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1 re Partie : La pluralité des modèles économiques occultée par la réglementation

Section 2. Les systèmes accessoires de fourniture de semences

A. Les formes de vente directe

244. La vente directe de semences se fait entre deux agriculteurs. Dans la majorité

des cas, ils se connaissent et entretiennent une relation de confiance. L’agriculteur-utilisateur peut de lui-même observer les récoltes pour apprécier la variété. Il ne s’agit pas d’une science exacte, loin de là. Pour bien comprendre la notion de fourniture directe dans le cas des semences, il faut la définir (1°) puis distinguer les cas très différents de la fourniture de semences de variétés protégées et de la fourniture de variétés du domaine public (2°).

447A propos de pratiques de ventes de semences en Inde, voir C. PIONETTI, Le contrôle politique du vivant : l’industrialisation de la semence, facteur d’émancipation ou de marginalisation pour les paysans de l’Inde du sud, Ecole doctorale des Sciences de l’Homme et de la Société, Université d’Orléans, 30 juin 2004. Elle explique le rôle particulier des femmes, petites agricultrices qui sont spécialisées dans la production de semences et auprès de qui se fournissent les agriculteurs du village. C. PIONETTI, "Droits des agriculteurs dans les pays du Sud",

op. cit.. Voir plus particulièrement p. 156 et s. et p. 168.

Voir aussi l’analyse de la loi modèle de l’Organisation de l’Unité Africaine par M.-A. HERMITTE. Elle souligne la volonté de cette loi modèle de « reconnaître les agriculteurs comme des sujets actifs du concert de la production mondiale » M.-A. HERMITTE, "L’intégration des pays en développement dans la mondialisation par l’adaptation du droit de la propriété intellectuelle : Analyse de la loi modèle de l’OUA", in Les ressources

génétiques végétales et le droit dans les rapports Nord-Sud, M.-A. HERMITTE et P. KAHN, Bruylant, 2004, p.

1°) La définition de la vente directe

245. Nous employons ici le terme général de « vente » pour englober toutes les

pratiques existantes : la vente et l’échange de semences entre agriculteurs, mais aussi le don. Il s’agit d’un modèle de circuit court sans aucun intermédiaire. Le fonctionnement de ce circuit court est très différent du circuit long professionnel qui implique de nombreux intermédiaires. Le pouvoir réglementaire avait initialement traité la fourniture de semences par le circuit long professionnel et par le circuit court de manière très différente. En témoigne une disposition d’un décret du 11 juin 1949 qui précise qu’il ne s’applique qu’aux « actes de commerce »448 accomplis par des commerçants ou « des associations ou coopératives agréées » 449. Les ventes et les échanges faits par les agriculteurs n’étaient pas soumis à la réglementation des semences. Cela s’expliquait puisque l’agriculteur-utilisateur connaissait directement la source de sa semence. En cas de problème, il savait à qui s’adresser et pouvait aussi vérifier par lui-même dans les champs, avant tout achat, la qualité de la plante.

246. Plus tard, l’abrogation du décret du 11 juin 1949 par l’article 6 du décret du 29

octobre 1968450 qui le remplace, cette précision a disparu des textes et, de ce fait, la réglementation s’applique aussi au circuit court, alors qu’elle n’était nullement prévue pour lui. En effet, depuis cette date, toutes les exigences d’agréments, de cartes professionnelles, de certifications, d’étiquetages et de contrôles s’appliquent à toute la commercialisation, même à celle faite à titre gratuit. En conséquence, on applique une réglementation « lourde », créée pour un circuit long professionnel de « spécialistes », à des situations incomparables à lui. En dépit de cela, la perte financière générée par la « concurrence » des agriculteurs est telle qu’aucune réglementation mieux adaptée au circuit court n’est envisagée, encore de nos jours.

2°) Les deux catégories de variétés fournies

247. Dès lors que les agriculteurs sont dans l’impossibilité de satisfaire toutes les

conditions imposées par la réglementation des semences, une interdiction de facto pèse sur leurs échanges et leurs ventes entre eux. Cette interdiction de fait facilite indirectement le contrôle de la contrefaçon des variétés protégées. On comprend aisément qu’il est plus facile 448Art. 1er, Décret du 11 juin 1949 portant règlement d’administration publique pour l’application de la loi du 1er août 1905 sur la répression des fraudes en ce qui concerne le commerce des semences, JORF du 14 juin 1949, p. 5876.

449Art. 1er, Ibid.

