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L E CADRE DE LA MOBILITE INTERENTREPRISES AU SEIN DES ENSEMBLES ECONOMIQUES ET

Paragraphe 1. L’obstacle de la relation d’emploi binaire au sein des ensembles économiques et sociaux

A. La figure de l'employeur au sein des ensembles économiques et sociaux

1) L'obstacle de la personnalité morale

322. Malgré l'unité de décision présente au sein du groupe et du réseau d'entreprises, chaque

entité le constituant est seule dotée de la personnalité juridique, le groupe ne présentant pas les caractéristiques propres à cette personnification (a). Cette perception de l’employeur

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emprisonne alors la relation de travail dans la seule sphère de l'entreprise (b).

a. La personnalité morale reconnue à la seule entreprise

323. Le propre des ensembles économiques et sociaux est de regrouper des entités

autonomes, ayant une personnalité juridique distincte les unes des autres. La personnalité morale a pour corollaire le principe de l'autonomie juridique de l'entité, qui « sont des concepts

fondateurs de l'ordre juridique étatique »457. Comme l'écrit Monsieur Geoffrey Gury, « solidarité et subsidiarité impliquent de bâtir des ponts entre les entreprises du groupe. Mais

les frontières séparant les entreprises du groupe ne sont pas perméables et les ponts risquent fort de se heurter aux murs que constituent les contrats de travail des salariés ». Sans évoquer

immédiatement la dimension contractuelle de la relation de travail, l'auteur souligne l'imperméabilité entre les entreprises membres du groupe induite par la personnalité morale de chacune d'elles.

324. Cela conduit donc à une négation du groupe d'entreprises comme employeur. Comme

le souligne Madame Aurélie Catel Duet, « les juristes sont très embarrassés vis-à-vis de

l’appréhension du groupe en tant que firme unifiée »458. Se poser la question de l’octroi de la personnalité juridique au groupe reviendrait à nier l'autonomie juridique de ses membres. Or, même en présence d'une unité économique et sociale, censée exprimer le déploiement du modèle de l'entreprise elle-même, la jurisprudence souligne la primauté de la personnalité morale sur l'appartenance à cet ensemble économique. Dans cette perspective, « comment

produire une analyse qui reconnaisse cette architecture économique […] tout en respectant la personnalité morale des sociétés ? »459. La question serait finalement de créer un nouveau sujet de droit. Selon Monsieur le Professeur Arnaud Martinon, « une première série viserait à forcer

les concepts : faire du groupe l'employeur des salariés de sorte que le régime de la mobilité intra-groupes devrait épouser celui plus paisible de la mobilité intra-sociétés. Il y a évidemment de lourds obstacles à cette proposition, l'essentiel venant de l'absence de personnalité juridique du groupe »460. L'auteur ajoute : « Reste que la jurisprudence récente donne l'impression qu'une

telle évolution rôde autour des groupes de sociétés : les décisions relatives au co-emploi ou

457 M. Kocher, La notion de groupe d'entreprises en droit du travail, op. cit., p.31 et suiv.

458 A. Catel Duet, Être ou ne pas être : le groupe comme firme unifiée ou comme ensemble de sociétés ? Une

approche sociologique, « Droit et société » 2007/3 n°67.

459 Ibid.

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celles qui grossissent progressivement la portée de la reconnaissance de l'UES pourraient transformer le groupe, demain, en un authentique espace juridique de mobilité ». Nous nous

rallions à la position de l'auteur quant à la perception future du groupe comme un réel espace de mobilité. Cependant, le droit actuel ne nous permet d’envisager une évolution du groupe comme employeur : admettre la personnification du groupe ou encore du réseau reviendrait à nier l'autonomie des sociétés qui seraient assimilées à des établissements. L'intérêt même du regroupement des entreprises en groupe de sociétés ou en réseau serait anéanti. Nous y viendrons peut-être, mais pour l'heure l'idée est de se projeter dans la réalisation d'une politique de mobilité interentreprises au sein d'une organisation prenant en compte cette contrainte juridique. La solution serait peut-être non pas de reconnaître la personnalité morale au groupe d'entreprises, mais de lui imputer des responsabilités, ou plutôt d'imputer ces responsabilités à toutes les entités, par la voie de la norme collective. Mais ce partage de responsabilité devra prendre en compte la flexibilité recherchée dans ces ensembles. A défaut, l'obstacle serait alors la reconnaissance d'une solidarité totale entre entités, ce qui ne correspondrait pas non plus au modèle recherché. Pourquoi ne pas créer un système répondant à ces diverses problématiques au vu de la place de la norme conventionnel dans notre droit actuel ?461 D'ailleurs, même s'agissant d'une unité économique et sociale (UES), dans un arrêt en date du 16 décembre 2008462, la chambre sociale de la Cour de cassation a affirmé que « si la reconnaissance d'une

