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L E CADRE DE LA MOBILITE INTERENTREPRISES AU SEIN DES ENSEMBLES ECONOMIQUES ET

Paragraphe 1. La nullité de la clause de mobilité interentreprises

B. Une critique nuancée de cette position jurisprudentielle

2) Une solution critiquable

289. Les critiques négatives qui peuvent être de cette position jurisprudentielle sont basées sur son fondement juridique (a) et sur l'absence de prise en compte de l'intégration des salariés au sein des ensembles économiques et sociaux (b).

a. Un fondement juridique discrédité

290. Comme le souligne Monsieur le Professeur Paul-Henri Antonmattei, le moyen soulevé d'office par les juges de la Cour de cassation relève d'« une règle créée de toute pièce sous le visa pour le moins curieux de l'article L1221-1 ». La sanction de la nullité reste elle aussi surprenante.

291. Madame Florence Aubonnet s'interroge également : « mais que vient faire la bonne foi dans l'exécution du contrat, pour justifier l'annulation d'une clause de ce contrat ? »435. L’auteur fait d'ailleurs référence au mécanisme juridique de la promesse de vente afin de souligner le manque de pertinence de ce fondement et affirme qu’« il y aurait donc là une originalité du droit du travail ». Il ne s'agit pas en effet d'un débat sur les conditions de mise en œuvre de cette clause mais bien d’un débat sur sa validité436.

292. Venons-en donc à la prise en compte du consentement du salarié, puisque c'est ce qui est sous-entendu à travers cette notion de bonne foi contractuelle. La solution découle d'une règle prétorienne « selon laquelle un salarié doit consentir, hors hypothèse d'un transfert d'une entité économique autonome, à sa mutation chez un autre employeur, fût-il du même groupe »437. N'oublions pas que le salarié a donné son accord ! Il l'a simplement donné par

434 V. Infra sur la mise à disposition imparfaite.

435 F. Aubonnet, Haro sur les clauses de mobilité intragroupe, SSL 2009, n°1416.

436 Cependant, l'article 1104 nouveau du code civil semble faire de la bonne foi un principe applicable à tout le processus contractuel.

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avance. Comme l'exprime Madame Florence Aubonnet, « le fait que ce consentement intervienne "à froid", en amont de la mobilité, n'est en rien un argument en faveur de l'annulation de la clause ». Dans l'arrêt Renault France, la clause visait toutes les filiales du groupe. Elles étaient donc connues. Le salarié savait où il était susceptible d'être muté. Certes, en vertu de l'article 1193 nouveau du code civil, l'employeur ne peut se réserver le droit de modifier unilatéralement le contrat, mais on pense davantage aux éléments substantiels du contrat de travail. Pour le secteur géographique, et donc le lieu de travail, cela est admis, dès lors que le salarié y a consenti.

293. Selon Monsieur le Professeur Paul-Henri Antonmattei, « la clause pêcherait par indétermination de son objet (C. civ., art. 1129) : on comprendrait alors la nullité ». Mais la Cour de cassation n'a pas jugé bon d'utiliser ce fondement. Selon l'auteur, « la chambre sociale aurait pu alors subordonner la validité de la clause à une détermination précise des sociétés concernées ». Cela revient donc à se baser sur les conditions de validité de la clause de mobilité géographique et à ne pas prendre en compte la détermination de l'employeur comme élément du socle contractuel. Cette position est partagée par Monsieur Vincent Roulet qui estime qu' « il eût suffi, au stade de sa mise en œuvre, d'appliquer le régime juridique de la clause de mobilité classique ».

294. Cela nous amène donc à nous interroger sur cet aspect en envisageant la pertinence, dans un groupe de sociétés ou d'un réseau, de l'intuitu personae résidant dans le contrat de travail.

b. La nécessité de prendre en compte l'intégration dans l'ensemble économique et social

295. Au sujet de la spécificité organisationnelle des structures complexes, Monsieur le Professeur Arnaud Martinon souligne que « l'appartenance à une collectivité de travail, identifiée au niveau d'un groupe et non d'une seule société, devrait permettre un mouvement utile de salariés afin de s'adapter aux besoins du groupe et de favoriser l'évolution professionnelle du salarié »438. Au sein d'un groupe, les membres sont connus. Le salarié travaille non seulement pour l'entreprise, qui représente une clé d'accès à un lien d'emploi plus large, mais aussi pour le groupe ou le réseau, lorsqu'il est suffisamment intégré. Tout l'intérêt

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de la critique réside dans l'attendu de principe de l'arrêt de 2009. La clause de mobilité interentreprises est condamnée « alors même que cette société appartiendrait au même groupe ou à la même unité économique et sociale ». Pourquoi ne pas assimiler la clause de mobilité intragroupe à la clause de mobilité géographique classique ? Au sein d'un ensemble économique, ne sont-ce pas plutôt des préoccupations géographiques et familiales qui animent les débats que la simple identité de l'employeur qui, au demeurant, n'a pas la même envergure dans un groupe ?

