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La volatilité de l'apport en usufruit et le maintien de sa valeur au capital

Les apports concernés par la formation du capital social

B. Le transfert définitif au capital de la valeur des apports effectués temporairement

83. La volatilité de l'apport en usufruit et le maintien de sa valeur au capital

social. L'achat d'un usufruit par la société n'a aucun effet sur le capital social puisque se sont

les fonds propres autres que le capital social qui vont servir à l'achat. La valeur du bien acheté en usufruit ne sera pas incorporée au capital social car la société ne peut faire un apport au capital social à son propre compte. Cela dit, pendant la période de l'usufruit, la société pourra exploiter son droit d'usufruit et au terme de l'usufruit, la pleine propriété sera reconstituée dans le patrimoine du vendeur sans incidence sur la composition du capital social. Tel n'est pas le cas de l'apport en usufruit d'un bien. On pourra illustrer cela à partir d'une affaire ayant donné lieu à contentieux fiscal222. Il s'agissait en l'espèce d'une SA qui exploitait à Poitiers un

hôtel-restaurant affilié à la chaîne Campanile. Pour rassurer banquiers et créanciers, le président de la société lui fait un apport en usufruit pour une durée de dix ans, de 4 220 actions de la société de champagne Louis Roederer qu'il possédait à titre personnel. La valeur de l'apport en usufruit correspondant à 4 220 actions a donc été incorporée au capital social. Ce qui a entraîné naturellement l'augmentation de capital. Or, sur le plan comptable, la SA pratiquait chaque année un amortissement de 10% sur la valeur de l'usufruit inscrit à l'actif du bilan parmi les valeurs immobilisées. Cet amortissement ne faisait que constater la perte de valeur de l'usufruit au fur et à mesure de l'écoulement du temps. A la dixième année, l’usufruit ne valait plus rien parce que le terme du contrat d’apport était arrivé à échéance. Le

problème est que le capital social est composé de la valeur de cet apport. Le législateur n'exclut pas l'incorporation de l'apport en usufruit au capital social. Or, dans notre cas, tout se passe comme si l'associé récupérait sa mise puisque la pleine propriété des parts est reconstituée entre les mains du Président. Le capital social reste certes fixe, mais il n'a plus à l'actif la valeur de l'usufruit. On pourrait penser à l’annulation des titres qui rémunéraient l’apport et réduire par conséquent le capital. Cela permettrait de rétablir une réalité au capital social devenu fictif puis qu'il n'a plus à l'actif l'un des montants correspondant à une partie de son chiffre. Pourtant la règle n’est pas celle là. La société n’a en effet ni la possibilité, ni le droit de procéder à cette réduction du capital social et à l'annulation des titres détenus par l'associé. Sauf dans l'hypothèse où l’apporteur et les autres se mettent d'accord pour lui racheter ses parts contre un paiement d’un prix correspondant à la valeur de l'usufruit mis à la disposition de la société. A défaut, l’apporteur restera associé et donc continuera à faire valoir ses droits dans et contre le groupe. Contrairement à l'apport en nu-propriété, l'apport en usufruit est volatile. Il disparaît des comptes de la société alors même que le capital social continue d'afficher la valeur de cet apport.

Ainsi, nous constatons que les apports ne sont toujours pas définitivement affectés à la garantie des créanciers. Il en est ainsi des apports en jouissance et des apports en usufruit. Ces apports échappent complètement à l'action des créanciers dès lors qu'ils ont réintégré le patrimoine privé des associés. Toutefois, le capital social continue d'afficher leur valeur. C'est pourquoi le capital social a été défini comme étant "la valeur des apports effectués par les

associés, et non les apports eux-mêmes"223. Mais, pour pouvoir remplir son rôle de garantie

des créanciers, la société doit avoir à l'actif un bien correspondant pour éviter que le capital social ne soit fictif. Même s'il n'a plus son support initial, les comptes de la société doivent permettre au capital social d'être réel. C'est en cela que le capital social est utile dans la garantie des créanciers dans la mesure où "le chiffre du capital social inscrit au passif du

bilan bloque à l'actif des valeurs d'un montant correspondant"224. C'est pourquoi on dit du

capital social qu'il ne correspond pas à "des biens individualisés"225. Ce sont les éléments

223 T. BONNEAU, La diversification des valeurs mobilières et ses implications en droit des sociétés, op. cit., p.

543.

