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La communauté de travail dans l'entreprise

L E CADRE DE LA MOBILITE INTERENTREPRISES AU SEIN DES ENSEMBLES ECONOMIQUES ET

Paragraphe 1. La pluralité des liens sociaux au sein des ensembles économiques et sociaux

A. La communauté de travail dans l'entreprise

178. La communauté297 de travail au sein de l'entreprise est le vecteur du lien existant entre les salariés au sein des groupes. Pour autant, il faut la distinguer de celle animant les groupes d'entreprises. Initialement, en droit du travail, c'est l'appartenance à une entreprise qui justifie une communauté d'intérêts entre les salariés. La communauté de travail au sein de l'entreprise est caractérisée par ce que la doctrine appelle le lien d'entreprise (1), qui est également transposable à l'unité économique et sociale (2).

296 Ibid.

297 La Communauté de travail, selon P.-Y. Verkindt, se distingue de la collectivité de travail, en ce qu'elle induit notamment une dimension affective et plus restreinte de la relation de travail ; La collectivité de travail ou « la

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1) Le lien d'entreprise298

179. Un auteur affirme que les liens sociaux existant entre les salariés et donc la

communauté de travail qu'ils forment est « l'expression d'une référence particulière à

l'entreprise »299. Le terme de communauté, initialement utilisé pour l'entreprise, a une dimension à la fois philosophique et sociologique. Il s'agit de prendre en considération non seulement une pérennité de la relation de travail mais également un projet commun. Comme le souligne habilement Madame Elsa Peskine, « l'entreprise fait figure de référence, de modèle,

rendant intelligible l'agencement des rapports de travail »300.

180. Ainsi, il ne faut pas négliger la communauté de travail de l'entreprise. Dans les réseaux

d'entreprises ou les groupes de sociétés ayant plusieurs activités différentes, parfois plusieurs modes de productions différents, une histoire différente aussi, les liens des salariés au sein de chacune de ces entreprises va se distinguer du lien de groupe qui s'y superpose mais ne s'y substitue jamais. L'entreprise a un rôle à jouer dans la mobilité des salariés au sein d'ensembles économiques plus larges. Avant d'être « citoyen » du groupe, le salarié est d'abord « citoyen » de l'entreprise. Comme le précise Monsieur Geoffrey Gury : « salarié de l'entreprise – salarié

du groupe ». Prenons un exemple qui juridiquement ne s'apparente pas à notre situation mais

qui illustre notre idée. Nous pourrions dire finalement que le salarié est citoyen de l'entreprise et du groupe comme nous sommes citoyens français et européens. C'est par l'entrée au sein de l'entreprise que le salarié devient « salarié » 301 au sein du groupe ou du réseau tout comme c’est par l’acquisition de la nationalité française que nous acquérons la citoyenneté européenne.

181. Ce qui réunit les salariés est la norme de l'entreprise. Les salariés sont liés au même

employeur. Dans cette particularité se trouve la caractéristique du lien d'entreprise. En effet, il est bien admis que le lien d'un salarié à une organisation permet de dépasser le seul lien contractuel, considéré comme trop restreint, impuissant face à un objectif d'encadrement de la relation de travail. Mais c'est par le pouvoir patronal que le cadre normatif de l'entreprise naît. Les salariés se rassemblent parce qu'ils ont ce lien d'identification en commun : être soumis à la même règle patronale. C'est ce lien qui justifie d'ailleurs le principe d'égalité entre les salariés

298 Terme emprunté à A. Brun, Le lien d'entreprise, JCP 1962.

299 E. Peskine, Réseaux d'entreprises et droit du travail, préf. A. Lyon-Caen, LGDJ, coll. Bibl. de droit social, 2008.

300 Ibid.

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d'une même entreprise. C'est d'ailleurs par cette relation entre un employeur et une collectivité de travail que se justifie la recherche d'une position dominante dans un groupe d'entreprises, dans une organisation dépassant le cadre de l'entreprise. Outre ce pouvoir, l'activité de l'entreprise est également importante. Les salariés se voient confrontés aux mêmes contraintes productives. De tous ces aspects ressort le fait que l'entreprise est un « lieu de rapports

collectifs ». L'intérêt commun des salariés justifie la mise en place, notamment, d'institutions

