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1 re Partie : La pluralité des modèles économiques occultée par la réglementation

Section 2. Une spécialisation du droit

B. La production de semences

144. La production de semences est l’étape qui a été réglementée le plus tardivement.

Elle est organisée par des arrêtés ministériels et vise les méthodes de production et le type de semences produites. Dans le cadre de cette réglementation, il n’est à aucun moment question de la production de semences par les agriculteurs sur leur exploitation pour leurs propres besoins, mode de production sur lequel nous reviendrons dans le cadre de l’étude des modèles économiques parallèles267. Pour l’instant, c’est la réglementation de la production des semences par le circuit long professionnel en vue de leur commercialisation et les contraintes de cette production qui retiennent notre attention.

145. Tout d’abord, existe une contrainte temps pour la production de semences de

variétés nouvelles. La mise sur le marché d’une nouvelle variété prend du temps, depuis la sélection de la nouvelle variété jusqu’à sa première utilisation par un agriculteur-utilisateur, il faut de 10 à 15 années pour sélectionner et parvenir à inscrire une variété au Catalogue. Au stade initial, le sélectionneur ne dispose que de quelques kilos de la semence qu’il doit multiplier pour pouvoir la commercialiser en quantités suffisantes. Il faut ensuite environ six années pour qu’une variété inscrite soit multipliée en quantités suffisantes pour être commercialisable268. Un exemple permettra d’illustrer : on obtient environ 100 semences de blé à partir d’une graine semée, 3000 pour le colza, et seulement 10 pour le lin269. La production des semences est donc une étape décisive dans la conquête de parts de marché ; le gain d’une seule année sur un concurrent peut être décisif. De nombreuses entreprises ont recours à diverses techniques pour accélérer la multiplication exponentielle des semences pendant cette phase. Depuis les années 1980, maintes entreprises utilisent des serres chauffées pendant les premières années. D’autres produisent deux générations successives en une même année, l’une dans l’hémisphère nord, l’autre dans l’hémisphère sud270.

267Cf. infra n°195. et s. sur l’autoproduction.

268En ce sens, J.-A. FOUGEROUX, "Les variétés cultivées aujourd’hui ont été créées il y a 15 ans", Bulletin

Semences, mars avril 2005, n° 182. Daniel Dattée estime la durée à 10 ans, en ce sens D. DATTÉE, La multiplication agricole des semences : une phase indispensable à la diffusion de l’innovation génétique végétale,

Compte rendu de l’Académie d’Agriculture de France, 23 janvier 2002, p. 1.

269D. DATTÉE, La multiplication agricole des semences : une phase indispensable à la diffusion de l’innovation génétique végétale, Compte rendu de l’Académie d’Agriculture de France, 23 janvier 2002, p. 2.

270Cette pratique s’appelle les « cultures à contre-saison ». Daniel Datée explique qu’ « en reproduisant dans l’autre hémisphère, on peut obtenir deux générations en une seule année, à condition que le cycle végétatif de

146. A cette contrainte temporelle, s’ajoutent des contraintes techniques de

production, très encadrées par la réglementation française. Le droit communautaire prévoit des distances d’isolement entre les champs, pour éviter les pollinisations non désirées. La France, elle, connaît des « Règlement techniques de production, de contrôle et de certification » (ci-après « règlements techniques de production ») homologués par arrêtés ministériels qui précisent, selon l’espèce, les distances d’isolement à respecter, parfois même les distances entre les rangées des semis. Des contrôles sont prévus et mis en œuvre, qui assurent que toutes les règles sont respectées et que les critères de qualité sont atteints (identité de la variété, pureté, germination, etc.). Une fois ces règles respectées, le lot de semences sera certifié en vue de sa commercialisation. Ces contrôles et la certification des semences sont effectués par le Service officiel de contrôle et de la certification (SOC), qui dépend du Groupement National Interprofessionnel des Semences (GNIS). Destinées à encadrer la production à proprement parler, ces règles précisent aussi les modalités d’accès à la profession. Pour pouvoir prétendre produire des semences, il faut avoir été agréé par le SOC, c’est-à-dire satisfaire à des conditions d’installation, de niveaux de diplômes, etc.271. Notons que peu d’agriculteurs satisfont ces critères qui impliquent souvent un investissement important.

147. Ensuite, des contraintes spatiales s’imposent à un certain nombre d’espèces,

notamment pour les espèces allogames. En effet, pour éviter qu’une production de semences ne soit pollinisée par des variétés indésirées, des zones de productions protégées sont créées en vertu des dispositions du Code rural272. Cette organisation spatiale de la production des semences qui encadre le risque de pollution pollinique a inspiré l’organisation actuelle de la coexistence des cultures OGM, conventionnelles et biologiques en plein champ, car celle-ci aussi vise à éviter les pollutions polliniques croisées273.

l’espèce puisse se réaliser entièrement en moins de 6 mois, analyses et transport aller-retour compris. Cela se pratique pour la multiplication des semences de base les plus critiques. On citera par exemple le maïs au Brésil ou les potagères au Chili. Dans tous les cas, ces cultures à contre-saison exigent un suivi technique rigoureux, une logistique impeccable, et des conditions climatiques comparables à celles de l’Europe occidentale. Deux conditions pas toujours faciles à réunir, et les échecs ont rendu les obtenteurs très prudents et exigeants vis-à-vis de leurs correspondants locaux ». Ibid.

271Voir les annexes n°15 et 16. En vue d’épargner au lecteur la lecture de trop nombreux détails, l’analyse de cet agrément a été mise en annexe. Elle demeure importante en ce qu’elle montre que l’accès à la profession est contrôlé par certains acteurs.

272Cf. infra n°648. et annexe n°33 à ce sujet.

273Projet européen CO-EXTRA sur le coexistence des cultures, S. ANVAR, Organising a legal framework for

the coexistence of product supply chain : the French seed case, Centre de Recherche Droit des Sciences et

Techniques (CRDST), UMR 8103, CNRS, Projet européen Co-Extra relative à la coexistence des filières, Paris, octobre 2007.

148. Enfin, sur un plan contractuel, diverses contraintes s’imposent puisque les

relations contractuelles entre établissements-producteurs de semences et agriculteurs multiplicateurs doivent être en conformité avec les conventions-types homologuées par arrêtés, ces dernières allant jusqu’à déterminer des « prix de référence » aujourd’hui appelés « prix d’arbitrage »274.

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