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La mise sur le marché de variétés ou « l’inscription au Catalogue officiel »

1 re Partie : La pluralité des modèles économiques occultée par la réglementation

Section 2. Une spécialisation du droit

A. La mise sur le marché de variétés ou « l’inscription au Catalogue officiel »

134. Tout amateur de plantes comme tout agriculteur sait que les entreprises

semencières ont depuis longtemps proposé la vente de variétés par le biais de catalogues de vente246. Bien différents sont les « Catalogues officiels » dont il est question ici. Créés par la réglementation, ils visent en réalité des registres composés de la liste des variétés autorisées à la mise sur le marché.

135. « L’inscription au Catalogue », expression couramment employée, est une

forme d’autorisation de mise sur le marché (AMM), similaire aux régimes d’AMM des médicaments ou des produits phytosanitaires, même si, à la différence de ces deux derniers, le mécanisme d’inscription des semences au Catalogue est souvent oublié dans les études juridiques consacrées aux AMM247. De l’AMM, l’inscription au Catalogue présente pourtant tous les traits : il s’agit bien d’une autorisation administrative accordée par le ministre de l’Agriculture, préalablement à toute mise sur le marché d’une variété d’une espèce réglementée. Cette AMM n’est accordée que si la variété remplit certaines conditions. Le détail de ces conditions et de la procédure d’inscription est contenu dans les règlements techniques d’inscription homologués par le ministre de l’Agriculture (ci après « règlement technique d’inscription »). Il est indispensable d’en cerner les contours car il est parfois confondu avec d’autres mécanismes juridiques, est entouré d’un certain flou, et n’existe pas dans de nombreux autres pays, comme les Etats-Unis248.

246 En ce qui concerne les blés, Louis de Vilmorin édite dès 1850 un catalogue descriptif et comparatif des froments, puis en 1867 un Catalogue Général de Graines et de Plantes. La consultation d’anciens catalogues est possible en ligne : http://museum.agropolis.fr/pages/documents/bles_vilmorin/index.htm.

247 Seul le Lamy Economique décrit brièvement l’inscription au Catalogue à la suite de la description des procédures pour les AMM médicaments et produits phytosantaires. Lamy Droit économique, 2006, n°6253. Le Jurisclasseur portant sur les AMM ne mentionne pas l’existence du mécanisme d’inscription au Catalogue. E. BERNARD, "Autorisation de mise sur le marché", Jurisclasseur Europe, novembre 2003. Cet oubli que l’on retrouve dans tous les manuels traitant ou établissant une liste des mécanismes d’AMM peut s’expliquer par la terminologie employée. Il est vrai qu’il est difficile pour des experts d’AMM d’identifier le système d’inscription au Catalogue comme une AMM.

248Les Etats-Unis ne connaissent pas le système d’inscription au Catalogue : toute variété y est commercialisable si elle respecte les conditions de commercialisation (taux de germination, étiquetage, etc.), sauf si elle est interdite (ex. variétés de cannabis).

136. D’une part, l’inscription n’est pas une forme de droit de propriété intellectuelle

et ne confère aucun droit exclusif sur la commercialisation de la variété. Elle s’applique indistinctement aux variétés protégées par un droit d’obtention végétale et aux variétés du domaine public qui ne sont pas ou ne sont plus protégées. M.-A. HERMITTE écrit à ce propos : « une variété peut être protégée, sans être inscrite [au catalogue], et réciproquement »249.

137. D’autre part, l’inscription au Catalogue n’est pas l’AMM utilisée pour la mise

sur le marché des évènements de transformation OGM (OGM). Aujourd’hui, le domaine des semences fait en effet l’objet de deux procédures distinctes d’AMM qu’il s’agit de ne pas confondre : la procédure relative à la mise sur le marché d’une variété et celle, plus récente, applicable à la mise sur le marché d’évènements de transformation OGM. Une semence mise sur le marché, et qui contient un évènement OGM, aura fait l’objet de deux procédures d’AMM : tout d’abord, « l’évènement de transformation » (ex. MON810) aura fait l’objet d’une AMM conformément à la procédure exigée (ex. 2001/18250) et transposée en droit national251 ; ensuite, la variété contenant cet OGM devra être inscrite au Catalogue, ce qui autorisera sa mise sur le marché sous la forme de semence. Il faut comprendre qu’un même événement de transformation OGM peut être intégré dans un nombre illimité de variétés différentes.