450Décret n°68-955 du 29 octobre 1968 portant règlement d’administration publique pour l’application de la loi du 1er août 1905 sur la répression des fraudes en ce qui concerne le commerce des semences et des plants, JORF du 3 novembre 1968, p. 10291-10292.

pour les agents de contrôle de veiller à ce qu’aucun échange entre agriculteurs n’aie lieu, plutôt que de devoir faire le tri entre les échanges, pour savoir lesquels portent sur des variétés protégées et lesquels portent sur des variétés du domaine public. Or, une telle interdiction n’a de sens que pour les variétés protégées (a) et est injustifiée pour des ventes ou des échanges de variétés qui appartiennent au domaine public et qui donc ne relèvent en aucun cas de la contrefaçon (b).

a) La fourniture de semences de variétés protégées

248. La vente, par un agriculteur, de toute semence d’une variété protégée par un

droit de propriété intellectuelle est doublement interdite.

249. D’une part, elle est interdite par le droit d’obtention végétale qui réserve

l’exclusivité de la commercialisation à l’obtenteur, aucune exception obligatoire n’étant prévue pour la commercialisation par des agriculteurs, même en échange d’un paiement de redevances et même quand la semence ne serait pas vendue sous le nom de la variété451. La fourniture de semences de variétés protégées entre agriculteurs est une violation des droits exclusifs de l’obtenteur. En dépit de cette interdiction, des agriculteurs vendent de la semence de variétés protégées à d’autres. C’est encore le cas à la fin de 2007 en raison des mauvaises récoltes de blé qui ont provoqué une pénurie de semences de blés452. En l’absence de quantités suffisantes, des agriculteurs se sont approvisionnés auprès d’agriculteurs en semences produites à la ferme, et ce, en violation des droits des obtenteurs453.

250. D’autre part, la fourniture directe entre agriculteurs est aussi interdite de facto en

raison des très nombreuses exigences qui empêchent les agriculteurs de se livrer légalement à ce commerce, notamment l’obligation de détenir une carte professionnelle pour être légalement considérés comme « établissement-producteur »454.

L’interdiction de vente entre agriculteurs, sans l’autorisation de l’obtenteur, est compréhensible et conforme à la logique du droit de la propriété intellectuelle. L’obtenteur révèle le secret de la création de sa variété en échange de l’exclusivité de la commercialisation

451Il existait une exception aux Etats-Unis pour la vente par des agriculteurs de semences d’une variété protégée sous condition. Cela s’appelait le « brown bagging », car les semences étaient vendues par un agriculteur directement à l’utilisateur dans des sacs en papier brun, sans aucune indication du nom de la variété.

452« Les mauvaises conditions climatiques ont réduit les rendements de cultures de blé dur et notamment celles destinées à la production de semences ». B. NORMAND, "Blé dur - Assurer l’approvisionnement en semences certifiées", www.terre-net.fr, 28 septembre 2007.

453Entretien personnel, novembre 2007.

pendant une période donnée. Il s’agit là du « contrat social »455 qui justifie l’attribution d’un droit de propriété intellectuelle. C’est le phénomène de doublement de l’interdiction par le biais de la réglementation du commerce des semences qui ne se justifie pas. La dérive est flagrante dans le cas de la fourniture de semences appartenant au domaine public.

b) La fourniture de semences du domaine public

251. L’exploitation des variétés du domaine public par une vente directe et des

échanges entre agriculteurs est difficile du fait qu’ils ne bénéficient d’aucune exception pour faciliter son exploitation. Lorsqu’une variété « tombe dans le domaine public » son obtenteur a peu d’intérêt financier à la maintenir au Catalogue officiel. Economiquement, son intérêt est de commercialiser les variétés nouvelles qu’il a fait protéger. De même, pour les autres acteurs du circuit long professionnel qui ont peu ou pas intérêt à produire et à commercialiser des semences de variétés librement reproductibles par tout un chacun. Leur intérêt est de se concentrer sur des variétés protégées ou difficilement reproductibles et de se garantir ainsi un marché captif.

252. A l’inverse, les variétés du domaine public sont utiles aux agriculteurs qui

souhaitent les utiliser et les exploiter. Leur vente entre agriculteurs peut en effet devenir un modèle économique complémentaire. On pourrait considérer faciliter la fourniture de semences du domaine public par les agriculteurs pour une double raison : cela permettrait l’exploitation du domaine public, qui ne l’est pas aujourd’hui et, cela permettrait un type de vente sans intermédiaires qui requiert moins de garanties que la vente en circuit long.

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