représentatives du personnel en son sein. Le comité d'entreprise, les délégués du personnel, les délégués syndicaux302, la mise en place d'un CSE, sont autant de manifestation de cet intérêt commun entre les salariés d'une même entreprise. L'établissement est également un lieu d'émergence de l'intérêt commun, relatif à la proximité de travail, à l'activité au sein de chaque établissement etc. Mais la notion d'établissement est fonctionnelle pour l'instauration des institutions représentatives du personnel. Comme le souligne Madame le Professeur Françoise Favennec, « dans le premier cas, les juges se contentent d'éléments ne permettant pas

d'identifier l'existence d'une véritable "entreprise" et se satisfont de la présence d'un simple "élément d'activité commun" permettant de regrouper un nombre de salariés soumis à un régime particulier. Dans le second cas, à l'inverse, la jurisprudence notamment administrative, recherche l'existence d'un employeur commun prenant des décisions en matière d'embauche et de licenciement »303.

2) L'unité économique et sociale (UES)

182. L'UES, étant une projection de l'entreprise (a), doit être différenciée de l'ensemble

économique et social tel que nous l'envisageons (b).

a. La reconnaissance de l'UES : une projection de l'entreprise

183. Un auteur souligne que « lorsque précisément les relations interentreprises viennent perturber le modèle forgé par le droit, l'instauration d'une représentation collective suppose la reconnaissance d'une unité économique et sociale, laquelle est une reformulation du paradigme de l'entreprise »304. La conception même de l'entreprise s'est étendue dans le cadre des relations entre entreprises afin de redéployer cette institution à un niveau plus large, faisant abstraction

302 Les lois Auroux de 1982 et la loi du 13 novembre 1982 confortent ces espaces de représentation.

303 F. Favénnec, Collectivité du personnel : quelles représentations ?, Dr. soc. 2006, 989.

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de l'autonomie sociétaire de chaque entité constituant l'UES. Bien qu'elle rassemble un groupe d'entreprises distinctes305, l'UES, au sens du droit social, est une entreprise306. C'est la caractérisation de l'unité sociale de l'UES qui induit la reconnaissance d'une véritable communauté de travail307, hormis la reconnaissance d'une gestion unifiée du personnel308 ou d'une gestion commune309. L'unité sociale est caractérisée par une communauté de travailleurs résultant de leur statut social et de conditions de travail similaires pouvant se traduire en pratique par une certaine permutabilité du personnel à l'intérieur de l'ensemble des sociétés310.

184. C'est par l'analyse d'un faisceau d'indices uniquement que l'unité sociale est reconnue. Sont pris en compte la permutabilité du personnel, l'existence d'intérêts ou d'avantages communs, le même statut conventionnel ou l'existence de conditions de travail semblables. Pour caractériser l'existence d'une unité sociale, peut être « constatée une analogie de statuts des personnels et de leurs conditions de travail »311. Par ailleurs, la « gestion unique et centralisée du personnel » peut être un indice d'unité sociale ainsi qu'une « soumission hiérarchique au même directeur général ». La permutabilité du personnel est également prise en compte pour reconnaître l'unité sociale de l'UES. Se pose notamment la question des mutations. Ce qui concerne directement notre étude. Il s'agit notamment de l'utilisation automatique de salariés par différentes sociétés.

b. La nécessaire différenciation entre l'ensemble économique et social et l'UES

185. Comme le souligne de manière pertinente Monsieur Damien Chatard, « la communauté de travail, caractéristique de l'UES, serait un idéal inatteignable pour le groupe, trop vaste et ne pouvant rassembler qu'une multitude de collectivités de travail tant les intérêts des salariés peuvent être multiples. […] Il apparaît néanmoins que le degré d'intégration des personnels au sein du groupe croît au fur et à mesure de l'uniformisation des statuts collectifs dont bénéficient les salariés des différentes filiales »312. Dans un ensemble économique et

305 Nous devons établir la distinction avec ce type de groupe d'entreprises, niant les frontières du droit des sociétés, et le groupe tel que nous l'étudions (groupe de sociétés et réseau d'entreprises).

306 Lamy Social, Lamy, 2019.

307 Cass. Soc. 2 juin 2004, n°03-60.135

308 Cass. Soc. 8 novembre 2006, n°06-60.010

309 Cass. Soc., 25 octobre 2006, n°05-60.390

310 Lamy droit des comités d'entreprise, Lamy, 2017 ; Cass. Soc., 18 juillet 2000, n°99-60.353.

311 Lamy droit des comités d'entreprise, Lamy, 2017.

312 D Chatard, Réflexions sur le jeu croisé des pouvoirs et des responsabilités dans les groupes de sociétés, préf. B. Teyssié, LexisNexis, coll. Planète social, 2013.

