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Un discours spécialement destiné à la Cour de cassation 247. La recherche de la nature spécifique du discours de l’avocat aux Conseils atteint son

b. Les discours opératifs indirectement contrôlés par la Cour de cassation

Section 2. Un discours spécialement destiné à la Cour de cassation 247. La recherche de la nature spécifique du discours de l’avocat aux Conseils atteint son

point culminant dans l’étude des liens qu’il entretient avec son destinataire. Si tous les discours dogmatiques contiennent des prescriptions en vue d’influencer leurs interlocuteurs, tous ne sont pas susceptibles d’être adressés à des interlocuteurs juridictionnels. Seuls les discours opératifs le sont. Or, parmi ces discours opératifs, seul celui de l’avocat aux Conseils s’adresse immédiatement à la Haute juridiction. Il intervient en effet après qu’une décision des juges du fond soit rendue et juste avant que la Cour de cassation en évalue le bien-fondé. Il jouit ainsi d’une position privilégiée par rapport aux autres discours opératifs. En plus d’être spécialement destiné à la Cour de cassation, c’est-à-dire, selon la Théorie réaliste de l’interprétation, à un organe créateur de normes en vigueur (§1), il est à l’origine de situations de fait susceptibles de déterminer l’existence et le contenu des décisions de la Cour de cassation (§2).

§1. La spécificité du discours de l’avocat aux Conseils au regard de son

destinataire

248. L’avocat aux Conseils destine ses écritures à la Cour de cassation qui devra en retour se prononcer sur le bien-fondé du pourvoi. Il est ainsi l’interlocuteur immédiat (A) et privilégié de la Haute juridiction (B).

A. L’avocat aux Conseils, interlocuteur immédiat de la Cour de

cassation

249. La Cour de cassation n’est pas seulement le destinataire du discours de l’avocat aux Conseils (1), elle est également chargée de répondre à ses demandes c’est-à-dire aux moyens développés par le mandataire à l’appui du pourvoi (2).

1. La Cour de cassation, destinataire direct du discours de l’avocat aux

Conseils

250. Le discours de l’avocat, directement adressé à la Cour de cassation - Qu’il s’agisse de la déclaration de pourvoi744, du mémoire ampliatif745 ou du mémoire en réponse746, les écritures des avocats aux Conseils sont toutes adressées au greffe de la Haute juridiction. L’objet du pourvoi consiste en effet à contester « une décision de justice rendue en dernier ressort »747 devant la Cour de cassation. Les moyens développés par l’avocat aux Conseils tendent ainsi à convaincre la Cour de cassation de censurer l’arrêt contesté alors que l’argumentaire du défendeur748 tend, à l’inverse, à persuader la Cour de cassation de son bien-fondé l’invitant à prononcer le rejet du pourvoi749.

251. Le discours de l’avocat, indirectement adressé aux interprètes intervenant devant la Cour de cassation - Dans les développements précédents, il a été démontré qu’entre l’exercice du pourvoi par l’avocat aux Conseils et la décision de la Cour de cassation, deux discours étaient produits : celui de l’avocat général et celui du conseiller-rapporteur. L’exercice d’un recours par l’avocat du demandeur déclenche en effet l’intervention de ces deux acteurs qui sont également chargés d’étudier et d’évaluer le recours. Ils sont ainsi les destinataires indirects des écritures de l’avocat aux Conseils dont ils apprécieront le bien-fondé en recommandant à la Cour de cassation le rejet du pourvoi ou la cassation de l’arrêt critiqué. Certes, et comme nous l’avons déjà précisé, ils disposent d’une

744 V. art. 974 du CPC et Civ. 1ère, 11 juil. 1978, n°77-60.273, Bull. civ. I, n°263 : « n'est pas recevable le pourvoi formé au secrétariat-greffe de la cour d'appel de Grenoble contre un arrêt (…) » émanant de cette même juridiction.