224 F. GORE, La notion de capital social, op. cit., n° 22. 225 Ibidem.

composant l'actif qui sont "saisissables"226 et non le capital social mais, le montant du capital

social doit trouver son équivalence à l'actif même si ces supports initiaux ont disparu.

Après avoir vu comment le capital social est constitué par la valeur des apports, il ne reste plus qu'à voir comment la valeur des apports en nature intègre le capital social. En effet, la valeur de l'apport en numéraire ne pose pas problème puisqu'elle est indiquée sur ce bien. Il n'en est pas de même des apports en nature. Pour être intégré au capital social, l'apport en numéraire doit faire l'objet d'une évaluation. Alors qu'en est-il de cette évaluation ? Les textes régissant cette évaluation évitent-elle l'évaluation excessive voire frauduleuse ?

Sous-section 2. L'évaluation des apports en nature

84. Les apports en numéraire ne posent aucun problème quant à leur évaluation puisque la valeur de ces apports est affichée sur le billet de banque. Les apports en nature ne possèdent pas cet avantage. Ainsi, puisqu'ils doivent être intégrés au capital social, une valeur doit leur être attribuée. En effet, le capital social correspond à un chiffre227 alors tous les

apports concernés par le capital doivent être chiffrés. C'est d'ailleurs ce qui justifie jusqu'à présent l'exclusion des apports en industrie compte tenu de leur caractère inchiffrable228.

Toutefois, "celui qui apporte n’est pas un philanthrope et… il a le droit et même le devoir s’il

est administrateur d’une société d’obtenir, … le prix maximum de son apport"229. L’apporteur

en nature présente donc une marchandise à la société avec l’espoir de faire une affaire. Pour vérifier l'offre de l'apporteur qu'il pourrait présenter de manière flatteuse, en fonction des formes sociales, le législateur prévoit une évaluation des apports en nature. Cette procédure s'étend aux avantages particuliers afin d'éviter une attribution exagérée des droits financiers230. En effet, les associés sont par principe égaux231 mais l'attribution d'avantage

226 S. DANA-DEMARET, Le capital social, th. préc. n° 86, p. 96. 227 F. GORE, La notion de capital social, op. cit., n° 22.

228 Nous contestons cette idée, v. infra n° 322 et s.

229J.-M. ROBERT, Réflexions sur le délit de majoration frauduleuse d'apports en nature, D. 1974, Chron. p. 97. 230 Ces avantages confèrent plusieurs droit notamment un dividende préciputaire prélevé en priorité, un

dividende cumulatif reportable en cas d'insuffisance de bénéfices distribuables ou un prélèvement prioritaire sur le boni de liquidation.

particulier232 remet en cause cette égalité233. C'est la raison pour laquelle le législateur soumet

à évaluation les avantages particuliers. Mais, cette extension de procédure ne garantie pas la protection du capital social mais plutôt celle des associés. C'est la raison pour laquelle, ce point n'est pas abordé dans l'évaluation des apports. Seule l'évaluation des apports en nature intéresse ce point. La valeur retenue de l'apport en nature doit être réelle autrement le capital social risque d'être fictif. Alors les règles régissant l'évaluation des apports en nature évitent- elles la fictivité du capital social ? C'est ce que nous verrons dans les développements qui suivent sur l'évaluation libre c'est-à-dire celle émanant des associés (§ 1) et sur l'évaluation contrôlée émanant d'un expert (§ 2).

§ 1. L'évaluation libre des apports en nature

85. Nous chercherons à savoir si l'évaluation libre des apports en nature c'est-à-dire celle faite en l'absence d'un expert évite-t-elle la fictivité du capital social. Ainsi, ce sont les associés qui sont chargés d'évaluer les apports en nature avant d'incorporer la valeur au capital social (A). Pour se faire, une méthode d'évaluation leur est imposée par la loi234 (B).

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