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social, il ne s'agit pas d'envisager l'ensemble économique comme une unité économique au sens de l'UES. Finalement, selon les conceptions actuelles des organisations multi-entreprises, soit l'ensemble économique adopte les traits d'une entreprise unique et cela devient alors une UES, soit il garde les traits d'une pluralité d'entreprise et c'est un groupe313. Aussi, la reconnaissance d'un groupe comme UES nécessite une gestion anormale. Nous saisissons donc bien la différence de concept. Certes, mais les choses ne sont pas si simples lorsque nous envisageons le groupe de sociétés ou le réseau comme une organisation accueillant des processus de mobilité des salariés. En effet, l'UES et le groupe d'entreprises sont « frères et sœurs de la complexité »314. Cela nous ramène à la même réflexion que pour l'unité de direction.

186. Les réticences à la reconnaissance d'une UES sont multiples. Madame Elsa Peskine évoque la « vision anthropomorphique de l'organisation » que propage l'UES. Outre le fait que l'UES entraîne une négation des frontières de l'entreprise, et qu'elle oblige la mise en place d’institutions représentatives du personnel, son champ d'application s'est encore élargi. Pour exemples, premièrement, la loi dite de modernisation sociale du 17 janvier 2002 dispose : « la validité du plan de sauvegarde de l'emploi est appréciée au regard des moyens dont dispose l'entreprise ou, le cas échéant, l'UES ou le groupe ». D'autre part, l'UES compose le périmètre de réintégration d'un représentant du personnel illégalement licencié 315. Cette liste d'exemples n'est pas exhaustive, d'autres effets pourraient encore illustrer ce propos.

187. Aussi, tout au long de notre étude, nous n'irons donc pas jusqu'à l'analyse d'une gestion commune du personnel mais davantage vers une gestion des compétences mutualisée. En outre, le réseau d'entreprises ou le groupe abritent des sociétés ayant des activités différentes. C'est justement le but d'une déconcentration ou d'une concentration d'activités. Chaque société est en général spécialisée dans une production ou une activité précise. Selon un arrêt de la chambre sociale de la Cour de cassation du 26 mai 1998316, des activités différentes peuvent être un obstacle à la reconnaissance d'une UES. Mais songeons, par exemple, aux réseaux de franchise. Dans ces ensembles économiques, ce qui est perceptible est justement l'identité d'activité, de process, d'exigences, qui sont similaires d'une entité à une autre et instaurés par un franchiseur. Ce cas précis illustre l'importance de ne pas organiser une gestion du personnel totalement

313 G. Couturier, Droit du travail 2, les relations collectives de travail, 1993.

314 P.Y. Verkindt, La représentation du personnel dans les groupes de sociétés, Dr. soc. 2010, p. 771.

315 Cass. Soc. 16 janvier 2001, n°99-44.037.

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mutualisée mais au contraire que chaque entité garde sa propre gestion en cohérence avec les exigences organisationnelles du réseau. De plus, la complémentarité des activités comme nous l'avons décrite est un critère de reconnaissance de l'UES.

188. D'autre part, Monsieur Geoffrey Gury affirme qu’afin que l'unité sociale soit caractérisée, il faut que soit constatée une homogénéité dans les conditions de travail des salariés « issue d'une gestion commune du personnel, d'une similitude des conditions d'emploi résultant d'un statut collectif commun ou de la permutabilité de salariés que la mobilité intra-groupe ne suffit pas à déterminer ». Or, une telle conception de l'unité sociale doit normalement être absente au sein d'un groupe ou du réseau.

189. En outre, la reconnaissance sociale des réseaux d'entreprises, à part entière, exclurait cette qualification d'UES, comme c'est le cas pour le groupe de sociétés. Cette reconnaissance est nécessaire notamment dans le cas où des entreprises appartenant à un groupe de sociétés seraient, en fait, liées contractuellement à des entreprises extérieures à ce groupe. En reconnaissant le réseau comme une réelle organisation au sens du droit du travail, la mobilité des salariés serait exercée de manière intégrée sans pour autant que le réseau puisse être qualifié d'UES.

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