• Aucun résultat trouvé

La nécessaire caractérisation d’un critère d’identification commun aux ensembles économiques et sociaux

L E CADRE DE LA MOBILITE INTERENTREPRISES AU SEIN DES ENSEMBLES ECONOMIQUES ET

Paragraphe 1. La caractérisation de la dimension organisationnelle singulière des ensembles économiques et sociaux

A. La nécessaire caractérisation d’un critère d’identification commun aux ensembles économiques et sociaux

118. Tout au long de notre étude, nous ne nions pas les distinctions qu’il est primordial

d’appréhender entre les réseaux d’entreprises et les groupes. Cependant, ne pourrions-nous pas envisager un seul modèle, système, d’organisation, commun à ces différents types d’ensembles complexes, adapté au concept de mobilité interentreprises que nous souhaitons développer ? Monsieur Daniel Boulmier, qui prône « une reconnaissance du groupe réel comme substitut du

groupe virtuel »176, pose la question suivante : « Ne pourrait-on pas […], par le traitement

social, concevoir le groupe non dans son concept financier, mais dans un concept élargi aux relations économiques telles qu’elles se développent dans la sous-traitance ? »177. Cette interrogation rejoint notre analyse.

119. Certains auteurs, à l’image de Madame Elsa Peskine, s’attachent à établir, dans leurs

démonstrations, une distinction nette entre les dimensions organisationnelles respectives des réseaux et des groupes. Mais, selon nous, cette distinction, dans l’approche des ensembles économiques et sociaux comme espaces de mobilité interentreprises n’est pas adaptée. Elle le sera, cependant, dans l’étude ultérieure de certains mécanismes. En effet, comme l’a évoqué Monsieur Jean-Claude Dupuis au cours d’une réflexion sur les entreprises et la RSE, « l’enjeu

n’est pas en effet d’opposer le droit des contrats au droit des sociétés mais de construire un droit des hybrides »178. C’est notamment ce caractère hybride qui était déjà développé par Monsieur Teubner179 à propos des réseaux et plus généralement des systèmes complexes et que l’on peut donc transposer aux ensembles économiques et sociaux de manière générale. Ces ensembles ne se réduisent pas à une somme de contrats ni à une organisation hiérarchique.

176 D. Boulmier, Destruction des emplois : une nécessaire responsabilisation des groupes, par une substitution du

groupe réel au groupe virtuel, Dr. soc. 1998, p.44.

177 Ibid

178 J.-C. Dupuis, La responsabilité sociale de l’entreprise : gouvernance partenariale de la firme ou gouvernance

de réseau ?, Revue d’économie industrielle 2008/2 (n°122) p.67 à 86.

54

120. Les figures, notamment du groupe, actuellement retenues par le droit du travail, sont

obsolètes et s’éloignent de la réalité induite par l’économie de marché. En effet, il est « trop

étriqué de s’en tenir au périmètre d’un groupe, dans le contexte de l’extériorisation de la main-d’œuvre et des réseaux »180.

121. En premier lieu, la diversité des groupes de sociétés ne permet pas toujours de

percevoir de manière claire l'unité de direction. En effet, certains groupes choisissent d'organiser leurs relations économiques de manière décentralisée, entraînant une dissolution de l'unité de direction et la coexistence de plusieurs activités, tout comme les réseaux. A contrario, dans certains réseaux d'entreprises, et ce, de plus en plus fréquemment, les entités se lient financièrement les unes aux autres au travers de prises de participation comme les réseaux de distribution. Il devient alors plus aisé de s'affranchir d'une conception stricte de l'organisation au travers d'un pôle de direction détenu par une seule entreprise. Comme a pu le souligner Monsieur le Professeur Gaudu « il existe maintenant des groupes d'entreprises aussi cohérents

