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b. Un lien de causalité entre les discours opératifs et authentiques

206. Un lien contextuel, chronologique et systématique - Lorsque ce litige se solde par une décision de la Cour de cassation, il existe un lien chronologique évident entre les discours opératifs dogmatiques et le discours authentique, en ce sens que les discours du premier type auront précédé le discours du second type. La décision de la Cour de cassation clôture la chaîne des discours opératifs intervenus en amont, à savoir celle des interprétations législatives défendues par les parties ou leurs représentants et des interprétations retenues par les juges du fond.

207. Une « chaîne » d’interprétations - Ces interprétations en cascade ne sont pas sans rappeler la figure du « roman à la chaîne », proposée par Dworkin, en vue de présenter le droit comme un roman écrit à plusieurs mains par les juges : « un groupe de romanciers écrit un roman chacun à son tour : chaque romancier de la chaîne interprète les chapitres qu’il a reçus pour écrire un nouveau chapitre, qui vient alors s’ajouter à ce que reçoit le romancier suivant, et ainsi de suite »670. Certes, l’auteur ne s’intéresse qu’aux liens qui unissent les interprétations authentiques entre elles et prête à la figure judiciaire des facultés auxquelles nous ne souscrivons pas, mais sa métaphore éclaire le processus discursif à l’œuvre dans un litige. L’ensemble des interprétations émises en amont par les justiciables, leurs représentants et les juges du fond, participe à l’interprétation de la Cour de cassation, c'est-à-dire à l’interprétation authentique. Tous ces discours se produisent en effet dans un même contexte, le contexte juridictionnel et à propos d’un même litige. Ils sont chronologiquement et

669 Cf. supra n°202.

670 R. Dworkin, L’empire du droit, (éd. originale parue en 1986), trad. E. Soubrenie, Paris, France, PUF, 1994, pp. 251-252.

systématiquement liés. Pour schématiser, une décision de la Cour de cassation rendue en matière civile est en principe précédée de l’apparition d’un cas litigieux à partir duquel, et tour à tour, des avocats, un tribunal de grande instance, ces mêmes avocats, une cour d’appel, des avocats aux Conseils auront produit une interprétation.

Il peut arriver que la chaîne soit raccourcie, lorsqu’un jugement est rendu en premier et dernier ressort et que seul un recours extraordinaire est envisageable. C’est également le cas lorsque le ministère public près la Cour de cassation décide de former un pourvoi dans l’intérêt de la loi, les parties et leurs représentants n’étant pas attraits à la procédure671.

Il peut également arriver que la chaîne soit allongée, lorsque, suite à une première cassation, la cour d’appel de renvoi refuse de se plier à la décision de la Haute juridiction, entraînant alors un second pourvoi et l’intervention de l’Assemblée Plénière de la Cour de cassation.

Cela dit, en toutes hypothèses, tout arrêt de la Cour de cassation est systématiquement précédé d’interprétations opératives. Supposons un jugement de première instance contre lequel un pourvoi dans l’intérêt de la loi est exercé. L’arrêt de la Cour de cassation fera suite à la survenance d’un cas litigieux qui aura mobilisé un discours opératif des parties au litige ou de leurs représentants et un jugement de première instance, également opératif. En somme, deux interprétations opératives auront été a minima fournies avant l’interprétation authentique. Il existe donc un lien de chronologie et de systématicité entre ces deux types de discours.

208. Propos conclusifs - En définitive, la mise en lumière de la dualité des discours dogmatiques constitue une étape essentielle de cette étude. Elle permet non seulement de spécifier ce que représente l’interprétation opérative par rapport à l’interprétation doctrinale, mais également de mettre en évidence les liens qu’entretiennent ces deux catégories de discours dogmatiques avec les discours scientifiques et authentiques.