138. Cela étant rappelé, quels sont les objectifs de « l’inscription au Catalogue » ?

Elle a un double objectif qui primerait sur la liberté du commerce. D’une part, elle permet d’identifier et de décrire les variétés en appliquant les critères de distinction, homogénéité et stabilité (DHS) : le Catalogue se définit comme un mécanisme qui garantit l’identité d’une variété pour le commerce des semences dans le circuit long. D’autre part, elle permet de faire un tri parmi les variétés mises sur le marché sur la base des critères de valeur agronomique et technologique (VAT) 252 ; mais ce seulement pour les espèces utilisées en grande culture, les 249M.-A. HERMITTE, "Histoires juridiques extravagantes - la reproduction végétale", in L’homme, la nature et

le droit, B. EDELMAN et M.-A. HERMITTE, Christian Bourgois Editeur, Paris, 1988, p. 68.

250 Directive 2001/18/CE du Parlement européen et du Conseil du 12 mars 2001 relative à la dissémination volontaire d’organismes génétiquement modifiés dans l’environnement et abrogeant la directive 90/220/CEE du Conseil, JOCE L 106/1, 17.04.2001.

251 Pour une étude de la procédure française et communautaire, voir n°45 et suivants in C. NOIVILLE, "Organismes génétiquement modifiés", Jurisclasseur Europe, 2005.

252Contrairement à la VAT, les critères DHS en France ne sont pas considérés comme un élément éliminatoire de la plupart des variétés dont l’inscription est demandée. En effet, 90% des variétés pour lesquelles une demande d’inscription est demandée sont considérées DHS. G. SULMONT, Etude comparée des systèmes

d’inscription au catalogue des variétés d’espèces agricoles dans les principaux pays européens, GEVES, janvier

espèces potagères n’étant pas concernées. En droit communautaire, c’est le terme « valeur culturale et d’utilisation suffisante » (VCU) qui est employé.

L’objectif de la VAT est de n’autoriser que des variétés qui présentent « une nette amélioration soit pour la culture, soit pour l’exploitation des récoltes ou l’utilisation des produits qui en sont issus »253. Autrement dit, la VAT est, en principe, fondée sur des caractères présentant un intérêt pour l’agriculteur ou pour les utilisateurs254.

139. Les objectifs définis, il faut préciser de manière introductive certains aspects du

régime d’inscription au Catalogue, et plus particulièrement la définition des caractéristiques VAT. Elle est laissée à la discrétion de chaque Etat membre, censé être le plus apte à juger de ce qui convient à ses conditions locales particulières255. Elles varient selon l’espèce et peuvent comprendre, par exemple, des caractéristiques spécifiques de rendement, de résistance aux maladies, et de teneur en certains éléments. Par exemple, l’administration a les moyens d’empêcher l’inscription de variétés peu résistantes aux maladies ou de pauvre qualité. Pourtant, le principal critère, reste celui de la productivité : une variété moins productive ne pourra pas être inscrite dans la très grande majorité des cas, même si elle présente d’autres caractéristiques intéressantes256. Tel est le constat de chercheurs de l’INRA qui travaillent sur des variétés pour l’agriculture biologique. C’est aussi le constat de chercheurs qui travaillent sur des variétés pour l’agriculture conventionnelle. F.-X. OURY, du groupe « création variétale blé tendre » du département Génétique et Amélioration des Plantes de l’INRA, travaille sur l’élaboration de variétés adaptées à des parcours à faibles intrants, autrement dit des variétés pour l’agriculture conventionnelle mais qui dépendent de moins d’intrants. De son propre aveu, les variétés sélectionnées par son département ne pourraient pas être inscrites 253 « Une variété possède une valeur culturale ou d’utilisation satisfaisante si, par rapport aux autres variétés admises dans le catalogue de l’État membre en cause, elle représente, par l’ensemble de ses qualités, au moins pour la production dans une région déterminée, une nette amélioration soit pour la culture, soit pour l’exploitation des récoltes ou l’utilisation des produits qui en sont issus ». L’article poursuit avec « Une infériorité de certaines caractéristiques peut être compensée par d’autres caractéristiques favorables ». Il est à noter que l’art. 4.2 de la directive 2002/53 permet aux Etats membres d’exclure des essais VAT dans trois cas : - pour l’admission des variétés de graminées, si l’obtenteur déclare que les semences de sa variété ne sont pas destinées à être utilisées en tant que plantes fourragères ;

