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L’opposition du corporatisme agricole et du corporatisme d’Etat avant

1 re Partie : La pluralité des modèles économiques occultée par la réglementation

Section 2. L’institutionnalisation de la filière autour du corporatisme d’Etat

A. L’opposition du corporatisme agricole et du corporatisme d’Etat avant

331. Avant 1940, la France est un pays à très forte majorité agricole et les différentes

professions sont mal organisées, ou ne le sont pas du tout. Cette absence d’organisation est source de faiblesse, notamment quand il s’agit pour les agriculteurs de faire valoir des revendications ou pour l’Etat de remédier à une crise de surproduction ou de pénurie (vin ou blé) ; d’où une renaissance dès la fin du 19esiècle du syndicalisme agricole618.

332. C’est dans le contexte de ce syndicalisme naissant que deux conceptions du

corporatisme se dessinent : celle du « corporatisme d’association » ou « corporatisme spontané »et celle du « corporatisme d’Etat » ou « corporatisme imposé »619, finement décrits par L.BAUDIN : « L’un vient de l’intérieur, l’autre de l’extérieur, l’un est voulu, l’autre subi ; l’un est naturel, l’autre artificiel ; l’un dérive de l’individualisme, l’autre tend vers le socialisme »620. Bien sûr, les professionnels souhaitent un corporatisme spontané d’association621, face à un Etat qui cherche à imposer un corporatisme d’Etat, notamment sous

616G. PIROU, Economie libérale et économie dirigée op. cit., 1947, p. 129. 617Ibid.

618Pour répondre au manque d’organisation des revendications, le marquis René DE LA TOUR DE PIN, l’un des principaux théoriciens du catholicisme social et du corporatisme de la fin du 19e, prône la création de syndicats et de groupements d’agriculteurs sur une base volontariste pour devenir « une contre-organisation à opposer à celle des influences sociales ». A cette fin, la Société des Agriculteurs de France (SAF) est créée sous forme d’association en 1872 et installée rue d’Athènes à Paris. Parfois appelée « le syndicalisme des marquis », l’aristocratie et la bourgeoisie foncière de l’époque voient dans le corporatisme du marquis LA TOUR DE PIN un moyen de se poser en interlocuteurs entre les paysans, la société et les industriels, et ainsi d’asseoir et de maintenir leur pouvoir dans le milieu rural. Pour y parvenir, la SAF crée dès 1886 l’Union Centrale des Syndicats des Agriculteurs de France (UCSAF), soit deux ans après la loi Waldeck-Rousseau du 21 mars 1884 qui autorise de nouveau les groupements professionnels et abroge la loi Le Chapelier.

Pour contrer cette organisation des notables, la Société nationale d’encouragement à l’agriculture (SNEA) est créée en 1880 sous l’impulsion de Gambetta et des républicains. Elle est installée boulevard Saint Germain à Paris et encadrée par la bourgeoisie rurale. L’année suivante, un ministère de l’Agriculture à part entière est créé. C’est le tout début d’une organisation et d’une intervention plus structurées de l’Etat moderne dans l’économie agricole qui s’esquisse.

619Cf. G. PIROU, Economie libérale et économie dirigée op. cit., 1947, p. 130 ; L. BAUDIN, Le corporatisme, Paris, LGDJ, 1941, p. 5

620Ibid., p. 5.

621Pendant les années trente en France, les dirigeants de différents mouvements agricoles concentrent l’essentiel de leur réflexion théorique et de leur programme d’action autour de la doctrine corporatiste. Ils souhaitent une organisation corporatiste de l’agriculture française qui passerait par la création de structures

le gouvernement du Front Populaire à partir de 1936622. Entre les deux, pendant les années 1930, une ligne de compromis pousse vers une professionnalisation des différentes instances et des organismes agricoles ; mais les résultats sont limités pour une raison simple : « le caractère le plus saillant de l’agriculture réside dans la grande multitude, la grande masse des producteurs agricoles, ce qui rend presque impossible une action concertée entre eux »623.

