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3.3. LA CONSTRUCTION SCOLAIRE D’UNE INJONCTION PARADOXALE

3.3.6. Défaut de méthode 2

Pour en revenir à l’explication française, on peut noter que cette incertitude sur le statut de la paraphrase n’est que le signe d’une difficulté à préciser exactement en quoi consiste l’explication de texte, ce qui n’empêche pas, bien sûr, d’être exigeant dans ses attentes – que ce soit dans le discours évaluatif des rapports de concours ou dans le discours prescriptif des Instructions officielles. En 1909, les Instructions officielles affirment3 :

Si aucun exercice n’est plus important, aucun n’est plus difficile, ni entendu de façons plus différentes, quelquefois opposées4.

1.Voici une illustration de cette intuition, dans Bergez (1986, p. 9) : « C’est cette unité entre ce qu’on appelle traditionnellement le “fond” et la “forme”, qui différencie les textes littéraires des textes philosophiques. […] Aussi bien le commentaire littéraire est-il différent du commentaire philosophique, qui s’apparente davantage à la paraphrase. »

2.Meschonnic (1970, p. 142) : « Il y a des honnêtes gens qui, au moment de parler ou d’écrire sur la littérature, au moment de l’enseigner, se vantent encore de n’avoir pas de méthode. »

3.Instructions du 22 février 1909, correspondant aux programmes de 1902, dans les Instructions concernant les programmes, p. 83.

4. Quinze ans auraient-ils suffi à modifier la donne ? C’est ce que laisse supposer cette remarque des Instructions

officielles de 1925 affirmant (Vuibert, p. 34) : « De cette explication la théorie a trop souvent été exposée pour qu’il soit nécessaire d’y insister une fois de plus. »

Cela est à mettre en relation avec cette étrange idée, longtemps affirmée, qu’il n’y a pas de méthode générale, mais une méthode à chaque texte, comme le disent respectivement ces mêmes Instructions officielles de 19091 et celles de 19382 :

Variant avec les circonstances, avec les auteurs, avec les ouvrages d’un même auteur, avec les points de vue où les différents esprits se placent pour les juger, elle ne peut guère être assujettie à des règles absolues.

Il n’y a pas, il ne peut pas y avoir de type unique d’explication française, de plan passe-partout, de schéma applicable à tous les textes indifféremment. La manière de concevoir et de conduire une explication varie nécessairement, ne disons pas d’un auteur à l’autre – il est trop évident qu’un poète ne s’explique pas comme un prosateur – mais d’une œuvre et d’une page à l’autre chez un écrivain.

Une telle affirmation, reprise dans les rapports3 (où elle coexiste curieusement avec une exigence de méthode constamment renouvelée4), explique assez bien les variations dans le discours sur l’explication de texte5, mais donne à penser surtout que c’est sur autre chose que sur un savoir-faire que vont être fondées la formation de l’élève et l’évaluation du candidat6.

1.Instructions de 1925, Vuibert, p. 83.

2.Instructions de 1938, Vuibert, p. 66.

3. « Nous leur rappelons que l’explication française doit changer de caractère avec chaque ouvrage. » (AG 1894,

p. 326 sq.) ; « Ce qui rend l’explication des textes souvent difficile et toujours assez délicate, c’est qu’il n’y a pas, sur ce point, de procédé général, ni de méthode uniforme à recommander. Le génie de l’auteur, la nature du texte désigné par le sort, le tempérament même de la personne qui explique en décident. » (AL[F] 1900, p. 120) ; « Il y a des méthodes d’explication qui varient selon le caractère de chaque texte et s’y adaptent. » (AL[H] 1910, p. 200) ; « Il n’y a pas, il ne saurait y avoir de modèle unique d’explication française. Une des difficultés de cette épreuve vient justement de ce qu’il faut, dans un temps très court, choisir le cadre qui est le plus susceptible de mettre en valeur la page à expliquer » (AL[F] 1919, p. 12) ; « On a trop souvent méconnu que la méthode, - qui consiste à comprendre tout le texte et à le faire comprendre, - doit s’adapter à la nature de ce texte, à son époque, au genre dont il relève ; ici le commentaire philologique doit prédominer ; là, ce sont les idées qu’il s’agit avant tout de dégager, de justifier ou de critiquer ; là, c’est l’impression poétique qu’il faut faire sentir, et les moyens par lesquels elle est obtenue qu’il convient d’analyser. » (AG 1920, p. 18) ; « Aucune méthodologie ne peut se flatter ni de la résoudre ni même de la définir parfaitement. La seule règle générale de méthode est que la méthode doit être toujours adaptée au texte. » (AL[F] 1945, p. 17).

