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Un contenu déterminé en fonction de l’intérêt du client

Section 1. Un discours soumis à des contraintes spécifiques

A. Un contenu déterminé en fonction de l’intérêt du client

225. L’intérêt de son client guide le travail de l’avocat aux Conseils. Aussi est-il amené à défendre telle ou telle interprétation de la loi selon qu’il est chargé de représenter les intérêts du demandeur ou du défendeur. Cette orientation du contenu en fonction de l’intérêt du client (1) est une spécificité des interprétations opératives d’ordre privé et ne se rencontre pas dans les interprétations opératives d’ordre juridictionnel (2).

1. Un contenu systématiquement orienté en fonction de l’intérêt du client

226. Un discours mandaté - Le statut d’officier ministériel de l’avocat aux Conseils ne saurait voiler sa fonction de représentant. Une fois qu’il accepte de soutenir un justiciable

devant la Cour de cassation696, le professionnel rédige un mémoire ampliatif ou en défense en vue de faire triompher la prétention de son client. En qualité de mandataire, ses intérêts se confondent alors avec ceux de son mandant, le justiciable.

227. L’orientation du discours de l’avocat de l’auteur du pourvoi - Lorsqu’il représente le demandeur au pourvoi, il développe des moyens en vue d’obtenir la cassation et l’annulation du dispositif de l’arrêt ou du jugement contesté. Dans cette position, il va nécessairement s’employer à critiquer la décision qui affecte les intérêts de son client, en proposant une interprétation législative concurrente. C’est là sa mission première et pour la remplir, il n’hésite pas à défendre des interprétations nouvelles qui n’ont jamais encore été retenues par la Cour de cassation. Dans l’affaire des « mariés de Bègles » par exemple, l’avocat aux Conseils a développé un moyen de cassation, divisé en cinq branches, en vue défendre la validité d’un mariage célébré entre deux personnes du même sexe et d’obtenir la cassation de l’arrêt de la cour d’appel de Bordeaux qui a confirmé la nullité du mariage. Le contenu était orienté vers la démonstration que la différence de sexe n’est pas une condition nécessaire à la reconnaissance d’un mariage en droit français697. Cette position était d’autant plus audacieuse que la Cour de cassation avait jugé très tôt, certes à propos de faits différents, que « le mariage ne peut être légalement contracté qu’entre deux personnes appartenant l’une, au sexe masculin, et l’autre au sexe féminin » 698. Même s’il n’a pas obtenu les faveurs de la Haute juridiction, l’avocat a défendu la seule thèse qu’il pouvait défendre compte tenu de la volonté de son client.

De la même façon, alors que la Cour de cassation n’avait cessé d’affirmer que la violation d’un pacte de préférence n’ouvrait droit qu’à une réparation en équivalent pour son bénéficiaire699, la survenance d’un nouveau litige sur ce point a poussé le représentant du bénéficiaire lésé à plaider en faveur d’une réparation en nature. Sa thèse était appuyée par les

696 Après une consultation avant-pourvoi positive, ou lorsque le justiciable maintient, malgré les réserves de son représentant, sa décision de se pourvoir. V. sur ce point supra n°12.

697

V. la 1ère branche du premier moyen au pourvoi n°05-16.627 (Civ. 1ère, 13 oct. 2007, Bull. civ. I, n°113).

698

Civ., 6 avril 1903, D. 1904, I, p. 395: En l’espèce, il s’agissait d’un homme qui souhaitait l’annulation de son mariage avec une femme dépourvue d’organes génitaux internes, demande à laquelle la Cour de cassation n’accède pas : « Attendu que bien loin d’établir que le sexe de Dame Gavériaux soit méconnaissable, ni qu’il soit identique à celui de son mari, l’arrêt attaqué, tout en déclarant qu’elle est dépourvue d’organes génitaux internes, constate expressément qu’elle présente toutes les apparences extérieures du sexe féminin ».

