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L’émergence de la responsabilité extra-contractuelle au sein du groupe

L E CADRE DE LA MOBILITE INTERENTREPRISES AU SEIN DES ENSEMBLES ECONOMIQUES ET

Paragraphe 2. La nécessaire émancipation d'une relation d'emploi binaire

2) L’émergence de la responsabilité extra-contractuelle au sein du groupe

365. Si le co-emploi n’emporte plus aujourd’hui les faveurs des Hauts magistrats, c’est

aujourd’hui la responsabilité délictuelle ou extracontractuelle qui est mise en lumière par ces derniers afin de rechercher la responsabilité d’un tiers à la relation contractuelle au sein d’un ensemble économique. Comme le précise Monsieur le Professeur Yannick Pagnerre, « la Cour

de cassation confirme que, même en l’absence de coemploi, la mise à mort d’une filiale par la société mère […] engage sa responsabilité délictuelle ou extra-contractuelle sur le fondement des articles 1382 et 1383, devenus les articles 1240 et 1241 du code civil »531. Selon Monsieur le Professeur Alain Couret, cette démarche « apparaît comme une alternative privilégiée, tout au moins comme une solution de repli »532.

528 P. Morvan, Aspects de la mobilité à l'intérieur d'un groupe de sociétés, préc.

529 B. Boubli, Sur la notion de groupe et les droits dans le groupe : libres propos, préc.

530 A. Mazeaud, Le déploiement de la relation de travail dans les groupes de sociétés, préc.

531 Y. Pagnerre, Groupe de sociétés – Une mère indigne, JCP S 2018 n°29, 1252.

532 A. Couret, Mise en œuvre par des salariés de la responsabilité délictuelle au sein d’un groupe, Rev. soc. 2018, p.604.

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366. La Cour de cassation a réellement amorcé ce courant jurisprudentiel et ouvert la voie

de l’action en responsabilité civile de droit commun en 2014 avec l’arrêt Sofarec533. Puis, la recherche de l’imputation de la responsabilité d’une société tierce à la relation contractuelle de travail par le biais de la responsabilité extra-contractuelle a été consacrée par plusieurs arrêts rendus par la Cour de cassation le 24 mai 2018534 et, notamment, l’arrêt Lee Cooper. Ainsi, en cas de procédure collective et, plus largement de licenciements économiques, les salariés peuvent rechercher la responsabilité d’un tiers qui a « par sa faute concouru à la déconfiture

de l’employeur et à la disparition des emplois qui en est résulté »535.

367. Cette nouvelle jurisprudence a le mérite, par la recherche de responsabilité d’une

société tierce appartenant au même groupe que l’employeur, de reconnaître le groupe comme véritable acteur de régulation des relations de travail. En effet, « désormais, des employeurs se

voient reprocher des fautes qu’ils peuvent avoir commises en tant que société d’un groupe »536. Le groupe est ainsi « entendu comme une entité à part entière »537. En outre, il est relevé par un auteur que, par l’intermédiaire de cette responsabilité délictuelle, et notamment de l’arrêt Lee Cooper, est « prise en compte la réalité financière et capitalistique des groupes intégrés

(comprenant des sous-groupes) au sein desquels, par des participations indirectes voire croisées, une société mère contrôle l’ensemble des filiales et sous-filiales »538. Il est à noter également une souplesse quant à la notion de tiers. En effet, comme le soulèvent des auteurs, dès 2014, la formulation de la Cour de cassation « était particulièrement large et permettait de

rechercher non seulement la responsabilité délictuelle de la société-mère, mais également de tout « tiers » ayant concouru aux difficultés rencontrées par l’employeur, comme des sous-traitants, des fournisseurs, des franchiseurs ou encore des concédants »539. D’autres avantages sont alloués par les salariés à cette jurisprudence notamment eu égard à la prescription qui est plus longue que celle applicable en matière prud’homale et à l’inapplicabilité du barème des indemnisations pour licenciement sans cause réelle et sérieuse.

533 Cass. Soc. 02/07/2014, n°13-15.209, Bull. civ. V, n°159 ; A. Fabre, La responsabilité délictuelle pour faute au

secours des salariés victimes d’une société tierce, RDT 2014 p.672 ; G. Loiseau, Le co-emploi est mort, vive la responsabilité délictuelle, JCP S 2014, 1311.

534 Cass. Soc., 24/05/2018, n°17-12.560, Keyria ; Cass. Soc., 24/05/2018, n°16-22.881 à 16-22.908, Lee Cooper ; Cass. Soc., 24/05/2018, n°17-15.630 à 17-15.879.

535 Cass. Soc., 24/05/2018, n°16-22.881 à 16-22.908.

536 A. Fabre, De la faute retrouvée dans la contestation des suppressions d’emplois, RDT 2018, p. .570.

537 Y. Pagnerre, Groupe de sociétés – Une mère indigne, préc.

538Ibid.

