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Le décret de 22 janvier 1960 : l’inscription obligatoire de toute variété

1 re Partie : La pluralité des modèles économiques occultée par la réglementation

Section 1. D’un régime juridique répressif à un régime préventif

B. Le décret de 22 janvier 1960 : l’inscription obligatoire de toute variété

316. Cette dérive administrative se confirme avec l’adoption du décret du 22 janvier

1960 instituant un catalogue des espèces et variétés de plantes cultivées588 et le fait que ce décret ne vise aucun texte, pas même la loi du 1er août 1905. Ce décret instaure clairement un régime préventif qui soumet la commercialisation de toute variété ou type variétal – nouvelle ou non - d’une espèce réglementée du Catalogue à autorisation administrative préalable. Selon l’article 1er : « Il est tenu au ministère de l’Agriculture un catalogue des espèces et variétés comportant, pour les espèces qu’il mentionne, la liste limitative des variétés ou types industriellement, ainsi que tout générateur, trousse ou précurseur qui ne fait pas l’objet d’une autorisation de mise sur le marché délivrée par la Communauté européenne en application du règlement (CEE) nº 2309/93 du Conseil du 22 juillet 1993 ».

583 Voir en ce sens, les observations sous l’arrêt Daudignac in M. LONG, et al., Grands arrêts de la justice

administrative, 2005.

584G. BURDEAU, Les libertés publiques, LGDJ, 1972, p. 425.

585C.E., 30 mai 1952, Confédération des producteurs de fruits, Rec. 289.

586J.-P. DOUSSIN, "Effectivité de la loi du 1er août 1905, évolution des textes, évolution des contrôles", in La

loi du 1er août 1905 : cent ans de protection des consommateurs, DGCCRF, La documentation Française, 2007,

p. 307.

variétaux dont les semences ou plants peuvent être commercialisés en France ». Le décret de 1932 ne précisait pas qu’une variété devait être inscrite pour être commercialisée. C’est ce qui fait toute la différence.

317. Cet article 1er pose le principe d’un régime préventif obligatoire, sans que le décret ne vise aucune loi lui conférant la compétence pour adopter un tel régime. Or, depuis l’adoption de la Constitution de 1958, seul le législateur est compétent pour encadrer l’exercice d’une liberté en vertu de l’article 34, telle que la liberté du commerce589.

318. Plus grave encore, ce décret ne définit pas la notion de variété ni de type variétal.

Il ne précise pas non plus les critères d’inscription ; il laisse ce soin à des arrêtés d’application (article 3). Cette relégation de la définition des critères au niveau d’arrêtés ministériels qui qualifient le produit condamne ce régime à l’absence de contrôle préalable du Conseil d’Etat. Elle laisse l’Administration libre dans sa dérive, puisque les arrêtés ministériels ne font qu’homologuer des règlements techniques qui ne sont pas publiés au Journal Officiel590.

319. Le décret ne révèle pas non plus les raisons présidant au choix d’étendre

l’obligation d’inscription à toutes les variétés au lieu de la limiter aux seules variétés nouvelles. L’une d’entre elles que nous pouvons deviner est que les listes de noms de variétés ne cessaient de s’allonger et qu’il existait une volonté d’en faire un Catalogue de variétés sélectionnées selon des critères définis aux dépens des autres variétés, notamment des variétés locales591. C’est ainsi que le Catalogue s’est fermé aux variétés anciennes, aux variétés- populations, pour favoriser des variétés nouvelles plus productives et adaptées à l’emploi d’intrants chimiques592.

588Décret du 22 janvier 1960 instituant un catalogue des espèces et variétés de plantes cultivées, JORF du 28 janvier 1960, p. 955.

589R. CHAPUS, Droit administratif général : Tome 1, Montchrestien, 1999, p. 692, n°930.

590Les premiers arrêtés précisant les règles d’inscription sont pris en 1960590 pour le colza et la navette(Arrêté du 30 juin 1960 portant inscription provisoire au Catalogue des espèces et variétés de plantes cultivées de variétés de colza et de navette, JORF du 10 juillet 1960, p.6376.), en 1961 pour l’avoine, le blé, l’orge, le riz et le seigle (Arrêté du 18 février 1961 relatif aux conditions d’inscription au Catalogue des espèces et variétés de plantes cultivées en ce qui concerne l’avoine, le blé, l’orge, le riz et le seigle, JORF du 1er mars 1961, p. 2209 et s.), les plantes fourragères (Arrêté du 30 septembre 1961 portant conditions d’inscription des variétés (cultivars) d’espèces fourragères au Catalogue des espèces et variétés, JORF du 14 octobre 1961, p. 9392.), et le maïs (Arrêté du 4 avril 1961 relatif à l’inscription de variétés de maïs au Catalogue des espèces et variétés de plantes cultivées, JORF du 21 avril 1961, p. 3794.).