296. Cette sanction de la Cour de cassation, si nous la concevons uniquement sous l'angle de la problématique du libre choix de l'employeur, amène à s'interroger sur la pertinence du lien entre les parties au contrat au sein d'un ensemble économique et social : l'intuitu personae ! Madame Florence Aubonnet est catégorique sur ce sujet : « le caractère intuitu personae du contrat de travail n'est pas méconnu lorsque la mobilité convenue est circonscrite au sein du groupe ou de l'UES » et affirme que « les cadres, qui sont les principaux concernés par ce type de clause, s'engagent généralement dans une entreprise en considération de son appartenance à un groupe au sein duquel s'applique une même politique sociale ». On ne peut analyser une telle clause de mobilité de la même manière lorsqu'elle est mise en œuvre au sein d'un groupe ou d'un réseau d'entreprises que lorsqu'elle a pour objectif une mobilité entre entreprises n'ayant aucune identité sociale commune. Les salariés « entrent au service du groupe bien plus qu'à celui d'une entreprise déterminée »439. Une nouvelle fois, une distinction est établie entre l'employeur et l'organisation au sein de laquelle a vocation à évoluer le lien d'emploi.

297. Cela constitue une négation des devoirs du salarié au sein du groupe d'entreprises. Le juge tente de lui construire un espace garantissant la sécurisation de son parcours professionnel, de son emploi, mais ne l'appréhende pas comme véritable citoyen du groupe ou du réseau, son statut restant alors indéterminé ! Quelle conséquence cela entraîne-t-il ? Il en résulte tout simplement une indétermination des obligations du salarié et notamment, pour ce qui nous intéresse, en termes de mobilité : l’absence d’un devoir de se soumettre au pouvoir de direction de l’employeur eu égard à une nécessaire gestion anticipative de l’emploi au sein de l’ensemble économique et social. Si de telles obligations étaient définies, nous pensons qu’il serait envisageable d’admettre une mobilité non contractualisée (comme cela se fait en matière de mobilité volontaire). Mais cette mobilité serait contrainte en ce qu’elle dépendrait d’une

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obligation découlant, elle-même, d’une politique de mobilité au niveau de l’organisation interentreprises. Cela impliquerait une révision du contrat en cours d’exécution. Cela ne semble pas si utopiste que cela lorsque l’on se rappelle que le contrat de travail est un contrat à exécution successive. Mais encore faudrait-il légitimer et reconnaître clairement l’ensemble économique et social comme espace de mobilité et également associer plus encore la gestion du personnel à la stratégie économique, afin de répondre au besoin de flexibilité de ces structures complexes. Tout l’enjeu serait donc de définir le statut du salarié au sein du groupe ou du réseau, encadrer ses devoirs et ses obligations, contreparties à une possibilité de maintien de l’emploi au sein de ces ensembles.

298. Monsieur Vincent Roulet affirme que « faire subir à la clause de mobilité personnelle l'examen de la potestativité nécessite de postuler que l'employeur, partie au contrat, est un élément de celui-ci. […] La personne du contractant relève du socle contractuel : le contrat de travail est empreint d'un fort intuitu personae. Seule une disposition spéciale de la loi permet de s'affranchir du consentement du salarié lors d'un changement d'employeur ».440

299. Dans sa thèse sur la cession du contrat de travail441, Madame Sophie Selusi-Subirats souligne qu'« il ne faut […] pas confondre la dimension humaine présente dans le contrat de travail et la raison pour laquelle il est conclu ». En outre, l'auteur rappelle « qu'en droit du travail, l'objet est abordé sous le prisme de la prestation principale du salarié » et fait remarquer que certaines analyses doctrinales du contrat de travail « privilégient une dimension organisationnelle de la gestion du contrat de travail au sein de l'entreprise ». A son tour, faisant référence à « une conception large de l'intérêt de l'entreprise », Monsieur Vincent Roulet affirme qu'il est possible « d'admettre que celui-ci se confonde avec l'intérêt du groupe ou de l'unité économique et sociale. Les exemples sont nombreux dans lesquels ces derniers permettent de dépasser la rigueur qu'impliquerait une stricte analyse de la personne de l'employeur ».

