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L’application de la distinction aux discours dogmatiques

Section 2. La dualité des discours dogmatiques

B. L’application de la distinction aux discours dogmatiques

171. L’emploi de la distinction entre discours opératif et discours doctrinal permet de proposer une typologie des discours dogmatiques. Même s’ils émanent d’une multitude d’acteurs, il s’agit de montrer que chaque discours dogmatique peut être classé dans l’une ou l’autre des deux catégories suivantes : la dogmatique doctrinale (1) ou la dogmatique opérative (2).

1. La dogmatique doctrinale

172. Notion - A priori, cet intitulé paraît tautologique dans la mesure où le terme de dogmatique a pu être assimilé à celui de doctrine599. Pourtant, la distinction qui vient d’être présentée permet d’affirmer que si tout discours doctrinal est dogmatique600, tout discours dogmatique n’est pas nécessairement doctrinal. Le discours dogmatique doctrinal est en effet, par opposition au discours dogmatique opératif, celui qui ne participe pas directement à la résolution d’un litige. Dogmatique, il tend à influencer les autorités normatives, mais doctrinal au sens de « non-opératif », il n’est pas nécessaire à la résolution d’un litige, contrairement et par exemple à celui de l’avocat. Aussi apparaît-il important de préciser les contours de ce discours en identifiant ses auteurs, ses supports et ses destinataires.

173. La diversité de ses auteurs - La dogmatique doctrinale est l’œuvre des juristes qui s’expriment sur le droit à des fins prescriptives sans que leurs prescriptions ne soient nécessaires à la résolution d’un litige. Partant, ce sont les discours juridiques prescriptifs produits en dehors de tout processus juridictionnel qui sont concernés.

599 V. en ce sens Ph. Jestaz et Ch. Jamin, La doctrine, Paris, Dalloz, 2004. Ces auteurs insistent sur le caractère éminemment dogmatique de la doctrine, organisée en entité et empêchant ainsi le renouvellement des méthodes d'approches du droit.

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V. cependant une définition différente de la doctrine, qui autorise à penser qu’elle présente des aspects scientifiques : « ensemble des productions dues à la science juridique » in A.-J. Arnaud (dir.), Dictionnaire encyclopédique de théorie et de sociologie du droit, Paris, LGDJ, 2e éd., 1993, *Doctrine, rubrique rédigée par S. Cimamonti, p. 186.

Ceux-ci proviennent généralement des universitaires dont la fonction consiste à enseigner le droit, mais également, comme on a pu le constater, à le faire évoluer dans un sens conforme à leurs préférences subjectives601.

Les praticiens qui produisent des discours prescriptifs sur le droit en dehors de leur mission de représentation en justice relèvent également de cette catégorie. Dans leur fonction de rédacteur d’actes ou de conseiller, les avocats, les notaires ou encore les juristes d’entreprise produisent effectivement des qualifications ou des interprétations juridiques finalisées. Il en va de même lorsqu’ils exercent une activité académique (contribution à des revues ou à des ouvrages juridiques, participation à des colloques, dispense de travaux dirigés, etc.) et qu’ils ne se limitent pas à décrire le droit positif.

Il faut enfin préciser que certains discours produits par les juridictions appartiennent aussi à la dogmatique « non-opérative ». Lorsque dans ces rapports annuels, la Cour de cassation suggère par exemple des réformes législatives, elle adopte bien une posture prescriptive en dehors de tout procès602. De même et plus discrètement, lorsque par l’intermédiaire de son service de documentation et d’études, la Cour de cassation réagit spontanément à des difficultés d’interprétation engendrées par une législation nouvelle, elle fait également œuvre de doctrine sans que ses interprétations n’interviennent à l’occasion d’un litige603.

174. La diversité de ses supports - Les supports de la dogmatique doctrinale sont très nombreux et se sont diversifiés avec l’apparition des nouvelles technologies. Ils se manifestent principalement dans les ouvrages604 et revues juridiques, qui peuvent être édités en version papier, en version électronique ou les deux. Des sites internet ou des blogs juridiques peuvent également leur être dédiés605. Ils peuvent aussi être présentés sur supports

601 Cf. supra n°144 sur la doctrine du solidarisme contractuel.

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Les premières parties des rapports annuels de la Cour de cassation sont généralement consacrées aux « suggestions de modifications législatives ou réglementaires », v. par ex. Rapport annuel 2012 de la Cour de cassation - La preuve, La documentation française, 2013, pp. 29 à 89.

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Sur cette pratique, v. N. Molfessis, « Les avis spontanés de la Cour de cassation », D. 2007, p. 37 et s. L’auteur s’interroge sur cette technique qui ne suppose pas, à la différence de la procédure officielle d’avis, que les juridictions du fond la saisissent d’une question nouvelle et sérieuse.

