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Les événements de transformation génétiquement modifiés

1 re Partie : La pluralité des modèles économiques occultée par la réglementation

Section 1. Une spécialisation du produit et des acteurs économiques

D. Les événements de transformation génétiquement modifiés

94. Les événements de transformation sont un exemple de spécialisation du produit

par une spécialisation de la technique et des acteurs économiques. La part croissante du génie génétique dans les méthodes de sélection végétale a fortement bouleversé la filière semence dans son organisation, ses acteurs et son modèle économique. En ouvrant la voie à un nouveau niveau de définition des produits et de leur industrialisation, le génie génétique permet l’exploitation de micro-organismes, de cellules animales et végétales et de leurs constituants dans le but de produire des biens et des services177.

95. Sans nous attarder sur les questions de brevetabilité du vivant, il faut comprendre

qu’un fragment d’ADN peut être introduit dans une cellule si on dispose du vecteur capable de le transférer. En langage courant, l’« événement de transformation » est utilisé pour désigner la construction qui en résulte : il peut s’agir d’une ou plusieurs modifications génétiques individuelles du génome. Pour autant, ce terme n’est pas employé dans les directives relatives à la dissémination d’organismes génétiquement modifiés qui emploient de

le terme de « modification génétique »178. Il n’est pas non plus employé dans la directive relative à la protection juridique des inventions biotechnologiques qui emploie le terme « une matière biologique isolée »179.

96. L’événement de transformation peut comprendre un ou plusieurs gènes d’intérêt

destinés à produire une ou plusieurs protéines responsables d’un caractère intéressant, telles qu’une protéine toxique pour un ravageur. Il peut éventuellement comprendre un gène marqueur, induisant, par exemple, la résistance à un antibiotique comme l’ampicilline. On dira, par exemple, que le MON810180 est le nom d’un événement de transformation dont la mise sur le marché a été autorisée en France en 1998181. Cet événement de transformation est lui-même présent dans plus d’une soixantaine de variétés dites « variétés OGM », telles que la variété Tyrexx182, librement commercialisables dans l’Union européenne sauf dérogation spécifique.

97. La précision croissante des techniques et des connaissances scientifiques influe au

niveau juridique qui doit encadrer la semence non plus seulement en tant que seule graine, mais aussi en fonction de son espèce, sa variété, son type et son « contenu ». Chaque niveau 178Par exemple, voir l’art. 2.a. de la Directive 2001/18/CE du Parlement européen et du Conseil du 12 mars 2001 relative à la dissémination volontaire d’organismes génétiquement modifiés dans l’environnement et abrogeant la directive 90/220/CEE du Conseil, JOCE L 106/1, 17.04.2001.

179L’article 3.2 énonce : « Une matiere biologique isolée de son environnement naturel ou produite à l’aide d’un procédé technique peut être l’objet d’une invention, même lorsqu’elle préexistait à l’état naturel ».

Directive 98/44/CE du Parlement européen et du Conseil du 6 juillet 1998 relative à la protection juridique des inventions biotechnologiques, JOCE L 213/13, 30.07.1998.

180Il vise à conférer une résistance à la pyrale du maïs, insecte qui porte préjudice aux récoltes de maïs.

181Arrêté du 3 août 1998 relatif à la commercialisation de maïs transgénique (Zea mays LT 25 et Mon 810), JORF du 5 août 1998, p. 11985.

Deux arrêtés du mois de février 2008 suspendent la mise en culture de maïs contenant le MON810 qui avait été autorisée par l’arrêté de 1998 et ce jusqu’à ce qu’il ait été statué sur la demande de renouvellement de l’autorisation de mise sur le marché de cet organisme. Arrêté du 7 février 2008 suspendant la mise en culture des variétés de semences de maïs génétiquement modifié (Zea mays L. lignée MON 810), JORF du 9 février 2008, Arrêté du 13 février 2008 modifiant l’arrêté du 7 février 2008 suspendant la mise en culture des variétés de semences de maïs génétiquement modifié (Zea mays L. lignée MON 810), JORF du 19 février 2008.