qui se constituent sur la seule base de contrats (franchise, concession …), de la participation à des structures communes (comme des coopératives d'achats) assortie parfois de prêt de main d'œuvre »181. Le droit du travail caractérise et définit ses propres critères et périmètres organisationnels, indépendamment de ceux adoptés par les disciplines purement économiques. Or, ces différentes approchent devraient être cohérentes. Malgré l’absence de réelle réflexion sur le sujet relativement à la mobilité interentreprises au sein de ces ensembles, des auteurs ont pu se pencher sur cette problématique quant à l’émergence de la RSE et aux nouvelles réflexions sur la gouvernance de l’entreprise qu’elle implique. Monsieur Jean-Claude Dupuis a pu ainsi affirmer que, « très largement, la RSE est aujourd’hui comprise comme un ensemble

de discours et de pratiques qui œuvrent pour un élargissement du nombre des parties prenantes à la gouvernance de la firme et qui constituent de ce fait, une remise en question du modèle actionnarial, moniste de gouvernance. Les débats se concentrent essentiellement sur la conception du modèle partenarial à promouvoir »182. Cet auteur nous enseigne également que « prenant acte de la dilution de l’entreprise, la notion de RSE cherche d’autre part à construire

des lieux de régulation à une échelle méso-économique afin de s’ajuster à l’étendue et à la complexité des structures de l’entreprise-réseau ».

180 A. Mazeaud, Le déploiement de la relation de travail dans les groupes de sociétés, préc.

181 F. Gaudu, Entre concentration économique et externalisation : les nouvelles frontières de l’entreprise, Dr. soc. 2001, p.471.

182 J.-C. Dupuis, La responsabilité sociale de l’entreprise : gouvernance partenariale de la firme ou gouvernance

55

122. Il convient d’admettre, aujourd’hui, qu’il est primordial, au vu des évolutions

économiques et donc organisationnelles, de s’émanciper des figures adoptées qui présentent des limites. En effet, les définitions actuelles du groupe et du réseau pour leur appréhension par le droit du travail sont trop étriquées et éloignées de la complexité qui les caractérisent. Il devient désormais erroné de distinguer de manière apparemment claire et précise les groupes d’entreprises d’une part et les réseaux d’autre part.

123. Au sujet des groupes d’entreprises, Monsieur le Professeur Jean Paillusseau183

s’interrogeait sur la construction d’un droit des groupes indépendamment de la relation de l’entreprise dominante avec les entreprises dominées. Notre analyse des ensembles économiques et sociaux en tant qu’espace de mobilité va en ce sens. De plus, comme le rappelle Madame Marie-Laure Morin, « ce niveau d’organisation des firmes n’est pas homogène. […]

La plasticité même des groupes et la fréquence de la modification du capital des firmes montrent qu’il n’en est rien. Certes, en présence d’une firme intégrée au niveau social, économique et financier, le paradigme de l’entreprise continue à avoir une vertu heuristique, mais ce n’est pas le cas dans les très nombreux groupes dans lesquels il n’y a pas de contrôle majoritaire, même si les actionnaires minoritaires exercent un pouvoir financier en réalité très important »184.

124. En outre, il est de plus en plus évident que « pour se recentrer sur leur cœur de métier ou "core business", […] les groupes s’appuient essentiellement, en dehors des opérations de cession d’activités, sur les techniques d’externalisation et de filialisation »185. Il convient donc de constater les points de convergence existant entre les groupes et les réseaux, et qui justifient d’autant plus l’adoption d’une démarche analytique commune.

125. Monsieur Jean-Claude Dupuis rejoint également cette analyse en déplorant le fait que

les évolutions juridiques actuelles « limitent le périmètre de l’"hyperfirme" […] aux

organisations ayant des liens capitalistiques et de ce fait, n’intégrant pas les liens de dépendance économique non doublés d’un lien capitalistique, elles achoppent à reconstituer

183 J. Paillusseau, Faut-il en France un droit des groupes de sociétés ?, JCP 1971 I 2401 Bis.

184 M.-L. Morin, Gestion du parcours professionnel du salarié et nouvelles formes d’organisation des entreprises :

le rôle du juge, préc.

185 L. Rouzeau, L’aménagement des groupes de sociétés et de l’entreprise en réseau, Bulletin Joly Sociétés 2004, n°1, p. 165.

