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La nouvelle place de la norme interentreprises consacrée par la loi Travail 232. La loi El Khomri du 8 août 2016 a donné un nouveau souffle à la négociation collective

L E CADRE DE LA MOBILITE INTERENTREPRISES AU SEIN DES ENSEMBLES ECONOMIQUES ET

Paragraphe 1. L'expansion du rôle de l'organisation interentreprises dans la construction d'un cadre social

B. La nouvelle place de la norme interentreprises consacrée par la loi Travail 232. La loi El Khomri du 8 août 2016 a donné un nouveau souffle à la négociation collective

de manière générale, mais surtout à la négociation collective interentreprises. Ainsi, les accords de groupes se trouvent sécurisés, gagnant une place de plus en plus prépondérante (1) et les accords interentreprises sont consacrés (2).

1) La sécurisation des accords de groupe

233. Malgré la reconnaissance des accords de groupe comme niveau de négociation par

l'arrêt Axa du 30 avril 2003363 puis par loi du 4 mai 2004364, son régime et sa portée n'étaient pas clairement établis. Il n'était notamment pas précisé la hiérarchie des normes entre accord d'entreprise et accord de groupe. Il a d'ailleurs été souligné par les auteurs et praticiens que les accords collectifs de groupe « n'ont pas connu un succès à la hauteur de l'importance des

groupes dans la vie économique et sociale »365, le texte législatif manquant d'ambition. M. d'Allende relève en effet que les accords de groupe ne représentent « qu'environ 2% de l'ensemble des normes conventionnelles conclues en France »366. Par ailleurs, selon le rapport de Monsieur Jean Denis Combrexelle sur la négociation collective, « l’assimilation des accords

de groupe aux accords d’entreprise a été, de l’avis général, très imparfaite et source d’innombrables questions juridiques. Ces difficultés avaient pour origine le fait que le législateur avait voulu faire de l’accord signé au niveau du groupe un dispositif hybride empruntant à la fois à l’accord de branche et à l’accord d’entreprise »367. Il était donc impératif

de réviser les règles applicables au groupe en tant que créateur d'un droit propre à cet ensemble, ou du moins de les clarifier.

234. Nous ne traiterons pas des règles de validité de l'accord mais uniquement de sa place

dans la hiérarchie des normes et notamment de son articulation avec l'accord d'entreprise et

363 Cass. Soc. 30 avril 2003, n°01-10.027.

364 Loi n°2004-391 du 4 mai 2004, relative à la formation professionnelle tout au long de la vie et au dialogue social.

365 M. d'Allende, Accords de groupe : de l'ombre à la lumière, Lamy, 28 novembre 2016.

366 Ibid.

102 l'accord de branche ainsi que de ses domaines.

235. L'article 23 de la loi Travail a rénové le régime applicable à l'accord de groupe.

Désormais, l'article L. 2232-33 du code du travail dispose que « l'ensemble des négociations

prévues par le présent code au niveau de l'entreprise peuvent être engagées et conclues au niveau du groupe dans les mêmes conditions ». Par ailleurs, « lorsqu'un accord sur la méthode prévu à l'article L. 2222-3-1 conclu au niveau du groupe le prévoit, l'engagement à ce niveau de l'une des négociations obligatoires prévues au chapitre II du titre IV du présent livre dispense les entreprises appartenant à ce groupe d'engager elles-mêmes cette négociation. L'accord sur la méthode définit les thèmes pour lesquels le présent article est applicable. De même, lorsqu'un accord sur les négociations obligatoires a été conclu au niveau du groupe, les entreprises sont dispensées d'engager une négociation sur le même thème ». Toutes les

négociations obligatoires peuvent être mises en œuvre au niveau du groupe et notamment la gestion des emplois et des parcours professionnels. Avant cette loi, seules les négociations sur la gestion prévisionnelle des emplois et des compétences (GPEC) au niveau du groupe pouvaient éclipser la négociation collective d'entreprise. Désormais, sous réserve de certaines exceptions, l'accord de groupe dispose d'un certain monopole : « la loi Travail le libère de ses

chaînes »368. Tous les sujets qui peuvent faire l'objet d'une négociation au niveau de l'entreprise le pourront également au niveau du groupe. Ainsi, « cet élargissement permettra à l'avenir aux

partenaires sociaux de pouvoir choisir le niveau le plus pertinent de négociation en fonction de la thématique abordée »369.