745 V. art. 978 du CPC.

746 V. art. 991 du CPC.

747 G. Cornu, Vocabulaire juridique, 10e éd., Paris, PUF, 2014, *Pourvoi.

748

On préfère viser un argumentaire plutôt que les « moyens de défense » puisqu’il a déjà été fait remarquer que l’avocat du défendeur n’était pas tenu de développer des moyens, cf. supra n°18 et 108.

749 La Cour de cassation ne se réfère dans ses décisions qu’aux moyens développés par le demandeur puisque lorsqu’elle conclut au rejet du pourvoi, elle s’attache à démontrer la validité de la décision contestée.

grande latitude argumentative pour recommander à la Cour de cassation le choix d’une interprétation plutôt qu’une autre, mais ils interviennent sur la base du pourvoi750. Tous les avis et les rapports présentés à l’Assemblée plénière de la Cour de cassation entre 2003 et 2013 se réfèrent en effet à la procédure ayant mené au pourvoi et présentent les moyens de cassation. Dans les avis, des développements sont toujours consacrés à l’analyse du bien-fondé du pourvoi et se retrouvent souvent sous des intitulés tels que « les thèses en présence »751, « le pourvoi »752, ou « les moyens de cassation présentés »753. Le constat est identique concernant les rapports des conseillers754 même si l’appréciation des moyens se trouve dans l’avis et le ou les projets d’arrêts, documents couverts par le secret du délibéré755. Cela dit, et contrairement à la Cour de cassation, les avocats généraux et les conseillers-rapporteurs sont les destinataires indirects du pourvoi et des mémoires échangés entre les avocats. Ils interviennent auprès de la Cour de cassation en proposant des solutions au pourvoi et même s’il leur arrive d’interagir avec les avocats aux Conseils756, ils n’ont pas le pouvoir de répondre de manière définitive au pourvoi, seule la Cour de cassation le peut.

2. L’arrêt de la Cour de cassation, une réponse au discours de l’avocat

aux Conseils

252. Le pourvoi et l’arrêt de la Cour de cassation, un lien de réciprocité - La relation entre les avocats aux Conseils et la Cour de cassation n’est pas à sens unique puisque la Haute juridiction doit en retour examiner les moyens qui lui sont soumis en apportant une réponse

750 cf. supra n°222 et s.

751

V. par ex. les avis de M. Benmakhlouf sur Ass. plén., 28 mars 2003, n°01-12.228 ; Ass. plén., 6 juin 2003, n°01-12.453 ; Ass. plén., 6 févr. 2004, n°01-21.435 ; Ass. plén., 16 avril 2004, n°02-18.231 ; Ass. plén., 9 juil. 2004, n°02-21.040 ; Ass. plén., 6 déc. 2004, n°03-11.238, Ass. plén., 7 juil. 2006, n°04-10.672.

752 V. par ex. les avis suivants : M. Feuillard sur Ass. plén., 21 févr. 2003, n°01-16450 ; M. de Gouttes sur Ass. plén., 4 mars 2005, n°03-11.725 ; M. Cavarroc, sur Ass. plén., 22 avril 2005, n°02-15.180 ; M. Gariazzo sur Ass. plén., 10 juin 2005, n°03.18.922 ; et M. Bonnet, Ass. plén., 10 avril 2009, n°08-10.154.

753 V. par ex. l’avis de M. de Gouttes sur 14 avril 2006, n°02-11.168, avec une partie consacrée aux « moyens de cassation présentés » ; l’avis de M. Gariazzo, sur Ass. plén., 6 oct. 2006, n°05-13.255, qui étudie successivement les moyens « le premier moyen », « le second moyen » etc. ; l’avis de M. Lafortune sur Ass. plén., 9 oct. 2006, n°06-11.056, n°06-15.377, n°06-11.056, n°06-11.307 qui présente les moyens avant de les apprécier (section 1 et section 2).

