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Ce parcours historique des pratiques scolaires s’achève sur un constat : l’importance de la paraphrase dans les pratiques d’enseignement du français, et particulièrement dans l’approche des textes, littéraires notamment. Il ne servirait à rien de faire le bilan d’un parcours chronologique suffisamment balisé par un résumé de chaque étape : aussi convient-il plutôt de conclure ce tour d’horizon des pratiques paraphrastiques scolaires par une mise en perspective typologique, qui permettra de faire le bilan des acquis et de préciser les conditions d’emploi du mot paraphrase,

réservé jusqu’à maintenant, pour des raisons méthodologiques évoquées d’entrée1, aux

énoncés respectant certaines modalités d’énonciation.

On a déjà vu2 que C. Fuchs propose de distinguer les paraphrases à visées

explicative et imitative : la paraphrase explicative (par exemple la paraphrase

exégétique)

entend étayer l’interprétation du texte-source T, dont elle cherche à re-construire et à expliciter le sens par l’intermédiaire d’un nouveau texte T’.

La paraphrase imitative (par exemple l’exercice préparatoire à la rhétorique)

se centre, elle, sur la production du texte-cible T’, dont elle cherche à construire les formes d’expression à partir du sens du texte-source T3.

Pourtant cette dernière définition convient parfaitement au résumé de texte, alors que sa visée, on l’a vu, est plutôt explicative4. C’est qu’en réalité la visée de la paraphrase n’engage pas sa modalité. Et l’on peut dire que le résumé est à modalité imitative, mais à visée explicative, alors qu’un exercice de paraphrase en rhétorique, est à visée et à modalité imitatives5. On voit bien comment peut se dessiner un tableau à double entrée, si l’on envisage deux autres possibilités : une paraphrase à modalité explicative mais centrée sur la production de T’ (donc à visée imitative) – c’est ainsi que l’on a pu définir (en partie) l’exercice de paraphrase en classe de langue ; une paraphrase à modalité et à visée explicatives (visant à expliciter T en le reconstruisant) – c’est ainsi que pourrait être caractérisé, par exemple, le discours de vulgarisation.

1. Voir supra, p. 19. 2. Supra, p. 85.

3. David, Grossmann et Paveau (1997) reprennent cette opposition imitation/explication, mais enrichissent le

second pôle et détaillent les « fonctions mises en œuvre dans la reformulation » en distinguant les fonctions « explicative et interprétative », « argumentative et polémique » et « heuristique » (p. 21).

4. Ou justificative, dans le cas de l’exercice scolaire de résumé, dans la mesure où c’est la compréhension du

texte qui est évaluée. Sur le résumé, voir supra, p. 81 sq. (1.5.2.).

5. Différence de modalité qui correspond à l’opposition entre « paraphrase substitutive » et « paraphrase

En résumé :

Modalité Visée

Imitative Explicative

Imitative Exercice rhétorique Exercice de langue

Explicative Résumé de texte Discours de vulgarisation

Tableau 1 : Typologie des paraphrases

Adaptons (et restreignons) cette typologie pour classer les diverses réalisations paraphrastiques liées à l’approche scolaire des textes dans la discipline actuelle du français. Notons au passage qu’elles obéissent à un de ses principes essentiels, l’interaction lecture-écriture1 : en effet, toutes les activités de paraphrase que nous avons rencontrées dans le cadre du cours de français, qu’elles soient envisagées dans le cadre ou hors de l’explication de texte, visent l’apprentissage de la lecture ou celui de l’écriture, mais les font en réalité interagir : assez logiquement, la paraphrase est une forme spécifique d’interaction lecture-écriture, puisque le passage par la lecture est nécessaire pour que se développent l’activité d’écriture et la compétence qui la fonde ; mais inversement, le passage par l’écriture est nécessaire pour que se développent l’activité de lecture et la compétence qui la fonde2. Cela contribue certainement à expliquer l’importance de la paraphrase à l’école.

