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La variété et la variabilité des objets de la dogmatique doctrinale

b. Les discours opératifs extra-juridictionnels

A. Une meilleure appréhension des objets de la dogmatique

1. La variété et la variabilité des objets de la dogmatique doctrinale

190. L’absence de restriction relative à l’objet d’analyse - La dogmatique doctrinale est une activité qui ne connaît aucune restriction relative à l’objet analysé. Contrairement à l’activité scientifique, elle n’a pas à porter uniquement sur les normes en vigueur. Elle ne saurait pas non plus se résumer à la détermination ou à l’appréciation des normes applicables642. Dans la mesure où elle n’est pas suscitée en vue de résoudre un litige porté devant les juridictions, elle peut dès lors porter sur l’ensemble des objets que nous venons de présenter, à savoir un fait, un acte, un énoncé textuel, une norme applicable ou une norme en vigueur.

191. Le fait ou l’acte à l’origine d’une activité doctrinale - Le fait ou l’acte peut déclencher une activité dogmatique en dehors de tout contentieux. Par exemple, lorsqu’un praticien est amené à rédiger un contrat, ou à ajouter à un contrat des clauses contractuelles, son activité porte sur un acte qu’il va élaborer, à l’appui de ses connaissances techniques et en fonction de la volonté de celui qui sollicite ses services.

De la même manière, un universitaire peut s’intéresser à des faits ou à des actes qui n’ont pas encore reçu l’estampille du droit, c’est-à-dire dont la qualification et la conformité au droit positif n’ont pas encore été admises et reconnues par la Cour de cassation. Bien que cette hypothèse ne se produise que très rarement, puisque c’est souvent seulement après la résolution d’un litige par la Cour de cassation, que l’universitaire découvre un nouveau fait ou un nouvel acte juridique, il peut arriver que l’interprétation doctrinale s’intéresse à ce type d’objet avant qu’il ait été visé par un énoncé législatif ou qu’il ait reçu une qualification authentique. Cela se produit notamment en matière contractuelle lorsque l’imagination des praticiens fait apparaître de nouveaux contrats ou de nouvelles clauses contractuelles encore inconnues des juridictions. Par exemple, avant que la Cour de cassation ne vienne préciser la définition et le régime de la clause de non-réaffiliation, certains membres de la doctrine se sont intéressés à cette création fréquemment utilisée dans le contrat de franchise. Celle-ci a été imaginée pour contourner le régime sévère applicable en matière de clause de

642 Sur ce point, une confusion ressort des explications données par M. Troper, in « Entre science et dogmatique, la voie étroite de la neutralité », in P. Amselek (dir.), Théorie du droit et science, Paris, PUF, 1994, p. 319 : l’auteur explique que l’interprétation scientifique s’oppose à l’interprétation dogmatique car « les propositions de la science du droit décrivent des normes en vigueur, la dogmatique des normes applicables ». Ainsi, on est tenté de penser que l’objet de la dogmatique est entièrement constitué de normes applicables, alors qu’en réalité il semble plutôt que l’auteur voie dans une norme applicable le résultat et non l’objet (au sens de support) du discours dogmatique, cf. supra n°157 et s.

concurrence et permettre au franchiseur d’interdire au franchisé de s’affilier à un réseau concurrent du sien sans avoir à verser une contrepartie financière. Antérieurement aux précisions apportées par la Haute juridiction643, plusieurs auteurs ont tenté de distinguer ou de rapprocher la clause de non-réaffiliation de la clause de non-concurrence et se sont également interrogés sur ses conditions de validité644.

192. L’énoncé textuel à l’origine d’une activité doctrinale - Il arrive également qu’un énoncé textuel (de nature constitutionnelle, législative, réglementaire, etc.) donne naissance à une activité dogmatique extérieure à un contentieux. La question du sens à donner à cet énoncé est entière puisque, selon la TRI, il ne contient pas un sens susceptible d’être déterminé par le seul biais de la connaissance.

