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1 re Partie : La pluralité des modèles économiques occultée par la réglementation

Section 2. L’institutionnalisation de la filière autour du corporatisme d’Etat

A. L’organisation institutionnelle administrative

349. Le ministère de l’Agriculture est chargé de la politique publique en matière de

semences et de l’élaboration de la réglementation relative aux questions de semences, dans les limites classiques imposées au pouvoir réglementaire. Mais il est tributaire des avis techniques et du travail effectué par le CTPS, lui-même fortement dépendant du fonctionnement du circuit long professionnel, que ce soit par ses membres ou pour son financement, comme nous allons le voir. Pour ces raisons, le ministère de l’Agriculture, le

Bureau des semences et le CTPS semblent naviguer sur une voie prédéfinie par d’autres. La faiblesse des moyens techniques propres du Ministère et la faiblesse des moyens financiers du CTPS ne leur offrent pas l’indépendance nécessaire pour déterminer la validité de leur propre organisation : ils dépendent des acteurs du circuit long professionnel et travaillent pour répondre aux besoins de ce même circuit long professionnel.

Le corporatisme d’Etat peut présenter certains avantages lorsqu’il s’appuie sur des professionnels sans dépendre d’eux. Pour cela, il lui faut énoncer et garantir l’intérêt général qu’il entend imposer. Pour autant, au fil du temps, comme pour tout modèle corporatiste, la dépendance s’est instaurée et a figé la logique de son fonctionnement. Le Ministère est devenu dépendant des professionnels et de la logique économique sur laquelle ils s’appuient, qu’une évaluation de la politique publique semble condamner.

C’est dans ce contexte de dépendance que s’inscrit l’organisation de la prise de décision du Ministère submergée par la technicité du sujet et le poids de la réglementation des semences. Il s’appuie avant tout sur le travail de deux composants spécialisés : l’un interne à son Ministère, le Bureau des semences (1°) et l’autre externe qui joue le rôle de son bras technique, le CTPS (2°).

1°) Le Bureau de la sélection et des semences

350. Créé en 1942665, le Bureau de la sélection et des semences (« Bureau des semences »)666 est aujourd’hui composé d’un chef de bureau, d’un juriste et de plusieurs ingénieurs. Ensemble ils sont chargés d’élaborer, ou de faire élaborer, les textes réglementaires, dont la majeure partie relève aujourd’hui de la transposition en droit français des directives communautaires qui sont elles-mêmes empreintes de la logique française. Pour les règlements d’inscription de variétés au Catalogue ou ceux relatifs à la production de semences, le Bureau des semences participe à leur élaboration au sein du CTPS et du GNIS qui disposent d’un plus grand nombre de spécialistes en leur sein.

351. Le Bureau des Semences est aussi chargé de représenter le ministère de

l’Agriculture dans de très nombreuses instances et de faire valoir sa politique. Ceci est vrai au

665 En ce sens, C. BONNEUIL et F. THOMAS, Du maïs hybride aux OGM : une histoire de la génétique

végétale à l’INRA, INRA, à paraître.

666 Ce Bureau appartient à la sous-direction des cultures et produits végétaux, lui-même situé au sein de la Direction générale des politiques économique, européenne et internationale. B. MATHON, "Le bureau des semences et de la politique de la sélection végétale : la politique française des semences en action", Bulletin

niveau international, communautaire667, et surtout en France au sein du CTPS, du GNIS ou d’autres instances668. Peut-être son rôle le plus important est-il sa présence au sein du GNIS où le chef du Bureau des semences est le Commissaire du gouvernement auprès du GNIS669 en vertu de l’article 8 du décret du 18 mai 1962670. Il effectue au nom de l’Etat un rôle de contrôle du GNIS. Pour cela, il assiste aux séances du comité central et des conseils de section du GNIS ainsi que, le cas échéant, aux séances des commissions constituées par le groupement. Pour effectuer son contrôle, il doit aussi être tenu au courant des activités du GNIS671. La portée de ce contrôle se mesure au fait que les délibérations du comité central du GNIS doivent être soumises pour approbation au ministre de l’agriculture par les soins du commissaire du Gouvernement. Dans les matières où le comité a pouvoir de décision, et sauf en ce qui concerne le budget qui doit être approuvé expressément, ces délibérations deviennent exécutoires de plein droit si une opposition à leur exécution n’a pas été notifiée au GNIS dans le mois de leur réception par le commissaire du Gouvernement672. Ce contrôle du Ministère sur les décisions de GNIS montre bien l’imbrication des rôles de l’Etat et de l’interprofession, point fondamental qu’il faut garder à l’esprit et qui sera repris lors de l’analyse des différents intérêts au sein de la filière semence.

