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Les acteurs de la sélection de variétés végétales

1 re Partie : La pluralité des modèles économiques occultée par la réglementation

Section 1. Une spécialisation du produit et des acteurs économiques

A. Les acteurs de la sélection de variétés végétales

101. Le terme de « sélectionneur » qualifie de manière générale toute personne qui

sélectionne des variétés. Pourtant le terme d’ « obtenteur » est beaucoup plus employé aujourd’hui. Ce glissement du mot « sélectionneur » au mot « obtenteur » est significatif du cloisonnement de la filière. Au sens large, le sélectionneur peut aussi bien inclure des chercheurs que des agriculteurs, tandis que celui d’obtenteur décrit précisément celui qui obtient une variété bien déterminée et fixée, une variété DHS. La spécialisation du terme participe du confinement du métier de sélectionneur aux seuls spécialistes « professionnels » de l’obtention185, ceux qui obtiennent une nouvelle variété qui satisfait les critères de DHS. Le terme est symbolique de l’évolution du métier de la sélection qui s’est concentrée sur la recherche formelle186. La particularité du terme d’obtenteur fige ainsi le métier de 185 Plus généralement, toute la recherche sur le vivant fait l’objet d’une professionnalisation et d’une industrialisation. Voir en ce sens, F. BELLIVIER et C. NOIVILLE, Contrats et vivant, LGDJ, 2006, p. 54. 186Il en va de même de la conception des juristes de ce métier. Dans sa thèse T. BOUVET explique qu’il y a deux types de chercheurs :

- « les obtenteurs traditionnels : à partir d’une collection d’individus donnée l’obtenteur va « créer de nouveau » en effectuant des hybridations artificielles et en provoquant des recombinaisons génétiques ».

- et les généticiens : à l’inverse des obtenteurs traditionnels, l’industrie des biotechnologies se caractérise par une grande diversité de discplines scientifiques concernées et des directions de progrès potentiel ». Ces derniers sont pour lui de « véritables chimistes. Il travaillent à partir d’un gène donné qu’ils cherchent à introduire dans une

sélectionneur dans l’idée qu’une sélection se fait en vue d’obtenir une variété DHS. C’est pourquoi nous distinguerons les deux termes tout au long de cette thèse. Nous n’emploierons le terme « obtenteur » que lorsque nous faisons référence aux acteurs qui sélectionnent dans le cadre du circuit long professionnel. Nous emploierons le terme “sélectionneur » lorsque nous nous référerons à des acteurs qui dépassent ce seul cadre. Etudions tout d’abord les « obtenteurs de variétés commerciales » (1°) avant de découvrir la diversité des acteurs qui participent à une nouvelle forme de sélection : la sélection participative (2°).

1°) Les obtenteurs de variétés commerciales

102. La notion d’obtenteur s’inscrit seulement dans la logique du droit d’obtention

végétale car la réglementation des semences n’emploie jamais ce terme187. L’article 1.iv) de la Convention UPOV de 1991 le définit comme « la personne qui a créé ou qui a découvert et mis au point une variété […] »188. Il est celui qui sélectionne des variétés nouvelles.

103. Après la longévité de maisons prestigieuses telles que Vilmorin-Andrieux créée

en 1774, Tézier (1785), ou encore Clause (1796)189, aujourd’hui, leur nombre est en baisse constante190. Il n’existait plus que 71 obtenteurs officiellement en juillet 2007191, nombre qui inclut des entreprises telles que Limagrain, 3e entreprise au niveau mondial, ou familiales telles que les Etablissements Desprez avec 360 employés dont 170 sont engagés dans des

plante pour lui conférer une qualité particulière ». T. BOUVET, La protection juridique de l’innovation végétale, Université de Versailles, 9 mars 2000, p. 60 et 61.

187Il est intéressant de noter que sous l’impulsion des obtenteurs français, les obtenteurs se sont organisés en association internationale dès 1925 pour promouvoir l’idée d’un droit de propriété intellectuelle pour protéger leurs créations et constituent depuis une formation très importante sur la scène de la sélection variétale. Il s’agissait de l’Association Internationale des Sélectionneurs pour la Protection des Obtentions Végétales (ASSINSEL). Cette association qui a œuvré pour la création du droit d’obtention végétale et pour son adoption dans de nombreux pays a cependant perdu sa spécificité quand elle a fusionné avec la Fédération Internationale des Semenciers (FIS) pour créer l’International Seed Federation en mai 2002. Au sein de l’ISF se retrouvent désormais les promoteurs de l’obtention végétale et ceux du brevet (Monsanto, Syngenta, etc.).

188Union internationale pour la protection des obtentions végétales, Convention internationale pour la protection des obtentions végétales révisée à Genève le 10 novembre 1972, le 23 octobre 1978 et le 19 mars 1991.