539 J. Grangé, F. Aubonnet et F. Terroux-Sfar, Responsabilité civile, alternative au co-emploi : l’étau se resserre !, JCP E 2018, n°31-35, 1434.

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368. Malgré les aspects positifs de cette jurisprudence, la mobilisation de l’action en

responsabilité extra-contractuelle contre une société tierce du groupe n’est pas adaptée non plus aux relations de travail au sein d’un ensemble économique et social. Tout d’abord, l’imputation de la responsabilité de toute entreprise de l’ensemble économique tierce à la relation contractuelle reste actuellement utopique. La responsabilité civile délictuelle tout comme le co-emploi sont façonnés sous le prisme du schéma capitalistique et pyramidal du groupe de sociétés. En effet, « en matière de responsabilité, c’est la tête qui est visée car c’est elle qui

prend les décisions stratégiques de restructuration se soldant souvent par des licenciements pour motif économique »540. Ainsi, « il faut toujours viser la tête »541. La jurisprudence illustre d’ailleurs ce phénomène, ne visant que la responsabilité de la société-mère. Si cette méthodologie juridique investit la sphère des réseaux d’entreprises, la responsabilité extracontractuelle sera envisagée à l’encontre de la seule tête de réseau et rejoindra alors un schéma pyramidal que nous rejetons en matière de mobilité interentreprises. Or, une responsabilisation dépassant le cadre strict de la relation employeur-salarié dans un ensemble économique et social, eu égard au schéma structurel déterminé dans notre étude, doit intégrer cet ensemble en son entier et ne peut reposer sur une telle conception de la responsabilité.

369. Plusieurs questions restent en suspens à commencer par celle relative à la faute de la

société tierce. L’arrêt Sofarec faisait état d’une « faute ou légèreté blâmable [ayant] concouru

à la déconfiture de l’entreprise et, par là, à la perte des emplois ». Dans ses arrêts postérieurs,

la Haute juridiction ne fait plus référence à la légèreté blâmable et se recentre sur la faute au sens strict542. Dans ces arrêts, c’est le « comportement fautif »543 de la société tierce qui est visé. Monsieur le Professeur Alexandre Fabre appelle d’ailleurs cette faute, « la faute destructrice

d’emploi »544. Dans les arrêts susmentionnés, il n’y pas de trace de la faute qualifiée545. Une autre difficulté apparaît concernant l’étendue du préjudice réparable ainsi que le lien de causalité.

370. En outre, la responsabilité délictuelle étudiée n’est mobilisée que dans le seul domaine

des licenciements pour motif économique, souvent en cas de procédure collective, ce qui

540 Y. Pagnerre, Groupe de sociétés – Une mère indigne, préc.

541 Ibid.

542 Ibid.

543 W. Fraisse, La responsabilité de la société mère à l’égard des salariés de la société filiale, D. act. 2018.

544 A. Fabre, De la faute retrouvée dans la contestation des suppressions d’emplois, préc.

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restreint considérablement le champ de cette action pour le salarié. Ainsi, les juges entrent dans des considérations seulement économiques eu égard à « la déconfiture » de l’employeur afin d’estimer le préjudice. L’on sort alors de la sphère du droit du travail pour se rapprocher davantage de celle du droit commercial546. Il n’est donc pas question d’une responsabilité de l’emploi dans un contexte de gestion courante de l’ensemble complexe. En outre, la responsabilité de l’emploi ne fait pas seulement référence à la responsabilité attachée à la perte de l’emploi mais également à la relation d’emploi au cours de son exécution. Ainsi, la responsabilité extracontractuelle ne répond pas à l’objectif de donner un cadre à la relation d’emploi au sein de l’ensemble économique et social en responsabilisant de manière pertinente les membres de l’ensemble économique et social dans le lien d’emploi qu’ils entretiennent avec les salariés de cet ensemble.

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C

HAPITRE

2 : L

A CONSTRUCTION D

UNE RELATION D

EMPLOI ADAPTEE AUX

ENSEMBLES ECONOMIQUES ET SOCIAUX

371. L'émancipation de la conception actuelle de la relation de travail nécessite

d'appréhender « l'espace social compris comme un espace de garantie voire de privilège pour

le salarié »547. A cette fin, il convient d'évoquer la référence à l'emploi du salarié qui semble guider les politiques de mobilité ayant pour objectif la flexisécurité dans la relation de travail (Section 1). La sécurisation de l’emploi au sens large va ainsi servir les raisonnements suivants en termes de responsabilité de l’emploi et de relation d’emploi au sein de l’ensemble économique et social. A ce titre, l’étude d’une adaptation du contrat de travail est opportune afin de caractériser une relation individuelle d’emploi dans l’ensemble économique et social, par un contrat individuel d’emploi.

372. En envisageant la responsabilité collective de l'emploi qui peut être organisée au sein

des ensembles économiques et sociaux (Section 2), c’est alors la relation d’emploi appréhendée sous sa forme contractuelle collective qui sera étudiée.

Section 1 – La primauté de la relation d’emploi au sein des ensembles

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