604 Le terme d’ouvrages juridiques est ici employé lato sensu. Il vise les traités, les manuels, les thèses, les mélanges (…) qui sont tous susceptibles de contenir des parties prescriptives souvent présentées comme des parties critiques ou prospectives.

605 De nombreux sites et blogs ont été créés par des juristes praticiens et universitaires. Ces blogs peuvent être personnalisés ou thématiques : v. par ex. pour des universitaires : le blog de Daniel Mainguy : http://www.daniel-mainguy.fr/, ou de Marie-Anne Frison-Roche : http://www.mafr.com/ ; ou à propos des droits de l’homme : http://combatsdroitshomme.blog.lemonde.fr/category/credof/ ; pour des avocats : celui de Maître Eolas : http://www.maitre-eolas.fr/ ou celui de maître Mô : http://maitremo.fr. Pour la doctrine non-opérative de la Cour de cassation, on la retrouve dans ses rapports annuels ou dans les publications de son SDE, accessibles en version papier ou en ligne sur le site de la Cour de cassation.

vidéogrammes qui reproduisent des conférences ou des débats sur l’internet606. Lorsque le juriste est invité dans les médias pour s’exprimer sur une question juridique, le support de l’activité dogmatique peut alors être la presse généraliste, la radiodiffusion ou la télévision607.

175. La variété et la variabilité de ses destinataires - Contrairement au discours opératif608, le discours doctrinal n’a pas de destinataires immédiats, directement saisissables, car il se destine à celui qui s’y intéresse. Puisqu’une grande partie des auteurs de ce type de discours exerce une activité d’enseignement, il s’adresse en premier lieu aux étudiants. Les membres de la communauté universitaire débattent également souvent entre eux, si bien qu’on peut soutenir, avec Michel Boudot, que la « doctrine s’adresse à elle-même ; plus exactement, les auteurs tâchent de se convaincre les uns les autres de la qualité des solutions qu’ils préconisent »609. Les normes applicables recommandées par la doctrine ou par la Cour de cassation peuvent enfin intéresser les autorités législatives ou juridictionnelles.

176. Propos conclusifs - Nombreux sont les discours juridiques qui prescrivent une évolution du droit positif sans s’inscrire dans un processus juridictionnel. Cette dogmatique « non-opérative » n’est alors pas susceptible d’agir directement sur l’activité normative de la Cour de cassation, contrairement à la dogmatique opérative.

2. La dogmatique opérative

177. Un discours dogmatique opératif est un discours produit dans un processus juridictionnel en vue de résoudre un litige. Partant, il faut imaginer une procédure judiciaire longue, qui se solderait par un arrêt de la Cour de cassation, et admettre que tous les discours juridiques susceptibles d’être produits en amont de cet arrêt appartiennent à cette catégorie. D’un point de vue chronologique, il faut distinguer trois étapes dont la réalisation dépend, en principe, de la volonté exclusive des justiciables qui décident de saisir une juridiction de

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De nombreuses conférences universitaires sont désormais accessibles sur l’internet, v. par ex. la chaine youtube du Centre Perelman de Philosophie du droit : https://www.youtube.com/user/centreperelman.

607 On pense par exemple à l’avocat qui, interrogé à la suite d’un procès dans lequel il intervenait, salue ou fustige la décision des juges dans les médias. On pense également aux juristes, souvent universitaires, invités pour leur expertise, qui se livrent parfois à une activité prescriptive en vue de défendre des valeurs, v. par ex. les positions médiatiques de M.-A. Frison-Roche contre la reconnaissance à l’état civil des enfants nés d’une gestation pour autrui à l’étranger : « Non aux mères-fantômes » par M.-A. Frison Roche, S. Agacinsky, E. Abécassis, J. Bové et M. Onfray, Le Monde, 16 juin 2015 ; « Gestation pour autrui : débat filmé entre Marie-Anne Frison Roche et Maître Caroline Mecary », Europe 1, 25 mai 2015.

608 Cf. infra n°177 et s.

609 M. Boudot, Le dogme de la solution unique : contribution à une théorie de la doctrine en droit privé, Thèse, Aix-en-Provence, 1999.

première instance (étape 1), d’interjeter appel (étape 2) et de former un pourvoi en cassation (étape 3)610. Si toutes ces étapes sont atteintes, de nombreux acteurs auront produit un discours dogmatique avant que l’interprétation authentique ne résolve définitivement le contentieux611.

Afin de mieux appréhender les discours opératifs, il est possible de proposer une nouvelle distinction fondée sur la qualité de leurs auteurs. Celle-ci tend à différencier les discours opératifs juridictionnels produits par les juridictions ou les membres d’une juridiction (a) et les discours opératifs extra-juridictionnels, qui émanent des justiciables ou plus fréquemment de leurs représentants (b). C’est à cette deuxième sous-catégorie qu’appartient le discours de l’avocat aux Conseils.

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