754 Ils ont tous pour objet le pourvoi et les moyens développés au soutien de la cassation. Des développements sont consacrés à l’étude du « pourvoi », v. par ex. la rapport de M. Collomp sur Ass. plén., 7 mai 2014, n°02-10.450 ; des « griefs et moyens », v. par ex. le rapport de Mme Betch sur Ass. plén., 11 mars 2005, n°03-20.484 ; ou à « l’analyse succincte des moyens », v. par ex. le rapport de Mme Gabet sur Ass. plén., 13 mars 2009, n°08-16.033.

755 Cf. supra n°181.

756

Seul le rapporteur peut interagir avec le demandeur, mais cette interaction n’est pas systématique. V. par ex. l’art. 981 du CPC qui autorise, mais n’oblige pas, le rapporteur à demander à « l’avocat du demandeur qu’il lui communique, dans le délai qu’il fixe, toute pièce utile à l’instruction de l’affaire » ; v. égal. l’art. 1018 du CPC qui autorise, sans les contraindre, les avocats à être entendus « après le rapport ».

au pourvoi. Elle se prononce en effet et plus spécifiquement sur le pourvoi qui lui est adressé et se réfère constamment aux moyens soulevés par son auteur757.

253. Le lien de réciprocité dans les arrêts de cassation - Dans les arrêts de cassation, elle se fonde en principe sur un ou plusieurs moyens développés par l’avocat aux Conseils pour censurer la décision critiquée dans le pourvoi758. Avant même d’énoncer la norme qu’elle considère comme méconnue par les juges du fond, elle précise toujours le moyen de cassation sur lequel repose son dispositif. Un arrêt de la Cour de cassation, réunie en Assemblée plénière, rendu le 3 juillet 2015, en fournit un bon exemple759. En l’espèce, les avocats du demandeur au pourvoi reprochaient au procureur de la République de s’opposer à la transcription sur les registres de l’état civil de l’acte de naissance d’un enfant, de père français, né en Russie, à la suite d’une gestation pour autrui. Ils se justifiaient, dans un premier moyen, en invoquant notamment les articles 47 du Code civil et 8 de la Convention européenne, dans une argumentation à la base de la cassation prononcée par la Haute juridiction760. Avant même d’énoncer le visa et le contenu de son interprétation qui reprend d’ailleurs dans les mêmes termes celle qui avait été recommandée par les avocats du demandeur761, elle signale en effet se fonder « sur le premier moyen » de cassation.

254. Le lien de réciprocité dans les arrêts de rejet - Dans les arrêts de rejet, elle examine les moyens qui lui sont présentés par l’avocat du demandeur et les écarte au profit du maintien de la décision critiquée. Pour n’en donner qu’une illustration, lorsque Cour de cassation a modifié sa position à propos de la sanction de la violation d’un pacte de

757 La reproduction des moyens dans l’arrêt lui-même est systématique en cas de rejet du pourvoi. En cas de cassation, les moyens sont a minima, annexés à la décision, cf. supra n°18 et 19.

758

Il faut toutefois réserver l’hypothèse des moyens relevés d’office par la Cour de cassation, cf. infra n°353 et s.

759 Ass. plén., 3 juil. 2015, n°14-21.323, Bull. Ass. plén., n°619.

760

V. 1er moyen au pourvoi n°14-21.323, spéc. cet extrait de la 1ère branche : « alors que tout acte de l'état civil des Français et des étrangers fait en pays étranger et rédigé dans les formes usitées dans ce pays fait foi, sauf si d'autres actes ou pièces détenus, des données extérieures ou des éléments tirés de l'acte lui-même établissent, le cas échéant après toute vérification utile, que cet acte est irrégulier, falsifié ou que les faits qui y sont déclarés ne correspondent pas à la réalité ».

