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Une solution justifiée par la sécurisation du lien contractuel

L E CADRE DE LA MOBILITE INTERENTREPRISES AU SEIN DES ENSEMBLES ECONOMIQUES ET

Paragraphe 1. La nullité de la clause de mobilité interentreprises

B. Une critique nuancée de cette position jurisprudentielle

1) Une solution justifiée par la sécurisation du lien contractuel

278. L'arrêt de la Cour de cassation repose sur le respect envers le salarié du principe du libre choix de son employeur. Aussi, est appliqué le principe civiliste de l'intangibilité des stipulations contractuelles, dont fait partie celle relative à la désignation des parties et donc de l'employeur.

279. Selon Monsieur le Professeur Gilles Auzero, « la condamnation de ces clauses de variation paraît surtout découler de l'impossibilité pour le salarié de renoncer au droit de s'opposer à la modification de son contrat de travail, droit que le salarié tient de l'article 1134 alinéa 2 du code civil »420. L'auteur rappelle également qu'il n'est pas possible de renoncer à un droit attribué par la loi : « il convient de ne pas oublier qu'on ne peut déroger, par des conventions particulières, aux lois qui intéressent l'ordre public (article 6 du code civil) […] ce qui est […] prohibé, c'est de renoncer à un droit non encore acquis ». Il se réfère alors à l'analyse de Monsieur Dimitri Houtcieff qui affirme que cette interdiction procèderait « d'une conjonction entre le caractère d'ordre public du droit et la nécessité de renoncer librement et en connaissance de cause. La règle s'expliquerait alors par l'idée que le renonçant ne peut avoir pleinement conscience de la prérogative considérée qu'au moment où il la peut librement exercer »421. En outre, l'auteur affirme préférer qu'il ait été précisé l'impossibilité que le salarié puisse renoncer par avance au droit de s'opposer au changement d'employeur. Selon lui, la solution doit être approuvée étant donné que « le salarié ne peut consentir librement et en connaissance de cause à un changement d'employeur qu'au moment où celui-ci intervient ».

420 G. Auzero, Les clauses de mobilité « intragroupes » condamnées, RDT 2009, p.647.

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280. Ceci est encore plus vrai lorsque cela implique la conclusion d'un nouveau contrat. En effet, il est important de souligner que cette clause entraîne, en cas de changement d'employeur, l'acceptation par avance de la conclusion d'un nouveau contrat de travail. Il y a donc là un autre aspect : cette clause, résultant de la volonté contractuelle des parties, nie le consentement contractuel futur du salarié puisque les termes du nouveau contrat ne sont pas définis. Ces clauses « ignorent […] donc la mobilité personnelle : le sort du contrat de travail n'est pas envisagé »422.

281. Par ailleurs, selon Monsieur le Professeur Gilles Auzero, cette clause revient à « imposer à un tiers à l’acte juridique l’obligation d’embaucher un salarié ». Cela est compréhensible si nous considérons qu’il s’agit alors d’une cession de contrat. Cependant, nous ne partageons pas cette analyse. En effet, cette mobilité contient, selon nous, une sorte de condition résolutoire implicite portant sur la mise en œuvre de cette mobilité et donc sur l’accord préalable à la mobilité de l’entreprise tierce. Le salarié ne fait que donner son accord à une future mobilité sous réserve de la volonté des entreprises du groupe ou du réseau de pratiquer cette mobilité. La thèse de l'auteur est pertinente si nous considérons que le mécanisme contractuel adopté est préétabli, mais ce n’est pas le cas avec ces clauses de mobilité générale. La Cour de cassation aurait également pu se fonder sur l’article 1173 (ancien) du code civil énonçant que « la novation ne se présume point ». Mais encore une fois, ces fondements sont difficilement utilisables lorsque le mécanisme contractuel adopté n’est pas défini. Peut-être la Cour s’est-elle ainsi trouvée dans une situation indélicate.L'auteur approuve également le respect, de par cet arrêt, de l'autonomie de la personne morale de chaque entreprise. Cela nous ramène à la même analyse que précédemment. Selon lui, « cette position donnera satisfaction à ceux qui ne manquent jamais d'invoquer cette règle de principe pour s'opposer, non sans raison d'ailleurs, à ce que des salariés licenciés en raison de la mise en liquidation judiciaire d'une société appartenant à un groupe ou à UES se retournent contre les autres entités de celui-ci ». Eu égard au principe de l'autonomie de la personnalité morale, l'autre employeur n'est alors qu'un tiers à l'acte juridique et donc à la relation de travail. Pour convenir du transfert du salarié il faut alors l'accord exprès des trois parties, ce qui n'est pas le cas au moment de la conclusion du contrat. Dans ce cadre, Monsieur le Professeur Gilles Auzero va même jusqu'à se demander « si l'acceptation anticipée du cédé ne devrait pas être bannie de l'ensemble des contrats conclus intuitu personae ou, à tout le moins, de ceux qui mettent aux

121 prises une partie forte et une partie faible ».