- pour l’admission des variétés dont les semences sont destinées à être commercialisées dans un autre État membre les ayant admises compte tenu de leur valeur culturale et d’utilisation ;

- pour l’admission de variétés (lignées inbred, hybrides) utilisées exclusivement comme composants de variétés hybrides […].

254 Voir en ce sens, A. LUCIANI, Etude du progrès génétique chez différentes espèces de grande culture, GEVES, septembre 2004, p. 15.

255Voir en ce sens, M. GAUTIER, Etude sur l’inscription des variétés et de la certification des semences dans la

CEE, GNIS, Paris, novembre 1987.

256Nous reviendrons plus en détail sur ces questions dans la Deuxième partie de cette thèse, cf. infra n°558. et 728.

au Catalogue aujourd’hui car elles ne sont pas aussi productives que les variétés au Catalogue. Le fait que ces variétés atteignent des taux de production intéressants avec un apport faible d’intrants ne suffit pas à les faire inscrire au Catalogue en l’état. Cette barrière interroge puisque selon les études de F.-X. OURY et de ses collègues montrent que le bénéfice net des agriculteurs utilisant leurs variétés, et donc moins d’intrants, était supérieur au bénéfice des agriculteurs utilisant des variétés à haut rendement mais nécessitant un apport plus important et donc plus coûteux d’intrants chimiques257. En plus d’un intérêt écologique, les agriculteurs auraient donc un intérêt financier à utiliser de telles variétés258. Pourtant les critères d’inscription actuelles empêchent leur inscription et donc leur commercialisation.

140. Une variété d’une espèce réglementée qui ne bénéficie pas d’une AMM ne peut

pas être commercialisée. Afin de déterminer si une espèce est réglementée et si une variété est inscrite au Catalogue, il faut distinguer les deux catégories de Catalogues existantes : le « Catalogue officiel des espèces et variétés » établi au niveau français (ci-après « Catalogue français ») et le « Catalogue commun des variétés des espèces » établi par le droit communautaire (ci-après « Catalogue commun »). Le premier regroupe toutes les variétés d’espèces réglementées qui ont été inscrites après avoir suivi la procédure française d’inscription ou d’AMM. Le deuxième regroupe toutes les variétés d’espèces réglementées inscrites dans les catalogues nationaux des Etats membres et qui, dès leur inscription, peuvent circuler librement dans la Communauté européenne.

141. La liste des espèces réglementées (dont les variétés doivent obligatoirement être

inscrites au Catalogue) n’est pas identique en droit communautaire et en droit français259. En droit communautaire, ce sont les six directives suivantes de commercialisation qui déterminent quelles espèces sont réglementées en énumérant les espèces concernées :

- la directive 66/401 « semences fourragères » 260 (ex de fourragères graminées : ray- grass, paturin ; ex. de fourragères légumineuses : trèfle, luzerne261) ;

- la directive 66/402 « semences de céréales »262 (ex. blé, maïs, avoine,) ;

257Atelier : Les semenciers traditionnels et les sélectionneurs de la recherche d’intérêt public, communication de F.-X OURY, 7 décembre 2007 à Clermont-Ferrand, in Quelles Plantes pour des agriculture Paysannes ? Les

méthodes de sélection.

