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1 re Partie : La pluralité des modèles économiques occultée par la réglementation

Section 2. L’institutionnalisation de la filière autour du corporatisme d’Etat

C. Après Vichy, le néo-corporatisme d’Etat

343. Le terme corporatisme d’Etat porte l’empreinte de la guerre, mais le concept

répond toujours à des pratiques de gestion actuelle. Même si après la guerre, le mot « corporatisme » est mal connoté, il est marqué par la recherche d’une « articulation entre les groupes de pression, les associations professionnelles, ou syndicales de tous ordres, et le pouvoir politique »656, qui sera perpétuée dans une doctrine appelée néo-corporatisme.

344. Selon SCHMITTER, au 20e siècle, les pays industrialisés sont entrés dans une phase historique nouvelle. Il s’agit d’un capitalisme organisé autour du « poids accru pris par les groupes d’intérêt dans la vie politique et la gestion même des affaires publiques ». Cette articulation s’explique parce que les instances traditionnelles du système parlementaire ne sont plus en mesure d’assurer à elles seules la régulation politique de la société657.

655C. BONNEUIL et F. THOMAS relatent qu’en « 1927, moins d’une semence de blé ensemencée sur 225 est achetée à un sélectionneur ou un revendeur agréé par celui-ci, alors qu’un tiers des surfaces de blé sont ensemencées d’une variété issue des maisons de sélection (Tourneur, 1927, 115 ; Schribaux, 1928, 1466). Il apparaît donc que même les agriculteurs cultivant des variétés issues d’entreprises de sélection ne s’approvisionnent chaque année auprès d’elles (ou de multiplicateurs agréés) que dans un cas sur 70. Les autres l’ont multipliée à la ferme, achetée à un voisin ou à un négociant peu scrupuleux. Les obtenteurs ne captent donc qu’une part infime de la plus-value qu’ils pourraient espérer » in C. BONNEUIL et F. THOMAS, Du maïs

hybride aux OGM : une histoire de la génétique végétale à l’INRA, INRA, à paraître.

656S. L. KAPLAN et P. MINARD, "Le corporatisme, idées et pratique : les enjeux d’un débat incessant", in La

France, malade du corporatisme? XVIIIe-XXe siècles, S. L. KAPLAN et P. MINARD, Belin, 2004, p. 10.

Pour François OST, c’est le début d’un « modèle de justice normative- technocratique ». Pour lui, ce modèle est caractérisé à la fois par l’Etat-providence et « une forme de segmentation ou corporatisation croissante »658.

345. L’agriculture n’échappe pas à la règle. La période de l’après-guerre est marquée

par le besoin criant de modernisation de l’agriculture française659. Mais cette modernisation est celle des grands agriculteurs qui emploient moins de main-d’œuvre et recourent à une plus grande mécanisation et plus d’intrants, ainsi qu’à des variétés commerciales. C’est le modèle de circuit long professionnel, certes nécessaire, mais qui condamne une agriculture de proximité660.

346. Les résultats sont tangibles si on ne tient pas compte de leurs conséquences661. Les semences offrent cette productivité tant attendue grâce à deux choses : selon P.-B JOLY et C. DUCOS, « le progrès génétique explique environ 50% de la progression des rendements »662 ; l’autre moitié de la progression des rendements résulte des « traits de caractère qui ont été recherchés par les sélectionneurs », selon M.-A. HERMITTE, et qui « sont liés à l’ensemble du système productif agronomique dans lequel ils s’expriment : mécanisation, irrigation, disponibilité des engrais, des herbicides et des pesticides […] » 663. C’est en combinant ces différents facteurs que l’on parvient à satisfaire le besoin de régularité et d’homogénéité des récoltes auxquelles les semences doivent désormais répondre : la précision des semoirs dépend de la régularité du calibrage ou de la forme des semences utilisées ; les moissonneuses sont plus efficaces dans des champs où les blés sont tous de même taille. Ce modèle économique est très bien défendu, encore aujourd’hui, par l’organisation institutionnelle qui en dépend.

658F. OST, "La jurisprudence", Archives de philosophie du droit, 1985, pp. 15-16. cité par M.-A. HERMITTE, "Chronique de jurisprudence de la CJCE, Droit de la concurrence", Journal du droit international (Clunet), 1986, n° 1.

659 René DUMONT, conseiller agricole du Commissariat général, influencera cette politique agricole d’après guerre. Il écrit en 1946 : « l’agriculture française sera moderne... ou ne sera pas ». R. DUMONT, Problème

agricole français, Les Editions nouvelles, 1946, p. 32.

660 Cette quête de la perfection végétale aura des effets néfastes. M.-A. HERMITTE rappelle que ces choix techniques s’accompagnent d’une « absence de prise en compte des effets indésirables sur l’environnement et la perte d’autonomie des agriculteurs, choix assumé en faveur de l’exode rural ». M.-A. HERMITTE, "La construction du droit des ressources génétiques ", op. cit., 2004, pp. 17-18.

661Mais avec le recul aujourd’hui, des questions se posent sur la valeur de ce modèle, notamment en raison des pollutions générées.

662P.-B. JOLY et C. DUCOS, Les artifices du vivant, INRA - Economica, 1993, p. 149.

663M.-A. HERMITTE, "La construction du droit des ressources génétiques - exclusivisme et échanges au fil du temps", in Les ressources génétiques végétales et le droit dans les rapports Nord-Sud, M.-A. HERMITTE et P. KAHN, Bruylant, Bruxelles, 2004, pp. 17-18.

§2. L’organisation institutionnelle actuelle

347. L’organisation de la filière semence est encore aujourd’hui marquée par une

implication de l’Etat qui repose sur une forte collaboration des professionnels. Il est très facile d’identifier les quatre principaux composants de cette organisation : le ministère de l’Agriculture, le CTPS, le GNIS et le dernier-né, le Groupe d’étude et de contrôle des variétés et des semences (GEVES). Mais il est très difficile de délimiter les compétences de chacun en raison de la très forte imbrication des compétences et des influences d’une institution au sein de l’autre. Par exemple, un commissaire du gouvernement contrôle un certain nombre des décisions prises au sein du GNIS. Des représentants du GNIS et du Ministère sont présents au sein du CTPS. Certains employés du GEVES sont aussi membres du CTPS.

348. Cette situation s’explique aussi parce que les compétences de chacun ne sont pas

non plus toujours respectées. Par exemple, le CTPS est chargé de proposer au Ministère les règlements techniques pour la production de semences ; mais ceux-ci sont en réalité, selon plusieurs représentants des différents organismes, élaborés au sein du GNIS. Jusqu’à peu, le CTPS effectuait un simple vote sans aucune lecture du texte, mais désormais une lecture a lieu au sein des sections du CTPS664.

Cette promiscuité des acteurs renforce une forme de cohérence du système puisque tout est interdépendant. Mais l’imbrication des acteurs rend la détermination du véritable lieu de prise de décision impossible à définir, d’où un problème d’identification des responsables en cas de dysfonctionnements. Malgré cette imbrication, procédons à la description de l’organisation institutionnelle selon deux axes : le premier relève d’une logique centralisée de l’Etat avec le ministère de l’Agriculture et le CTPS, bras technique du Ministère (A) ; le deuxième se rapporte aux compétences déléguées du Ministère au GNIS et au GEVES (B).

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