282. Par ailleurs, il existe une prohibition des clauses conférant un pouvoir discrétionnaire à l'employeur. C'est pour cela qu'un salarié ne peut accepter par avance un changement d'employeur. En ce sens, Monsieur Vincent Roulet insiste : « en permettant à l'employeur de rompre de façon unilatérale le lien contractuel et d'imposer la création d'un nouveau rapport, les difficultés qu'elle soulève dépassaient amplement le cadre classique des clauses du contrat de travail »423.

283. Mais là où il y a un rapprochement avec l'analyse de la clause de mobilité géographique, c'est dans l'appréciation du caractère licite ou non de sa mise en œuvre. Il existe en effet une interdiction de la modification d'autres éléments du contrat de travail que pourrait entraîner la mobilité du salarié. Or, en procédant à un changement d'employeur et donc d'entreprise, bon nombre de changements peuvent apparaître, notamment lorsque le mode contractuel de la mutation n'est pas clairement établi. S'il ne s'agit pas d'une simple circulation du contrat, bon nombre d'obstacles peuvent apparaître dans la continuité du lien contractuel. En effet, la mobilité interentreprises est fortement susceptible d'influer sur les fonctions, la rémunération, le temps de travail ou encore les conditions de travail du salarié424. Le principe est donc que la clause de mobilité ne peut entraîner par avance la modification d'un autre élément du contrat de travail que le lieu de travail. Pour exemple, dans un arrêt du 15 décembre 2004425, la Cour de cassation a affirmé que « la mise en œuvre d'une clause de mobilité ne peut être imposée au salarié lorsqu'elle entraîne une réduction de sa rémunération ». En l'espèce, la mobilité impliquait « qu'outre la rémunération forfaitaire mensuelle il y était prévu que la salariée percevrait un intéressement "dont les paramètres de détermination seront régulièrement redéfinis et annexés au contrat de travail" ». En outre, il peut encore s'agir des horaires de travail, d'un passage de jour à un passage de nuit par exemple. Cela était le cas dans un arrêt du 14 octobre 2008426 où la Cour de cassation a affirmé que « lorsqu'elle s'accompagne d'un passage d'un horaire de nuit à un horaire de jour ou d'un horaire de jour à un horaire de nuit, la mise en œuvre de la clause de mobilité suppose, nonobstant toute clause contractuelle ou conventionnelle contraire, que le salarié accepte cette mise en œuvre ». Dans un arrêt du 17

423 V. Roulet, Variations sur la clause de mobilité personnelle, préc.

424 Cass. Soc. 28 novembre 1989, n°87-43.561 ; Cass. Soc. 25 février 2004, n°01-47.104.

425 Cass. Soc. 15 décembre 2004, n°02-44.714.

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septembre 2008427, l'affectation sur le nouveau site faisait disparaître l'organisation en cycle de travail et cela réduisait de 10% la rémunération pour le travail le samedi, ce qui constituait donc une modification du contrat de travail. D'autre part, même si la modification des horaires de travail entraîne normalement une modification du contrat de travail nécessitant l'accord du salarié, le jeu de la clause de mobilité viendrait anéantir cette nécessité de recueillir cet accord428.

284. Il s'agit finalement d'intégrer le salarié dans un nouveau service organisé. Or, en cas de mobilité interentreprises, la clause de mobilité n'étant pas une clause de mobilité simplement géographique, la non acceptation de cette conséquence se conçoit aisément. En effet, comme le souligne également Monsieur le Professeur Paul-Henri Antonmattei, « on aura bien compris qu'il ne s'agit pas d'une clause de mobilité géographique classique. Le salarié accepte certes de changer de lieu, mais ce n'est que la conséquence d'un changement d'employeur »429.

