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1 re Partie : La pluralité des modèles économiques occultée par la réglementation

Section 2. Les systèmes accessoires de fourniture de semences

B. Les enjeux de la vente directe

253. La vente directe de variétés protégées ou non sont un enjeu clé pour les

agriculteurs, d’une part (1°), et pour les acteurs du circuit long professionnel, de l’autre (2°). 1°) Les agriculteurs et les enjeux de la vente directe

254. Les agriculteurs évoquent plusieurs raisons pour s’approvisionner en semences

auprès d’autres agriculteurs, la plus importante étant que le circuit long professionnel ne propose pas certains des types de semences voulus par nombre d’entre eux (a). Se pose aussi

455 Voir en ce sens, par exemple, M.-A. HERMITTE, "Bioéthique et brevets dans le droit du commerce international op. cit.

de façon de plus en plus pressante, la question de la conservation in situ des variétés locales (b).

a) Le choix de la variété

255. Aujourd’hui, lorsque les agriculteurs achètent ou troquent des variétés du

domaine public, ils le font souvent dans une démarche de réappropriation de leur indépendance ou pour répondre à un besoin que le circuit long professionnel ne satisfait pas, comme pour trouver, par exemple, une variété de niche (qui n’est pas vendue par les semenciers), une variété locale (adaptée au terroir), une variété du domaine public (librement reproductible), ou une variété non hybride (comme des maïs-populations dans le Sud-Ouest de la France456).

256. L’offre des agriculteurs diffère de celle du circuit long professionnel car ils

s’affranchissent de la logique des variétés DHS et VAT et des contraintes que cela représente. Ils proposent donc aussi des variétés locales ou des variétés-populations, certes moins stables et moins homogènes, mais dont la base génétique plus hétérogène contribuerait à une meilleure adaptabilité de la semence au terroir ou au climat, et une meilleure résistance aux maladies et aux insectes, notamment au travers de mélanges des variétés457. Ces caractéristiques sont recherchées par les agriculteurs biologiques458 mais les marchés « biologiques » sont encore un marché de niche avec 4% des surfaces cultivables en France. L’offre en semences certifiées biologiques qui leur est proposée, n’a de biologique que le mode de production, sans engrais ni pesticides chimiques. Elle est faite en réalité de variétés initialement sélectionnées pour l’agriculture conventionnelle, donc adaptées à d’importants apports d’intrants, qui n’ont pas été sélectionnées pour répondre aux caractéristiques propres de l’agriculture biologique. Elle est inadaptée à sa destination finale.

456 AGROBIO PÉRIGORD, L’Aquitaine cultive la biodiversité : expérimentations semences biologiques de populations en Aquitaine, Bio d’Aquitaine, 2007.

457A propos des apports de cultures de mélanges variétaux, voir : C. DE VALLAVIELLE-POPE, et al., "Les associations de variétés : accroître la biodiversité pour mieux maîtriser les maladies", Le courrier de

l’environnement de l’INRA, octobre 2006, n° 30, J.-M. MEYNARD et M.-H. JEUFFROY, "Quel progrès

génétique pour une agriculture durable", Les dossiers de l’environnement de l’INRA, octobre 2006, n° 30, C. VALLAVIELLE-POPE, et al., "Pour lutter contre les maladies foliaires : la culture de variétés de céréales en mélange", Phytoma, 1991, n° 424.

458 D. DESCLAUX explique que le projet de sélection de variétés de blé dur pour l’agriculture biologique répondait à un besoin exprimé par des agriculteurs et des industriels, pour éviter que cette filière ne disparaisse en France. D. DESCLAUX et Y. CHIFFOLEAU, "Participatory plant breedin : the best way to breed for sustainable agriculture?" International Journal of Agricultural Sustainability, 2006, 4, n° 2.

257. Ce défaut du marché actuel oblige les utilisateurs à trouver des solutions auprès

d’autres utilisateurs confrontés à des situations semblables459, surtout lorsque l’utilisateur ne parvient pas à satisfaire son propre besoin. Pour E. VON HIPPEL le succès d’un produit développé par un utilisateur dépend généralement de l’interaction entre utilisateurs, des « communautés d’utilisateurs »460. Cette pratique est courante dans des groupes comme le Réseau Semences Paysannes (RSP)461 qui, par leur action, sortent les agriculteurs et leur travail de l’isolement. Ils remportent un succès croissant462.

