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Les exigences relatives aux qualités du moyen de cassation

Section 2. Une liberté soumise à des contraintes

B. Les exigences relatives aux qualités du moyen de cassation

126. Qualités du moyen de cassation et recevabilité - La Cour de cassation a pu, à l’occasion de nombreuses décisions, fixer et rappeler les qualités que devait présenter tout moyen de cassation pour être recevable. Celui-ci ne doit pas être contradictoire ou nouveau et doit être opérant. On présentera ces exigences tour à tour pour mieux en comprendre la teneur.

127. L’exigence relative à l’absence de contradiction - La Cour de cassation sanctionne par l’irrecevabilité le moyen frappé d’une contradiction interne ou externe. La contradiction interne correspond à l’hypothèse où le moyen contient en son sein deux développements contradictoires. Elle a été par exemple sanctionnée lorsqu’un avocat qui prétendait contester la validité d’un contrat de cautionnement a développé dans son moyen, une argumentation relative à la preuve492. La contradiction externe correspond quant à elle à l’hypothèse où le moyen allégué contrarie un élément de la procédure. On pense naturellement à la contrariété du moyen avec ceux soutenus devant les juges du fond493 ou encore avec un contrat de procédure antérieurement conclu494. On imagine moins aisément l’hypothèse où le moyen entend contredire un arrêt de la Cour de cassation. Dans ce cas de figure, le moyen est soulevé après une première cassation suivie d’un renvoi et vise à critiquer

491 Art. 604 du CPC : « Le pourvoi en cassation tend à faire censurer par la Cour de cassation la non-conformité du jugement qu'il attaque aux règles de droit ». V. toutefois sur la tendance de la Cour de cassation à s’intéresser aux faits : A. Perdriau, Les chambres civiles jugent-elles en fait ? », JCP G, I, 1993, p. 3683 et s. et « Le pragmatisme de la Cour de cassation », JCP G., I, 2001, p. 364 et s. ; C. Charruault, « La souveraineté du juge du fond à l’épreuve de quelques faits », BICC, n°702, 2009, p. 24 et s. ; X. Bachellier, « Le pouvoir souverain des juges du fond », BICC, n°702, 2009, p. 18 et s.

492

V. Com, 11 janv. 1994, n°91-20.462, Bull. civ. IV, n°17.

493 V. Civ. 3ème, 27 oct. 2004, n°03-15.151, Bull. civ. III, n°178. L’irrecevabilité frappe même les moyens de pur droit ou d’ordre public, v. Civ. 2ème, 14 mars 1990, n°89-10.505.

la solution adoptée la première fois par la Haute juridiction et appliquée par les juges du fond. Pour reprendre la formule de la Cour, est irrecevable « le moyen par lequel il est seulement reproché à la cour de renvoi d'avoir statué en conformité de l'arrêt de cassation qui l'a saisie »495. Cette solution constante est maintenue même lorsque le moyen s’appuie sur une décision de l’Assemblée plénière contraire rendue dans un autre litige496.

128. L’exigence relative à l’absence de nouveauté - La Cour de cassation déclare également et depuis longtemps l’irrecevabilité du moyen nouveau497, c'est-à-dire du moyen « qui n’a pas été, expressément ou implicitement, soumis par la partie qui l’invoque à la juridiction dont la décision est attaquée, ou qui n’a pas été apprécié par ce tribunal »498. Cette règle s’explique principalement par l’impossibilité de reprocher aux juges du fond une violation de la loi qui ne leur a pas été préalablement présentée. Il est en revanche des moyens nouveaux qui échappent à l’irrecevabilité soit qu’ils étaient impossibles à invoquer devant les juges du fond, soit qu’ils soient de pur droit ou d’ordre public. Ils peuvent donc être librement invoqués par l’avocat aux Conseils.

Dans le premier cas de figure, le moyen critique un élément de la décision qui n’est parvenu à la connaissance de l’avocat qu’après sa diffusion. Il peut par exemple s’agir d’un moyen soulevé d’office par le juge, d’un vice de forme ou d’un vice de motivation. De même, un fait postérieur à la décision peut fonder un moyen nouveau, comme en cas de perte de fondement juridique ou de contrariété de jugement499.

Autre est l’hypothèse où le moyen soulevé est de pur droit ou d’ordre public. Pour certains, ce type de moyen n’est même pas nouveau dans la mesure où il « est fondé sur la violation d’un texte de loi que le juge était tenu d’examiner, eu égard à l’objet de la demande et aux faits sur lesquels elle se fondait »500. Autrement dit, implicitement au moins, les parties

495

Mixte, 30 avril 1971, n°61-11.829, Bull. mixte, n°8. V. dans le même sens : Civ. 2ème, 26 oct. 2000, n°98-19.387, Bull. civ II, n°185 ; Ass. plén., 9 juil. 1993, n°89-19.211, Bull. Ass. plén., n°13. Pour une autre formulation de cette solution, v. par ex. Soc., 14 nov. 2012, n°11-22.644: « Mais attendu que le moyen qui invite la Cour de cassation à revenir sur la doctrine de son précédent arrêt, alors que la juridiction de renvoi s'y est conformée, est irrecevable ».

