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Les utilisateurs directs et indirects de semences commercialisées 118 L’agriculteur est l’utilisateur de semences privilégié du circuit long

1 re Partie : La pluralité des modèles économiques occultée par la réglementation

Section 1. Une spécialisation du produit et des acteurs économiques

D. Les utilisateurs directs et indirects de semences commercialisées 118 L’agriculteur est l’utilisateur de semences privilégié du circuit long

professionnel, mais il n’est pas le seul type d’utilisateur de semences (1°). Une deuxième catégorie d’utilisateurs, moins évidente, existe : celle des « utilisateurs indirects », autrement dit les utilisateurs principaux des récoltes issues de ces semences. Ce sont les entreprises de l’industrie agro-alimentaire qui jouent un rôle influent dans la filière semence, dans la détermination des variétés cultivées et les semences utilisées (2°).

1°) Les utilisateurs directs

119. L’utilisateur direct principal de semences agricoles est bien évidemment

l’agriculteur. Le terme agriculteur-utilisateur est utilisé pour désigner uniquement les agriculteurs qui achètent des semences au sein du circuit long professionnel. Ils sont son chaînon final, les consommateurs de la semence227.

120. Un agriculteur achète de la semence pour sa qualité et ses performances mais

aussi parce que certaines semences ne sont pas reproductibles, telles que les semences de variétés hybrides ou parce que l’obtenteur détient le droit exclusif de reproduire la semence

226Entretien avril 2008 avec un céréalier.

227 En ce sens, par exemple, T. BOUVET, La protection juridique de l’innovation végétale, Université de Versailles, 9 mars 2000, p. 69. « L’agriculteur est avant tout l’utilisateur des améliorations végétales ».

d’une variété protégée228. Aussi, la Politique Agricole Commune (PAC) incite les agriculteurs à acheter des semences en ne subventionnant certaines cultures qu’à condition qu’une certaine quantité de semences certifiées soit utilisée229.

121. L’agriculteur choisit sa ou ses variétés en fonction de différents critères. Prenons

quelques exemples. Certains agriculteurs testent une ou deux nouvelles variétés inscrites au Catalogue officiel sur quelques hectares pour voir si elles sont adaptées aux conditions agro- environnementales de leur exploitation. Le comportement d’une variété peut être très différent de celui des parcelles d’essais230. Parfois, plusieurs agriculteurs se partagent le travail des essais de nouvelles variétés, et à la fin de la récolte, mettent en commun leurs observations. D’autres agriculteurs se fient aux conseils des techniciens de leurs coopératives pour déterminer leur choix d’une variété. Il y a aussi le cas des agriculteurs sous contrat avec des entreprises, tels que les brasseurs-malteurs, à qui on impose le choix de la variété, et aussi que la semence soit certifiée ; autrement dit, l’utilisation de semences produites à la ferme par l’agriculteur lui-même lui est interdite231. Les contrats de production d’orge pour les brasseurs, par exemple, indiquent souvent la variété qui doit être utilisée ou la liste des variétés parmi

228Cf. infra n°195. La question de l’autoproduction de semences par un agriculteur pour ses propres besoins y est adressée.

229 Par exemple, des subventions de la PAC sont données pour la production de blé dur seulement si des semences certifiées sont utilisées.

En ce sens, art. 7 du règlement 1973/2004 : « Les États membres fixent, avant le 1er octobre de l’année précédant celle pour laquelle la prime spéciale à la qualité pour le blé dur est octroyée, la quantité minimale de semences, certifiées conformément à la directive 66/402/CEE, à utiliser conformément aux pratiques agricoles courantes dans la zone de production concernée ». Règlement n°1973/2004 de la Commission du 29 octobre 2004 portant modalités d’application du règlement (CE) no 1782/2003 du Conseil en ce qui concerne les régimes d’aide prévus aux titres IV et IV bis dudit règlement et l’utilisation de terres mises en jachère pour la production de matières premières, JOUE L 345/1, 20.11.2004.

230En ce sens, par exemple, G. OMNÈS, "Tester les inscriptions récentes", La France Agricole, 22 août 2003, p. 45.

231C. URVOY, "Contrats de production : les semences de ferme souvent indésirables", Ibid. 5 mars 2004, p. 16. Par exemple, Terres de Gascogne dans le Gers exige l’emploi de semences certifiées pour la totalité des productions sous contrat pour les orges de brasserie, les blés améliorant Galibier et Amélio, les blés tendres panifiables supérieurs (BPS) et pour tous les blés durs. En échange de cette obligation, une prime de 5 à 60 € la tonne est rajoutée. Michel Lucas, inspecteur de la DGCCRF à Angoulême estime que « la coopérative propose des contrats selon un cahier des charges, l’agriculteur est complètement libre d’opter ou pas pour ce contrat, personne n’exige quoi que ce soit ». "Jouer la carte filière ou tracée", Agrodustribution, avril 2004, pp. 30-31. Autre exemple : Soufflet Agriculture recommande aux agriculteurs d’utiliser des semences certifiées, de n’employer que des produits phytosanitaires homologués sur orge de brasserie et d’enregistrer les itinéraires culturaux. A moyen terme, tous les producteurs d’orge et de brasserie devront aussi suivre les préconisations de la charte ITCF/Irtac. L. CAMPARIOL, "Variétés d’orges : peu d’élues sur le marché brassicole", Semences et

Progrès, avril, mai, juin 2002, pp. 8-18.