699 Cette solution avait été posée dès 1957 : Civ. 1ère, 4 mai 1957, Bull. civ I, n°190 : « si les juges du fond appelés à statuer sur la violation d’un pacte de préférence ont la liberté d’accorder le mode de réparation qui leur paraît le plus adéquat au dommage subi, ils ne sauraient cependant autoriser le bénéficiaire du pacte à se substituer purement et simplement au tiers acquéreur dans les droits que celui-ci tient de l’aliénation qui lui est faite par le promettant ». Elle avait été suivie par la première et la troisième Chambre civile et la Chambre commerciale : v. Civ. 1ère, 10 juil. 2002, n°00-13.669, Bull. Civ. I, n°192 ; Civ. 3ème, 30 avril 1997, n°95-17.598, Bull. Civ. III, n°96 ; Com., 27 mai 1986, n°84-14.154, Bull. civ. IV, n°144.

nombreuses critiques doctrinales dirigées contre cette solution700 et l’ambiguïté engendrée par un arrêt isolé de la Chambre commerciale701. C’est du reste une Chambre mixte qui a été chargée de se pencher sur l’interprétation proposée par l’avocat aux Conseils et qui a mis un terme à une jurisprudence constante, en admettant la réparation en nature de la violation du pacte de préférence à « la condition que le tiers ait eu connaissance, lorsqu'il a contracté, de l'existence du pacte de préférence et de l'intention du bénéficiaire de s'en prévaloir »702. Certes, le moyen développé par l’avocat a été inefficace pour la prétention, faute de preuve703, mais l’orientation de sa thèse en faveur de l’admission d’une réparation en nature, comme le souhaitait son client, a été admise.

228. L’orientation du discours de l’avocat du défendeur au pourvoi - Lorsqu’il est défendeur au pourvoi, le représentant va développer une argumentation pour conforter le bien-fondé de la décision contestée par la partie adverse. Comme on l’a déjà précisé, il n’est pas tenu d’argumenter selon la technique du moyen704, il doit simplement soutenir le maintien de la décision critiquée dans l’intérêt de son client.

229. La raison pour laquelle l’avocat aux Conseils soutient telle ou telle thèse est donc déterminable, elle est à rechercher dans l’intérêt représenté. Il est en revanche moins aisé d’identifier les contraintes qui déterminent les discours d’ordre juridictionnel.

2. Une particularité absente dans les discours d’ordre juridictionnel

230. Si les discours des avocats à la Cour devant les juridictions du fond sont, à l’instar du discours de l’avocat aux Conseils, construits en fonction de l’intérêt du justiciable représenté, tel n’est pas le cas des discours opératifs juridictionnels.

700 V. not. D. Mazeaud, « La responsabilité du fait de la violation d’un pacte de préférence », Gaz. Pal., Rec. doct. 1994, p. 210, C. Atias, « La substitution judiciaire du bénéficiaire d’un pacte de préférence à l’acquéreur de mauvaise foi », D. 1998, Chron. p. 203.

701

La Cour de cassation, qui s’était toujours opposée à la réparation en nature laissait penser par cet arrêt qu’elle pouvait être admise si la preuve d’une collusion entre le promettant et le tiers acquéreur était rapportée : Com., 7 mars 1989, n°87-17.212, Bull. civ. IV, n°79 : « Attendu qu'en mettant ainsi à néant les conventions passées entre MM. D... et Y... et la société Saigmag, et en ordonnant la substitution des consorts B... à cette société dans la propriété des actions, la cour d'appel, qui n'a pas retenu que l'acquisition des titres de la société S et B faite par la société Saigmag résultait d'une collusion frauduleuse entre cédants et cessionnaire, a violé le texte susvisé ».

702 Mixte, 26 mai 2006, n°03-19376, Bull. mixte, n°4.

703

Sur la difficulté de prouver ces deux éléments : v. P.-Y. Gautier, « Exécution forcée du pacte de préférence: un peu victoire à la Pyrrhus, beaucoup probatio diabolica », D. 2006, p. 1861.

704 V. M.-N. Jobard-Bachellier, X. Bachellier, J. Buk Lament, La technique de cassation : pourvois et arrêts en matière civile, Dalloz, 8e éd., 2013, p. 11 et supra n°18.

Qu’il s’agisse des jugements et arrêts des juridictions du fond ou des rapports et avis émis par les rapporteurs ou avocats généraux, toutes ces écritures ne sont pas orientées dans un sens prédéterminé par l’intérêt du client. Il ne s’agit pas d’affirmer qu’aucune contrainte ne pèse sur les juridictions du fond, leurs membres et le ministère public lorsqu’ils choisissent ou recommandent une interprétation particulière, mais plutôt de montrer que la raison qui les pousse à se décider est très difficile à identifier. Ce constat se vérifie tant pour les décisions stricto sensu (a) que pour les avis et rapports les précédant (b).

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