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L’émergence d’une réglementation sectorielle

1 re Partie : La pluralité des modèles économiques occultée par la réglementation

Chapitre 1. L’émergence d’une réglementation sectorielle

284. La Révolution industrielle offrit des progrès scientifiques et techniques sans

précédent, mais un de ses revers fut « la facilité avec laquelle le progrès des sciences et techniques a permis de fabriquer de nouveaux produits et substances, conjuguée aux décisions individuelles de certains opérateurs économiques peu scrupuleux de placer sur le marché des produits de moindre qualité, falsifiés, toxiques ou corrompus » 491.

Historiquement, la réglementation des semences répond au besoin de lutter contre les fraudes et d’assurer la sécurité alimentaire de la France. Avec le développement des transports, des wagons entiers de semences en provenance de régions différentes de France, mais aussi de pays voisins, ont fait leur apparition sur les marchés locaux, introduisant l’idée de circuit long dans la filière semence. Emile SCHRIBAUX492 raconte en 1895 :

« Le temps n’est pas éloigné où les agriculteurs se procuraient dans leur voisinage immédiat les semences qui leur faisaient défaut. La facilité des communications a bouleversé les habitudes du commerce des graines et l’a rendu cosmopolite. Il nous vient du dactyle des antipodes, de la Nouvelle- Zélande »493.

491DGCCRF, La loi du 1er août 1905 : cent ans de protection des consommateurs, La documentation Française, 2007.

492Il fut un scientifique français spécialisé dans les semences et père de nombreuses propositions pour protéger les agriculteurs contre les fraudes. Pour un historique intéressant des contributions de SCHRIBAUX, voir C. BONNEUIL et F. THOMAS, Du maïs hybride aux OGM : une histoire de la génétique végétale à l’INRA, INRA, à paraître.

493E. SCHRIBAUX, Sur les fraudes de semences et les moyens de s’y soustraire, Congrès Agricole de Reims, Reims, Imprimerie et Lithographie Matot-Braine, Séance du 20 juin 1895, p. 5.

285. Ainsi, dans ce circuit long professionnel, l’utilisateur final des semences s’est

trouvé de plus en plus éloigné du producteur des semences494. Certains professionnels étaient de qualité avec une réputation construite sur un travail sérieux. D’autres cherchaient à faire des profits rapides profitant de la difficulté pour les utilisateurs de déterminer la qualité d’une semence, en vendant des semences mal étiquetées, périmées ou de pauvre qualité495. E. SCHRIBAUX explique que « les fraudes sur la nature de la marchandise étaient extrêmement fréquentes ; sûrs à cette époque de n’être soumis à aucun contrôle, les négociants, même les plus honnêtes, ne se donnaient pas la peine d’examiner les semences qu’ils ne produisaient pas. Ils les recevaient frelatées, ils les revendaient telles »496. Lors d’une visite en 1885 d’un grand négociant de Paris, E. SCHRIBAUX préleva un petit échantillon de luzerne. Après analyse, la luzerne était mélangée avec 25.7% de minette qui était un grain trois fois moins cher que la luzerne497. Dans un autre exemple, il explique qu’au printemps de 1894, différents départements du sud-est ont été livrés en semences, sous le nom de vesces, une gesse provenant d’Italie « qui a empoisonné des centaines de bêtes à cornes ; le seul canton de Saint Maurice de Beynost (Ain) en a perdu plus de 70 »498.

286. La gravité des conséquences sur les récoltes des agriculteurs est incontestable ;

l’impunité dans laquelle s’effectuaient ces pratiques aussi. Pour preuve de méthodes très malhonnêtes et très poussées de certains acteurs, nous reproduisons en annexe499 un prospectus lu par E. SCHRIBAUX pendant une conférence donnée devant un Congrès agricole à Reims en 1895500. L’auteur du prospectus revient sans cesse sur la mauvaise qualité de la marchandise qu’il offre ; de cette façon, il se met complètement à l’abri des poursuites, vu qu’aucune réglementation en matière de protection des consommateurs n’existait avant 1905. Par exemple, il donne un exemple « si on vend par année 500 kilos de graines d’oignons que l’on paye 4fr. le kilo, achetez-en seulement 350 kilos germant de 98 à 100% et prenez 120 ou 150 kilos de vieilles graines d’oignons que nous vendrons soit 0 fr. 40 cent. le

494La Cité domestique est construite autour d’échanges directs, alors que dans la Cité industrielle le producteur est éloigné du consommateur.

495Dans une circulaire de 1923, le ministre de l’agriculture Henry Chéron décrit certaines pratiques dont celle- ci : "L’automne dernier, les régions de l’Ouest et du midi de la France furent parcourues par des commis voyageurs offrant aux cultivateurs sous les dénominations fantaisistes, et à des prix généralement excessifs, des blés tardifs appartenant à des variétés septentrionales connues. Le moindre inconvénient de ce blé a été d’échauder avant d’atteindre la maturité." ; Circulaire du 11 septembre 1923 relative à la prochaine campagne du blé, JORF du 15 septembre 1923, p.9105-9106.

496E. SCHRIBAUX, Sur les fraudes de semences et les moyens de s’y soustraire, op. cit., 1895, p. 8. 497Ibid.

498Ibid p. 9. 499Annexe n°37

kilo, d’où un profit de 500 fr. environ. [...] ». Cette pratique ressemble à celles des cavistes ou laiteries qui « coupaient » leur vin ou lait avec de l’eau. Et de telles pratiques existent encore aujourd’hui avec des entreprises de « déstockage de graines et de semences de toutes natures et de toutes provenances »501, qui proposent de « reprendre toutes [les] graines, semences conditionnées destinés à la vente au public, et que [le semencier ou distributeur] ne souhaite plus présenter à [sa] clientèle ». Il est même précisé qu’ « afin de favoriser une vente discrète de [ces] produits et d’éviter un retour aux circuits traditionnels, notre réseau de distribution concerne exclusivement les « Discount » en France et à l’export »502.

287. En raison de l’éloignement de l’utilisateur final de la source originelle

d’information, du nombre de pratiques frauduleuses dans un cadre réglementaire ultralibéral et de leur impact sur l’agriculture française, le législateur a cherché à assainir le marché agricole dans son ensemble en 1905. A partir de là, le pouvoir réglementaire prend le relais et développe une réglementation complexe autour d’un nombre incalculable d’arrêtés et de décrets qui se succèdent au fil des années pour renforcer l’organisation du circuit long professionnel. Un constat découle de cette évolution : celui du passage d’un régime juridique où l’on sanctionne a posteriori tout agissement contraire à la loi, à un régime où l’exercice d’une liberté est contrôlé en amont. Nous reprendrons les termes de J. RIVERO qui distingua le régime « répressif » pour le premier de ces régimes, et le régime « préventif » pour le second503 (Section 1). Pour assurer la mise en œuvre complexe du régime répressif, le système réglementaire français a fait appel à plusieurs institutions qui œuvrent pour répondre aux besoins du circuit long professionnel (Section 2).

501Fax envoyé par un semencier en date du 5 février 2005 d’une entreprise export installée à Paris, voir Annexe n°37.

502Fax envoyé par un semencier en date du 17 janvier 2005 d’une entreprise installée à Cergy Pontoise, voir annexe n°37.

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