C’est par exemple le cas lorsque le service de documentation et d’études de la Cour de cassation, anticipant les difficultés d’interprétation liées à l’entrée en vigueur d’un texte de loi, se livre avant qu’un contentieux n’intervienne à des interprétations de ce texte645, interprétations qui n’engagent en principe ni les juges du fond, ni la Haute juridiction. C’est également le cas lorsqu’un universitaire se prononce sur une législation nouvelle, avant que celle-ci n’ait été interprétée par la Cour de cassation, voire même avant qu’elle ne soit entrée en vigueur. La réforme du Code civil, défendue par le gouvernement, en fournit une bonne illustration. À côté des discussions doctrinales, parfois virulentes646, relatives au mode d’élaboration gouvernementale de la réforme finalement déclaré conforme à la Constitution647, de nombreux universitaires s’intéressent actuellement à son contenu en se

643 Com., 28 sept. 2010, no 09-13.888, Bull. civ. IV, no145 : « Attendu que la clause de non-concurrence a pour objet de limiter l'exercice par le franchisé d'une activité similaire ou analogue à celle du réseau qu'il quitte, tandis que la clause de non-réaffiliation se borne à restreindre sa liberté d'affiliation à un autre réseau ». V. égal. Com., 17 janv. 2006, n°03-12.382, Bull. civ. IV, n°39, comp. avec Com., 3 avril 2012, n°11-16.301.

644

É. Seutet, « Les clauses post-contractuelles de non-concurrence et de non-affiliation », D. Affaires, 1999, p. 1157. J. Raynard, « La technique contractuelle au service de la pérennité du réseau de distribution. », Cah. dr. entr., 2005, p. 33.

645

V. par ex. les indications du SDE relatives à la loi n°2005-845 du 26 juil. 2005 de sauvegarde des entreprises et au décret d'application n°2005-1677 du 28 déc. 2005, disponibles sur le site de la Cour de cassation :http://www.courdecassation.fr/jurisprudence_publications_documentation_2/actualite_jurisprudence_ 21/chambre_commerciale_financiere_economique_574/loi_sauvegarde_entreprises_8802.html.

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V. par ex. l’entretien accordé par O. Tournafond à la presse généraliste, « Taubira veut déconstruire le Code Napoléon », JDD, 28 oct. 2014, accessible en ligne, dont voici quelques extraits : « Ce qui me choque d'abord c'est la méthode du ministre de la Justice. Elle entend, ni plus ni moins, changer par ordonnance, autrement dit par un décret-loi, le prestigieux Code Napoléon ou code civil que l’on a qualifié de Constitution civile de la France. On touche à un totem de notre droit », Mme Taubira « se veut le grand législateur des temps post-modernes! Après le mariage pour tous, elle veut assassiner le code civil au nom de l'égalité pour tous ».

647 V. la décision Cons. const. n°2015-710DC du 12 févr. 2015, Loi relative à la modernisation et à la simplification du droit et des procédures dans les domaines de la justice et des affaires intérieures, JORF du 17 févr. 2015, p. 2969.

livrant à des exercices d’interprétation du projet dans son ensemble648 ou sur l’un de ses aspects uniquement649.

193. La norme applicable à l’origine d’une activité doctrinale - Une norme applicable, c’est-à-dire la signification recommandée d’un énoncé textuel à la suite d’une interprétation dogmatique peut également faire l’objet de discours doctrinaux qui ne participent pas à la résolution judiciaire d’un litige. Par exemple, les membres de la doctrine académique peuvent analyser une norme applicable (posée par des juges du fond, défendue par des avocats ou encore recommandée par un autre universitaire) afin d’en évaluer le bien-fondé selon leurs propres préférences subjectives. C’est le cas lorsqu’un universitaire se livre au commentaire d’une décision rendue par les juges du fond en prédisant comment elle sera accueillie par la Cour de cassation650 ou encore lorsqu’il critique une norme applicable proposée par un autre membre de la doctrine651. Il s’agit bien de discours ayant pour objet une autre norme applicable, même s’ils s’accompagnent souvent d’interprétations propres à leurs auteurs en vue de prescrire des normes applicables concurrentes.

194. La norme en vigueur à l’origine d’une activité doctrinale - C’est la plus large part de l’activité doctrinale qui intervient alors en réaction aux arrêts de la Haute juridiction652. Très fréquemment, la doctrine, surtout universitaire, commente les normes en vigueur dégagées par la Cour de cassation, en évaluant leur bien-fondé.