2°) Le Comité technique permanent de la sélection des plantes cultivées (CTPS)

667Au niveau communautaire, il participe au Comité Permanent des Semences (CPS) en tant que représentant du ministère de l’Agriculture. Le CPS se tient à Bruxelles en moyenne tous les deux mois et élabore la réglementation communautaire sur les semences. Le Bureau des semences représente la France et négocie les modifications et aménagements de la réglementation communautaire sur les semences. Il est souvent accompagné d’un technicien ou d’un ingénieur du GNIS, CTPS ou GEVES.

668En son nom, le chef du Bureau des semences préside la Commission d’habilitation des laboratoires qui veille au bon fonctionnement des laboratoires des entreprises de semences et donne les avis au Ministère pour l’homologation des laboratoires.

669 Arrêté du 17 janvier 2000 portant nomination du commissaire du Gouvernement auprès du Groupement national interprofessionnel des semences, graines et plants, JORF du 27 janvier 2000, p. 1410.

670Décret n°62-585 du 18 mai 1962 relatif au Groupement national interprofessionnel des semences, graines et plants (GNIS), JORF du 23 mai 1962, p. 5035.

671Art. 8, Ibid.

672Art. 9, Loi n°4194 du 11 octobre 1941 sur l’organisation du marché des semences, graines et plants, JORF du 12 octobre 1941, p. 4406, modifiée par la loi du 2 août 1943, p. 2047.

352. D’un rôle confiné à la question des essais et des inscriptions de variétés au

Catalogue ou au registre de l’époque en 1932, le CTPS est devenu aujourd’hui un comité technique incontournable dans l’élaboration de la politique et de la réglementation en matière de semences. Désormais régi par le décret n°93-46 du 14 janvier 1993 portant réorganisation du CTPS673, ses missions (a), sa composition (b), et ses moyens financiers (c) le mettent au service du circuit long professionnel.

a) Les missions du CTPS

353. Le CTPS a trois missions principales aujourd’hui. La première est avant tout une

mission de conseil et d’appui technique auprès du ministère de l’Agriculture et des instances en vue de la préparation et de l’exécution de la politique en matière de variétés et de semences et plants (article 1er). Cet article précise aussi que le CTPS est « chargé d’étudier les problèmes scientifiques posés par la sélection et la production des semences et leurs répercussions techniques ou économiques sur l’agriculture674 ».

354. Ce rôle, certes technique, a une importance politique : si le CTPS estime qu’un

problème est négligeable et choisit de ne pas l’étudier, l’absence d’étude peut avoir des conséquences économiques675. Le CTPS a initialement décidé de ne pas investir dans l’étude de solutions pour l’inscription de variétés biologiques au Catalogue, arguant qu’il revient aux tenants de l’agriculture biologique d’élaborer les protocoles techniques d’évaluation676. Sa mission étant d’étudier les problèmes scientifiques posés par la sélection et la production, son refus, plus politique que technique, a des répercussions sur les avancées de la sélection de variétés adaptées à l’agriculture biologique. Le CTPS a le pouvoir de promouvoir certaines questions en les étudiant ou de les freiner en les ignorant. Il influence indiscutablement les directions prises et les choix du ministère de l’Agriculture quand il s’agit de se saisir ou non de certaines questions.

673Décret n°93-46 du 14 janvier 1993 portant réorganisation du CTPS, JORF n° 12 du 15 janvier 1993. 674Art. 1er, Ibid.

675 L’absence de tout représentant du CTPS lors d’un Colloque organisé conjointement par l’INRA et la Confédération paysanne sur la thématique de l’inscription de variétés biologiques et paysannes marquait ce refus regrettable. INRA - CONFÉDÉRATION PAYSANNE, Quelles variétés et semences pour des agricultures

paysannes durables ?, Angers, Ecole Supérieure d’Agriculture, 11, 12 et 13 mai 2005.

676 Entretien personnel, GEVES octobre 2006. Aucun refus officiel n’existe, mais en juillet 2007, le CTPS a finalement accepté qu’un dossier de demande d’inscription pour une variété biologique de blé dur soit déposé au CTPS. Communication Dominique Desclaux vendredi 7 décembre 2007, séminaire « Quelles plantes pour des agricultures paysannes : les méthodes de sélections », Clermont-Ferrand.

355. La deuxième mission, attribuée au CTPS depuis 1984, est économique677. Selon l’article 2 du décret de 1993, le CTPS « étudie et propose […] des programmes de développement de la sélection végétale et de la filière de production et de commercialisation des semences et plants ». La logique économique de cette mission se compose des trois axes du circuit long professionnel : sélection, production et distribution.