236. D'autre part, la place de l'accord de groupe par rapport à l'accord de branche est également clairement établie. L'ancienne rédaction de l'article L. 2232-33 du code du travail disparaît. Ce dernier article énonçait que les accords de groupe ne pouvaient déroger aux accords de branche sauf clause plus favorable. A présent, les accords de groupe peuvent déroger aux accords de branche. Cette mesure trouve toute son importance dans le cadre de négociations au sein des structures complexes composées d'entreprises autonomes, ayant souvent des activités différentes les unes des autres et relevant donc, par conséquent, de conventions collectives de branche différentes.

368 S. Béal, Accord de groupe : de la reconnaissance à l'émancipation !, SSL 2016, n°1742.

369 L. Enjolras et P.-H. Antonmattei, Chronique d'actualité du droit de la négociation : commentaire de la loi du 8

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237. En outre, une autre disposition, et non des moindres, vient impacter la dichotomie qui existait jusqu'alors entre le niveau organisationnel de l'entreprise et celui du groupe. Désormais, en vertu de l'article L. 2253-5 du code du travail, les stipulations de l'accord de groupe, lorsqu'il le prévoit expressément, se substituent à celles des accords d'entreprises ayant le même objet qu'ils soient antérieurs ou postérieurs à l'accord de groupe. Cela n'est pas sans conséquence notamment concernant la mobilité interentreprises des salariés. Comme le rappelle l'étude d'impact de la loi travail, la circulaire du 22 septembre 2004 relative au titre II de la loi n° 2004-391 du 4 mai 2004 relative à la formation professionnelle tout au long de la vie et au dialogue social indiquait que cette loi « ne fait pas du groupe un nouveau niveau de négociation en tant que tel qui se situerait dans la hiérarchie des accords entre l'accord de branche et l'accord d'entreprise. Il se borne à définir les effets de l'accord de groupe en les assimilant à ceux de l'accord d'entreprise ». Mais il était surtout indiqué que « les obligations annuelles ou pluriannuelles de négocier dans l'entreprise continuent de relever du niveau de l'entreprise, même si un accord de groupe peut valablement être conclu dans ces domaines. En deuxième lieu, lorsque l'accord de groupe porte sur des domaines déjà traités par des accords d'entreprise, les clauses de l'accord de groupe ne peuvent prévaloir sur les stipulations des accords d'entreprise antérieurs ayant le même objet que si elles sont plus favorables pour les salariés ».

238. Ce nouveau pouvoir normatif attribué au groupe implique une sorte de primauté de l'organisation collective à ce niveau. De plus, cela permet une harmonisation du statut collectif des entreprises à l'intérieur de l'ensemble économique afin de lui donner une réelle cohérence sociale. Ainsi, il est désormais possible d'instituer un dispositif au sein du groupe sans cumuler les accords d'entreprises. Il s'agit d'une véritable évolution quant au déploiement de l'emploi au sein des groupes. Cette nouvelle autonomie de l'accord de groupe pourrait permettre la construction d'une véritable mobilité « semi-interne » propre aux groupes d'entreprises « à condition que les partenaires sociaux prennent conscience du potentiel que leur offre cet outil de simplification et de renforcement du dialogue social au sein des structures complexes »370.

239. Il est tout de même opportun de préciser que « l’accord de groupe ne fera pas obstacle

à sa déclinaison au plus près des salariés par des accords d’entreprises adaptant leurs stipulations aux enjeux propres à chaque entreprise »371. D'ailleurs, Stéphane Béal souligne la

370 M. d'Allende, Accords de groupe : de l'ombre à la lumière, préc.

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différence entre les équilibres syndicaux de l'entreprise et du groupe. La mobilité devra donc être envisagée selon les intérêts des uns et des autres. Ainsi, outre l'objectif de flexisécurité qui est essentiel, la question de l'harmonisation de la politique sociale rencontrera une nouvelle fois la problématique de l'articulation entre l'autonomie des entreprises constituant l'ensemble économique et l'intérêt du groupe. En effet, l'ensemble des signataires devra valider la primauté de l'accord de groupe. C'est un autre enjeu qui s'ouvre aux partenaires sociaux. L'accord de méthode peut se révéler en cela être une bonne alternative.

2) La consécration de l'accord interentreprises

240. L'accord interentreprises a trouvé sa reconnaissance législative dans l'article 23, 6° de

la loi Travail, codifié aux articles L. 2232-36 à L. 2232-38 du code du travail. Des auteurs ont affirmé que « la loi El Khomri […] dépasse la condition de l'existence d'un groupe par le biais

de la consécration de l'accord interentreprises »372.

