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La force normative du contrat de travail

L E CADRE DE LA MOBILITE INTERENTREPRISES AU SEIN DES ENSEMBLES ECONOMIQUES ET

Paragraphe 1. L’obstacle de la relation d’emploi binaire au sein des ensembles économiques et sociaux

B. La force normative du contrat de travail

333. L’étude de la mobilité interentreprises au sein des ensembles économiques et sociaux

ne peut faire fi des problématiques contractuelles qu’elle implique475. Elle provoque parfois « des résistances humaines mais aussi juridiques »476.

334. La définition prétorienne du contrat de travail découle d'un arrêt rendu par la Cour de

cassation, en date du 22 juillet 1954, énonçant que « le contrat de travail est une convention

par laquelle une personne s'engage à travailler pour le compte d'une autre et sous sa subordination moyennant une rémunération ».

335. La place du contrat de travail dans les relations salariales doit être mise en exergue.

Un auteur précise que « pour analyser une situation contractuelle, il faut distinguer les parties

des tiers, qualifier les liens les unissant [...] »477. Ainsi, « le contrat de travail est l'acte premier

liant un employeur à un salarié […] C'est l'existence d'un contrat de travail qui permet l'application de la réglementation du travail aux relations contractuelles et confère à chacune

474 Ibid.

475F. Favennec, Les variables de la mobilité : organiser, JCP S 2014, n°11, 1104, « Ici et là l'exigence de mobilité

opère une torsion du contrat de travail »

476 I. Daugareilh, Le contrat de travail à l'épreuve des mobilités, Dr. soc. 1996, p. 128.

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des parties la qualité d'employeur et de salarié »478. Il permet l'application des règles du droit du travail à visée protectrice. Il permet la reconnaissance d’un statut collectif pour le salarié. Le contrat de travail est figure de proue479 en droit du travail. Il est l’acte qui permet la matérialisation du lien d’emploi et la mise en cause de la responsabilité de l’employeur480. Bien qu’il soit symbole de rigidité dans la gestion des relations de travail, toute réflexion sur la dimension organisationnelle d'une structure ne peut faire fi de l'acte particulier que constitue le contrat de travail. Le contrat de travail reste un acte-condition481 pour l’intégration du salarié à une organisation de travail avec les conséquences juridiques qui en découlent.

336. Toutefois, comme le rappelle Monsieur le Professeur Alexandre Fabre, « contrat spécial, mais contrat quand même. Le contrat de travail partage l’ADN de tous les contrats : c’est un acte créateur de normes contraignantes »482. Le contrat de travail et sa force normative présentent un obstacle à une gestion effective des mobilités interentreprises. Un auteur affirme que « le contrat de travail souffrirait d’un mal comparable à cette terrible maladie dite « de

l’homme de pierre » où chaque muscle se durcit inéluctablement jusqu’à empêcher toute mobilité »483. Le contrat de travail est appréhendé comme un acte prévision484. Il est doté d’une force normative autonome485.

337. Madame Isabelle Daugareilh a souligné « [qu'il] existe, il est vrai, presque une antinomie entre la mobilité comme fait, le droit et le contrat. […] Le changement se marierait difficilement avec la force obligatoire des contrats. Néanmoins, le contrat de travail, à exécution successive et à durée indéterminée fait sienne les mobilités du salarié »486. La gestion de la mobilité se heurte à la rigidité contractuelle de la relation de travail. L’application au contrat de contrat du principe de l’intangibilité des conventions487 fait de celui-ci une figure de

478 Lamy Social, Lamy, 2019.

479 C. Radé, La figure du contrat dans le rapport de travail, Dr. soc. 2001 p.802.

480 Le contrat de travail « est source d’obligations juridiques », I. Dugareilh.

481 A. Fabre, La supériorité du contrat de travail en question, L’accord collectif de travail après la loi El Khomri,

L’accord collectif et le contrat de travail, Coll. – 3 mars 2017, Institut du travail de Bordeaux, Dr. ouvr. 2017,

n°827, p.372.

482 Ibid.

483 C. Radé, La figure du contrat dans le rapport de travail, préc.

484 Ibid.

485 A. Fabre, La supériorité du contrat de travail en question, L’accord collectif de travail après la loi El Khomri, L’accord collectif et le contrat de travail, préc.

486 I. Daugareilh, Le contrat de travail à l'épreuve des mobilités, préc. spéc. p.128.

487 C. Radé souligne que « la jurisprudence exploite aujourd’hui pleinement les ressources conservatrices du

contrat en flattant le principe de l’intangibilité des conventions », La figure du contrat dans le rapport de travail,

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résistance488. Le contrat de travail, pourtant « perçu comme l’instrument idéal de régulation des rapports sociaux »489 est un frein à la mobilité interentreprises. Il est le reflet d’un déséquilibre initial entre le salarié et l’employeur que la jurisprudence a tenté de rééquilibrer. Monsieur le Professeur Christophe Radé affirme l’existence d’un double langage en droit du travail « marqué par l’hostilité des clauses et techniques défavorables aux intérêts des salariés et par

une faveur notamment à l’égard du principe d’intangibilité dès lors qu’il permet de résister au pouvoir de l’employeur »490. Le contrat de travail perd de son autonomie contractuelle, le principe de la force obligatoire des contrats étant supplanté par le souci de protection, parfois inadapté, du juge. Ainsi, l’assimilation du contrat de travail à un acte-prévision a incité les employeurs à inclure dans les contrats de travail des clauses de variation. Cette pratique est sanctionnée en matière de mobilité interentreprises.

