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Conclusion générale

Dans le document Être ensemble et temporalités politiques (Page 68-72)

Nous pensons avoir montré la possibilité d’une pensée écologique et ses implications méthodologiques, ontologiques, politiques et morales. La métaphore statistique et la métaphore narrative se sont révélées productives. L’ontogénèse narrative, si on accepte d’y adjoindre la possibilité du radicalement nouveau, fait disparaître l’antinomie d’une liberté pensable dans un monde déterminé causalement. Dès lors la liberté n’a plus à se méfier de l’égalité ni de la fraternité, bien au contraire.

Une écologie politique est libertaire mais fait la part belle aux institutions. Celles-ci sont néanmoins considérées comme endogènes, et la liberté comprise comme dévoilement du nouveau et cohérence avec ce qui nous constitue doit rendre vives ces institutions. La vulnérabilité doit rester le souci d’une gouvernementalité qui assume la fraternité et l’égalité comme hypothèse incontournable d’un bien commun que doivent être les institutions, à commencer par le langage, clef pour apprendre ensemble. L’idée de République n’est alors pas antinomique d’une telle écologie politique, mais le bien commun n’y est plus transcendant.

Justesse, sensibilité, fidélité, ces trois injonctions relèveraient de la raison. De même s’agirait-il de rendre beau, libre, puissant et d’apprendre ensemble… Cette normativité laisse au final transparaître une forme de transcendance de la raison, difficile à intégrer parfaitement dans notre travail, sauf à imaginer que ce n’est qu’une idée de leurre que nous aurions trouvée là. C’est l’idée de code d’honneur plus que d’impératif catégorique qu’il faudrait alors considérer.

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Chapitre 1 : L’herméneutique événementiale

de Romano

« C’est la fonction positive de l’herméneutique, sa fonction d’instauration, d’institution de l’homme ; elle consiste en ceci : que soit suscitée la possibilité de l’homme, par le moyen d’une parole qui donne ce qu’elle dit. »1

Nous avons décrit en introduction l’idée d’encompassing que nous souhaitons établir comme démarche méthodologique dans notre travail. Nous voulons la mettre en œuvre dès ce premier chapitre. L’herméneutique événementiale de Romano, dans la lignée de l’ontologie fondamentale de Heidegger, est une pensée structurée, formant système. Elle ne se laisse pas aisément « comprendre » par une pensée qui se voudrait plus ample, ou plus ouverte. Romano a d’une certaine manière fourni lui-même cet effort d’encompassing vis-à-vis de l’ontologie fondamentale heideggérienne, en montrant comment dériver celle-ci de l’herméneutique événementiale. Nous cherchons à notre tour à ouvrir l’herméneutique événementiale à d’autres pensées, sans prétendre fournir un cadre qui la comprenne totalement.

D’ailleurs, comme nous l’avons annoncé, l‘encompassing ne prétend pas mettre en évidence une pensée en surplomb d’où il serait possible de dériver toutes les autres. Il s’agit plutôt d’identifier ce qui est irréductible dans chacune, et d’en vérifier le caractère axiomatique. Parfois en effet, certaines convictions affichées n’ont finalement aucun rôle logique dans la construction de la pensée et se surajoutent en quelque sorte aux conclusions. Parfois ces convictions ont véritablement un rôle axiomatique et infléchissent le raisonnement dans une direction. L’ensemble du raisonnement peut alors être modifié en changeant de point de départ. Comme nous l’avons dit, il s’agit de laisser libres les choix axiomatiques une fois révélés – considérés comme autant d’instanciations différentes d’un même modèle plus vaste – et, en revanche, de mettre à disposition de tous, y compris de ceux qui feraient d’autres choix axiomatiques, la richesse des concepts apportés par une pensée.

L’exercice auquel nous nous livrons ici est ainsi d’essayer d’enrichir une pensée ricœurienne des concepts événementiaux qu’offre la pensée de Romano et, inversement, d’ouvrir l’herméneutique événementiale. Après avoir brièvement présenté les principaux concepts de cette dernière, différentes pistes sont proposées. Ce travail permet alors dans un dernier temps de discuter ce qui nous paraît plus axiomatique que phénoménologique chez Romano, notamment l’hypothèse réaliste.

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L’herméneutique événementiale de Romano

L’événement

Les faits intramondains peuvent survenir et apporter leurs lots de surprises. Anticipés, non- anticipés ou mal anticipés, ils seront toujours, en tant que faits, interprétés a priori comme a posteriori au sein d’un contexte, sur la base d’un système interprétatif quasi-causal1. Le système

utilisé a priori, pour anticiper le fait à venir, et celui auquel on a recours a posteriori, pour justifier son actualisation, sont-ils identiques ? Un événement est précisément ce qui transforme notre compréhension du monde : un fait fera date si les deux systèmes a priori et a posteriori sont radicalement différents. « [L’événement] ne réalise pas seulement un possible préalable, pré- esquissé dans l’horizon de notre monde ambiant, il atteint le possible à sa racine et, par suite, il bouleverse le monde même de celui à qui il survient : ce n’est pas tel ou tel possible, c’est la « face du possible », la « face du monde » qui apparaît pour lui changée. »2

La métaphysique traditionnelle n’offre pas de cadre pour penser une telle transformation du monde, par surprise – un sens nouveau émergeant de l’événement lui-même. Elle donne en effet un grand poids à la présence et l’ontologie est presque par définition une ontologie de l’étant : ce qui n’est qu’en advenant (un éclair, par exemple) ne peut y trouver facilement sa place3. Afin de

conduire une analyse phénoménologique de l’événement, Romano montre qu’il est nécessaire de renouveler cette vision traditionnelle, et en particulier notre compréhension du temps comme celle de la subjectivité.

Cette phénoménologie met en lumière trois éléments structurels, qui conduisent à séparer l’événementiel (le fait intramondain trouve son sens dans un contexte événementiel) de l’événemential. En premier lieu, les événements ne deviennent des événements que rétrospectivement, une fois que l’on a pris la mesure des bouleversements qu’ils ont engendrés, dans les projets et dans la compréhension que l’on a du monde (« Un événement n’est pas ; il aura été un événement. Son temps est le futur antérieur »4). Ensuite, un événement n’affecte pas telle

ou telle composante particulière du système interprétatif, il reconfigure le possible dans sa totalité. L’événement apporte « avec soi son propre horizon d’intelligibilité. »5 Enfin, l’événement advient à

ou pour quelqu’un. Romano nomme celui-ci l’advenant, car, de fait, il advient de manière inextricablement liée à l’événement : « instaurateur d’un nouveau monde », l’événement modifie radicalement les composantes de la subjectivité de l’advenant.

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