189C. BONNEUIL et F. THOMAS, Du maïs hybride aux OGM : une histoire de la génétique végétale à l’INRA, INRA, à paraître.

190En 2003 il y avait encore 89 entreprises selon les chiffres officiels du GNIS. En 2005, il n’y avait plus que 74 obtenteurs en France dont 24 obtenteurs horticoles, soit seulement 50 obtenteurs d’espèces de grande culture et de légumes.

191Au mois de juin 2007, les résultats de la dernière enquête du GNIS auprès des différents acteurs de la filière a révélé que le nombre d’obtenteurs était de 64. Chiffre affiché dans un premier temps sur le site du GNIS dans un communiqué que nous avons consulté le mercredi 11 juillet (CLAVEL K., "Conservation de la biodiversité cultivée : qui fait quoi ?" GNIS, 15 juin 2007). Or, suite à notre rendez-vous au GNIS, et à notre étonnement face à cette baisse subite alors qu’il y a eu peu de fusions-acquisitions dans le secteur, le chiffre de ce communiqué a été modifié. Le communiqué de presse indique désormais qu’il y a 71 obtenteurs en France (Une version imprimée de ces deux pages est disponible auprès de l’auteur).

travaux de recherche-développement192 ou encore l’Institut National de Recherche Agronomique (INRA)193.

104. Les principaux obtenteurs bénéficient d’une double source de revenus qui les

met à l’abri d’une situation de dépendance économique. Ils produisent eux-mêmes leurs propres variétés et vendent aussi des licences194. Les petits obtenteurs n’ont généralement pas la capacité de produire les semences de leurs variétés en quantités suffisantes et ils dépendent des producteurs de semences pour les produire. Il leur est difficile de faire face à la concentration de plus en plus marquante des métiers de la sélection dans les mains d’un petit nombre d’obtenteurs, et de refuser les offres de rachat195. Enfin, les petits obtenteurs ne parviennent pas à combler leur manque à gagner dû à la « semence de ferme ». En effet, les agriculteurs produisant de la semence de ferme à partir de variétés protégées, sans leur payer de redevances (ou « royalties ») nuisent à la viabilité économique de ces entreprises.

105. La baisse constante du nombre d’obtenteurs influe sur les stratégies des

entreprises qui se concentrent sur un nombre moindre de variétés produites en grandes quantités. Cela signifie une perte de diversité et, inévitablement, peu de volonté de satisfaire les marchés de niche, puisque le revenu du marché principal suffit et qu’il est moins difficile de satisfaire des marchés de masse que des marchés de niche. Ces effets de concentration et de segmentation du marché ont conduit à la naissance d’une pratique nouvelle, mais très minoritaire : la sélection participative.

2°) La sélection participative et la reconsidération du rôle des agriculteurs

106. Le constat est simple et expliqué par D. DESCLAUX : à la « diversité de

situations, le secteur semencier privé ne peut répondre seul pour des raisons économiques et 192T. JOLY, "Florimond Desprez : Sélectionneur depuis cinq générations", L’Information Agricole, juin 2003, pp. 22-23.

193 L’INRA a privilégié une collaboration avec les coopératives après la Deuxième Guerre Mondiale. La première variété de maïs hybride créée par l’INRA a été distribuée par la coopérative UNCAC (Union nationale des coopératives agricoles de céréales). J. GRALL et B. R. LÉVY, La guerre des semences : quelles moissons,

quelles sociétés?, Fayard, 1985, p. 134.

194Par exemple, l’entreprise Desprez, dont le chiffre d’affaire global pour 2002 était de 65 millions d’euros. Une partie de ce revenu résultait des seuls contrats de licence dans 35 pays, soit 15 millions d’euros. T. JOLY, "Florimond Desprez : Sélectionneur depuis cinq générations", L’Information Agricole, juin 2003, pp. 22-23. Cette entreprise crée des dizaines de variétés chaque année, dont, par an, environ 25 à 40 nouvelles variétés inscrites dans le monde et 10 à 15 en France.

195 Selon Philippe Gracien, le directeur du GNIS, « ces vingt dernières années ont été marquées par les concentrations et l’arrivée de nouvelles multinationales. Un double phénomène favorisé par l’envolée des coûts de recherche liés aux biotechnologies qui ne peuvent être amortis que par des sociétés de grande taille travaillant de larges marchés. Dans ce contexte, les petites entreprises indépendantes n’ont d’autre choix que de passer des accords avec des partenaires privés ou la recherche publique ». Ibid.

institutionnelles, techniques et conceptuelles : économiques, car le coût des programmes de sélection et les objectifs commerciaux de diffusion incitent à développer des cultivars à large adaptation »196. Selon l’auteur, « le sélectionneur travaille « de plus en plus fréquemment en relative autarcie dans sa station expérimentale [et] encourt le risque de ne plus avoir accès aux critères intéressant l’agriculteur et de perdre ainsi sa nécessaire capacité d’anticipation » 197. D’où une défaillance du marché due à une offre homogène face à la diversité de la demande.