Aussi, dans le cas des contrats de production du blé, d’après une enquête du GNIS, « les producteurs, en échange d’une meilleure valorisation de leurs récoltes, acceptent divers engagements : respect de normes physiques des grains (99 % des contrats), de normes qualitatives et technologiques (92 %), utilisation de variétés choisies par les organismes de collecte (88 %), utilisation de semences certifiées fournies par eux (70 %) […] ». AGPB, "Le blé français est produit de plus en plus sous contrat", Lettre d’information de l’A.G.P.B., avril 2001, p. 1.

lesquelles l’agriculteur-utilisateur doit choisir232. Enfin, les cahiers des charges des appellations d’origine contrôlée indiquent parfois la variété qui doit être utilisée pour la production en question. Pour la lentille du Puy de Dôme, l’Anicia est actuellement la seule variété utilisée, mais c’est aussi parce qu’elle est la seule variété de lentille verte disponible233. Le choix de la variété de semence ne relève donc pas toujours de l’agriculteur. Certains agriculteurs regrettent le manque de choix en agriculture conventionnelle234, mais c’est surtout en agriculture biologique que les agriculteurs se plaignent de ne pas trouver les variétés adaptées à leurs parcours techniques qui utilisent beaucoup moins d’engrais et d’herbicides chimiques235.

Face à cette difficulté, certains agriculteurs cherchent des solutions en dehors du circuit long professionnel, en s’appropriant la responsabilité de la production de leur semence, comme c’est le cas du Réseau Semences Paysannes236.

122. La semence n’est pas seulement utilisée dans le cadre d’une agriculture

professionnelle. Les collectivités territoriales et les entreprises d’espaces verts sont aussi de grands utilisateurs de semences agricoles et de légumes pour leurs parterres de fleurs ou dans les parcs. Des activités comme le golf se révèlent être de gros utilisateurs de semences de gazon. Un autre gros utilisateur est le Réseau Ferré de France (RFF) qui a hérité d’une partie de la gestion des chemins de fer de France et donc des aménagements de tous les bords de voies ferrées. Et il y a aussi les jardiniers amateurs qui achètent des semences pour leurs potagers.

123. Tous ces utilisateurs n’étaient pas visés lors de l’élaboration de la réglementation

semence qui cherchait à apporter une certaine qualité de semence aux seuls agriculteurs. Pourtant, la réglementation est appliquée quel que soit l’utilisateur, bien qu’elle n’ait pas été conçue pour eux. Pour un utilisateur comme le RFF par exemple, ce n’est pas la productivité 232Voir la note de bas de page ci-dessus.

233 Voir en ce sens, L. GRY, "Comment reconnaître les signes de qualité", Semences et Progrès, octobre- novembre-décembre 1997, pp. 20-26.

234 « Ce qui la préoccupe le plus c’est le manque de choix qui se fait jour sur certaines espèces. "Je regrette qu’hormis les endives, les producteurs n’aient pas su investir dans un semencier pour garder la main sur les orientations variétales. A cause de cela nous sommes dépendants de leurs choix et par exemple nous ne trouvons déjà presque plus de semences de céleri branche ou de fenouil" ». "Pour Angélique Delahaye "un poids plus lourd dans les dépenses"", L’Information Agricole, juin 2003, p. 17.

235Un projet de l’INRA en sélection de blé dur a été initié à la demande d’agriculteurs et d’industriels qui ne trouvaient pas de variétés adaptées à leurs pratiques en France. Cette demande a été élaborée afin d’éviter que toute production de blé dur biologique ne disparaisse en France. D. DESCLAUX et Y. CHIFFOLEAU, "Participatory plant breeding, op. cit.

qui préoccupe mais le choix de mélanges qui s’auto-pérenniseront sur les bords des voies ferrées et demanderont peu d’entretien. Différemment, pour un jardinier, ce sont peut-être le goût et l’originalité de la variété qui primeront sur la productivité.

L’hétérogénéité des besoins des agriculteurs et des utilisateurs non-agriculteurs rend la tâche difficile pour les entreprises du secteur qui doivent faire face à la reproductibilité aisée de la semence, les contraintes techniques et la concurrence. Il est plus facile de fournir un produit à un grand nombre d’utilisateurs, qu’un grand nombre de produits à un petit nombre d’utilisateurs. C’est pourquoi l’industrie agro-alimentaire, avec sa logique de standardisation des produits vendus aux consommateurs, est devenue un utilisateur incontournable, bien qu’elle ne soit pas un utilisateur direct.