496 V. Ass. plén., 21 déc. 2006, n°05-11.966, Bull. Ass. plén., n°548 et not. les observations sous l’arrêt de V. Avena-Robardet in D. 2007, p. 160.

497

Civ., 23 nov. 1852, DP 1852, I, p. 324 : « La Cour de cassation est instituée seulement pour apprécier, sous le rapport du droit, les arrêts et les jugements rendus en dernier ressort par les Cours et les tribunaux ; qu’on ne peut donc, devant elle, présenter des moyens nouveaux, mais seulement apprécier la solution légale qui a été donnée aux moyens débattus devant les premiers juges ».

498 E. Faye, La Cour de cassation, Paris, la Mémoire du droit, réimp. de l’éd. de 1903, 1999, n°123. V. égal. J. Voulet, « L’irrecevabilité des moyens nouveaux devant la Cour de cassation en matière civile », JCP G., I, 1973, p. 2544 et s.

499 Cf. supra n°124.

attendaient du juge qu’il y réponde. Le moyen de pur droit doit reposer sur des faits déjà constatés par les juges du fond501, sans quoi il serait mélangé de fait et de droit502 et ne pourrait donc pas être examiné par la Cour de cassation. Il est rarement admis à la différence du moyen d’ordre public lequel est en principe toujours recevable en cassation s’il repose sur des faits, non plus constatés, mais seulement connus des juges du fond503. Il se différencie du moyen de pur droit car il est tiré « de la violation d’une loi édictée principalement dans l’intérêt de la société prise dans son ensemble »504.

129. L’exigence d’un moyen opérant - La Cour de cassation exige que le moyen soit opérant, c'est-à-dire qu’il faut que le vice dénoncé ait « une influence sur la disposition attaquée par le pourvoi »505. Le moyen est inopérant dans deux hypothèses : « par suite d’une erreur du demandeur qui a mal dirigé son recours » et lorsque « l’erreur commise par le juge et dénoncée par le pourvoi n’est pas causale »506. Dans le premier cas et par exemple, le moyen est inopérant lorsqu’il est dirigé contre un motif du jugement de première instance qui n’est pas reformulé par la juridiction d’appel507 ou encore contre une législation508. Dans le second cas, il est fait référence à la théorie de l’erreur causale selon laquelle « un moyen de cassation ne peut conduire à l’annulation de l’arrêt attaqué que s’il démontre que l’erreur du juge a été causale et a exercé une influence déterminante sur le dispositif critiqué »509. Pour ce faire, le moyen doit principalement répondre à deux exigences. Il doit critiquer des motifs qui ne seront pas considérés par la Cour de cassation comme surabondants510 et auxquels la Cour ne pourra pas substituer de nouveaux motifs pour justifier le dispositif.

501 Com., 26 mars 1996, n°94-14320, Bull. civ. IV, n°96: le moyen de pur droit est celui qui « ne repose sur aucun fait qui n'ait été constaté par les juges du fond ». Dans l’hypothèse inverse, il s’agit d’un moyen mélangé de fait et droit, irrecevable.

502 V. Req., 5 janv. 1875, DP 1876, I, p. 15.

503 Req., 12 févr. 1871, DP 1872, I, p. 56 : « Attendu que le principe selon lequel les moyens d’ordre public sont susceptibles d’être proposés pour la première fois en Cour de cassation ne saurait être invoqué que si la Cour qui a rendu l’arrêt attaqué a été mise à même de connaître le fait qui sert de base au grief et d’en vérifier la réalité, qu’il ne serait ni juridique, ni juste, de reprocher au juge du fond d’avoir violé une loi que rien ne lui avait signalée ni indiquée comme applicable à la cause ».

504

E. Faye, op. cit., n°130.

505 J. Boré et L. Boré, La cassation en matière civile, 5e éd., Paris, Dalloz, 2015, n°83.09, p. 506.

506 Ibid., n°83.10, p. 506.

507 V. Civ. 1ère, 24 oct. 1995, n°93-20.433, Bull. civ. I, n°373.

508 Civ. 3ème, 26 juin 1969, Bull. civ. III, n°529 : « Mais attendu que le pourvoi formule une critique qui vise la législation et non une disposition de l'arrêt attaqué (…) irrecevable ».

509 Rép. pr. civ., *Pourvoi en cassation, par J. Boré et L. Boré, n°625, p. 96.

510 Un motif surabondant est un « motif erroné, qui n’est pas indispensable au soutien de la décision et qui est sans incidence sur la légalité de la décision contestée » : Civ. 2ème, 4 janv. 1974, Bull. civ. II, n°3.

130. Propos conclusifs - Finalement, dans l’élaboration de ses moyens, l’avocat aux Conseils est contraint de prendre en considération la procédure antérieure à son intervention. Il ne peut pas en principe développer une argumentation qui n’avait pas été présentée par son client ou le représentant de son client devant les juges du fond, ni même une argumentation qui contrarierait celle qui avait été présentée à l’auteur de la décision contestée. Il doit également veiller à formuler des moyens cohérents, dépourvus de contradiction interne et à dénoncer une erreur de droit commise par la juridiction du fond qui invalide le dispositif la décision critiquée. L’avocat du demandeur au pourvoi exerce donc sa liberté d’interprétation en se soumettant à cet ensemble de contraintes juridiques.

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