258. Le recours à la vente directe répond à des besoins négligés qu’une exception

telle que celle qui existait pour les agriculteurs jusqu’en 1968 permettrait de résoudre463. Il était spécifié que la réglementation des semences ne s’appliquait qu’aux acteurs du CLP (sélectionneurs, producteurs et distributeurs) et a contrario excluait les agriculteurs de son champ d’application. Sans cette ouverture, l’agriculture biologique française tardera plus encore à trouver les variétés qu’il lui faut, ou continuera à s’approvisionner en partie dans d’autres Etats membres464.

b) La conservation in situ par des agriculteurs

259. Par leurs pratiques traditionnelles, les agriculteurs « ont donné naissance à une

diversité considérable de races et variétés végétales « domestiques », patiemment sélectionnées par des générations d’agriculteurs au cours des siècles »465, mais leurs pratiques modernes se concentrent sur des monocultures qui affectent la diversité agricole cultivée.

459« Une motivation déterminante pour des paysans qui cultivent en conditions de bas intrants ou en agriculture biologique », comme l’expliquent C. BONNEUIL et E. DEMEULNAERE, « est de trouver des semences adaptées à leurs modes de culture spécifiques. Ils déplorent l’inadaptation des variétés commerciales actuelles aux sols pauvres en l’absence d’engrais azotés et de pesticides, d’où un intérêt pour les variétés sélectionnées avant l’âge agrochimique ». C. BONNEUIL et E. DEMEULENAERE, "Vers une génétique de pair à pair ? ", op.

cit.

460E. VON HIPPEL, Democratizing Innovation, Cambridge Massachusetts, The MIT Press, 2005.

461« Depuis 2003, le nombre des membres du réseau blé a explosé, et l’on peut donc se demander ce qui motive deux cents personnes à quitter le confortable statut d’usager de variétés de blé sélectionnées par des spécialistes, pour se lancer dans une démarche énergivore d’échange et de recherche d’autres variétés, anciennes, exotiques ou auto-sélectionnées ». C. BONNEUIL et E. DEMEULENAERE, "Vers une génétique de pair à pair ?"op. cit..

462De quelques dizaines d’agriculteurs il y a 5 ans, leur nombre dépasse la centaine d’adhérents. De nombreux agriculteurs sympathisants font aussi partie de ce système sans avoir adhéré au Réseau.

463Cf. supra n°246.

464Elle prendra du retard car la conception fondamentale de l’agriculture biologique est systémique, alors que le CLP est fondé sur une conception linéaire s’appuyant sur la spécialisation des acteurs et l’apport d’intrants. Cf.

infra n°728. pour l’analyse de ce problème.

465 C.-H. BORN, "Biodiversité et politique agricole commune : vers une agriculture européenne durable?" in

Conservation de la biodiversité et PAC, des mesures agro-environnementales à la conditionnalité environnementale, I. DOUSSAN et J. DUBOIS, La documentation française, 2007, p. 19.

260. En 1992, un cri d’alarme fort fut lancé avec l’adoption de la Convention sur la

diversité biologique (CDB)466. Cette convention, dans son article 3, affirme le droit souverain des Etats sur leurs ressources biologiques et leur responsabilité quant à la conservation de leur diversité biologique et de son utilisation durable.

261. Toutefois, cette Convention ne mentionne pas le rôle des agriculteurs dans la

conservation de cette biodiversité, alors qu’il avait été reconnu dès 1989, par une résolution de l’Organisation de l’alimentation et de l’agriculture (FAO467). En effet, au début des années 1980468, la FAO a accueilli les négociations de l’Engagement International sur les Ressources Phytogénétiques. La résolution 8/83 qui a été adoptée et signée par cent treize pays en 1983469 est le premier accord international d’envergure qui traite des ressources phytogénétiques présentant un intérêt pour l’alimentation et l’agriculture. Il reconnaît que « les ressources phytogénétiques sont patrimoine commun de l’humanité et doivent être préservées et librement accessibles pour être utilisées dans l’intérêt des générations présentes et futures»470. La FAO et les pays signataires tinrent à adopter cet Engagement car ils étaient conscients de l’importance des ressources phytogénétiques dans « l’amélioration génétique des plantes cultivées » et du fait qu’elles sont « menacées d’appauvrissement et de disparition »471.