761 Ass. plén., 3 juil. 2015, préc. : « Vu l'article 47 du code civil et l'article 7 du décret du 3 août 1962 modifiant certaines règles relatives à l'état civil, ensemble l'article 8 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;Attendu qu'il résulte des deux premiers de ces textes que l'acte de naissance concernant un Français, dressé en pays étranger et rédigé dans les formes usitées dans ce pays, est transcrit sur les registres de l'état civil sauf si d'autres actes ou pièces détenus, des données extérieures ou des éléments tirés de l'acte lui-même établissent, le cas échéant après toutes vérifications utiles, que cet acte est irrégulier, falsifié ou que les faits qui y sont déclarés ne correspondent pas à la réalité », à comp. avec le contenu du 1er moyen, v.note de bas de page préc.

préférence762, l’avocat du demandeur a défendu la cassation de l’arrêt du fond en développant un moyen unique divisé en trois branches763. Même si elle a conclu au rejet du pourvoi, la Haute juridiction s’est expressément référée à l’argumentation du professionnel dans son arrêt en la reproduisant intégralement. Elle s’en est même dans une certaine mesure inspirée puisqu’elle a admis la possibilité d’une réparation en nature, c’est-à-dire la substitution du bénéficiaire dans les droits du tiers acquéreur, sous certaines conditions, qui n’étaient pas remplies en l’espèce.

Ainsi, si l’avocat s’adresse directement à la Cour de cassation, celle-ci répond toujours à l’auteur du pourvoi. Le lien entre le discours de l’avocat et celui de la Cour de cassation s’analyse donc comme un lien privilégié d’interaction.

B. L’avocat aux Conseils, interlocuteur privilégié de l’interprète

authentique

255. La position privilégiée du discours de l’avocat aux Conseils - La théorie réaliste de l’interprétation, sur laquelle est fondée cette étude, ne reconnaît qu’à la Cour de cassation la faculté de créer des normes dans l’ordre judiciaire. Autrement dit, ni le législateur, ni les juridictions du fond ne sont considérés comme des organes créateurs du droit. Certes, ils produisent des discours, mais ces discours ne produisent que des énoncés textuels ou des normes applicables, à la différence des juridictions suprêmes qui produisent des normes en vigueur, car leurs interprétations sont authentiques, c’est-à-dire qu’elles produisent des effets juridiques incontestables764. Si la Cour de cassation est le seul organe apte à créer des règles de droit, alors l’avocat aux Conseils jouit d’une position particulière car il intervient juste avant l’interprète authentique, lequel est par ailleurs chargé de répondre aux questions

762

Mixte, 26 mai 2006, n°03-19.376, Bull. mixte, n°4 : « Mais attendu que, si le bénéficiaire d'un pacte de préférence est en droit d'exiger l'annulation du contrat passé avec un tiers en méconnaissance de ses droits et d'obtenir sa substitution à l'acquéreur, c'est à la condition que ce tiers ait eu connaissance, lorsqu'il a contracté, de l'existence du pacte de préférence et de l'intention du bénéficiaire de s'en prévaloir. Avant cet arrêt, la Cour de cassation n’admettait pas la substitution forcée et lui préférait la réparation par équivalent depuis une solution de principe qu’elle avait posée très tôt, v. Civ. 1ère, 4 mai 1957, Bull. civ. I, n°190 : « si les juges du fond appelés à statuer sur la violation d’un pacte de préférence ont la liberté d’accorder le mode de réparation qui leur paraît le plus adéquat au dommage subi, ils ne sauraient cependant autoriser le bénéficiaire du pacte à se substituer purement et simplement au tiers acquéreur dans les droits que celui-ci tient de l’aliénation qui lui est faite par le promettant ».

763 V. not. 1ère et 2ème branche du moyen au pourvoi n°03-19.376 : Le moyen, principalement fondé sur l’article 1142 du C. civ., reproche à la Cour d’appel d’avoir, d’une part, refusé d’admettre la réparation en nature alors que cette disposition ne s’applique « que lorsque l’exécution en nature est impossible » et, d’autre part et subsidiairement, d’avoir injustement qualifié l’obligation du promettant en obligation de faire, alors qu’il s’agirait selon lui d’une obligation de donner.

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