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L'affirmation de la nullité de la clause de mobilité interentreprises

L E CADRE DE LA MOBILITE INTERENTREPRISES AU SEIN DES ENSEMBLES ECONOMIQUES ET

Paragraphe 1. La nullité de la clause de mobilité interentreprises

A. L'affirmation de la nullité de la clause de mobilité interentreprises

271. La nullité de ce type de clause n'allait pas de soi à l'origine et la position de la Cour de cassation restait ambiguë.

272. Dans un arrêt du 18 novembre 1998414, la Cour de cassation estimait que lorsque le transfert du salarié d'une société à une autre était possible, le refus exprimé par ce dernier pouvait justifier son licenciement par la société employeur. La même année, la haute juridiction déclarait que « lorsque le changement d'affectation à l'intérieur d'un groupe bancaire en application d'une telle clause a pour effet de faire échapper la salariée à la convention collective prévue par une disposition expresse du contrat, il s'agit alors d'une modification du contrat de travail »415. Sa position fléchissait mais n'était pas totalement claire, faisant uniquement référence aux effets de cette mobilité, ce qui était d'ailleurs certainement de meilleur augure.

273. Plus tard, la Cour de cassation affirmait la nécessité d'un accord du salarié en cas de transfert, mais sans faire référence à la nécessité d'un accord exprès au moment de ce transfert. Dans l'arrêt du 5 mai 2004416, les juges de droit ont rendu leur décision au visa de l'article 1134 du code civil. En l'espèce, la salariée était employée par la société Solidor et avait refusé d'être transférée de la société Adislor à la société Sofradis, elle a donc été licenciée. Les juges du fond tenaient pour argument que ce licenciement était justifié étant donné que « le refus de la salariée d'exécuter un travail commun à deux entreprises qui faisaient partie d'un même groupe et dont

414 Cass. Soc. 18 novembre 1998, n°95-43.132.

415 Lamy Social, Lamy, 2019 ; Cass. Soc. 2 décembre 1998, n°96-45.187.

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l'objet et la direction étaient identiques, ne reposait sur aucun élément légitime dès lors que les deux sociétés, exerçant dans les mêmes locaux et sous la même direction, traitaient et organisaient une activité commune ». La Cour d'appel perçoit donc ce refus d'être transférée comme une inexécution de sa prestation de travail par la salariée. Mais comme le souligne Monsieur le Professeur Antoine Mazeaud, « que le salaire et les tâches restent identiques, c'est une chose. Encore faut-il que les parties au contrat restent les mêmes »417. L'attendu de principe de la haute juridiction a alors été sans appel : « Attendu, cependant, que le transfert du salarié d'une société à une autre constitue une modification du contrat de travail qui ne peut intervenir sans son accord, peu important que ces sociétés aient à leur tête le même dirigeant ». En clair, un changement d'employeur qui n'intervient pas dans le cadre de l'article L. 1224-1 du code du travail, ne peut intervenir sans l'accord du salarié, s'agissant d'une modification du contrat de travail.

274. Selon le même auteur, « le principe de la solution n'appelle aucune réserve. Le contrat de travail ne se définit pas simplement par son objet, mais par les parties qui s'engagent. En conséquence, le salarié est en droit de refuser tout changement dans la personne de son employeur qui ne s'inscrit pas dans le cadre d'un transfert d'entreprise ». Cependant, Monsieur le Professeur Antoine Mazeaud se pose la question de la pertinence de l'affirmation selon laquelle un tel transfert constitue une modification du contrat de travail. Selon lui, il s'agit de bien plus que d'une simple modification du contrat, étant donné que le transfert entraîne la transformation du nouveau contrat de travail.

275. Puis l'arrêt Renault France de 2009418 est venu condamner l'acceptation par avance d'une clause de mobilité ayant vocation à s'appliquer au sein d'un groupe ou d'une UES. La Cour de cassation met à néant la possibilité d'utiliser la clause de mobilité au service d'une mobilité interentreprises. En l'espèce, le salarié avait été engagé par la société Renault France automobile, comme responsable service marketing. Il a ensuite, dans un avenant à son contrat de travail, accepté « une promotion et l'adjonction d'une clause de mobilité stipulant que le salarié pourrait être amené à exercer ses fonctions dans toute autre société de Renault France automobile et que la mise en œuvre de cette clause donnerait lieu à rédaction d'un nouveau contrat de travail auprès de la société d'accueil ». Le salarié, ayant refusé sa mutation dans l'une des sociétés du groupe, a été licencié. La Cour d'appel s'appuyait, en l'espèce, sur la

417 A. Mazeaud, Note sous l'arrêt, Dr. soc. 2004, p. 793.

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précision de la zone géographique de mobilité. En effet, auparavant, les décisions rendues reposaient sur le périmètre de mobilité qui devait être suffisamment précis ou sur un abus dans la mise en œuvre de cette clause de mobilité. En l'espèce donc, « l'arrêt retient que l'avenant […] au contrat de travail de l'intéressé contient une clause de mobilité dans l'ensemble des filiales du groupe de sorte que la mutation du salarié dans une autre filiale constituait un simple changement des conditions de travail entrant dans le pouvoir de direction de l'employeur que le salarié ne pouvait refuser sans méconnaître ses engagements contractuels ». Or, l'arrêt est rendu au visa de l'article L. 1221-1 du Code du travail, statuant donc sur le fondement de la bonne foi contractuelle, condamne l'acceptation par avance d'un changement d'employeur. Ainsi, la Cour de cassation soulève un moyen d'office, affirmant sa volonté de mettre un terme à l'utilisation d'une telle clause qui d'ailleurs, selon nous, porte mal son nom, car il s'agit finalement d'une clause de mutation interentreprises et non d'une clause de mobilité au sens mobilité géographique.

276. La position ferme de la Cour de cassation a été confirmée récemment dans l’arrêt Air France du 19 mai 2016419. En l'espèce, la société Air France a mis fin à un marché concédé à la société Aircar. Elle a confié un nouveau marché à la société Aéropass, appartenant au même groupe Transdev. Des salariés ont donc été transférés. Ce qui est intéressant dans ce cas est que les juges analysent à la fois la validité de la mobilité contrainte en application du transfert conventionnel et en application d'une clause de mobilité stipulée dans le contrat de travail. Les juges du fond, qui avaient débouté les salariés de leur demande de dommages-intérêts et d'indemnités de rupture, estimaient que les deux sociétés avaient déclenché le transfert des salariés en application de leur convention collective, et donc avait fait une application conventionnelle de l'article L. 1224-1 du code du travail. Or, les dispositions conventionnelles n'imposaient pas de recueillir l'accord des salariés pour ce transfert. La Cour de cassation, en se fondant sur les dispositions de l'article 1134 du code civil, se montre claire : « Qu'en statuant ainsi alors, d'une part, que la clause de mobilité par laquelle le salarié lié par contrat de travail à une société s'est engagé à accepter toute mutation dans une autre société, alors même que cette société appartiendrait au même groupe est nulle, et d'autre part, que sauf application éventuelle de l'article L1224-1 du code du travail, le changement d'employeur prévu et organisé par voie conventionnelle suppose l'accord exprès du salarié, qui ne peut résulter de la seule poursuite de son contrat de travail sous une autre direction, en sorte qu'en imposant aux

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salariés la modification de leur contrat de travail, la société Aircar a mis fin au contrat qui les liait, la cour d'appel a violé le texte susvisé », confirmant par la même occasion que le changement d'employeur, même prévu par voie conventionnelle, nécessite l'accord exprès du salarié, au moment du transfert.

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