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La vision capitalistique du groupe en droit du travail

L E CADRE DE LA MOBILITE INTERENTREPRISES AU SEIN DES ENSEMBLES ECONOMIQUES ET

Paragraphe 1. Le groupe : une organisation hiérarchique

A. La vision capitalistique du groupe en droit du travail

63. Le droit du travail n’a pas ignoré l’expansion des groupes d’entreprises :

« Redéploiement de l’entreprise, le groupe constitue un nouveau périmètre social »127. Il est désormais question, au sein des groupes, « de dialogue social, de prévention des conflits

collectifs et d’égalisation des conditions de travail ». Mais la prise en compte de ce périmètre

social repose sur une unité de direction (1), dont la mise en place du comité de groupe est une illustration (2).

1) L’unité de direction : une vision sociétaire du groupe

64. Monsieur Geoffrey Gury affirme que, bien que les groupes recouvrent des réalités

différentes, cette organisation semble toutefois constituer un modèle unique128. C’est le phénomène de filialisation qui irrigue la conception du groupe. Il existe une notion d’« automaticité » d’intégration de la filiale dans le groupe. En effet, la condition de participation est appréciée largement et, comme le fait d'ailleurs remarquer l'auteur, « une sous

filiale fait partie du groupe en vue de la mise en place d’une institution représentative du personnel »129.

65. Le juge adopte une définition fonctionnelle du groupe suivant l'objectif recherché.

Cependant, il peut être affirmé que l'unité qui constitue les liens entre sociétés dépend de l'existence d'une société principale, « chef du groupe, société mère (au sens général du terme

tout au moins) »130 qui détient des participations dans ces sociétés. Il est d'ailleurs fait référence au « tissu de participation ». Madame le Professeur Raymonde Vatinet, en comparant le groupe 126 E. Peskine, Réseaux d'entreprises et droit du travail, op. cit., p.144.

127 G. Gury, L'accord collectif de groupe, op. cit., p. 17.

128 Ibid.

129 G. Gury, L'accord collectif de groupe, op. cit., p. 20.

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à une pieuvre, envisage son « cerveau » comme « l'existence d'un centre de pouvoir

précisément localisé, susceptible de concevoir les stratégies et les politiques communes et d'opérer des arbitrages selon un schéma qui est celui du pouvoir unilatéral du chef d'entreprise »131.

66. Il y a une absence de personnification du groupe. Ainsi, le droit du travail cherche le

pouvoir hiérarchique, dans un but certainement de sécurisation des relations : le membre du groupe qui occupe une place centrale132. Comme l’affirme Madame Elsa Peskine, « l’unité de

direction, qu’elle résulte de la confusion des entités ou du contrôle de l’une sur l’autre, définit le périmètre de l’organisation. Elle justifie ainsi que les salariés, même liés à des employeurs différents, appartiennent à une unique organisation »133. Cela voudrait dire que l’espace de mobilité ne peut se concevoir qu’à l’aune de la participation financière et donc de la propriété d’une entité sur l’autre. Et l’auteur va plus loin puisqu’il estime que « le modèle hiérarchique

imprègne le raisonnement du juge et livre un cadre à partir duquel ce dernier peut résoudre le conflit entre une règle substantiellement applicable et l’autonomie des sociétés ».

67. C’est l’unité de direction qui est recherchée. Le groupe est présenté comme une

structure de domination. Monsieur Geoffrey Gury emploie la notion de dominance, à l’instar du droit allemand. Selon lui, il convient de rechercher l’unicité du pouvoir. La dominance intervient lorsqu’une société, une entreprise, en contrôle une autre, par une participation en capital directe ou indirecte. L’auteur parle de « dominance suggérée ». Selon une doctrine ancienne134, c’est cette dominance d’une entreprise sur les autres qui est le seul moyen d’assurer la solidité et la pérennité de l’unité de décisions économiques. Lorsque nous parlons de dominance, nous allons parler davantage d’influence stratégique, d’unité de direction stratégique, et non forcément de participation financière. Mais il est soutenu également que « toutes branches du droit confondues, les dispositions relatives à la notion de groupe reposent

très majoritairement, et à quelques exceptions près, sur des relations en capital »135. D’ailleurs, l'auteur susmentionné, traitant des accords de groupe, évoque la dominance économique née du droit de propriété et, dans cette vision des choses, énonce que « la négociation collective est

concevable dans le périmètre au sein duquel la détention capitalistique d’une société sur une

131 R. Vatinet, La pieuvre et l'arlésienne, Dr. Soc. 2010, p.801.

132 M. Kocher, La notion de groupe d'entreprises en droit du travail, op. cit.

133 E. Peskine, Réseaux d'entreprises et droit du travail, op. cit., page 142.

134 C. Champaud, Les méthodes de groupement des sociétés, RTD Com. 1967, p.1003.

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autre est suffisamment forte pour que s’établisse une relation de domination »136. Ceci illustre une vision restrictive du groupe.

