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Le décret du 11 juin 1949 : l’inscription obligatoire des variétés nouvelles

1 re Partie : La pluralité des modèles économiques occultée par la réglementation

Section 1. D’un régime juridique répressif à un régime préventif

A. Le décret du 11 juin 1949 : l’inscription obligatoire des variétés nouvelles

313. Après la Libération, la volonté de l’Etat est d’imposer la modernisation de

l’agriculture578. « Le progrès doit-il être obligatoire ? » se demande R. DUMONT579. Pour l’imposer dans le secteur des semences, l’une des premières étapes est franchie avec le décret du 11 juin 1949 « portant règlement d’administration publique pour l’application de la loi du 1er août 1905 sur la répression des fraudes en ce qui concerne le commerce des semences »580. 574 F. FÉRAL, "Cent ans d’action publique, du service de l’économie agrarienne à la protection des consommateurs", in La loi du 1er août 1905 : cent ans de protection des consommateurs, DGCCRF, La documentation Française, 2007, p. 107.

575Ibid. 576Ibid.

577 Selon F. COCHOY et R. CANU : « La loi de 1905 apparaît comme une politique de production pour les producteur : ce sont bien ces derniers et ces derniers seuls qui auront l’initiative de réclamer des cadres législatifs et réglementaires adaptés aux évolutions et aux pratiques commerciales en vigueur dans leurs domaines ».F. COCHOY et R. CANU, "De l’occultation à l’édification des consommateurs", in Ibid p. 276.

Le caractère facultatif du Catalogue pour ce qui est des variétés nouvelles disparaît avec ce décret qui impose une inscription obligatoire préalable581 : « les variétés nouvelles, importées ou non, ne peuvent être vendues comme semences ou plants qu’après inscription au catalogue des espèces et variétés » (article 2 alinéa 2). Ce régime préventif est mis en place sans que la loi de 1905 confère au pouvoir réglementaire la compétence pour créer des régimes d’autorisation administrative.

314. Selon une jurisprudence administrative constante, seule la loi peut restreindre la

liberté du commerce et de l’industrie et imposer des régimes d’autorisation de mise sur le marché (AMM) 582, sauf en cas de nécessité d’ordre public583. Cependant, G. BURDEAU 578C. BONNEUIL et F. THOMAS parlent des « planistes », « protagonistes du plan Monnet (1946-1953) » et « héritiers des technocrates modernisateurs d’avant-guerre ». C. BONNEUIL et F. THOMAS, Du maïs hybride

aux OGM : une histoire de la génétique végétale à l’INRA, INRA, à paraître.

579Ibid.

580Décret du 11 juin 1949 portant règlement d’administration publique pour l’application de la loi du 1er août 1905 sur la répression des fraudes en ce qui concerne le commerce des semences, JORF du 14 juin 1949, p. 5876.

581La raison derrière l’obligation d’inscrire une nouvelle variété n’est pas expliquée par le décret. Mais, cette obligation a été habilement exploitée par les obtenteurs. Ils déposaient comme marque les noms des variétés qu’ils utilisaient pour inscrire une variété nouvelle au Catalogue. Ainsi, en combinant les dispositions du décret de 1949 et du droit des marques, toute variété nouvelle commercialisée devait porter la dénomination officielle, mais puisqu’elle était protégée par un droit de marque, la dénomination ne pouvait être utilisée que par son titulaire. Il était donc seul à pouvoir légalement commercialiser la variété conformément aux dispositions du décret de 1949.

La Cour de cassation a mis fin à cette pratique surprenante en 1964. Cass. crim., 20 février 1964, Boret, n°62- 90017, publié au bulletin, JCP 1964 II 13789, note Delpech, RTDCom 1965 pp. 219-221.

« Pour être susceptible d’appropriation privative à titre de marque de fabrique une dénomination doit être distinctive et par suite ne peut être ni usuelle ni nécessaire ou générique. L’inscription sous une dénomination particulière au Catalogue des espèces ou variétés du ministère de l’Agriculture d’une variété d’un produit horticole rend cette dénomination obligatoire pour désigner tout produit dans son commerce, son transport ou sa vente, au terme de l’art. 2 du décret du 11 juin 1949. Il s’ensuit que cette dénomination, devenue ainsi nécessaire et générique, ne peut plus faire l’objet d’une appropriation par un particulier à titre de marque de fabrique pour les produits de son seul commerce et que son emploi devenu légalement obligatoire pour tous les commerçants, ne peut constituer une tromperie à l’égard de la clientèle ».

582Voir en ce sens, J. RIVERO et H. MOUTHOUH, Libertés publiques Tome 1, PUF Droit, 2003, p. 181 et s. Pour illustrer que la loi prévoit le système d’autorisation de mise sur le marché de produits, voir l’art. L. 522-4 du Code de l’environnement qui organise celle de produits biocides ; L. 5121-8 du Code de la Santé qui organise l’autorisation de mise sur le marché de « toute spécialité pharmaceutique ou tout autre médicament fabriqué

souligne qu’«en face du développement brutal et impératif de l’interventionnisme d’abord motivé par la guerre puis stimulé par les forces politiques qui s’imposèrent à la libération, la défense du vieux principe libéral n’était pas une tâche aisée »584. C’est ainsi que le juge administratif, en 1952, a pu admettre que l’autorité administrative pouvait porter à la liberté du commerce et de l’industrie « les limitations strictement nécessaires à la sauvegarde des intérêts du consommateur »585. Il est difficile de savoir ce que le juge administratif aurait pu admettre dans le cas du Catalogue officiel : était-ce une limitation strictement nécessaire ou une dérive du pouvoir réglementaire ?

315. Plus grave encore, le décret de 1949, qui est un RAP, n’est pas lui-même la

« réglementation recette » qui fixe la « qualité », pour reprendre les termes de J.-P. DOUSSIN586. Le problème en matière de semences, est que ce ne sont pas les décrets en Conseil d’Etat qui déterminent la « qualité » comme le prévoit la procédure de l’article 11, mais des arrêtés ministériels qui homologuent des règlements techniques d’inscription au Catalogue et qui ne sont pas publiés au Journal officiel. La dérive administrative poursuit librement sa course cachée derrière une absence de publicité, une technicité grandissante et l’absence de mécanismes de contrôle587. L’Etat peut ainsi imposer une notion de « qualité » pour les variétés nouvelles commercialisées.

B. Le décret de 22 janvier 1960 : l’inscription obligatoire de toute

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