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C

ONCLUSION DU PREMIER CHAPITRE

209. L’interprétation de l’avocat, une interprétation dogmatique - Volitionnel, le discours de l’avocat aux Conseils est également dogmatique. Les discours dogmatiques partagent des qualités qui assurent leur unité face à des discours voisins, à savoir les discours scientifiques et authentiques. Comme tout discours dogmatique, il poursuit une fonction prescriptive, c'est-à-dire qu’il contient des évaluations en vue de recommander à son destinataire le choix d’une interprétation législative sur une autre, choix qui répond aux intérêts de son client. Il prend alors ses distances avec le discours scientifique dont la fonction se limite à la description des normes en vigueur, c'est-à-dire des interprétations de la Cour de cassation. L’unité de la dogmatique provient également de la spécificité de ses résultats. L’activité interprétative peut produire deux types de résultat. Soit l’interprétation est authentique en ce sens qu’elle est incontestable et que ses effets juridiques sont reconnus par le système juridique, elle est ainsi source de normes en vigueur, c’est le cas des interprétations de la Cour de cassation. Soit l’interprétation ne bénéficie pas de cette authenticité, c’est le cas des discours dogmatiques et ceux-ci ne produisent en conséquence que des normes applicables, c'est-à-dire des interprétations que la Cour de cassation pourra toujours choisir de rejeter ou d’adopter.

210. L’interprétation de l’avocat, une interprétation dogmatique opérative - La spécificité de la fonction et du résultat de l’activité dogmatique ne saurait pour autant dissimuler la grande variété des discours que cette catégorie renferme. Afin de mieux spécifier ce que représente le discours de l’avocat aux Conseils, il était nécessaire de proposer une typologie des discours dogmatiques. Cette entreprise a été facilitée par la distinction proposée par Luigi Ferrajoli qui invite à s’intéresser au contexte discursif. Soit le discours a été produit dans le cadre d’un litige porté devant les juridictions : c’est le discours opératif ; soit il n’a pas été produit à l’occasion d’un litige et en vue de le résoudre : c’est le discours doctrinal. Cette dichotomie trouve à s’appliquer au sein des discours dogmatiques et présente un double intérêt. Le premier repose sur une meilleure appréhension des objets interprétés dans ces deux types de discours. L’auteur d’interprétations opératives (avocat à la Cour, juridictions inférieures, avocat aux Conseils) n’interprète qu’un objet bien délimité, que ce soit le fait ou l’acte à l’origine de la demande, ou la décision qui fait l’objet d’un recours. À l’inverse, les objets de l’interprétation doctrinale sont multiples et variés.

Il peut s’agir d’une norme en vigueur, d’un autre discours doctrinal, d’un énoncé textuel, etc. Le second intérêt de cette dichotomie est qu’elle met en lumière une polarisation des discours dogmatiques. S’éloignant l’un de l’autre, les discours doctrinaux et opératifs se rapprochent simultanément d’autres catégories de discours. D’un côté, les discours doctrinaux se rapprochent des discours scientifiques car ils peuvent s’appuyer sur le même objet, une norme en vigueur et sont souvent produits par les mêmes auteurs. D’un autre côté, les discours opératifs et authentiques partagent une même restriction quant à l’objet interprété : il ne peut jamais s’agir d’une norme en vigueur puisqu’ils interviennent au sein d’un processus juridictionnel. La norme en vigueur n’est pas l’objet des discours opératifs puisqu’elle en sera, en cas d’intervention de la Cour de cassation, le résultat.

211. Au sein du processus juridictionnel, intervient donc une série de discours dogmatiques opératifs. Parmi eux, se trouve celui de l’avocat aux Conseils dont on sait désormais qu’il a pour objet la décision des juges du fond, qu’il est prescriptif et qu’il produit une norme applicable. Par ailleurs, d’un point de vue chronologique, il intervient à l’issue du processus juridictionnel, juste avant l’interprétation authentique. Cette position privilégiée en fait un discours opératif singulier comme nous allons le démontrer.

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