2°) Les utilisateurs indirects : l’industrie agro-alimentaire

124. L’industrie agro-alimentaire requiert le recours à la mécanisation pour une

production de masse. Cette mécanisation ne fonctionne de manière optimale que si les produits sont homogènes par la forme, la composition et souvent l’aspect. Tantôt une conserverie souhaitera des carottes bien droites pour être aisément épluchées et découpées par ses machines, tantôt un brasseur souhaitera une variété d’orge bien précise entrant dans la composition de sa bière. Leurs besoins sont si bien identifiés et défendus qu’ils influent sur le choix des variétés au stade de leur sélection, de leur production et de leur commercialisation. Certaines entreprises, certains groupements ou associations professionnels, tel que ceux des brasseurs ou boulangers, imposent contractuellement l’utilisation de semences certifiées aux agriculteurs avec qui elles travaillent237. Il s’agit là de « contrats d’intégration »238. Nous n’étudierons pas en détail ce contrat nommé, mais il est nécessaire d’en préciser quelques points pour souligner le rôle et l’influence des entreprises agro-alimentaires dans les choix faits par les agriculteurs.

237Voir note de bas de page n°231.

238 Pour des articles et des ouvrages sur les contrats d’intégration, voir par exemple : F. COLLART DUTILLEUL et P. DELEBECQUE, Contrats civils et commerciaux, Dalloz, 2007, J. DANET, "Contrats individuels d’intégration", Jurisclasseur rural, fasc. 10, 2004, J. DANET, "L’intégration horizontale", La

Gazette du Palais, 7-8 octobre 2005, J.-P. DEPASSE, "Double éclairage de la Cour de cassation en matière de

contrats d’intégration sur la notion de contrats-type et sur le contenu des contrats individuels", Revue de Droit

Rural, décembre 2003, n° 318, R. LE GUEN, "La pratique des contrats d’intégration en agriculture : une

approche de sociologie économique", La Gazette du Palais, vendredi 7, samedi 8 octobre 2005, n° 280-281, L. LORVELLEC, "Les contrats agro-industriels", in Les écrits de droit rural et agroalimentaire, Dalloz, 2002, G. J. MARTIN, "Les contrats d’intégration dans l’agriculture", R.T.D.Com., 1974, J. MEGRET, "Système contractuel et intégration en agriculture", Dalloz, chron., 1964.

125. Dans le domaine des activités agricoles, la dénomination de « contrat

d’intégration » correspond à une qualification légale (art. L 326-1 et s. du C. rural)239 et l’objectif de ce contrat nommé est de mettre un terme aux nombreux abus dans les contrats imposés aux agriculteurs par les entreprises de l’agro-alimentaire. Ce contrat ne s’applique donc qu’aux contrats conclus entre un producteur agricole et une entreprise industrielle ou commerciale (art L. 326-1 du C. rur.), et exclut les relations entre coopératives agricoles et leurs agriculteurs coopérants240. En effet, c’est le lien économique de dépendance du producteur vis-à-vis de l’entreprise agro-alimentaire qui est uniquement visé (art. L. 326-1, al 1, C. rural)241. Ce contrat nommé montre le rôle décisif des relations contractuelles verticales dans la filière agro-alimentaire et le pouvoir d’influence que peuvent avoir les entreprises de l’agro-alimentaire dans la définition des produits, y compris des semences.

126. Ils pèsent par exemple sur l’élaboration des critères d’autorisation de mise sur le

marché des variétés (inscription de variétés au Catalogue). Limitons-nous ici à un exemple : l’industrie agro-alimentaire a besoin de fruits et légumes qui résistent aux chocs endurés pendant des trajets de plus en plus longs ou de produits qui se conservent plus longtemps. Dans bon nombre de cas, ce gain en matière de conservation a pu se faire aux dépens du goût, comme ce fut le cas pour les tomates242. Pour autant, l’intérêt de l’industrie agro-alimentaire est au renforcement du circuit long professionnel, seul capable de répondre à ses besoins de masse et d’homogénéité des produits.

127. Logiquement, cette spécialisation des définitions autour de la semence et des

acteurs économiques du circuit long professionnel a entraîné une spécialisation similaire du droit applicable aux activités de la filière. Ce droit est aujourd’hui technique et complexe, et les techniciens, ingénieurs et juristes se perdent dans la minutie du détail.

239Il s’agit d’un contrat nommé, dont la loi définit le domaine d’application et le régime juridique. F. COLLART DUTILLEUL et P. DELEBECQUE, Contrats civils et commerciaux, Dalloz, 2007, p. 869.

240V. Cass 1re civ., 4 mars 1997, Bull. civ., I, n°77, D., 1997, IR 83 ; 6 mis 2003, PA, 8 décembre 2003, n°2003, n0224, p. 16, note G. PIGNARRE.

En revanche, le contrat qui lie une coopérative à un exploitant non sociétaire peut fort bien avoir la nature d’un contrat d’intégration (Cass. 1re civ., 9 nov. 1999, Bull. civ., I. n°303).

241 Mais le contrat ne sera pas qualifié d’intégration s’il ne contient « d’autre obligation pour le ou les producteurs agricoles que le paiement d’un prix mentionné au contrat » (art. L. 326-3 al. 1).

242L. GRY, "Mobilisation de la filière tomate à la recherche du goût", Semences et Progrès, janvier, février, mars 2000, pp. 16-25.

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