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La variabilité limitée des objets de la dogmatique opérative

b. Les discours opératifs extra-juridictionnels

A. Une meilleure appréhension des objets de la dogmatique

2. La variabilité limitée des objets de la dogmatique opérative

196. Une chaîne chronologique de discours - Le discours opératif, pour reprendre la définition de Luigi Ferrajoli émane des juristes acteurs, c'est-à-dire des juristes qui participent au règlement d’un litige654. Sont alors concernés, les discours des justiciables, des avocats à la Cour, des juridictions du fond, des avocats aux Conseils ainsi que ceux émis par tous les autres acteurs qui interviennent dans un procès à l’exception des magistrats de la Cour de cassation. Ainsi, la dogmatique opérative suit le cours d’un litige, son développement dépend de la progression judiciaire de l’affaire. Après qu’un fait ou qu’un acte soit à l’origine d’un

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Cf. supra n°144 et 159.

654 Par opposition à l’interprétation doctrinale des juristes spectateurs : v. L. Ferrajoli, « Interpretazione dottrinale e interpretazione operativa », Rivista internazionale di filosafia del diritto, 1966, p. 302, trad. par nos soins.

litige porté devant les juridictions de première instance, c’est l’évolution de la procédure qui provoque et oriente les différents discours opératifs. Aussi est-il opportun d’envisager les objets de ces discours de manière chronologique afin de dégager des constantes permettant d’opposer la dogmatique opérative à la dogmatique doctrinale655.

197. La variation de l’objet de la dogmatique opérative en fonction de l’évolution de la procédure - Devant les juridictions de première instance, l’objet analysé par l’avocat à la Cour, ou plus rarement par le justiciable (lorsque celui n’est ni obligé, ni désireux d’être représenté) est le fait ou l’acte à l’origine du litige656. Celui-ci va être qualifié juridiquement et être à l’origine d’une demande fondée sur un énoncé législatif657 qu’il s’agira de contester pour la partie adverse. La juridiction alors saisie aura les mêmes objets d’analyse, elle sera compétente pour contrôler la qualification et examiner la demande en justice. Elle pourra opter pour l’interprétation législative recommandée par la partie demanderesse ou pour celle prônée par la partie défenderesse ou pour une interprétation qui lui est propre658. En toutes hypothèses, elle sera à son tour à l’origine d’une norme applicable comprise dans le jugement de première instance.

Devant les juridictions d’appel, le support des discours produits par les justiciables ou leurs représentants ainsi que par les juridictions d’appel est la norme applicable choisie par la juridiction de première instance. Pour les avocats à la Cour, il s’agit généralement en effet de contester ou de conforter tout ou partie du jugement de première instance sur la base des mêmes moyens que ceux présentés en première instance, ou sur la base de nouveaux moyens de fait ou de droit. La cour d’appel est alors chargée d’évaluer les argumentations respectives des parties à l’aune du jugement qu’elle peut confirmer ou infirmer en optant, à propos de la question en cause, pour la même interprétation que les premiers juges (arrêt confirmatif) ou en retenant une interprétation législative concurrente (arrêt infirmatif).

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Afin de faciliter la compréhension des différentes étapes de la procédure, on optera pour une présentation schématique et probablement incomplète des étapes procédurales et on ne traitera que des discours ultra-juridictionnels (jugements et arrêts) et des écritures des avocats ou des avocats aux Conseils.

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Le fait ou l’acte générateur du litige et la demande subséquente varient en fonction de l’espèce considérée et échappe en conséquence à toute tentative de systématisation. Il peut s’agir d’un désaccord à propos d’un contrat de mariage, de travail ou de distribution, à propos d’un droit de propriété, d’un accident, se traduisant par une demande de réparation en nature ou par équivalent etc.

657 Les énoncés législatifs ici employés par les juristes sont entrés en vigueur. La dogmatique opérative ne porte pas d’intérêt au processus d’entrée en vigueur des législations, contrairement à la dogmatique doctrinale, cf. supra n°192.

