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Une mobilité « semi-interne » exclue

L E CADRE DE LA MOBILITE INTERENTREPRISES AU SEIN DES ENSEMBLES ECONOMIQUES ET

Paragraphe 2. Des dispositifs de mobilité légaux inadéquats

A. Une mobilité « semi-interne » exclue

305. Beaucoup attendaient de la loi de sécurisation de l'emploi du 14 juin 2013445 une réponse à l'absence de dispositifs légaux en termes de mobilité interentreprises446. Si le législateur a encouragé la flexibilité en termes de gestion pour le périmètre de l’entreprise dans les réformes qui ont suivi, le constat reste le même : « le régime de la mobilité [interentreprises] reste à inventer »447. Les partenaires sociaux, à travers l'accord national interprofessionnel (ANI) du 11 janvier 2013 « pour un nouveau modèle économique et social au service de la compétitivité des entreprises et des parcours professionnels », avaient constaté la nécessité d'une mise en place de dispositifs en termes de mobilité des salariés. Mais finalement, même cet accord cantonne la mobilité au sein des ensembles économiques et sociaux à une mobilité

444Terme emprunté à Madame Sophie Selusi-Subirats.

445 Loi n° 2013-504 du 14 juin 2013, relative à la sécurisation de l'emploi.

446 A. Martinon : « Attendons de voir si certains vœux ainsi exprimés deviendront bientôt réalité par l'effet de la

volonté des partenaires sociaux (ANI 11 janvier 2013) et celui de la loi », L'organisation de la mobilité dans les groupes, préc.

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purement externe, réduisant à néant tout intérêt pour la gestion de la mobilité interentreprises au sein d’organisations complexes. Dans son article 15, l'ANI exclut d'emblée cette vision de la mobilité « interne » aux groupes et réseaux d'entreprises dans la définition de la notion. En effet, il est stipulé que « la mobilité interne s'entend de la mise en œuvre des mesures collectives d'organisation courantes dans l'entreprise, ne comportant pas de réduction d'effectifs et se traduisant notamment par des changements de poste ou de lieux de travail au sein de la même entreprise ». Le point 2 de l'étude d'impact reprenait également cette décision : « La mobilité interne se caractérise par un changement de poste et/ou de lieu de travail au sein de la même entreprise »448. Cette stipulation laissait déjà présager une vision binaire de la mobilité des salariés, concevant, d'une part, une simple mobilité interne à l'entreprise (1) et, d'autre part, une mobilité externe ne prenant pas en compte l'intégration dans une organisation plus large que l'entreprise (2). Les outils de mobilité interne ou externe, bien qu'ils puissent devenir intéressants s'ils sont adaptés, ne répondent donc pas, en l'état actuel, aux besoins d'une mobilité semi-interne.

1) Une mobilité interne à l'entreprise

306. Dans son article consacré aux « conditions négociées de la mobilité interne des salariés »449, l'étude d'impact de la loi de sécurisation de l'emploi du 14 juin 2013 énonçait pourtant que « la mobilité professionnelle est un enjeu particulièrement important » et faisait référence à cette mobilité de manière globale : « 29% des personnes en emploi en 1998 en 2003 ont changé de métier au moins une fois », « 8% ont changé de métier en restant dans le même domaine professionnel. Le changement de métier s'accompagne souvent d'autres types de mobilité […]. Les changements fréquents d'employeurs vont souvent de pair avec une évolution des métiers exercés ».Cette étude décrit ensuite un dispositif négocié d'organisation collective de la mobilité purement interne à l'entreprise, l'ancien accord de mobilité interne, faisant référence au secteur géographique et aux garanties en cas de mobilité professionnelle mais non aux modalités de changement d'employeur. Les ordonnances Macron, consacrant l’accord de performance collective, n’ont pas saisi l’opportunité d’une innovation en ce sens. Pourtant, bien des accords de groupe, prévoyant des mobilités interentreprises, évoquent ces dispositifs sous le vocable de « mobilité interne », sous-entendue interne au groupe.

448 Etude d'impact du projet de loi relatif à la sécurisation de l'emploi.

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307. Ainsi, l’accord de performance collective, successeur de l'accord de mobilité interne est perçu comme un réel outil de flexisécurité permettant à l'entreprise d'imposer une mobilité contrainte par le jeu innovant de la substitution des clauses contraires du contrat de travail. Cependant, son application au niveau du groupe n'a pas été envisagée. En effet, seule la négociation de cet accord peut être mise en œuvre au niveau du groupe. Or, il y a une confusion de la doctrine entre les accords relatifs à la mobilité au niveau de l’entreprise et au niveau du groupe. Beaucoup d’auteurs ont admis, à l’époque de l’accord de mobilité interne, ce procédé comme une solution à la mobilité intragroupe. Mais seule une mobilité contrainte intra-entreprise était législativement prévue. Un auteur semble présenter les anciens accords de mobilité interne nés de la loi de sécurisation de l'emploi comme une solution apportée à la mobilité interentreprises450. A aucun moment l'auteur ne fait référence à l’obstacle du seul déploiement possible de la mobilité au niveau de l'entreprise. Il souligne simplement la spécificité de la négociation « à froid » de dispositifs de mobilité et non d'une négociation liée à une dimension conjoncturelle. Il semble ainsi assimiler de manière parfaite la mobilité interne à l'entreprise à celle interne au groupe. Il est d’ailleurs soutenu que « la mobilité interne négociée au niveau du groupe permet de dépasser la seule logique contractuelle et s'inscrit dans la politique générale du groupe »451. En elle-même cette affirmation n'est pas inexacte, mais tout dépend de l'interprétation que l'on en fait. En effet, il est difficile de savoir si l'auteur fait référence à la prédominance de la dimension organisationnelle dans les accords de groupe ou s'il envisage une possible suspension (version accord de mobilité interne) des clauses contractuelles en présence d'un accord de groupe. La seconde thèse est davantage perceptible lorsque l'auteur ajoute : « la transposition de cette logique dans le groupe impose de prendre en considération son intérêt comme transcendant celui des salariés ». De même, un autre auteur452 évoque l’accord de mobilité interne de la loi de 2013 comme organisant une « mobilité interne au groupe ». Il relève uniquement que « cet accord contribue à affirmer la supériorité de l’accord collectif sur le contrat individuel de travail ». Tout en renvoyant à la jurisprudence sur la nullité de la clause de mobilité intra-groupe, il affirme même que « la zone de mobilité peut s’étendre à tout ou partie du groupe, voire en excéder les frontières » et ajoute que « les stipulations de l’accord collectif excluent les dispositions contraires du contrat de travail ». Nous ne partageons pas l’analyse de ces auteurs. En effet, la négociation peut être mise en œuvre au niveau du groupe mais la mobilité reste interne à l’entreprise avec ce type d’accord.