258La hausse des cours mondiaux depuis l’été 2007 changent cependant ces résultats, offrant un bénéfice plus important aux agriculteurs avec des pratiques intensives.

259Voir annexe n°17 pour les listes complètes constituées par nous.

260Directive 66/401/CEE du Conseil, du 14 juin 1966, concernant la commercialisation des semences de plantes fourragères, JOCE P 125/2298, 11.07.1966, dernière version consolidée publiée au JOUE le 11.05.2004.

261Les fourragères sont utilisées pour semer des prairies artificielles en vue de faire du foin, autrement dit de l’alimentation pour les animaux.

- la directive 2002/54 « semences de betteraves »263 ;

- la directive 2002/55 « semences de légumes »264 (ex. tomate, carotte, poireau) ;

- la directive 2002/56 « plants de pommes de terre » ;

- la directive 2002/57 « plantes oléagineuses et à fibres »265 (ex. chanvre, colza, moutarde).

Toutes les variétés de toutes les espèces couvertes par ces six directives doivent faire l’objet d’une AMM dans au moins un Etat membre, c’est-à-dire être inscrites dans un Catalogue national. Quand c’est le cas, la variété est inscrite dans les plus brefs délais au « Catalogue commun » et peut alors circuler librement dans la Communauté européenne comme toute marchandise, puisque c’en est une. En ce qui concerne le droit communautaire, toutes les variétés de toutes les espèces non réglementées sont librement commercialisables.

142. En droit français, chaque AMM fait l’objet d’un arrêté ministériel. On ne trouve

nulle part une liste officielle et complète des arrêtés qui indiquent quelles espèces sont réglementées ou « ouvertes au Catalogue »266. De plus, certains arrêtés français ont « ouvert » des espèces qui ne sont pas réglementées au niveau communautaire. C’est ainsi que la lentille qui est réglementée en France, n’est pas une espèce au Catalogue commun. Ce détail a son importance, puisque dans certains Etats membres, la commercialisation de la lentille est libre, et aussi sa production, tandis qu’en France la même lentille est soumise à des règles bien précises, comme toutes les autres espèces réglementées du pays.

143. Alors que le Catalogue se veut comme un mécanisme qui garantit l’identité

d’une variété pour le commerce des semences, les critères d’inscription ferment la porte à la commercialisation des semences de populations et d’une grande partie des variétés- populations, mais aussi à la commercialisation de variétés susceptibles de répondre à des

262 Directive 66/402/CEE du Conseil, du 14 juin 1966, concernant la commercialisation des semences de céréales, JOCE P 125/2309, 11.07.1966, dernière version consolidée publiée au JOUE le 10.07.2003.

263 Directive 2002/54/CE du Conseil du 13 juin 2002 concernant la commercialisation des semences de betteraves, JOUE L 193/12, 20.07.2002.

264Directive 2002/55/CE du Conseil du 13 juin 2002 concernant la commercialisation des semences de légumes, JOUE L 193/33, 20.07.2002.

265Directive 2002/57/CE du Conseil du 13 juin 2002 concernant la commercialisation des semences de plantes oléagineuses et à fibres, JOUE L 193/74, 20.07.2002.

266Aucune liste complète des arrêtés qui « ouvrent » le Catalogue à une espèce n’existe. Nous avons tenté de récapituler le plus grand nombre d’entre eux, sans pour autant parvenir à compiler la liste complète (voir annexe n°17). La question se pose alors de savoir si certaines espèces ont été officiellement ouvertes au Catalogue par arrêté, par exemple pour le riz. L’arrêté d’ouverture n’a pas été trouvé, mais le riz est compris dans le règlement technique d’inscription de 1961 : Arrêté du 18 février 1961 relatif aux conditions d’inscription au Catalogue des espèces et variétés de plantes cultivées en ce qui concerne l’avoine, le blé, l’orge, le riz et le seigle, JORF du 1er mars 1961, p. 2209 et s.

situations particulières, comme les pratiques agricoles qui diminuent l’emploi d’intrants chimiques.

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