68. Finalement, la vision du groupe en droit du travail est ancrée dans celle du groupe du droit des sociétés. En effet, même si le droit du travail adopte des définitions fonctionnelles du groupe en fonction des objectifs, le groupe est toujours perçu de la même manière : une organisation autour d’un pôle de direction, représenté par la maison mère.

2) Une illustration en droit du travail : le comité de groupe

69. Analyser la conception de groupe d'entreprises au sens du comité de groupe est intéressante lorsque l'on étudie la question du déploiement de l'emploi dans le groupe car cette institution résulte de la perception de ces relations au sein d'un ensemble économique. Le comité de groupe, instance de représentation du personnel au niveau du groupe de sociétés, est défini par l'article L. 2331-1 du code du travail. Il ressort de cette définition que « le groupe est constitué entre une entreprise dite dominante et les entreprises sur lesquelles elle exerce un contrôle ou une influence dominante »137.

70. Il résulte des articles L. 2331-1 et L. 2331-2 du même code que le comité de groupe est constitué entre « certaines entreprises ou autres entités » remplissant des conditions de rattachement au groupe, liées au contrôle ou à l'influence exercés par une entreprise dominante sur d'autres138. Lorsque l'on pense au groupe d'entreprises139 tel qu'envisagé pour la mise en place du comité de groupe, il est légitime de s'interroger sur la place des relations contractuelles entre entreprises n'étant pas liées de manière capitalistique par des participations financières. Il convient, pour mettre fin à cette interrogation, de se pencher sur les notions d'entreprise dominante et d'influence dominante, livrant ainsi une description du groupe tel qu'envisagé par le législateur au sens du comité de groupe.

71. En ce qui concerne la notion de contrôle, en se référant aux articles du code de

136 G. Gury, L'accord collectif de groupe, op. cit.

137Mémento pratique Représentation du personnel, Division II Comités d'entreprise, Editions Francis Lefebvre 2016.

138Mémento pratique Groupes de sociétés, Editions Francis Lefebvre 2019.

139En effet, la particularité du comité de groupe est qu'il n'inclut pas uniquement les sociétés mais fait plus largement référence aux entreprises.

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commerce notamment, l'article L. 2331-1 du code du travail expose des critères précis. L'entreprise dominante, au sens du comité de groupe, exerce un contrôle sur les autres entités lorsque cette dernière possède plus de la moitié de son capital, qu'elle remplit les conditions de l'article L. 233-3, I et II du code de commerce, qu'elle « dispose directement ou indirectement d'une fraction des droits de vote supérieure à 40% et qu'aucun autre associé ou actionnaire ne détient directement ou indirectement une fraction supérieure à la sienne » ou lorsqu'elle est tenue d'établir avec les entreprises qu'elle contrôle des comptes consolidés. A travers cette conception du contrôle, nous percevons nettement le phénomène de filialisation qui s'en dégage, ne laissant aucune place aux liens simplement contractuels entre sociétés. Concernant à présent la notion d'influence dominante, l'entreprise dite dominante l'est notamment « lorsque la permanence et l'importance des relations de ces entreprises établissent l'appartenance de l'une et de l'autre à un même ensemble économique »140. Cette acception de la notion d'entreprise dominante laisse à penser, à première vue, que cette influence particulière est également présente dans les réseaux d'entreprises et non seulement dans les groupes. Mais voilà, cette condition est cumulative avec celle de la détention par cette entreprise dominante d'au moins 10% du capital de l'entreprise dominée. Exit donc les « groupes contractuels » ne reposant sur aucun lien capitalistique.

72. Autre point qui limite l'extension du périmètre du comité de groupe, l'entreprise commune. En effet, dès lors qu'elle appartient de manière strictement égale à deux groupes, elle ne peut intégrer le comité de groupe de l'un ou de l'autre. L'une des limites de l'approche principalement capitalistique de l'ensemble économique et social est ici apparente.

73. Cependant, sans atténuer la place de la société dominante au sein du groupe, le juge tolère la mise en place de comités de sous-groupe (dont la mise en place ne peut se substituer à celle des comités de groupe), manifestant une reconnaissance de la décentralisation du pouvoir de l'entreprise dominante. En effet, il s'agit alors « d'ensembles secondaires de sociétés conformes à la notion légale de groupe, organisés autour de leurs propres sociétés dominantes, elles-mêmes soumises à la société dominante du groupe »141.

74. La législation sur le comité de groupe admet la mise en place d'une telle institution au sein des réseaux bancaires qui comportent un organe central au sens des articles L. 511-30 et

140Lamy droit des comités d'entreprise, Lamy, 2017

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L. 511-31 du code monétaire et financier.

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