56

l’unité économique et sociale de l’entreprise »186. Ainsi, les périmètres actuellement adoptés par le droit du travail « butent face à des organisations productives qui démontrent chaque jour

leur formidable capacité à déborder les cadres juridiques traditionnels de la relation d’emploi ». Madame Marguerite Kocher affirme quant à elle que « en se limitant à la prise en compte des relations binaires entre une entreprise dominante et une entreprise dominée, [la vision organisationnelle actuelle du groupe] se montre incapable de saisir la dynamique de groupe générée entre un tout et ses parties et rend difficilement compte des relations entre entreprises dominées, leur seul point commun étant d’être en relation avec une même entreprise dominante »187.

126. Toutes les nouvelles configurations que constituent les ensembles économiques et

sociaux « ont en commun d’insérer [des] relations individuelles dans des relations

contractuelles ou financières complexes entre entreprises. La principale question est donc de savoir comment les prendre en compte »188. En termes de mobilité, ces différents espaces appellent les mêmes problématiques quant aux espaces de mobilité.

127. Ces constats amènent à réfléchir à une nouvelle définition en droit social de ces

espaces afin de concevoir réellement un droit de la mobilité interentreprises propre à ces structures complexes. Il convient finalement de s’émanciper des concepts organisationnels actuels trop étriqués pour concevoir des réponses juridiques aux problèmes économiques et sociaux que posent les relations de travail, et notamment les problématiques de mobilité des salariés, qui se développent au sein de ces ensembles. D’ailleurs, Monsieur Laurent Rouzeau189, lorsqu’il évoque « l’entreprise en réseau », utilise cette notion et l’applique aussi aux groupes et démontre qu’elle s’émancipe d’une relation « mère-fille » de type pyramidal. Il est souligné que « dans sa forme la plus moderne, [l’entreprise en réseau] est constituée de grappes de

firmes liées entre elles d’une part, de manière traditionnelle, par des liens financiers et d’autre part, ce qui en fait l’originalité, par des liens simplement contractuels ». Ainsi, l’auteur lance

déjà les prémices d’un modèle commun aux réseaux et aux groupes. De son côté, Monsieur

186 J.-C. Dupuis, La responsabilité sociale de l’entreprise : gouvernance partenariale de la firme ou gouvernance

de réseau, préc.

187 M. Kocher, La notion de groupe d'entreprises en droit du travail, op. cit.

188 M.-L. Morin, Gestion du parcours professionnel du salarié et nouvelles formes d’organisation des entreprises :

le rôle du juge, préc.

57

Sébastien Delarre affirme que « le groupe est à haut degré une manifestation de [l’]

organisation des marchés en réseaux »190.

128. La perspective que nous abordons « implique que l’on accepte qu’il n’existe pas de formes économiques "pures" mais plutôt une hybridation généralisée des logiques d’organisation »191 : toute la difficulté d’identifier un espace commun aux ensembles économiques et sociaux est que cela implique de définir et caractériser « un espace

d’appréciation beaucoup plus vaste »192 que ceux définissant actuellement les groupes et les réseaux. Ainsi, le caractère hybride de ces ensembles mérite de nous concentrer davantage sur la dimension organisationnelle d’un point de vue économique que capitalistique ou contractuel, caractère économique que tous ces ensembles ont en commun. Monsieur Daniel Boulmier affirme d’ailleurs que « le groupe est regardé moins dans les relations économiques que dans

les relations juridiques ou financières […]. Mais le groupe analysé dans les seules relations financières ou juridiques avec les sociétés liées n’est qu’un groupe virtuel ; y ajouter l’ensemble des relations de domination économique forme le groupe réel »193. Finalement, comme le souligne Monsieur le ProfesseurVirgile Chassagnon, « il est indispensable d’intégrer

une approche multidimensionnelle du pouvoir inter-firmes pour reconsidérer le droit du travail [(en particulier dans le domaine de la mobilité interentreprises)] au regard de la complexité des organisations économiques modernes »194.

Outline

Documents relatifs