UES permet l'expression collective de l'intérêt des travailleurs appartenant à cette collectivité, elle ne se substitue pas aux entités juridique qui la composent, de sorte qu'elle n'a pas la personnalité morale [et] que la reconnaissance de l'existence d'un contrat de travail est un droit exclusivement attaché à la personne et que sauf disposition législative expresse, il ne peut être imposé à un salarié sans son accord un changement d'employeur ; qu'il en résulte que si un accord collectif reconnaissant une unité économique et sociale peut étendre ses effets au-delà des institutions représentatives du personnel et créer des obligations des obligations pour les différentes entités juridiques composant l'UES, il ne peut faire d'une unité économique et sociale l'employeurs des salariés ».

b. L’entreprise comme seule vision organisationnelle

325. Madame Elsa Peskine affirme que « le salarié est autant partie au contrat de travail,

461 V. infra.

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que membre d'une entreprise »463. L'entreprise est une figure de référence lorsqu'il est question d'encadrer la relation de travail, que ce soit d'un point de vue individuel ou d'un point de vue collectif. Ce périmètre est en effet le lieu d'exercice des droits collectifs et du droit syndical ainsi que le périmètre d'où découlent les règles quant aux relations de travail individuelles. Madame Elsa Peskine, dans son étude menée sur les réseaux d'entreprises en droit du travail, utilise d'ailleurs l'expression de « paradigme de l'entreprise »464. Dans notre analyse, nous nous attachons à établir une distinction entre la dimension organisationnelle et la dimension contractuelle de la relation d'emploi, le cadre organisationnel venant pallier les insuffisances du cadre contractuel actuel pour régir la relation de travail. Le contrat de travail comme « acte

condition » constitue, outre la relation binaire entre employeur et salarié, l'appartenance de ce

dernier à l'entreprise et non au groupe ou au réseau. Comme l'affirme Madame Marie-Laure Morin, « l'employeur et l'entreprise sont en matière d'emploi les deux faces d'une même

question »465. Il y a alors une analogie et même une confusion entre l'employeur et l'organisation que constitue l'entreprise.

326. Par ailleurs, l'intérêt de l'entreprise justifie bien des décisions ayant un impact sur

l'emploi du salarié, qu'il s'agisse des décisions de rupture du contrat ou encore de la mise en œuvre d'une clause de mobilité. Comme l'affirme Madame Elsa Peskine, « chacun convient

aujourd'hui que l'intérêt de l'entreprise appartient à ces notions-cadre ou à ces standards et offre une référence à l'aune de laquelle le pouvoir de direction de l'employeur peut être contrôlé »466.

327. En outre, l'entreprise est conçue comme le lieu d'où émergent les règles juridiques467. Nous attestons de la « rencontre de deux logiques, contractuelle et organisationnelle » lorsque nous mettons en lien la mobilité avec l'intérêt économique des entreprises. Cependant, cette rencontre ne permet pas, au niveau du groupe, de dépasser les intérêts de la seule entreprise pour faire primer la dimension organisationnelle sur la dimension contractuelle de la relation de travail. Comme le précise Madame Marie-Laure Morin, « notre paradigme de l'entreprise

ignore en partie le groupe qui pourtant détermine les conditions d'exercice du pouvoir. […]

463 E. Peskine, Réseaux d'entreprises et droit du travail, op. cit.

464 Ibid.

465 M.-L. Morin, Les frontières de l'entreprise et la responsabilité de l'emploi, préc.

466 E. Peskine, Réseaux d'entreprises et droit du travail, op. cit.

467 E. Peskine rappelle que « l'entreprise fait figure de référence, de modèle, rendant intelligible l'agencement des

rapports de travail. […] Lieu d'exécution du pouvoir, l'entreprise est aussi un espace d'exercice de droits collectifs », Ibid.

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Une telle approche permet encore plus difficilement d'appréhender les réseaux contractuels d'entreprises dont certains possèdent une unité économique réelle à l'instar des réseaux de distribution exclusive »468. Madame Marguerite Kocher évoque ainsi l'entité juridique comme « un sujet de droit isolé »469. Il y a donc une sorte d'abstraction de la dimension organisationnelle du groupe d'entreprises. L'auteur évoque même « une dichotomie entre les

frontières juridiques et organisationnelles de l'entité membre ». Un fossé existe entre les

frontières de la personnalité morale et sa réalité organisationnelle.

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