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1 re Partie : La pluralité des modèles économiques occultée par la réglementation

Section 1. Une spécialisation du produit et des acteurs économiques

A. Les espèces

49. L’espèce constitue « l’unité fondamentale de toute classification des êtres

vivants »80. Pour certains biologistes, « les espèces sont des groupes de populations naturelles à l’intérieur desquels les individus sont réellement (ou potentiellement) capables de se croiser. Toute espèce est isolée du point de vue de la reproduction d’autres espèces »81. Pour d’autres, cette définition sied mal au monde végétal car elle repose sur l’idée de l’interfécondité des végétaux qui la composent et de sa stérilité de principe à l’égard des individus d’autres espèces82. Or, ce critère ne serait pas absolu. L’interfécondité entre certaines espèces est

80Voir verbo « Espèce » in Dictionnaire de la botanique, Encyclopædia Universalis, Albin Michel, 1999.

81 Ibid. «Species are groups of actually (or potentially) interbreeding natural populations which are reproductively isolated from other such groups ».

82P. MARCHENAY et M.-F. LAGARDE, A la recherche de variétés locales de plantes cultivées, BRG et Page PACA, 1987, p. 178.

possible, notamment dans le règne végétal où elle est assez fréquente83. Pour cette raison, les frontières de la définition de l’espèce demeurent floues84.

50. Cette absence de définition précise expliquerait pourquoi la notion d’espèce n’est

pas non plus clairement définie en droit français, communautaire ou international85; les frontières évolutives du vivant se prêtant mal à la rigueur juridique. Le droit s’accommode de cette difficulté en désignant chaque espèce par son nom scientifique (ex. triticum durum) ou usuel (ex. blé dur). C’est par cette désignation qu’une espèce est ou n’est pas soumise à une réglementation. Aux scientifiques de résoudre, le cas échéant, le problème des limites entre les espèces.

51. Bien qu’il n’existe pas de définition de la notion d’espèce, trois groupes d’espèces

doivent être distingués en fonction de leur mode de reproduction. En effet, selon le mode de reproduction, les enjeux, les stratégies commerciales et la réglementation sont différents.

52. On parle d’espèces autogames lorsque la plante se féconde elle-même avec son

propre pollen. C’est le cas du blé, par exemple86. Les espèces autogames ont pour particularité d’être facilement reproductibles puisque la plante contient le matériel nécessaire pour se reproduire. En principe, un agriculteur, à la fin de sa récolte de blé, obtiendra des graines fécondes qu’il pourra utiliser soit comme grain pour faire de la farine de blé, soit comme semence pour les prochaines semailles. L’autonomie de principe des agriculteurs en matière de reproduction de semences d’espèces autogames est ici très forte, d’où la question décisive de la contrefaçon de variétés protégées par un droit de la propriété intellectuelle.

53. La question de la contrefaçon se pose moins pour la deuxième catégorie d’espèces

– les espèces allogames. Leur reproduction est plus difficile parce que la fleur de la plante doit être fécondée par le pollen d’une autre fleur. Selon l’espèce allogame, la deuxième fleur se situe soit sur le même individu (ex. le maïs) soit sur un autre individu (ex. le chanvre).

83J. DEMOL, Amélioration des plantes : espèces cultivées en régions tropicales, Les presses agronomiques de Gembloux, 2002, p. 25.

84P.-H. GOUYON dira qu’« une espèce est définie en fonction de ce que le spécialiste du groupe estime être une espèce ». Entretien personnel du 4 février 2008.

85La Convention sur la Diversité Biologique (CDB) définit tout au plus la notion d’espèce domestiquée comme « toute espèce dont le processus d’évolution a été influencé par l’homme pour répondre à ses besoins », ce qui n’offre pas de définition juridique pour la notion d’espèce. Art. 2 de la CDB.

En droit français, le Code de l’environnement dit que « les espèces animales et végétales [...] font partie du patrimoine commun de la nation » (Art. L.110-1 C. env.), sans préciser plus avant ce qu’est une espèce, ni ce que le législateur entend par ‘patrimoine commun de la Nation’.

86D’autres exemples d’espèces à autogamie dominante sont l’avoine, le colza, le coton, le haricot, le lin, l’orge, le pois, le piment, le riz, le soja et la tomate. J. MACIEJEWSKI, Semences et plants, Technique et Documentation - Lavoisier, 1991, p. 7.

Selon le cas, la fécondation s’opérera grâce au vent ou à des insectes87 et peut aussi être provoquée par l’homme. Le système reproductif des espèces allogames, plus complexe, influence le comportement de l’agriculteur qui doit choisir ou non de reproduire lui-même la semence qu’il utilise. Cette particularité du système reproductif des espèces allogames, est également susceptible d’influencer le comportement des entreprises semencières qui entrevoient la possibilité de bénéficier d’un marché plus captif.

54. Enfin, la dernière catégorie concerne les espèces à reproduction végétative. La

reproduction se fait par différents organes comme les tubercules ou les bulbes88. La pomme de terre est un exemple classique de reproduction végétative par tubercule. Il suffit de planter un tubercule pour qu’elle produise un nouveau plant dont les racines seront garnies de nouvelles pommes de terre. Cependant, des problèmes sérieux de parasites et de maladies font de la reproduction à répétition de ces plantes un exercice difficile qui requiert l’intervention de professionnels pour n’offrir que des tubercules sains comme semences.

55. Quel que soit le mode de reproduction, les individus qui composent chaque espèce

diffèrent les uns des autres par quelques traits héréditaires. Interviennent alors des sous- catégories telles que « sous-espèce », « race », « biotype » et « variété ». Nous ne nous intéresserons qu’à la sous-catégorie « variété » pour garder cette explication technique simple et parce que le terme « variété » est le seul utilisé par le droit à ce jour.

87Certaines espèces, telles que la luzerne et le ray-grass, dépendent de l’intervention d’insectes pour transporter le pollen, d’où l’importance de la question de l’impact de certaines pratiques agricoles sur des insectes, comme les abeilles.

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