333. En France, en 1934, l’Union nationale des syndicats agricoles (UNSA) est créée

et emménage dans les locaux de l’Association Générale des Producteurs de Blé (AGPB), rue des Pyramides à Paris. Ce déménagement est le signe de l’influence croissante des associations spécialisées sur la politique syndicale du secteur agricole. Le mode de gestion ne change pas : les paysans continuent de se fier à une élite pour déterminer leurs intérêts. Cependant, l’élite change : elle passe des aristocrates aux gros agriculteurs qui s’inscrivent dans une production en circuit long. Les associations spécialisées « ont toutes les mêmes caractères fondamentaux : créées par les gros producteurs, elles interviennent pour organiser les marchés au mieux de leurs intérêts, c’est-à-dire dans le cadre d’un système interprofessionnel garanti par l’Etat »624.

334. L’UNSA et les associations spécialisées de producteurs625 créent en 1935 un Comité d’action paysanne dont le programme est de développer le corporatisme agricole626. Il interprofessionnelles, car l’Etat serait « incapable de diriger conformément à l’intérêt national ». G. DUBY et A. WALLON, Histoire de la France rurale, op. cit, 1976, p. 428.

622Par exemple, la création de l’Office national du blé (ONB) en 1936 marque le conflit des conceptions. La profession était désireuse de fixer elle-même le prix, ou de faire accepter des règles si strictes que le gouvernement n’aurait plus qu’une marge d’appréciation des plus réduites. Dans une série d’articles publiés au Bulletin durant l’hiver 1937-1938, Pierre HALLE et Adolphe PONTIER, président de l’AGPB, réclament avec force une "professionnalisation" de l’ONB. P. EVENO, AGPB : 75 ans d’histoire du blé, Albin Michel, 1999, p. 41.

Les pouvoirs publics désiraient demeurer juges des répercussions que pourrait avoir la fixation du prix du blé sur l’ensemble de l’économie, y compris les salaires et même sur la politique tout court. R. BUTY, "L’Office du blé", in Chambres d’agriculture, supplément au n°45 de février 1954, p. 1-12.

623M. D. MOLEROVITCH, L’économie dirigée, Paris, Librairie Bourdon, 1933, p. 45. 624G. DUBY et A. WALLON, Histoire de la France rurale, op. cit., 1976, p. 433.

625 Les principales associations spécialisées sont fondées après la guerr : la CGB en juin 1921, l’AGPB et la Confédération générale du lait en 1924, la Confédération générale des producteurs de fruits et légumes en 1932. 626 « Nous demandons l’instauration d’un régime corporatif dans lequel les organisations professionnelles, les corporations, recevront des pouvoirs tels qu’ils appliquent ou peuvent faire appliquer les mesures de leur compétence qu’elles auront jugées nécessaires pour la sauvegarde des intérêts dont elles ont la charge. Il faut une discipline, il faut pouvoir faire respecter cette discipline, l’imposer s’il est nécessaire ». Cité par L. SALLERON,

Un régime corporatif pour l’agriculture, Dunod, 1937, p. 253-255

Parfois une telle discipline a été possible par le biais de l’établissement de réseaux de coopératives, comme ce fut le cas pour le vin, victime de surproduction plusieurs années de suite dans les années trente. Cela a permis de mieux contrôler les quantités produites, et est devenu un élément fondamental de la politique de contrôle du marché. G. DUBY et A. WALLON, Histoire de la France rurale, op. cit, 1976, p. 81.

De même pour le blé avec l’ONB. Une fois créé, le mouvement coopératif se développe rapidement avec l’aide des pouvoirs publics. « Alors qu’elles étaient 650 en 1935, on compte, en 1939, 1100 coopératives céréalières qui ramassent 85% du blé vendu par les agriculteurs ». G. DUBY et A. WALLON, Histoire de la France rurale,

en est de même dans d’autres pays, comme l’Allemagne de Hitler627, l’Italie de Mussolini ou le Portugal de Salazar628. Cette « troisième voie » est supposée « corriger les effets pervers de l’économie de marché, tout en restant, tout au moins conceptuellement, en régime libéral »629. En France, le corporatisme d’Etat s’imposera sous le régime de Vichy.

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