l’historialité comme un récit plausible de soi, du monde et des autres. Le rappel à soi est le moment du choix authentique de qui l’on est et de son attestation : L’affirmation sincère d’une identité narrative.

Cette capacité à être le modélisateur, je me l’assigne ; je me l’atteste. C’est toute la puissance du « je peux » ricœurien qui se résume ici dans cette modélisation de soi comme modélisateur et agent au sein du monde ambiant, et qu’il nous faut bien assumer. J’ai la capacité d’intervenir dans le système et « l’intervention est ce qui assure la clôture du système. »4 Cette clôture permet

l’unification et le déploiement de tous les temps et de tous les modes et force l’ouverture explicite à la question éthique.5 Mais derrière cette pensée « totale » qu’offre Ricœur, il y a – justement –

l’impossibilité d’une totalité.6 Le système que nous modélisons ne sera jamais qu’un modèle pour

comprendre mieux et donner des étais à notre décision d’agir.

Le besoin de prévisibilité est alors l’un des moteurs fondamentaux de la narration et de l’inférence, dans la volonté de maîtrise par configuration de l’incertain. De manière incessante, il faut lutter

1 DASTUR [HPV], p. 87.

2 Le terme de naturalisme ici n’oblige en rien au réalisme ou au physicalisme. Il est la forme d’un refus de

toute transcendance exogène.

3 Il est possible toutefois d’endogénéiser en partie les principes de justice, comme nous l’étudions ailleurs. 4 RICŒUR [TR3], pp. 417.

5 « Commencer, c’est donner aux choses un cours nouveau, à partir d’une initiative qui annonce une suite et

ainsi ouvre une durée. Commencer, c’est commencer de continuer : une œuvre doit suivre. » (RICŒUR [TR3], p. 415).

6 « Nous ne pouvons penser que des systèmes clos, des déterminismes partiels, sans pouvoir extrapoler (…)

145 pour vivre avec l’imprévisible. En imaginant des histoires, on emprisonne l’imprévisible dans l’incertain. Alors le pouvoir de décision, la capacité d’action, peuvent se dévoiler. L’action s’appuie sur un monde recréé par l’histoire nouvelle qui fait émerger de nos histoires accumulées les lois et les règles de décision.

La satisfaction rassurante de la concordance est un autre moteur. Le désir de concordance est un critère de tri, d’organisation, qui fait surgir le sens. C’est la reconnaissance heureuse du souvenir de Ricœur à l’aune du quotidien. Quant à se retourner en vieillissant pour mieux pouvoir mesurer le chemin parcouru, c’est bien de soi dont il est question, et ce n’est ni plus ni moins une tricherie que tout notre rapport au réel. « La puissance d’unification déployée par l’acte configurant qu’est la poièsis elle-même »1 nous offre la paix – pour un instant seulement, parfois.

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Chapitre 4 : Phénoménologie herméneutique

et inférence inductive

« Nous sommes dans le monde que notre schématisme permet d’habiter. »1

L’inférence inductive est un mode de raisonnement ou de pensée qui nous fait aller de l’observé vers l’inobservé, et plus précisément de l’observation d’événements présentant une caractéristique commune vers la prédiction d’un autre événement de même caractéristique, ou vers l’établissement par généralisation d’une loi : « la plupart des A sont des B, alors le prochain A sera un B » ; « la plupart des A sont des B, alors tous les A sont des B ».

Ainsi définie, l’on comprend qu’il est difficile de fonder en raison une telle pratique, même si dans les faits nous ne cessons d’y avoir recours. Hume s’en était ému et le problème de l’induction est depuis posé dans les termes de son aporie : d’une part, il n’est pas possible de fonder logiquement l’induction, et tout argument visant à la fonder (nous procédons ainsi depuis la nuit des temps, le futur ressemble au passé) ne peut faire appel qu’à l’induction elle-même, créant ainsi un raisonnement circulaire ; d’autre part, la pratique de l’induction est partout présente.

De nombreux travaux issus d’approches très différentes (philosophiques, logiques, probabilistes, psychologiques) ont été conduits sur ce thème depuis Hume. Nous en présentons dans une première partie une brève lecture axée sur trois cheminements : les tentatives de fondements statistiques de l’induction, le débat sur l’existence de lois de la Nature, et la phénoménologie de l’induction issue des études de psychologie expérimentale.

Dans une seconde partie, nous confrontons ces différents travaux à l’hypothèse d’ontogénèse narrative. Celle-ci peut se formuler comme : 1/ notre accès au réel se fait sous une forme narrative (en un sens large) ; 2/ notre rencontre répétée avec un réel au présent continu nous conduit à inférer des lois dans un présent de vérité générale (ou présent d’universalisation) : à force de constater chaque jour qu’il est en train de manger des pommes, j’infère : « il mange des pommes » comme une règle générale, que je pourrais ensuite réutiliser dans mon corpus de connaissances lorsque je conduirai une nouvelle inférence et/ou prendrai une décision. La métaphore statistique de l’apprentissage bayésien, qui corrige les croyances a priori par l’incorporation des nouvelles informations au fur et à mesure de leur rencontre, permet alors de mieux détailler le fonctionnement de certains process en jeu dans notre rapport au monde. La question ontologique

1 Olivier ABEL (1996) : « La problématisation du monde et la mimèsis de Paul Ricœur », in C. HOOGAERT (Ed.)

Argumentation et questionnement, Presses Universitaires de France, L'Interrogation philosophique, dorénavant [PM&M].

147 du nouveau reste toutefois en suspens : pré-existe-t-il ? Réalise-t-il une occurrence d’un possible prédéfini ? Est-il radicalement autre ?

Nous nous tournons alors dans une troisième partie vers la phénoménologie herméneutique. Nous montrons qu’en est possible une lecture acceptant l’inférence et l’apprentissage, au sens où nous les aurons redéfinis, comme clefs essentielles.

Enfants, nous voulions savoir pourquoi. Les réponses offertes ont structuré des enfances sans jamais pourtant dissiper le doute et l’inquiétude sur le fait que ce n’étaient que des histoires et que, le sommeil venu, puis le matin, il nous faudrait réinventer ce monde.

Dans le document Être ensemble et temporalités politiques (Page 147-150)