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1 re Partie : La pluralité des modèles économiques occultée par la réglementation

Section 2. Une spécialisation du droit

C. La commercialisation de semences

149. Troisième étape réglementaire, la réglementation de la commercialisation des

semences, elle est la plus ancienne. Elle enferme toute la filière dans une logique de vente en circuit long avec des normes de commercialisation recouvrant des aspects tels que l’étiquetage ou l’emballage des lots de semences.

150. Nous distinguons ces normes des règles relatives à l’autorisation de mise sur le

marché (inscription au Catalogue), car seules les espèces réglementées sont soumises à AMM, alors que toutes les espèces, qu’elles soient réglementées, ou non, sont en principe soumises à la réglementation de la commercialisation. Il faut rappeler que les normes de commercialisation étaient initialement exigées indépendamment de tout Catalogue officiel ; mais au fil des années, la logique des normes de commercialisation s’est imbriquée avec celle du Catalogue qui recouvre la quasi-totalité des espèces cultivées avec, depuis 2007, l’inclusion d’espèces telles que l’artichaut275.

Ce rapport fait parti du rapport général de M.-A. HERMITTE dans le cadre du projet européen CO-EXTRA, non publié, octobre 2007.

274Ces conventions-types sont étudiées plus en détail, cf. infra n°644. et annexe n°33 à ce sujet.

275Arrêté du 24 mai 2007 modifiant la liste des espèces potagères et maraîchères dont les variétés peuvent être inscrites au Catalogue officiel des espèces et variétés de plantes cultivées, JORF du 9 juin 2007. Voir annexe 38 pour plus de précisions.

Espèces non réglementées

(ex: le millet, le basilic) Toutes les espèces sont commercialisables

sauf si leur commercialisation est expressément interdite

Espèces réglementées

(ex: la tomate, le blé, le maïs)

Les variétés des espèces réglementées doivent obligatoirement être inscrites au

« Catalogue » avant toute commercialisation de semences

ou de plants.

Les variétés des espèces non réglementées ne font l’objet

d’aucune AMM.

C’est pourquoi nous distinguons les règles de commercialisation pour les espèces réglementées (1°) et les espèces non réglementées (2°), en rappelant que l’AMM n’est pas l’unique moyen, ni toujours le moyen le mieux adapté, pour garantir la qualité des semences.

1°) La commercialisation d’espèces réglementées

151. Le droit communautaire s’applique à toutes les commercialisations de semences

d’espèces réglementées. Depuis la directive 98/95, qui modifie toutes les directives de commercialisation, une définition très précise et très large de la commercialisation est donnée sans aucune justification de son objectif (par exemple, meilleur contrôle, meilleure qualité, problèmes rencontrés, etc.)276 :

« Aux fins de la présente directive, par « commercialisation », on entend la vente, la détention en vue de la vente, l’offre de vente et toute cession, toute fourniture ou tout transfert, en vue d’une exploitation commerciale, de semences à des tiers, que ce soit contre rémunération ou non ».

152. Cette définition englobe non seulement les ventes de semences, mais aussi les

échanges à titre gratuit, y compris en petites quantités. Autrement dit, tout échange de semences est considéré comme une commercialisation s’il est fait « en vue d’une exploitation commerciale » : comme par exemple, un agriculteur ayant obtenu des semences 276 Alinéa 1er des art. 1er bis des directives 66/401 et 66/402, art. 2.1.a. des directives 2002/54, 2002/55, et 2002/57, art. 2.a. de la directive 2002/56 (cette directive relative aux pommes de terre parle de plants au lieu de semences).

d’un autre agriculteur pour semer son champ et vendre sa récolte. Dès lors, ces semences doivent respecter toutes les conditions imposées, que ce soit en matière de germination, de pureté, ou d’étiquetage, etc. Quand une semence n’est pas conforme aux exigences, sa commercialisation est interdite, notamment la commercialisation des semences de variétés non inscrites au Catalogue. La conséquence la plus importante est de restreindre le commerce des semences aux seules variétés inscrites.

Cette définition a été depuis introduite en droit français à l’alinéa 2 de l’article 1 du décret n° 81-605 en 2002. Toutefois, à la différence du droit communautaire qui ne s’applique qu’aux espèces réglementées, cette définition française est insérée dans le décret n° 81-605 de manière à ce qu’elle semble s’appliquer à toutes les semences, qu’elles soient d’espèces réglementées ou non277.

2°) La commercialisation d’espèces non réglementées

153. Les espèces non réglementées n’obéissent à aucune règle communautaire.

Pourtant, en droit français, deux cas de figure doivent être distingués. D’une part, certaines espèces non réglementées sont soumises à certaines conditions, telles que des seuils de germination ou d’étiquetage. Un arrêté du 15 septembre 1982 dresse une liste des espèces de légumes (par exemple, le basilic) dont les semences doivent satisfaire des conditions, notamment de germination lors de leur commercialisation278. Mais cette liste s’est réduite depuis, au profit d’une « promotion » de ces espèces vers le Catalogue officiel, sans qu’aucune justification ne soit donnée. D’autre part, de nombreuses espèces ne sont couvertes ni par le Catalogue officiel ni par cet arrêté ministériel (par exemple, le millet). Les seules dispositions qui régissent leur commercialisation sont les dispositions du droit commun du Code de la consommation figurant aux articles L.212-1 et suivants. Ces dispositions relatives à la fraude exigent que « dès la première mise sur le marché, les produits doivent répondre aux prescriptions relatives à [...] la loyauté des transactions commerciales [...]. Le responsable de la première mise sur le marché d’un produit est donc tenu de vérifier que celui-ci est conforme aux prescriptions en vigueur » (article L. 212-1 C. cons.). Cette obligation de conformité s’applique à toutes les semences, mais elle est plus poussée pour les espèces au

277Cf. infra n°483. pour le développement sur le champ d’application de la « commercialisation ».