648 Le projet de réforme, dont la dernière version est accessible sur le site du ministère de la justice (http://www.justice.gouv.fr/publication/j21_projet_ord_reforme_contrats_2015.pdf) est actuellement présenté et interprété dans des ouvrages (v. par ex. N. Dissaux et C. Jamin, Projet de réforme du droit des contrats, du régime général et de la preuve des obligations: rendu public le 25 février 2015, Paris, France, Dalloz, 2015) de nombreux colloques (v. par ex : La réforme du droit des contrats, Université Panthéon-Assas, 3 avril 2015) et sur des blogs d’universitaires (v. par ex. : « Droit d’inventaire : en route vers la réforme du droit des contrats et des obligations ! », www.daniel-mainguy.fr).

649 V. par ex. sur la résolution unilatérale du contrat (que le projet intègre à l’art. 1126 du C. civ.) : P. Grosser, « La résolution unilatérale du contrat: conditions et régime », AJCA, 2014, p. 72 et s.

650 V. en ce sens les commentaires des décisions d’appel accessibles sur la base de données du site Dalloz. V. par ex. à propos de l’affaire « Our Body » : le commentaire de F. Rome, sous l’ordonnance prise le président du TGI de Paris, du 21 avril 2009, in D. 2009, p. 1129 dont voici un extrait : « Si la finalité scientifique d'une telle exposition était finalement avérée, que les doutes sur l'origine des corps exposés étaient levés et que son accès fût libre, l'atteinte au respect dû au cadavre devrait-elle s'incliner devant la liberté d'expression et le droit de savoir ? » ; le commentaire de B. Edelman sous CA Paris, 30 avril 2009, n°09/09315, in D. 2009, p. 2019, dont voici un extrait : « le cadavre, depuis un arrêt surprenant de la cour de Paris du 30 avril 2009, est rentré dans les rangs ; il n'a plus rien de sacré ni d'inviolable ; il est devenu une valeur commerciale comme une autre - avec quelques légers aménagements - et l'ultime tabou s'est brisé. Dorénavant, la mort n'échappe plus au marché ».

651 V. par ex. les critiques adressées aux partisans d’une lecture solidariste du contrat et notamment de la norme applicable selon laquelle l’acheteur doit être tenu d’une obligation d’information relative au bien qu’il s’apprête à acheter dès lors que cette information est essentielle au consentement éclairé du vendeur sur le fondement des art. 1116 et 1134 al. 3 du C. civ., supra n°144 et s.

652 Sur le caractère généralement rétrospectif de la dogmatique doctrinale contrairement au caractère opératif de la dogmatique opérative cf. infra n°256.

C’est l’hypothèse d’un professeur de droit qui recommande une norme applicable en prenant comme point de départ un arrêt de la Cour de cassation. Les auteurs concernés, qui cessent de décrire les interprétations de la Cour de cassation, en proposent une appréciation. Ils saluent ou contestent ces interprétations sur la base d’évaluations et en fonction de leurs préférences subjectives. Cette attitude a déjà été illustrée lorsque nous avons décrit comment les partisans d’une analyse solidariste ont commenté les décisions de la Cour de cassation tendant à refuser de sanctionner le silence de l’acheteur à la formation du contrat de vente653. Les auteurs prennent pour objet d’étude une norme en vigueur qu’ils critiquent conformément à leur vision des relations contractuelles et proposent alors une signification concurrente et alternative à celle retenue par la Haute juridiction.

195. La variabilité des objets de l’activité doctrinale en fonction de la volonté de ses auteurs - En somme, les discours dogmatiques produits en dehors d’un processus juridictionnel peuvent porter sur un fait, un acte, un texte, une norme applicable ou une norme en vigueur sans qu’il ne soit possible de savoir précisément ce qui pousse leurs auteurs à porter leur attention sur l’un ou l’autre de ces objets d’analyse. Pour le dire autrement, les objets des discours doctrinaux varient en fonction de la seule volonté de leurs auteurs. Par exemple, l’universitaire est libre de s’intéresser à une loi, un arrêt des juges du fond, à une proposition doctrinale ou un arrêt de la Cour de cassation sans avoir à se justifier sur les raisons de son choix. C’est là une différence majeure avec ceux dont le discours relève de la dogmatique opérative.

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