4. Le même problème se pose pour l’explication de texte que doit mener l’enseignant dans sa classe : cf. cette

remarque extraite d’un manuel rédigé par un inspecteur de l’enseignement primaire (Cortat, 1957, p. 13) : « La difficulté maîtresse de l’exercice réside, nous semble-t-il, en ce que le professeur ne peut adopter une méthode valable une fois pour toutes. Et d’autre part, la quête à bâtons rompus, le vagabondage ou la flânerie à travers le texte, bref, l’absence de méthode, ne sont ni moins périlleux ni moins décevants. »

5.Un rapport a le mérite de le reconnaître, après avoir cité le texte de Péguy (voir ci-dessus, p. 170) : « L’exercice est en effet ancien. Sa technique a un peu évolué. En 150 ans il a été l’objet de nombreuses reformulations, et, à date régulière, de critiques virulentes. Son épistémologie est consternante ou incohérente.

Sa méthodologie est difficile, et mouvante. Et pourtant c’est un exercice insubmersible » (ALM(I) 1996, p.

53-55).

6.Pour Desjardins (1949, p. 122), « cette infinie variété méthodologique, suggérée par l’infini variété des textes » n’est pas un problème, « car une émotion littéraire véritable, comme toute émotion, crée naturellement, pour ainsi dire, l’unité dans l’esprit qui la ressent » ; de fait, disait Desjardins quelques lignes plus haut, « il y a explication littéraire dans la mesure où il y a communication d’une émotion de beauté, communion entre ceux qui lisent ensemble un beau texte, entre le maître et les élèves. » Serait-ce qu’en dernier ressort l’explication serait le lieu de l’expression du don, de l’intelligence ? Le rapport suivant le dit explicitement : « L’explication littéraire d’un texte est un exercice difficile, qui exige des qualités éminentes et la réunion de dons très divers. Un des aspects de cette difficulté c’est qu’aucune méthodologie ne peut se flatter ni de la résoudre ni même de la définir parfaitement. La seule règle générale de méthode est que la méthode doit être toujours adaptée au texte.

La paraphrase, loin d’être en soi un phénomène identifiable, désigne, sur des critères fluctuants, un discours métatextuel perçu comme inadapté. La même paraphrase n’est pas reprochée quand ce même discours métatextuel montre des qualités que le correcteur reconnaît. C’est sans doute cette fluctuation qui permet à A. Rouxel (1996, p. 94) d’écrire :

La paraphrase se manifeste sous des formes diverses : reformulation épousant la syntaxe d’un auteur, écriture métissée, montage de citations, et, à l’époque contemporaine, mise en scène du texte à l’aide d’un métalangage sommaire.

On ne saurait mieux dire (sans le dire) que la paraphrase n’est que le mauvais commentaire, indéfinissable de façon claire – ce qui n’empêche pas, on l’a vu, que la définition donnée soit toujours la même1.

[…] La sensibilité esthétique et morale, le don de sympathiser avec l’auteur et de communiquer ce qu’on ressent

échappent aux formules et ne relèvent guère de préceptes définis. Or, quand cette sensibilité et ce don font défaut, aucune vraie réussite n’est possible » (AL[F] 1945, p. 17). On trouvera encore dans les rapports suivants l’expression de l’exigence du don ou de l’intelligence : AL[H] 1869, p. 7 ; AL[H] 1919, p. 235 ; AL(F) 1932, p. 207 ; AG 1934, p. 114 ; AG 1951, p. 9 ; ALM(F)1964, p. 49 ; AG 1976, p. 50 ; CLM(I) 1987, p. 50.

1.Un phénomène identique (et d’ailleurs très proche de notre objet) a été mis en lumière par V. Houdart-Merot (1998, p. 196) : dans son analyse de copies de baccalauréat de l’académie d’Orléans-Tours (commentaire d’un extrait de la Presqu’île de J. Gracq), c’est que « l’exigence de composition ou de lien entre le fond et la forme se manifeste surtout dans les mauvaises copies. » Elle observe même (ibid., p. 197) que « les devoirs qui proposent une explication linéaire obtiennent de meilleurs résultats »… Comme si le correcteur identifiait un phénomène (la composition ici, la paraphrase là) à partir d’une impression globale d’un autre ordre, le même phénomène passant inaperçu dans une meilleure évaluation globale et intuitive.