Le premier arrêté de février 2008 interdisait la mise en culture en vue d’une mise sur le marché de la récolte (vente du grain ou du fourrage), le deuxième vient supprimer les mots « mise sur le marché » afin que la mise en culture par un agriculteur pour nourrir ses animaux (alimentation animale) soit aussi prise en compte par cet arrêté de suspension. En effet, un agriculteur qui sème des semences pour récolter du fourrage pour produire de l’alimentation de son bétail n’effectue pas de mise sur le marché de sa récolte. Il est donc logique que la suspension vise aussi la mise en culture pour la production de récoltes qui ne sont pas mises sur le marché. L’Association des Producteurs de Maïs (AGPM) a déposé une requête en demande de suspension de ces deux arrêtés. Le Conseil d’Etat a rejeté la requête le 19 mars 2008. C.E., 19 mars 2008, Association générale des

producteurs de maïs et autres, ordonnance du juge des référés, n°s 313547,313549,313606,313615,313617,

313619,313621,313623,313625,313684, inédit, disponible en ligne sur www.conseil-etat.fr.

182 En ce sens, Common catalogue of varieties of agricultural plant species — 26th complete edition, JOUE C 304A Volume 50, 15 December 2007. "ZEA MAYS L. - MAIZE" p. 370 et s., http://europa.eu.int/eur- lex/lex/JOHtml.do?uri=O : :2007:304 :SO :E :HTML.

de précision a son importance. Pour l’espèce il s’agit principalement de comprendre la distinction entre les modes de production. Pour la variété il s’agit de comprendre l’enjeu de la définition de la structure génétique. Tandis que pour la semence, c’est le rôle des catégories dans la standardisation de ce produit qui importe. Enfin, pour les évènements de transformation il faut distinguer son régime d’autorisation de mise sur le marché de celui des variétés végétales.

98. La complexité de ce produit est encore renforcée par la segmentation de la filière

et la spécialisation des acteurs économiques : à chacune des étapes de sélection, production, distribution et utilisation, le régime juridique applicable à la semence ne sera pas le même. Il est de ce fait nécessaire d’étudier les différentes catégories d’acteurs du modèle économique dominant.

§2. Une spécialisation des acteurs économiques

99. Si, au 19e siècle, une majorité d’agriculteurs sélectionnaient et/ou produisaient leurs propres semences, ou les achetaient auprès d’agriculteurs voisins, au 20e siècle, la filière semencière connaît la formation de corps de métiers spécialisés complémentaires que nous appellerons « catégories professionnelles » . Elles s’inscrivent dans la logique du circuit long professionnel. Cette segmentation visait une optimisation du travail selon un modèle fordiste de division des tâches de production mise en lumière pour ce qui concerne la sélection de variétés végétales par C. BONNEUIL et E. DEMEULENAERE183. En est issue une sélection et une production de variétés à haut rendement sans précédent, mais cette spécialisation a aussi eu pour conséquence de cantonner les agriculteurs au rôle d’agriculteur-utilisateur, simple acheteur de semences184.

100. En amont, les personnes physiques ou morales sélectionnent des variétés (ci-

après nous emploierons le terme générique de « sélectionneur ») (A). Plus loin dans la chaîne, et plus nombreux, sont les différents acteurs de la production de semences : nous emploierons 183C. BONNEUIL et E. DEMEULENAERE font le parallèle entre les théories du fordisme et la segmentation de la filière semence et qualifient l’avènement de la division du travail et d’une spécialisation des tâches que revendiquent les acteurs du CLP de « logique fordiste » ou encore « d’ordre industriel fordiste ». C. BONNEUIL et E. DEMEULENAERE, "Vers une génétique de pair à pair ? L’émergence de la sélection participative", in Des

sciences citoyennes ?, F. CHARVOLIN, et al., Editeur de l’Aube, Paris, 2007.

184 Pour C. BONNEUIL et E. DEMEULENAERE, cette logique fordiste a pour conséquence que « les agriculteurs français perdent alors les fonctions d’innovation et de conservation pour n’être que producteurs, dans le cadre d’un compromis plus large où les mieux dotés et les plus entreprenants d’entre eux accèdent à des revenus et des responsabilités professionnelles plus élevées ». Ibid.

Nous ajouterons que les agriculteurs français ont aussi perdu leurs fonctions de producteurs autonomes et de distributeurs de semences.

le terme de « producteurs de semence » pour qualifier l’ensemble de ces acteurs (B). Ensuite, divers acteurs participent à la vente et à la revente des semences, nous les qualifierons de manière générale de « distributeurs » (C). Tous ces « acteurs » travaillent pour fournir des semences à des « utilisateurs de semences » qui sont en grande partie des agriculteurs, mais pas uniquement (D).

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