Pour faire face à cette défaillance, des chercheurs travaillent depuis les années 1980 sur des « démarches participatives »198. Il s’agit d’une « sélection participative »199 qui implique les agriculteurs en amont du processus de la sélection et ne les considère plus seulement comme les utilisateurs d’un produit conçu par des chercheurs200. Cette sélection participative offre plusieurs avantages lorsqu’il s’agit de trouver des produits adaptés à des besoins de niches auxquels le circuit long professionnel ne répond pas. C. BONNEUIL et E. DEMEULENAERE en font état dans un article201. L’implication des agriculteurs dans cette sélection signifie un coût plus faible, qui permet d’accroître le nombre des essais et « d’atteindre une très grande puissance statistique, qui compense le caractère moins contrôlé des essais chez les agriculteurs »202. Ce coût moindre et l’implication des agriculteurs permettent aussi « de conduire dans un même programme une multitude d’innovations répondant aux besoins variés d’agriculteurs dans différentes zones, un modèle d’innovation « sur mesure » selon une logique d’économie de variété »203.

107. En France, aujourd’hui, plusieurs projets de sélection participative autour du blé

tendre, blé dur, du chou et du maïs204, impliquent chercheurs et agriculteurs pour sélectionner 196 Elle poursuit et dit « les possibilités d’inscription variétale pour des environnements ou des critères spécifiques sont limitées ; techniques, car liées à la difficulté de compréhension et capture des interactions [génome et l’environnement] ; et conceptuelles, car le développement de technologies orientées-produit ignore le contexte dans lequel les produits et technologies seront appliqués ». D. DESCLAUX, "Sélection participative : spécificités et enjeux pour des agricultures paysannes et durables", Le courrier de l’environnement de l’INRA, octobre 2006, n° 30, p. 119. Elle s’appuie notamment sur des travaux de AMEKINDERS et ELINGS.

197Ibid. Elle s’appuie notamment sur des travaux de MORRIS et BELLON.

198En ce sens, C. BONNEUIL et E. DEMEULENAERE, "Vers une génétique de pair à pair ?, op. cit. 199« Plant Participatory Breeding », en anglais.

200 Il s’agit « de repenser la division stricte du travail qui a conduit à considérer le sélectionneur comme un créateur de variétés et l’agriculteur comme un simple utilisateur (Lammerts van Bueren, 2002) » cité par D. DESCLAUX et Y. CHIFFOLEAU, "Participatory plant breedin : the best way to breed for sustainable agriculture?" International Journal of Agricultural Sustainability, 2006, 4, n° 2.

201C. BONNEUIL et E. DEMEULENAERE, "Vers une génétique de pair à pair ?, op. cit. 202Ibid.

203Ibid. Les auteurs expliquent que dans des programmes de sélection participative « au Pérou, les paysans ne distinguent pas moins de 39 caractères de la pomme de terre comme critères potentiels de sélection. On compte alors sur la sélection participative pour dépasser les limites d’une amélioration classique qui ne ciblait que quelques critères ».

204Ibid, V. CHABLE et J.-F. BERTHELLOT, "La sélection participative en France : présentation des expériences en cours pour les agricultures biologiques et paysannes", Le courrier de l’environnement de l’INRA,

des variétés à faibles intrants, tous s’inscrivant dans une logique d’une plus grande indépendance de l’agriculteur et, pour certains, d’une meilleure prise en compte de la protection de l’environnement et de la santé humaine205.

108. Le Réseau Semences Paysannes s’inscrit dans cette démarche de sélection

participative. Ce réseau regroupe des agriculteurs, le plus souvent en agriculture biologique qui, en l’absence de variétés de semences répondant à leurs besoins, ont entrepris de trouver des solutions. Ils sélectionnent, seuls ou en collaboration avec la recherche publique, des variétés nouvelles qui ne sont pas obligatoirement DHS. Ils cherchent aussi à utiliser de nouveau des variétés locales oubliées.

Il « regroupe des associations et des syndicats de professionnels ou d’amateurs, travaillant en agriculture biologique ou conventionnelle, décidés à coordonner leurs efforts pour conserver et développer la biodiversité cultivée dans les champs » 206. Ils travaillent en collaboration avec des chercheurs en vue de sélectionner des variétés adaptées à leurs besoins, variétés dont aucun droit de propriété intellectuelle ne freine l’utilisation. Cette démarche vise à mieux maîtriser toutes les étapes de la filière, en offrant non seulement une plus grande indépendance aux agriculteurs dans leur choix de variétés selon leurs besoins, mais aussi la liberté de produire cette variété et de la ressemer.

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