262. Les agriculteurs, surtout ceux des pays en voie de développement, arguaient que

l’Engagement de 1983 avait omis de souligner leurs apports à la conservation, à la préservation et à la documentation (fut-ce par transmission orale) de ces ressources, et demandaient que soient reconnus les droits des agriculteurs dans ces domaines. Une résolution, intitulée « droits des agriculteurs »472 fut adoptée lors d’une conférence FAO sur les ressources génétiques en 1989473. Elle reconnut leur indéniable travail « au cours de l’histoire de l’humanité », pour lequel « les agriculteurs n’ont pas été suffisamment indemnisés ou récompensés de leurs efforts » et qu’ils devraient profiter pleinement de 466Convention sur la biodiversité biologique, Rio de Janeiro, 3-14 juin 1992, www.biodiv.org

467La FAO est le sigle anglophone beaucoup plus utilisé : ‘Food and Agriculture Organisation’.

468Pour une analyse complète du processus, voir C. NOIVILLE, Ressources génétiques et droit : Essai sur les régimes juridiques des ressources génétiques marines, Pedone, 1997, p. 74 et s.

469 Résolution 8/83 de la Conférence de la FAO de 1983, Engagement international sur les ressources phytogénétiques, Rome, novembre 1983, ftp://ext-ftp.fao.org/ag/cgrfa/Res/C8-83F.pdf.

470Sur question des ressources phytogénétiques, voir : B. CHAMBERS, "Emerging International Rules on the Commercialization of Genetic Resources : The FAO International Plant Genetic Treaty and CBD Bon Guidelines", The Journal of World Intellectual Property, mars 2003, 6, n° 2 ; M.-A. HERMITTE, "La construction du droit des ressources génétique", op. cit.

471 Résolution 8/83 de la Conférence de la FAO de 1983, Engagement international sur les ressources phytogénétiques, Rome, novembre 1983, ftp://ext-ftp.fao.org/ag/cgrfa/Res/C8-83F.pdf.

472Résolution 5/89 de la vingt-cinquième Session de la Conférence de la FAO, Droits des agriculteurs, Rome, 11-29 novembre 1989, ftp://ext-ftp.fao.org/ag/cgrfa/Res/C5-89F.pdf.

473Sur le concept des droits des agriculteurs, voir M.-A. HERMITTE, "La construction du droit des ressources génétiques", op. cit., p. 44.

l’emploi sans cesse amélioré et croissant des ressources naturelles qu’ils ont préservées. Pourtant, ce n’est que timidement et en termes vagues que la Communauté internationale a reconnu cette notion des « droits des agriculteurs » et son devoir d’assurer « aux agriculteurs tous les bénéfices qui leur reviennent ».

263. Ce n’est que bien plus tard en 2001, et après sept ans de négociations, que cette

résolution fut reprise par l’article 9 du nouveau Traité International sur les ressources phytogénétiques pour l’alimentation et l’agriculture (TIRPAA)474. La TIRPAA reconnaît désormais expressément le droit des agriculteurs à « conserver, utiliser, échanger et vendre des semences de ferme » (article 9.3). Mais ces droits sont seulement mentionnés à l’article 9.3. ; ils ne sont ni promulgués ni protégés, puisque l’article 9.2 laisse aux gouvernements « la responsabilité de la réalisation des Droits des agriculteurs, pour ce qui est des ressources phytogénétiques pour l’alimentation et l’agriculture ». Ainsi, l’exercice de ces droits des agriculteurs à « conserver, utiliser, échanger et vendre des semences de ferme », est soumis au respect des dispositions juridiques nationales475.

264. Or ces dispositions peuvent générer d’importants obstacles comme c’est la cas

pour la commercialisation légale de semences, même dans le cadre de la « conservation »476. Les échanges entre agriculteurs sont un enjeu pour la conservation de la diversité biologique, d’autant que la conservation se fait de plus en plus de concert avec des « savoirs et pratiques locaux dans les actions engagées »477. A ce sujet, Ph. MARCHENAY propose une troisième voie : après la conservation ex situ des ressources génétiques – dans les banques de gènes, hors de leur milieu naturel – puis la conservation in situ des ressources – dans leur milieu

474 Traité International sur les ressources phytogénétiques pour l’alimentation et l’agriculture, adopté par la Conférence de la FAO le 3 novembre 2001, Rome, www.fao.org.