356. L’article 2 précise aussi que « ces programmes précisent les objectifs, les

moyens et les priorités susceptibles d’accroître l’efficacité et la qualité de la production agricole et agro-industrielle, alimentaire ou non alimentaire, ainsi que de renforcer la protection de l’environnement »678. Le CTPS a certes contribué, par la mise en place de différents programmes, à encourager la sélection de nouvelles variétés résistantes à différentes maladies679. Cependant, la notion de « protection de l’environnement » inscrite dans cet article depuis 1984, n’a pas le sens qu’on peut croire. En 1984, il s’agissait seulement de conférer au CTPS une mission pour trouver des solutions aux problèmes posés par les maladies et les insectes680.

357. Le troisième rôle du CTPS, et probablement le plus important, est une mission

réglementaire. L’article 3 du décret du 14 janvier 1993 énonce que « […] le CTPS. est chargé des missions relatives au Catalogue officiel des espèces et variétés de plantes cultivées ; des missions relatives à l’instruction et au suivi de l’application des règlements techniques concernant la production, le contrôle et la certification variétale et sanitaire des semences et plants ». Les missions relatives au Catalogue sont inscrites dans les dispositions du décret n° 81-605681. En ce qui concerne les missions relatives au Catalogue officiel des espèces et variétés, il s’agit avant tout pour le CTPS. d’élaborer les propositions de textes réglementaires concernant l’inscription de variétés682, mais aussi de gérer toute la procédure d’inscription de variétés au Catalogue, depuis la demande d’inscription jusqu’à la proposition d’inscription ou au refus du ministre de l’Agriculture683. Quant aux missions relatives à la production, au

677 Art. 2 du décret n° 84-82 du 2 février 1984 portant réorganisation du Comité Technique Permanent de la Sélection des plantes cultivées (CTPS), JORF du 04 février 1984, p. 520.

678Il peut proposer aussi les orientations qui lui paraissent souhaitables en matière de recherche. Art. 2, Décret n°93-46 du 14 janvier 1993 portant réorganisation du CTPS, JORF n° 12 du 15 janvier 1993.

679Voir l’exemple de l’étude de la résistance à la rhizomanie qui affecte la betterave, et la contribution du CTPS à ce sujet. A. LUCIANI, Etude du progrès génétique chez différentes espèces de grande culture, GEVES, septembre 2004, p. 122.

680Entretien personnel, 20 décembre 2007.

681 Décret n° 81-605 du 18 mai 1981 pris pour l’application de la loi du 1er août 1905 sur la répression des fraudes en ce qui concerne le commerce des semences et plants, JORF du 20 mai 1981, p. 1602, modifié en dernier lieu par le décret n°2007-359 du 19 mars 2007.

682Art. 6, Ibid.

contrôle et à la certification, le rôle du CTPS n’est pas de proposer les textes réglementaires, mais seulement d’être consulté par le ministère de l’Agriculture pour un avis684. De plus, dans la pratique, le CTPS. ne joue pas un rôle de suivi de l’application des règlements techniques en matière de production685, de contrôle ou de certification ; c’est au GNIS qu’incombe cette tâche686.

b) La composition du CTPS

358. La composition du CTPS a fortement évolué au cours des décennies par le

nombre mais surtout par le type de ses représentants687. De 1942 à 1960, seuls les sélectionneurs étaient représentés aux côtés des représentants institutionnels et de deux agriculteurs. A partir de 1960, des représentants des producteurs font leur apparition. A partir de 1984, des représentants du GNIS, du Service Officiel de Contrôle (SOC) du GNIS et du CPOV (Comité pour les obtentions végétales) entrent dans la composition, mais aujourd’hui encore aucun représentant des distributeurs ne siège au comité plénier du CTPS688. Pourtant, les sections du CTPS ont une composition plus diversifiée.

359. L’organisation du CTPS est fondée, aujourd’hui, sur l’idée d’une représentation

de toutes les catégories professionnelles de la filière. Le CTPS œuvre pour des compromis entre les différents acteurs pour qu’ils parlent tous d’une même voix. Il est composé de quatre instances depuis sa réorganisation en 1984 : un comité plénier689, une commission permanente de la sélection végétale, un comité scientifique et des sections correspondant à des espèces ou groupes d’espèces de plantes cultivées690.

360. Le CTPS est tout d’abord composé d’un comité plénier qui définit ses grandes

orientations et celles de ses différentes instances, et qui arbitre les litiges entre les différentes 684Art. 9, Décret n° 81-605 du 18 mai 1981, précité.