658 Sur les techniques permettant au juge d’apporter au litige une réponse qui n’a pas été proposée par les parties : cf. infra n°350 et s.

Lorsqu’un litige chemine jusqu’à la Cour de cassation par le biais d’un pourvoi, l’objet des discours devient l’arrêt des juges du fond tel qu’il est contesté par le recours659. Le demandeur au pourvoi se base sur la décision des juges du fond pour la contester en proposant une interprétation législative concurrente660. Le défendeur va a contrario en démontrer le bien-fondé. Quant à la Cour de cassation, elle examine la norme applicable dégagée par les juges du fond, qu’elle peut confirmer (arrêt de rejet) ou écarter (arrêt de cassation). En toutes hypothèses, elle sera à l’origine d’une norme en vigueur, c’est-à-dire d’une interprétation authentique des énoncés législatifs en cause dans le litige, qui ne pourra pas être remise en cause661.

Ainsi, l’objet de la dogmatique opérative évolue en fonction des différentes étapes procédurales. Si c’est la volonté des parties d’agir en justice, d’interjeter appel ou de former un pourvoi en cassation qui déclenche et entretient cette chaîne discursive, l’objet des discours opératifs ne dépend pas du bon vouloir de ses auteurs. Il est déterminé par des contraintes procédurales. Les ignorer, c’est prendre le risque de manquer son but (rejet de la prétention, infirmation du jugement, cassation de l’arrêt etc). À la différence des juristes « spectateurs », les juristes « acteurs » 662 ne choisissent pas leurs objets d’analyse.

198. Un objet exclu dans la dogmatique opérative : les décisions de la Cour de cassation - Les développements préalables livrent un autre enseignement tenant à la spécificité du discours opératif. Il ne peut pas porter sur une norme en vigueur, c’est-à-dire sur une interprétation législative de la Cour de cassation. La norme en vigueur est le produit de cette chaîne discursive, elle n’en est pas le support. C’est à partir de la procédure antérieure que chacun des acteurs du procès va élaborer son propre discours. Les avocats critiqueront les écritures de la partie adverse, le jugement de première instance, l’arrêt d’appel. La juridiction de première instance examinera le fait et la demande, la cour d’appel le jugement critiqué et la Cour de cassation l’arrêt relayé par le pourvoi. C’est là un point de rupture important avec la dogmatique doctrinale qui peut tout à fait et comme nous l’avons démontré, reposer sur une norme en vigueur puisque, par définition, elle n’a pas vocation à intervenir dans un litige663.

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Sur l’effet dévolutif du pourvoi et sa maîtrise par l’avocat aux Conseils du demandeur, cf. infra n°290 et s.

660 Sur ce point, cf. infra n°300 et s.

661 Soit l’arrêt est de rejet et alors son interprétation de la loi ne peut plus être discutée par un discours opératif intervenant à propos du même litige. Soit l’arrêt est de cassation mais dans ce cas, l’affaire renvoyée ne sera a priori pas rejugée en droit. Si elle l’est, c’est un arrêt d’Assemblée plénière qui met un terme définitif au litige, en contraignant, en cas de nouveau renvoi, les juges du fond à se plier à l’interprétation retenue par la formation solennelle. Sur ce point cf. supra n°67 et infra n°288.

662 L. Ferrajoli, « Interpretazione dottrinale e interpretazione operativa », art. préc., p. 302.

199. Propos conclusifs - Les discours dogmatiques présentent ainsi des caractéristiques propres selon le contexte dans lequel ils sont produits. Alors que celui qui participe à une activité dogmatique doctrinale peut faire porter son discours sur l’objet de son choix, l’auteur d’un discours dogmatique opératif est soumis à un ensemble de contraintes procédurales qui le conduisent à concentrer son attention sur des objets prédéterminés par l’évolution du contentieux. Si l’on s’emploie maintenant à comparer de nouveau les discours dogmatiques aux discours authentiques et scientifiques, des liens, qui auraient été insoupçonnables sans prendre en compte leurs contextes de production, apparaissent.

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