475Cf. M.-A. HERMITTE, "La construction du droit des ressources génétiques", op. cit., p. 81. « Le Traité comporte un bel article 9, « droits des agriculteurs ». L’alinéa 1 reconnaît leur « énorme contribution. ». L’alinéa 2 précise qu’il comprend la protection des connaissances traditionnelles présentant un intérêt pour les ressources phytogénétiques pour l’alimentation et l’agriculture, le droit de participer au partage des avantages, et le droit de participer à la prise de décisions au niveau national, ce qui est parfait. Mais le même alinéa avait enlevé une partie de l’intérêt à la construction en la laissant entre les mains des gouvernements, sans aucune obligation : « les Parties contractantes conviennent que la responsabilité de la réalisation des droits des agriculteurs … est du ressort des gouvernements », et ceci en fonction des besoins, des priorités, et selon qu’il convient et sous réserve de la législation nationale…

On peut adhérer à l’idée que de multiples éléments de ce droit doivent être conçus au niveau national, voire au niveau local pour prendre en compte les réalités du terrain, présence ou non de peuples autochtones, existence de communautés locales, organisation politique de ces communautés, etc. Mais le principe et les grandes options auraient dû constituer une obligation, faute de quoi, cela restera lettre morte da la plupart des Etats ».

476La question de variétés de conservation sera étudiée, cf. infra n°858.

477P. MARCHENAY, "La conservation : inventorier, comprendre, agir", in Biodiversité et savoirs naturalistes

naturel478, il propose de « conserver autrement ». Il s’agit de créer des dispositifs pour prendre « en compte les particularités géographiques et culturelles » et permettre « de conserver et d’entretenir le patrimoine génétique, tout en conduisant localement des opérations de valorisation »479. C’est au droit d’aménager la liberté et le cadre juridique nécessaires pour que ces pratiques puissent se faire légalement, mais les solutions étudiées sont très contraignantes afin que ce travail ne nuise pas à l’intérêt des acteurs du circuit long professionnel.

2°) Les acteurs du circuit long professionnel et les enjeux de la vente directe

265. Les enjeux de la fourniture directe pour les acteurs du circuit long professionnel

sont évidents et semblables à ceux des enjeux en matière d’autoproduction. Tout d’abord, les obtenteurs perdent des revenus potentiels s’il s’agit de variétés protégées qui sont concurrencées par des variétés du domaine public. Ensuite, la fourniture directe entre agriculteurs est une concurrence directe aux producteurs et distributeurs de semences, qu’il s’agisse de variétés protégées ou de variétés du domaine public. Enfin, le développement de l’utilisation de variétés du domaine public relance la recherche autour de variétés-populations et de variétés locales qui se veulent mieux adaptées aux besoins de niches. Si un jour cette recherche offrait des résultats probants, elle pourrait remettre en cause la politique actuelle du tout hybride480 pour certaines espèces (ex. maïs481). Parallèlement, l’emploi de variétés du domaine public se développe notamment pour réduire le recours aux intrants chimiques. Il s’agit là, d’un début, certes minime, de perte de revenus pour les producteurs d’engrais, de pesticides et d’herbicides chimiques, et leurs revendeurs, qui sont souvent les coopératives elles-mêmes. C’est tout le contraire des variétés OGM actuellement développées pour résister à des traitements d’herbicides, offrant un double revenu aux acteurs du circuit long professionnel (semences et traitements).

§2. La fourniture de semences aux non-agriculteurs

266. La filière semence est souvent perçue uniquement comme la fourniture de

semences aux agriculteurs professionnels. Pourtant, bien qu’ils soient les utilisateurs 478« De ces deux stratégies, ex situ et in situ, aucune n’est satisfaisante. La première repose sur la mise en œuvre de protocoles stricts et de techniques qui ne sont pas encore complètement maîtrisés. Les profondes modifications subies depuis longtemps par les agrosystèmes et la déstructuration des exploitations traditionnelles ont fragilisé l’application de la conservation in situ ». P. MARCHENAY, "Conserver vivant, savoirs et pratiques locales : une gageure?" in Biodiversité et savoirs naturalistes locaux en France, L. BÉRARD, et al., Cirad, Iddri, INRA, 2005, p. 97.

principaux, ils ne sont pas les seuls. Déjà évoqués au titre de la définition des utilisateurs de semences, les « jardiniers du dimanche » ou « jardiniers amateurs » (A), et les professionnels non-agriculteurs (B) utilisent des semences fournies par différents circuits.

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