285. En outre, la mobilité interentreprises entraîne bien souvent une mobilité professionnelle. En effet, outre la gestion des effectifs, l’objet de la mobilité peut aussi être l'adaptation des emplois au marché, aux mutations économiques et ce, d'autant plus, au sein des ensembles économiques et sociaux. Cela entraîne donc un changement de poste, de fonctions, d'exigences en termes de compétences etc. Curieusement, cet argument ne ressort pas clairement des critiques doctrinales. Pourtant, outre le changement d’employeur, il s’agit d’une réelle difficulté tant pour les entreprises que pour le salarié déplacé. En effet, la clause de mobilité intragroupe, telle qu’elle a été « conceptualisée » par les gestionnaires des ressources humaines des groupes d’entreprises, était calquée sur la logique du régime de la clause de mobilité géographique, celle-ci excluant de son champ la prise en compte de l’impact d’une éventuelle mobilité professionnelle. Or, en changeant d’entreprise, d’employeur, d’organisation, le salarié est forcément confronté à une gestion, des modes de production, des process, différents de ceux intégrés au sein de l’entreprise employeur initial. Il s’agit d’une problématique juridico-sociale, qui, selon nous, est trop souvent omise au profit de la seule problématique du changement d’employeur.

286. Ensuite, comme nous avons pu l'étudier précédemment, bien souvent la question des

427 Cass. Soc. 17 septembre 2008, n°06-45.797.

428 Le Lamy Social, Lamy, 2019; Cass. Soc. 30 septembre 1997, n°95-43.187.

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accords et conventions collectifs applicables à chaque entreprise se pose. Aussi, le statut conventionnel sera généralement différent d'une entreprise à l'autre si un accord au niveau du groupe ou du réseau n'harmonise pas ces statuts. Le salarié se trouverait alors dans une situation d'insécurité juridique due à l'impact des droits collectifs sur sa situation, notamment en termes de rémunération.

287. Ainsi, il est légitime de ne pas admettre la validité d'une telle clause de mobilité dès lors que cette mobilité n'est pas organisée. En effet, si le maintien du statut conventionnel du salarié était prévu à l'avance, si des garanties étaient assurées au salarié, notamment en ce qui concerne le respect de sa vie privée et familiale, cette mobilité serait logiquement admise. C'est la clause elle-même qui est illicite. Pour autant, le législateur et le juge n'ont pas prévu de dispositif en ce sens. Comme l'affirme Monsieur le Professeur Grégoire Loiseau, « si les parties ont toujours été libres d'organiser le changement d'employeur en utilisant le montage de leur choix, la Cour de cassation s'est cependant toujours opposée à anticiper la circulation du salarié au sein du groupe de sociétés au moyen d'une clause de mobilité intragroupe »430.

288. Cela ne règle pas la question de la mobilité sans changement d'employeur. Selon Monsieur le Professeur Patrick Morvan, concernant la mise à disposition, il n'y a pas lieu de s'interroger sur la portée d'une clause de mobilité étant donné qu'elle n'entraîne pas en soi une modification du contrat de travail431. Selon Monsieur Vincent Roulet, « est distinguée la clause qui organise une simple mise à disposition de celle modifiant la personne de l'employeur »432. Le seul aspect de la mise à disposition qui pourrait jouer en la défaveur de ces thèses est que la mise à disposition nécessite l’accord du salarié. Mais cette exigence d’accord du salarié n’est pas rattachée au libre choix de son cocontractant mais simplement à l’opération en elle-même, qui ne constitue pas un changement d’employeur. Ainsi, deux aspects se discutent dans cette décision : d’une part, il ne s’agit pas d’une opération contractuelle de la même nature puisque le contrat de travail avec la société d’origine n’est pas rompu, mais, d’autre part, l’accord du salarié est exigé. La question est donc : dans le cadre de la mise à disposition, le salarié pourrait-il donner son consentement par avance ? Rien n’est moins sûr, en l’état du droit, étant donné que cette mise à disposition emporte un changement de statut433 pour le salarié et peut, à ce

430 G. Loiseau, Rupture du contrat de travail, Repenser le changement contractuel d'employeur, JCP S 2016, n°29.

431 Cass. Soc. 15 mars 2005, RJS 6/05.

432 V. Roulet, Variations sur la clause de mobilité personnelle, préc.

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titre, entraîner subséquemment une modification du contrat de travail. Par ailleurs, concernant les mises à dispositions qui ne correspondent pas au modèle légal et qui admettent la conclusion d'un nouveau contrat avec l'entreprise d'accueil, la question ne se pose pas étant donné qu'il change d'employeur434.

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