278 Arrêté ministériel du 15 septembre 1982 relatif au commerce des semences et des légumes, JORF complémentaire du 23 octobre 1982, p. NC 9536 et s., modifié par l’arrêté du 1er août 1989 (JORF du 14.09.1989, p.11621), arrêté du 26 décembre 1997 (JORF du 1.01.1998, p. 45), arrêté du 12 juin 2007 (JORF du 19 juin 2007).

Catalogue, que pour les espèces non réglementées tombant sous l’arrêté de 1982, et plus encore que pour celles échappant à la fois au Catalogue et à cet arrêté.

154. Pour les deux sous-catégories d’espèces non réglementées, cette réglementation

moins contraignante évite aux agriculteurs d’avoir à subir le coût des contraintes réglementaires, notamment les coûts d’inscription au Catalogue, de contrôle et de certification. C’est pour cette raison que la production de millet est restée économiquement viable, alors qu’elle ne répond qu’à un marché de niche. Malheureusement, très peu d’espèces sont aujourd’hui non réglementées, et de nombreuses espèces peu importantes ont été réglementées pour des raisons obscures rarement justifiées.

155. A cette complexité d’une réglementation ‘par couches’ différant selon que

l’espèce est réglementée ou non, s’ajoutent les droits de propriété intellectuelle qui peuvent être rattachés à une obtention végétale. L’application de cette deuxième branche du droit rend les enjeux complexes et complique les interactions entre les règles à respecter et les choix des acteurs sur le terrain. Cela est d’autant plus vrai qu’existent deux régimes de propriété intellectuelle applicables, et ce à plusieurs niveaux (européen/communautaire et français).

§2. La spécificité des droits de propriété intellectuelle

156. Le droit de propriété intellectuelle s’inscrit clairement dans une logique de

circuit long professionnel (CLP), puisqu’il s’agit de donner au titulaire du droit le moyen de contrôler l’emploi de sa création tout au long du circuit long professionnel sans en perdre le contrôle économique. L’idée de base d’un tel droit est connue : celui qui a investi dans la recherche et la sélection doit se voir garantir un monopole d’exploitation du produit final, pendant une période donnée, « qui, l’assurant d’échapper à la concurrence, lui permet non seulement de rentrer dans ses frais mais encore de tirer un juste profit de son investissement »279.

157. La plante étant un organe vivant, le droit de propriété intellectuelle sur le vivant

a longtemps « relevé de l’impensable, tout au moins de l’impensé »280, même s’il faut souligner qu’aucun texte ne l’interdisait. M.-A. HERMITTE expliquait ainsi que : « Si l’on examine attentivement les lois sur les brevets, le vivant n’a jamais été expressément exclu [...]. Mais [...] il n’y en avait pas moins une exclusion tacite relevant de ce que J.-M. MOUSSERON qualifie d’ « attitude », et B. EDELMAN de « conscience commune des juristes ». Il est bien sûr difficile, après coup, d’arriver à communiquer ce qui fut une croyance commune, si intériorisée qu’elle n’était guère exprimée »281. Cette forte croyance était néanmoins telle que les barrières morales et éthiques empêchant de facto la brevetabilité du vivant n’ont été levées que progressivement, depuis 25 ans dans les divers ordres juridiques. Cette évolution a été désormais maintes fois décrite282, et nous n’y reviendrons pas ici.

158. Au terme d’une profonde adaptation, le brevet est aujourd’hui une technique à

part entière de la filière semence. Mais avant elle, un régime sui generis, distinct du régime

279M. VIVANT, Le droit des brevets, Dalloz, 2005, p. 1.

280 S. DESMOULIN, L’animal, entre Science et Droit, Faculté de droit, Université Paris Panthéon-Sorbonne, Paris, 14 décembre 2005, p. 60, n°93.

281M.-A. HERMITTE, "La protection de l’innovation en matière de biotechnologies appliquées à l’agriculture", in Annexe au Rapport sur les applications des biotechnologies à l’agriculture et à l’industrie agro-alimentaire, Office parlementaire d’évaluation des choix scientifiques et technologiques, A.N. n°1827, Sénat n°148, 1990- 1991, p. 139.

282Cf. M-A.HERMITTE, La protection de l’innovation en matière de biotechnologie appliquée à l’agriculture, in Rapport sur les applications des biotechnologies à l’agriculture et à l’industrie agro-alimentaire, OPCST, 1990, p.115 et s. ; J-C.GALLOUX, « La brevetabilité du vivant : histoire juridique », Dossiers brevets, Centre du Droit de l’Entreprise, 1995, n°2, p.1 et s. ; J.-C. GALLOUX, Droit de la propriété industrielle, Dalloz, 2003 ; B. BERGMANS, La protection des innovations biologiques, une étude de droit comparé, Larcier, 1991 ; C. NOIVILLE, Ressources génétiques et droit, Pedone, 1996.

classique des brevets, avait pourtant été créé pour protéger le travail des obtenteurs : celui du droit des obtentions végétales283.

159. Ce faisant, c’est aussi d’une double spécialisation en matière de droit de

propriété intellectuelle que la semence fait aujourd’hui l’objet : tout d’abord avec la création d’un droit spécifique pour la protection de variétés végétales, « le droit d’obtention végétale » (A) ; et, ensuite, avec une adaptation toute particulière et plus récente du droit des brevets, adapté pour la circonstance à des composants du monde végétal (B). Cette extension de la propriété intellectuelle se fait aux dépens du domaine public qui devient un vaste domaine de variétés délaissées (C).

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