241. Comme le révèle notamment Monsieur Geoffrey Gury, la négociation interentreprises

se pratiquait déjà373 par le biais des accords interprofessionnels374. Cet auteur affirmait alors la nécessité de leur reconnaissance juridique : « admettre que l'accord interentreprises puisse

bénéficier d'un régime propre érige son périmètre au rang d'unité de négociation »375. Monsieur Geoffrey Gury estimait à raison, dans sa thèse, que l'accord interentreprises, tel qu'il était conçu avant la loi travail, devait être distingué des accords de groupes en ce qu'ils ne relevaient pas des mêmes fondements ni des mêmes intérêts : « dépourvu d'unité de décision,

exclu de toute approche institutionnelle et justifié par des intérêts patronaux différents, l'interentreprises n'est pas le groupe ». Mais cette théorie n'est plus vraie aujourd'hui. L'accord

interentreprises, selon nous, ne répond plus seulement à un impératif de gestion de l'activité commune mais pourrait répondre plus largement à un impératif de gestion des relations de travail au sein d'un ensemble économique et social.

242. L'apport de la loi travail de ce point de vue est de remédier au fait que le régime de

entreprises et les actifs.

372 L. Enjolras et P.-H. Antonmattei, Chronique d'actualité du droit de la négociation : commentaire de la loi du 8

août 2016, SSL 2016, n°11.

373 Accord Carrefour du 25 mars 2013.

374 C. trav., Art. L. 2231-1.

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l'interentreprises n'était pas autonome. Les auteurs parlent d'accord d'UES, de conventions de sites, d'accords interprofessionnels en vertu de l'article L. 2331-1 du code du travail etc. Par ailleurs, Madame Elsa Peskine, en évoquant l'ancien article L. 132-30 du code du travail, constatait dans sa thèse que la négociation interentreprises était envisagée principalement au niveau du territoire376. L'accord interentreprises, dans sa qualification comme dans son régime, n'était pas précisé. Comme l'indique Madame Laurianne Enjolras, « cette consécration permet

de dépasser les frontières de l'UES, ou du groupe, puisque par définition, l'accord interentreprises n'a vocation à exister qu'entre entreprises n'appartenant pas à un même groupe ». Nous constatons clairement la reconnaissance de l'ensemble économique reposant sur

des liens uniquement contractuels comme unité de négociation. L'auteur affirme que « cet

élargissement permettra à l'avenir aux partenaires sociaux de pouvoir choisir le niveau le plus pertinent de négociation en fonction de la thématique abordée »377.

243. Outre cette consécration attendue de l'accord interentreprises, la place de la norme par

rapport aux autres niveaux de négociation est calquée sur celle de l'accord de groupe. Autrement dit, l'accord interentreprises, si ses stipulations le prévoient, peut prévaloir sur les mesures contenues dans un accord d'entreprise portant sur le même objet. Le législateur pose alors la première pierre à l’édifice d’un cadre social des structures complexes en régissant ce type d'accord de cette manière. Non seulement, il est reconnu comme niveau de négociation autonome mais lui est également reconnue une primauté sur l'accord d'entreprise, sans prise en compte du principe de faveur. La consécration de l'accord interentreprises participe à la reconnaissance du réseau comme organisation sociale, autonome de l'unité économique et sociale.

244. La négociation interentreprises peut avoir tout d'abord un objectif organisationnel.

Peuvent y être abordés « divers thèmes de gestion des relations de travail ». Par ailleurs, il peut également s'agir de répondre à une solidarité existante entre plusieurs entreprises, qu'il s'agisse de solidarité informationnelle ou de solidarité financière. Concernant la solidarité informationnelle, il peut s'agir de l'échange d'informations sur les conditions de travail dans le cadre de contrats de sous-traitance par exemple. Ainsi, l'accord interentreprises « peut

376 « Hors du territoire, le droit se trouve plus désarmé », E. Peskine, Réseaux d'entreprises et droit du travail, op. cit., p.286.

377 L. Enjolras, PH Antonmattei, Chronique d'actualité du droit de la négociation : commentaire de la loi du 8

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aménager les relations de travail de manière à repousser une éventuelle responsabilité solidaire en cas de manquement de l'un des cocontractants à ses obligations »378.

Paragraphe 2. Un socle conventionnel commun : gage d'une sécurisation du parcours

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