450G. Gury, L'accord collectif de groupe, op. cit.

451 Ibid.

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L’accord de mobilité de groupe tel qu’il est pensé à l’origine par le législateur ne sert ainsi qu’à cadrer les pratiques de chaque entreprise mais ne résout pas la question de la difficulté contractuelle de la mobilité interentreprises. Tout l’enjeu et les limites de ce type de dispositif sont dans cette distinction qui doit être opérée entre les deux niveaux d’organisations. En conclusion, l’accord de performance collective, tel qu’il est présenté par le législateur, n'est qu'une confirmation du paradigme de l'entreprise et de la négation de la dimension organisationnelle des relations interentreprises.

2) Une mobilité externe à l'entreprise

308. Dans son article 7, l'ANI de 2013 évoquait la « création d'une période de mobilité volontaire sécurisée », mais ne fait référence qu'à la « sécurisation » du parcours professionnel du salarié et de son emploi. Mais à aucun moment cet accord n'envisageait l'objectif de flexisécurité de la mobilité, omettant ainsi l'intérêt de l'employeur.

309. L'étude d'impact de la loi, en date du 5 mars 2013, met en exergue la nécessité de légiférer en termes de mobilité volontaire sécurisée dans son article 4.1. : aucun cadre juridique n'organise la possibilité pour un salarié qui le souhaite de travailler dans une autre entreprise tout en ayant un droit au retour dans son entreprise d'origine. Dans cet article, n'est évoqué que l'intérêt du salarié face à une mobilité interentreprises, qu'elle se déroule dans un ensemble organisé ou non.

310. Pourtant, cette étude fait référence à la mobilité de manière générale en évoquant les dispositifs mis en place par les groupes : « d'ores et déjà, des accords de gestion prévisionnelle des emplois et des compétences (GPEC), prévoient des dispositifs de mobilité qui se font à l'extérieur de l'entreprise. Ils organisent un processus de transfert du salarié d'une entreprise à l'autre en décrivant parfois précisément les étapes de la mobilité ». L'étude fait également référence aux dispositifs de mobilité interentreprises existants (détachement etc.). Elle semble ramener à la mobilité telle que nous l'étudions et laisse envisager des dispositifs répondant à ces objectifs de mobilité interentreprises par changement d'employeur ou par mise à disposition (cette dernière étant régie par des dispositions de droit commun et non spécifiques aux ensembles économiques et sociaux).

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dispositif de mobilité volontaire sécurisée renvoie, aussi bien pour l'entreprise que pour le salarié à des pratiques qui existent déjà au sein de certaines entreprises, comme permettre leur développement dans une logique de sécurisation des mobilités ». Concernant l'impact attendu (point 4.3. de l'étude), il est précisé que « ce dispositif permettra de répondre à une demande des entreprises qui souhaitent sécuriser des dispositifs déjà existants ». Or, le dispositif tel qu'envisagé ne répond en rien à ces attentes.

312. Il est présenté davantage comme un outil pour le salarié lui procurant la possibilité d'aller dans une autre entreprise, de son choix, sans craindre la perte de son emploi précédent. Il est donc envisagé comme une manière sécurisée pour le salarié de « tester » un emploi dans une autre entreprise, à son initiative et dans son intérêt. Ce dispositif ne présente pas de spécificité, il ne fait pas référence à une organisation interentreprises intégrée. Ainsi, il ne participe pas réellement à la construction du statut du salarié au sein de l'ensemble économique et social.

313. Le dispositif ne présente pas vraiment de souplesse pour l’entreprise. Le pouvoir de direction de l'employeur et la prise en compte de l'intérêt de l'entreprise semblent alors remis en cause. Ce dispositif est perçu comme une démarche uniquement personnelle de la part du salarié, imposant en outre à l'employeur le droit au retour de celui-ci. De plus, les articles L. 1222-12 à L. 1222-16 du code du travail qui régissent la mobilité externe sécurisée présentent des restrictions puisque ce dispositif n'est applicable que dans les entreprises ou groupes d'entreprises d'au moins 300 salariés, le salarié devant avoir une ancienneté minimale de deux ans.

314. En l’état, la mobilité externe sécurisée telle qu’elle a été consacrée par le législateur ne semble pas répondre aux objectifs initialement présentés. Cela n'occulte pourtant pas les possibilités que pourraient révéler ce dispositif s'il était adapté aux besoins des groupes et des réseaux.

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