591C. BONNEUIL et F. THOMAS expliqueront le raisonnement de l’adoption du décret de 1960 par la phrase suivante : « Pour légaliser la radiation « des variétés qui ne correspondent plus à l’évolution de la technique », sortes de boulets génétiques dans l’esprit des modernisateurs, freinant la marche du progrès génétique et limitant le marché des nouvelles obtentions […]le décret du 22 janvier 1960 est promulgué, instituant de novo le catalogue […]. C. BONNEUIL et F. THOMAS, Du maïs hybride aux OGM : une histoire de la génétique

végétale à l’INRA, INRA, à paraître.

592 Un exemple parlant est celui du fraisier. L’art. 3 du premier arrêté relatif aux modalités d’inscription du fraisier adopté en 1959 indique que les variétés sont inscrites en fonction du jugement effectué par la

320. Les premiers arrêtés précisant les règles d’inscription sont pris en 1960593 pour le colza et la navette594, en 1961 pour l’avoine, le blé, l’orge, le riz et le seigle595, les plantes fourragères596, et le maïs597. Ils conduisent à l’exclusion de nombreuses variétés et au refus de beaucoup de nouvelles variétés, ce qui étonne les obtenteurs car ils ne comprennent pas ce brusque changement598.

commission d’experts du CTPS. Celui-ci « s’exerce d’abord sur la réalité du caractère de nouveauté présentée par la variété. D’autres qualités pourront être prises en considération ». Arrêté du 18 juillet 1959 relatif aux modalités d’inscription des variétés de fraisiers et portant inscription de variétés, JORF du 6 août 1959, p. 7845. Ainsi, nous estimons que les premières versions du catalogue jouaient incontestablement un rôle pour promouvoir l’inscription de variétés nouvelles puisqu’il devient impossible d’inscrire les anciennes variétés sur les listes permanentes du Catalogue. Ceci fut un choix politique qui voulait promouvoir la pénétration de nouvelles variétés plus performantes sur le marché.

593Et non en 1961 comme l’indique M. Gautier p. 15 de son rapport. M. GAUTIER, Etude sur l’inscription des

variétés et de la certification des semences dans la CEE, GNIS, Paris, novembre 1987.

594Arrêté du 30 juin 1960 portant inscription provisoire au Catalogue des espèces et variétés de plantes cultivées de variétés de colza et de navette, JORF du 10 juillet 1960, p.6376.

595Arrêté du 18 février 1961 relatif aux conditions d’inscription au Catalogue des espèces et variétés de plantes cultivées en ce qui concerne l’avoine, le blé, l’orge, le riz et le seigle, JORF du 1er mars 1961, p. 2209 et s. 596Arrêté du 30 septembre 1961 portant conditions d’inscription des variétés (cultivars) d’espèces fourragères au Catalogue des espèces et variétés, JORF du 14 octobre 1961, p. 9392.

597 Arrêté du 4 avril 1961 relatif à l’inscription de variétés de maïs au Catalogue des espèces et variétés de plantes cultivées, JORF du 21 avril 1961, p. 3794.

598En témoigne, une question posée à l’Assemblée générale de la Fédération Nationale des graines de semences potagères en 1962. M. Rivoire s’élève contre le fait que toutes les variétés dont il avait demandé l’inscription au catalogue, aient été refusées par le Comité Technique. FÉDÉRATION NATIONALE DES GRAINES DE SEMENCES POTAGÈRES, "Comité technique permanent de la sélection - Catalogue officiel des variétés",

Bulletin de la FNGSP, janvier-février 1962, n° 71.

Il est à noter que la simple réponse donnée par le Président Seize est qu’il pense que, sans doute, il ne s’agissait pas de variétés nouvelles d’où le refus de l’Administration. Cette réponse naïve montre l’incompréhension totale

L’objectif tacite d’imposer l’usage de variétés commerciales est de valoriser les intrants chimiques599 et mécaniques600. Il s’agit d’augmenter les rendements, objectif qui sera explicité dans les directives communautaires. Ces dernières auront le mérite de structurer les concepts et la réglementation à un niveau visible, ce qui n’est pas le cas de la France, submergée par un flot d’arrêtés ministériels.

C. La consécration du régime préventif par le droit communautaire

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