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Le choix des moyens de cassation laissé à la discrétion de l’avocat

88. Le principe du libre choix consacré par la Cour de cassation - La Cour de cassation a depuis longtemps reconnu la liberté de l’avocat aux Conseils dans le choix des moyens qui soutiennent le pourvoi, c’est-à-dire dans le choix des arguments de droit qui justifient la cassation. Dès 1971, alors réunie en Assemblée plénière, elle a en effet décidé que c’est au professionnel de décider du contenu de ses écritures, à l’occasion d’une affaire dans laquelle un client avait agi en responsabilité contre son avocat aux Conseils354.

En l’espèce, le client, qui travaillait comme représentant pour une société qui l’avait licencié, demandait en justice le versement de différentes indemnités. La cour d’appel de Rennes avait fait droit à certaines de ses prétentions mais l’avait débouté de sa demande de paiement de complément de commissions et d’indemnités de congés payés. Le justiciable chargea alors un avocat aux Conseils de contester l’arrêt sur ces points. Le représentant développa trois moyens. Le premier et le troisième contestaient respectivement le refus de réajustement des commissions et le refus de considérer comme abusive la rupture du contrat de travail. Ils furent rejetés par la Cour de cassation qui n’accueillit que le second moyen,

352 Il a d’ailleurs été jugé qu’un pourvoi dans lequel n’apparaissait pas clairement « la manifestation de la volonté du client d’obtenir la cassation d’une décision judiciaire » était irrecevable : Civ. 2ème, 4 mai 1973, n°73-60.076, Bull. civ. II, n°149.

353 L’avocat peut toujours refuser de défendre son client après évaluation des chances de succès du recours. Sur ce point, cf. supra n°12.

reprochant à la cour d’appel d’avoir refusé d’accéder à la demande en paiement des congés payés. Le client, qui avait donc obtenu une satisfaction partielle de ses attentes, reprocha toutefois à son mandataire de ne pas avoir accepté, à propos de l’action en paiement de compléments de commissions, de se « conformer à ses instructions l’invitant à présenter un moyen susceptible d’aboutir à la cassation de l’arrêt »355. Il forma alors une action en responsabilité devant le conseil de l’Ordre des avocats au Conseil d’État et à la Cour de cassation en vue d’obtenir des dommages-intérêts. L’instance ordinale fut d’avis de rejeter cette action et le client présenta alors une requête en non-homologation devant la Cour de cassation qui fut rejetée au motif que l’avocat aux Conseils n’avait commis aucune faute susceptible justifiant le versement d’une indemnité. La Cour de cassation rapporta que le client n’apportait au soutien de sa demande qu’une lettre destinée à son représentant devant la cour d’appel, dans laquelle il soulignait qu’un élément de l’affaire avait peut-être échappé à l’avocat aux Conseils. Cette lettre ne contenait donc pas, selon la Cour, « des instructions précises en vue de présenter un moyen déterminé en cassation »356. La Haute juridiction va encore plus loin en affirmant que « l'avocat aux Conseils est libre de choisir, dans l'intérêt de son client, les moyens de cassation susceptibles d'être soumis à la Cour » 357 et que, dans l’hypothèse où le client réclame la rédaction d’un moyen précis, le professionnel peut très bien l’écarter à condition de prévenir le client. Le représentant du demandeur au pourvoi est donc « maître de son argumentation et ne saurait se voir imposer la production d’un moyen qu’il désapprouverait »358. Cette solution, qui n’a jamais été remise en cause, a été intégrée au règlement de déontologie des avocats aux Conseils359 et étendue aux pièces accompagnant les moyens de cassation360.

89. Les justifications du principe du libre choix - La grande marge de manœuvre laissée à l’avocat aux Conseils dans le choix des moyens présentés à la Cour de cassation a été justifiée par des considérations générales tenant à sa qualité d’avocat mais également par des considérations plus spécifiques tenant à sa qualité d’officier ministériel.

355

Extrait de l’argumentation du demandeur reproduite dans l’arrêt précité.

356 Extrait des motifs l’arrêt précité.

357 Extrait des motifs de l’arrêt précité.

358 Rép. pr. civ., *Avocat au Conseil d’État et à la Cour de cassation, par B. Odent, n°119, p. 14.

359 Art. 45 al. 3 du Règlement général de déontologie, séance du Conseil de l'Ordre des avocats au Conseil d'État et à la Cour de cassation du 2 déc. 2010, accessible sur http://www.ordre-avocats-cassation.fr/ : « Il est libre de choisir, dans l’intérêt de son client, les moyens susceptibles d’être soumis à la juridiction saisie, sous réserve d’aviser ce client s’il estime ne pas devoir présenter un moyen expressément demandé par celui-ci ».

En qualité d’avocat, il représente l’intérêt de son client en vertu d’un mandat ad litem qui emporte, selon l’article 411 du Code de procédure civile, « pouvoir et devoir d'accomplir au nom du mandant les actes de la procédure ». Cette disposition a été interprétée par la Cour de cassation de telle manière que l’avocat est libre d’agir sans l’assentiment exprès de son mandant dès lors qu’il défend son intérêt361. Comme l’explique un auteur, « investi d’un mandat non limité, le représentant a le choix du moyen à employer pour assurer le succès des prétentions ou le rejet des prétentions adverses »362. Autrement dit, dans la mesure où l’avocat et son client poursuivent le même objectif, c’est à celui qui est compétent pour postuler devant la juridiction saisie de définir les meilleurs moyens pour y parvenir.

Cette liberté accordée à l’avocat se justifie encore plus vis-à-vis de l’avocat aux Conseils qui s’adresse à la Cour de cassation et qui jouit pour cette raison d’un monopole de représentation. Dès 1864, l’Ordre des avocats aux Conseils avait effectivement insisté sur la nécessité de maintenir les aspirations passionnées des parties en dehors de l’enceinte de la Haute juridiction en s’opposant « à ce que l’avocat reçoive, un mandat impératif »363. Il mettait ainsi en relief la particularité de la mission de l’avocat aux Conseils. Son rôle d’officier ministériel l’oblige à présenter une argumentation conforme à la technique de cassation et à écarter en conséquence les désirs du client qui contreviendraient à cet objectif. Il agit comme « un agent de communication entre la Cour de cassation et le plaideur »364 . D’un côté, il maîtrise les desiderata du client en étant le seul maître des moyens qu’il développe. D’un autre côté, il sert la Haute-juridiction en lui évitant de se pencher sur des moyens qui dépassent le champ de ses compétences.

Quelles que soient ses justifications, la liberté de l’avocat dans le choix de l’argumentation qu’il présente à son interlocuteur juridictionnel n’est pas sans limite, il doit informer son client de ses décisions stratégiques et, lorsque c’est nécessaire, les justifier.

361 V. Civ. 1ère, 23 avril 1986, n°84-15.244, Bull. civ. I, no 60.

362 J. Viatte, «Le mandat ad litem », Gaz. Pal., Rec. doct. 1976, p. 393, v. égal. Ph. Delebecque, « Les obligations du mandataire ad litem », Justices, 1997, p. 57 et s. et Y. Letartre, « Le mandat ad litem », RJC, 1993, p. 309 et s.

363 Extrait d’une délibération de l’Ordre de 1864 reproduit par J. Barthélémy, « Traditions et fonctionnement de l’Ordre », in P. Gonod (dir.), Les avocats au Conseil d’État et à la Cour de cassation, Paris, Dalloz, 2002, p. 47.

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