685La concentration des activités du CTPS autour de la sélection de variétés et de leur inscription, au lieu de la production de semences, s’explique par des raisons historiques. D’une part, la représentation des sélectionneurs au sein du CTPS a été très importante dès ses débuts, aux dépens des producteurs, d’où une prééminence des intérêts des sélectionneurs. Les missions du CTPS ont fortement axé la politique de la filière autour des intérêts des sélectionneurs à la recherche du « progrès génétique ».

686Pour illustrer, pour obtenir une copie d’un règlement technique en matière de production, il faut s’adresser au GNIS, alors que pour un règlement technique d’inscription au Catalogue ceux-ci sont disponibles sur le site du CTPS.

687Voir annexe n°9 qui reproduit dans un tableau cette évolution.

688 Cette absence est à souligner en raison d’une certaine contestation de distributeurs, tels que Botanic, qui s’estiment limités dans l’offre de variétés dans leurs magasins réduite aux seules variétés inscrites.

689 En sont membres, les présidents et les secrétaires de sections, ainsi que quinze représentants des sélectionneurs, producteurs et utilisateurs de semences.

690 Art. 4, Décret n° 84-82 du 2 février 1984 portant réorganisation du Comité Technique Permanent de la Sélection des plantes cultivées (CTPS), JORF du 4 février 1984, p. 520.

sections ou au sein de chacune d’elles. Il a le pouvoir d’évoquer tous les projets de règlements techniques d’inscription au catalogue ou de règlements techniques de production et de certification émanant des sections spécialisées, et de faire part de ses propres propositions au ministre de l’agriculture691.

Ensuite, le comité scientifique émet un avis sur les possibilités d’application des acquis les plus récents des sciences fondamentales et sur les conséquences techniques et scientifiques des mesures et dispositions envisagées par les règlements techniques d’inscription et de certification692. Il peut proposer des actions de recherche et de recherche- développement permettant de valoriser les acquis de la recherche dans les domaines de compétence du CTPS693.

Enfin, les sections, pour l’espèce ou le groupe d’espèces qui relèvent de leurs attributions694, proposent au ministre de l’agriculture les règlements techniques d’inscription au catalogue officiel, l’inscription, l’ajournement ou la radiation de variétés, instruisent et suivent l’application des règlements techniques de production et de certification des semences et des plants. Ces propositions ne sont que des avis consultatifs, par lesquels le Ministre de l’agriculture n’est pas lié.

c) Le financement du CTPS : une absence d’indépendance

361. Pour remplir ses missions, le CTPS ne dispose pas de ressources propres695 et doit s’appuyer sur les droits payés pour divers essais et analyses effectués696. Cette absence de budget autonome pour assurer son fonctionnement administratif, le met dans la dépendance des revenus procurés par eux et peut conduire ou a conduit à un parti pris en faveur de ces essais et contrôles et de la validité de l’ensemble de la réglementation actuelle697.

691Il peut aussi proposer, en principe à mesure des besoins, la création de commissions chargées notamment du contrôle de l’application des règlements techniques concernant la production, le contrôle et la certification variétale et sanitaire des semences et plants.

692Art. 6 II a), Décret n°93-46 du 14 janvier 1993 portant réorganisation du CTPS, JORF n° 12 du 15 janvier 1993.

693Art. 6 II b), Ibid. 694Art. 7.II, Ibid.

695Lors de sa création en 1943, les frais de secrétariat devaient figurer au budget du GNIS.

696Ces essais sont effectués à la demande du ministère de l’Agriculture, par le GEVES et les services officiels de contrôle et de certification des variétés, semences et plants, arbres fruitiers, vigne et plantes ornementales, ainsi que ceux effectués par la Direction des Forêts pour l’admission des matériels de base destinés à la production de matériels forestiers de reproduction contrôlés

697Pour cette raison, il est parfois difficile de croire à l’impartialité de certaines études produites pour le CTPS. Par exemple, un rapport produit par le GEVES pour le CTPS avait pour but de déterminer le rôle du CTPS dans l’orientation du progrès génétique chez huit espèces de grande culture. La conclusion du rapport dit que « le CTPS n’est pas le seul facteur d’évolution des performances des variétés, mais il joue un rôle important dans l’orientation permanente du progrès génétique. Il permet également de réguler le flux variétal et de mettre

362. La coopération de professionnels à l’élaboration de décisions sur des sujets

techniques n’est pas en soi un problème. Mais elle le devient lorsque les institutions qui doivent formuler les décisions dépendent techniquement et financièrement de ces mêmes professionnels et d’un modèle économique unique.

363. Il ne s’agit pas pour nous de mettre en question l’existence du Bureau des

semences et du CTPS mais leur capacité à évaluer de manière impartiale leur propre politique en tant qu’acteurs de l’organisation et détenteurs de l’initiative politique.

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