Néanmoins, pour rendre compte des pratiques paraphrastiques dans le cours de français, il est intéressant de distinguer les paraphrases produites selon que la visée est l’écriture ou la lecture – qui correspondent respectivement aux visées explicative et

imitative du tableau précédent. Il convient par ailleurs de faire ressortir ici une

distinction qui a été importante dans notre approche de la paraphrase dans le cadre de l’explication de texte, et qui touche cette fois la modalité, entendue ici comme

modalité d’énonciation du cible, selon qu’elle se confond avec celle du

texte-source ou au contraire s’en distingue – modalités respectivement imitative et

explicative. On se rappelle que la paraphrase comme exercice de rhétorique se

caractérisait par le respect de l’énonciation du texte-source et que, par choix de méthode, j’ai préféré pour l’instant réserver le nom de paraphrase aux reformulations qui respectaient cette modalité-là3.

On peut donc déjà remplir deux cases :

Les exercices de rhétorique (à modalité et à visée imitatives) existent encore sous la forme des exercices d’écriture-imitation d’un texte-source, qui réalisent une forme particulière d’écriture palimpseste4 ;

1. Sur le rôle des interactions lecture-écriture en français, cf. particulièrement Reuter éd. (1998). Cette question

est traitée plus en détail infra, p. 456, notamment note 3 (10.1.2.).

2. Cf. l’article de H. Portine (1998), « Lecture-écriture et reformulations », dans les Actes du colloque

Théodile-Crel sur Les interactions lecture-écriture.

3. Sur cette précaution méthodologique, voir supra, p. 19 ; concernant la modalité ici évoquée, voir supra, p. 43. 4. Voir supra, p. 80 sq. (1.5.1.).

Les formes de paraphrase qui prennent place dans l’explication de texte et que j’ai fait apparaître dans ce chapitre sont clairement à visée explicative, mais à modalité imitative, puisque leur énonciation peut se fondre dans celle du texte-source.

On peut d’ores et déjà, en faisant appel à une autre catégorie d’exercices d’écriture palimpseste, remplir une troisième case :

Les exercices d’écriture-distanciation, qui ont la même visée que les précédents, mais dont la modalité change, les systèmes d’énonciation du texte produit et du texte-source étant différents.

Reste une case vide : on voit bien que pourraient y prendre place ces reformulations du texte-source dans un commentaire de texte, qui modifient le système d’énonciation du texte et que l’on baptise assez couramment paraphrases – jusqu’à maintenant écartées de mon enquête, pour les raisons méthodologiques que j’ai énoncées plus haut, en raison du flou des critères qui déterminent les frontières entre paraphrase et non-paraphrase. Je me propose de laisser encore en suspens la question de la détermination de ces critères de reconnaissance1, mais cela n’empêche pas de donner une place à cette catégorie dans notre typologie embryonnaire :

Les formes de reformulation (paraphrase ?) qui apparaissent dans l’explication de texte – à visée explicative donc – mais avec changement d’énonciation, donc à modalité également explicative.

Si l’on veut encore rendre compte du changement que nous avons observé plus haut2 au sein de la discipline « français », devenue au XIXe siècle une discipline de la lecture, alors que la rhétorique s’entendait comme discipline de l’écriture, on réservera le terme paraphrase à une forme de commentaire-reformulation dans le cadre de l’explication de texte stricto ou largo sensu, selon que l’énonciation originale du texte paraphrasé est ou non respectée.

Dès lors, le tableau ci-dessus peut se réécrire pour rendre compte exclusivement des pratiques liées à l’approche des textes dans le cours de français, différenciées selon leur modalité d’énonciation (identique ou différente de celle du texte-source) et leur fonction (centrée sur l’écriture ou la lecture) :

1. La deuxième partie de ce travail voudra donner des pistes pour isoler des critères objectifs de repérage de ce

que l’on peut appeler paraphrase.

Énonciation Fonction

Identique Différente

Écrire Écriture-imitation Écriture-distanciation

Lire Commentaire-paraphrase

(stricto sensu)

Commentaire-paraphrase (largo sensu)

Tableau 2 : Typologie des paraphrases en cours de français

C’est désormais à cette typologie que l’on se référera quand il s’agira de définir telle ou telle forme de paraphrase, avec un objectif clairement assigné maintenant aux études qui vont suivre : la détermination de ce que l’on appelle paraphrase largo

CHAPITRE 2 :