338. L’on peut voir dans le contrat de travail, tel qu’il est aujourd’hui appréhendé par la

jurisprudence, une ambiguïté quant à son rôle dans la régulation des relations de travail. L’obligation d’adaptation qui repose sur l’employeur découle de la relation contractuelle de travail qu’il entretient avec le salarié et dont le support juridique est le contrat de travail. D'un côté, le contrat de travail est réticent aux changements, mais d'un autre côté la mobilité peut être vue comme « une obligation implicite si elle se fonde sur l'objet du contrat ou sur le lien

de subordination »491.

339. En outre, il existe un paradoxe entre déséquilibre du contrat par la mobilité et l'objectif

de stabilisation du contrat de travail qui serait atteint par la mise en œuvre de cette mobilité. Il est en effet cohérent d’avancer que « la mobilité professionnelle est inhérente à l’objet même

du contrat de travail »492. Ainsi, « par un tel paradoxe les mobilités mettent à l'épreuve le

contrat de travail »493. L’on voit alors que la position actuelle du contrat de travail est incertaine et inconfortable494.

488 Ibid.

489 S. Le Gac-Pech, La figure contractuelle en droit du travail, D. 2005, p. 2250.

490 C. Radé, La figure du contrat dans le rapport de travail, préc.

491 Ibid.

492 I. Daugareilh, Le contrat de travail à l'épreuve des mobilités, préc.

493Ibid.

494C. Radé affirme en ce sens : « il n’existe pas de conception unique et clairement définie sur laquelle on puisse

compter ». Il ajoute que « la délimitation des éléments du contrat de travail ne s’effectue pas abstraitement mais d’une manière très opportuniste », La figure du contrat dans le rapport de travail, préc.

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340. Les réformes récentes qui érigent « la négociation collective en technique privilégiée d’élaboration de la norme »495 Les débats relatifs à la résistance du contractuel au conventionnel496 sont ainsi ravivés.

341. En vertu de l'article L. 2254-1 du code du travail, les stipulations de l'accord collectif

s'appliquent au contrat de travail sauf stipulations plus favorables de ce dernier. Le principe de faveur s'applique entre stipulations qui ont le même objet et la même cause497. Cette disposition marque l’autonomie juridique du contrat ainsi que l’affirmation de sa force normative. Ainsi, le juge s’attache à « préserver l’intangibilité contractuelle face à l’impérialisme de l’accord

collectif »498 . Monsieur le Professeur Alexandre Fabre appelle cela la « supériorité-résistance

du contrat de travail »499. Ainsi, « il existe, il est vrai, presque une antinomie entre la mobilité

comme fait, le droit et le contrat »500 ayant pour conséquence que « le changement se marierait

difficilement avec la force obligatoire du contrat ».

342. Mais, sans nier ce principe, il est parfois accordé à l’accord collectif d’y déroger.

Comme l'affirme Madame Anaëlle Donnette-Boissière, « l'accord donnant-donnant est peu

conciliable avec la règle du droit positif selon laquelle les clauses de l'accord collectif ne s'appliquent pas en présence de clauses plus favorables contenues dans un contrat individuel »501. La négociation dite de gestion permet une « primauté »502 de l’accord collectif sur le contrat de travail en ce qu’il peut déroger au principe de faveur. L’accord de performance collective est le fruit de cette tendance législative. Mais la force normative du contrat de travail n’est pourtant pas évincée. Il devient simplement « perméable […] à des modifications

d’origine conventionnelle »503. Le contrat de travail vient s’adapter aux dispositions conventionnelles dans un souci organisationnel, la négociation collective étant à son origine

495P. Lokiec, Accord collectif et contrat de travail, Dr. Soc. 2017, p.1024.

496G. Loiseau, La résistance du contractuel au conventionnel, RDT 2018, n°1, p.103.

497 Cass. Soc. 13 juin 2012, n°10-27.395.

498 G. Auzero, F. Canut, Le juge et la modification du contrat de travail, Dr. soc. 2017, 111. Selon ces auteurs, « la résistance du contrat de travail tend à s’effriter devant la volonté du législateur d’assurer la primauté de la

norme conventionnelle sur la norme contractuelle ».

499A. Fabre, La supériorité du contrat de travail en question, L’accord collectif de travail après la loi El Khomri,

L’accord collectif et le contrat de travail, préc. p.372.

500 I. Daugareilh, Le contrat de travail à l'épreuve des mobilités, préc.

501 A. Donnette, La contractualisation en droit du travail, Thèse Montpellier I, 2010.

502Les accords de gestion ne permettent pas une supériorité du contrat de travail sur l’accord collectif, ces deux normes contractuelles sont des actes juridiques autonomes.

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appréhendée comme un palliatif aux lacunes du contrat individuel de travail.

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