300. Par ailleurs, cette position tend à nier le pouvoir de direction de l'employeur appartenant à un groupe d'entreprise. Quel impact l'unité sociale442 interentreprises a-t-elle si

440 V. Roulet, Variations sur la clause de mobilité personnelle, préc.

441 S. Selusi, La cession du contrat de travail, op. cit.

442 Le terme d'unité sociale employé ici ne doit pas être confondu avec celui employé pour caractériser l'unité économique et sociale. Il s'agit ici davantage d'identité sociale, de liens ayant un impact sur l'emploi.

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on n'admet pas un certain pouvoir d'affectation aux employeurs, en concertation ?

301. Nous retenons également un paradoxe dans l'arrêt en lui-même, entre les attendus de principe des différents moyens. En effet, dans le premier moyen de l'arrêt, la Cour de cassation affirme que « le directeur des ressources humaines de la société mère, qui n'est pas une personne étrangère aux filiales, peut recevoir mandat pour procéder à l'entretien préalable et au licenciement d'un salarié employé dans ces filiales, sans qu'il soit nécessaire que la délégation de pouvoir soit donnée par écrit ». La Haute juridiction vient ici reconnaître la relation de travail particulière propre au groupe de société. A cela s'ajoute le manque de cohérence avec les arrêts rendus en matière de reclassement des salariés. Bien que cette obligation ne repose que sur l'employeur, elle est un symbole de la reconnaissance des liens sui generis entre les salariés et la structure dans sa globalité. Force est de constater que la position de la Cour de cassation en matière de mobilité intragroupe, comme en matière de relations de travail au sein de ces ensembles de manière générale, est source d'incompréhension et surtout d'insécurité en termes de décision managériale au sein de ces structures complexes. Toujours est-il que face à ce « déni » d’encadrement de la mobilité prévue en amont, la Cour de cassation, sans émettre d’arguments solides, ne fait qu’exclure une mobilité anticipée, pourtant nécessaire en termes de gestion des effectifs et des compétences.

302. Pour conclure sur l'analyse de la nullité de la clause de mobilité intragroupe, nous l’analyse de Monsieur le Professeur Grégoire Loiseau : « s'il n'est pas question d'admettre inconsidérément la validité de la clause de transfert, il est excessif de l'invalider invariablement »443. Il conviendrait d'admettre une telle clause de mobilité mais sous conditions. Il serait pertinent notamment de définir le statut du salarié transféré, qui influe sur la norme contractuelle, et de prévoir des garanties suffisantes à cette mobilité à l'instar du contrôle qu'exerce la chambre sociale, par exemple, sur le périmètre de mobilité et sur la proportionnalité de la mise en œuvre de cette mobilité. En outre, il faudrait déterminer, en amont, le dispositif contractuel mobilisé afin de ne pas entacher le consentement contractuel du salarié eu égard à sa situation. La question est : comment organiser une mobilité anticipative, sans nier l’identification de l’employeur dans la relation de travail et en amortissant l’impact du changement d’employeur sur la relation d’emploi qui lie le salarié au groupe ou au réseau ? Cette question nous ramène à nouveau à celle de l’adéquation entre les dimensions contractuelle

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et organisationnelle.

303. L’analyse du juge devrait se porter sur le cadre dans lequel se situe la circulation du contrat et les mesures prévues concernant le statut du salarié déplacé. Avec la nouvelle place donnée à l’accord collectif, pourquoi ne pas envisager que le juge reconnaisse la licéité de ces clauses en elle-même et déplace son contrôle sur la norme organisationnelle de la mobilité, l’accord de groupe ou interentreprises ? La mobilité prévue conventionnellement pourrait-elle alors pallier cette rigidité contractuelle ? Ce qui est certain est qu'en l'état actuel, le législateur n'a pas apporté de réponse propre aux ensembles économiques et sociaux à travers les différents dispositifs de mobilité proposés, notamment par la loi de sécurisation de l'emploi.

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