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Une qualification reposant sur une conception duale des résultats de l’interprétation

Section 2. L’adoption de l’explication réaliste

B. Une qualification reposant sur une conception duale des résultats de l’interprétation

64. Si l’interprétation de l’énoncé textuel s’analyse toujours comme un acte de volonté, toutes les interprétations ne sont pas créatrices de droit. De ce point de vue, l’interprétation de l’avocat est spécifique par rapport à l’interprétation authentique. Elle ne produit en effet qu’une proposition de « norme applicable » (1), par opposition à celle de son interlocuteur, la Cour de cassation, qui est à l’origine d’une norme en vigueur (2).

1. L’interprétation de l’avocat à l’origine d’une « norme applicable »

65. L’interprétation de l’avocat dépourvue d’effet juridique - Selon Michel Troper l’interprétation de l’avocat est dogmatique. Elle relève d’une activité qui « vise à organiser et systématiser le droit de manière à déterminer à partir de textes exprimant des règles générales, quels sont les cas auxquels ces règles s’appliquent, et à propos d’un cas donné, quelles sont les règles applicables »293. Cette activité, qui occupe principalement les avocats et les universitaires, ne se distingue de l’activité des juridictions suprêmes qu’au regard de son résultat. L’interprétation dogmatique attribue, comme l’interprétation authentique, un sens à un énoncé textuel, mais le système juridique ne reconnaît à ce sens aucun effet juridique.

292 Cf. supra n°43 et s.

À titre d’illustration, on peut d’abord citer le débat universitaire qui a entouré la constitutionnalité de la loi relative au mariage pour tous294. Cette législation a abouti à des interprétations diamétralement opposées. Certaines voix se sont élevées pour déclarer, par avance, ce texte inconstitutionnel295, alors que d’autres ont défendu sa conformité à la Constitution296. En toutes hypothèses, aucune connaissance n’aura permis de faire prévaloir une position sur une autre comme certains auteurs l’ont démontré297. Ces positions dogmatiques d’anticipation, dans un sens ou un autre, « ne sont que l’expression des préférences morales de ceux qui les énoncent et nullement le produit de leur compétence de juristes »298. Si elles visent à influencer les autorités normatives, elles n’ont créé aucun effet juridique, contrairement à l’interprétation du Conseil constitutionnel, qui a déclaré, de manière définitive, la constitutionnalité de cette législation299.

De la même manière, si le rôle de l’avocat consiste à défendre une interprétation de la loi qui soit conforme à l’intérêt représenté, cette interprétation ne produit aucune norme juridique. Comme le signale en effet Michel Troper, « l’acte par lequel (…) l’avocat affirme qu’un texte possède telle ou telle signification, ne présente aucun caractère authentique. Elle ne produit aucun effet tant qu’elle n’est pas reprise par une autorité investie de pouvoirs et elle peut toujours être contestée ou coexister avec une interprétation différente »300.

Ainsi, l’interprétation de l’avocat aux Conseils, comme l’interprétation doctrinale, n’est pas à l’origine d’une norme en vigueur, mais seulement d’une « norme applicable » 301 ,

294 Loi n°2013-404 du 17 mai 2013 ouvrant le mariage aux couples de personnes de même sexe, JORF, 18 mai 2013 p. 8253.

295

V. par ex. F.-X. Bréchot, « La constitutionnalité du « mariage pour tous », JCP G., 2012, p. 1388, « Des juristes contre le projet de loi Taubira », Libération, 19 mars 2013, P. Delvolvé, « Mariage: Un homme, une femme », Le Figaro, 17 déc. 2012.

296 V. par ex. X. Dupré de Boulois et D. Roman, « Le mariage, Napoléon et la Constitution », Le Figaro, 18 nov. 2012, D. Rousseau, « Le mariage pour tous relève bien de la compétence du législateur ordinaire », Gaz. Pal., Rec. doct. 2012, p. 3257 et s.

297 V. not. A. Viala, « Un PFRLR contre le mariage gay ? Quand la doctrine fait dire au juge le droit qu’elle veut qu’il dise », RDLF, 2013, chron. n°4, [accessible en ligne uniquement] ; P. Brunet, V. Champeil-Desplats, S. Hennette-Vauchez [et al.], « Mariage pour tous : les juristes peuvent-ils parler au nom du Droit ? », D. 2013, p. 784 et s.

298 M. Troper, « Les topographes du droit. À propos de l'argumentation anti-mariage-gay : que savent les professeurs de droit ? », Grief, n°1, 2014, p. 76.

299

V. Cons. Const. n°2013-669 DC du 17 mai 2013, Loi ouvrant le mariage aux couples de personnes de même sexe, JORF du 18 mai 2013, p. 8281, Rec. Cons. Const. p. 721.

300 M. Troper, « La liberté de l’interprète », in L’office du juge, Actes du colloque du 29 et 30 septembre 2006 au Sénat, Paris, 2006, [en ligne, http://www.senat.fr], p. 26.

301 Cette expression de « norme applicable » est utilisée par Michel Troper pour décrire le résultat de l’activité dogmatique, v. « Entre science et dogmatique, la voie étroite de la neutralité », in P. Amselek (dir.), Théorie du droit et science, Paris, PUF, 1994, p. 319, rééd. in La théorie du droit, le droit, l’État, Paris, PUF, 2001, p. 3 et s. Comme nous le verrons dans des développements ultérieurs, on peut préférer appeler ce résultat « proposition subjective de norme », cf. infra n°157.

c’est-à-dire qu’elle est la signification d’un énoncé qui ne produit aucun effet juridique, contrairement à l’interprétation authentique.

2. Un élément de distinction avec l’interprétation authentique

66. L’identification d’une interprétation authentique - L’interprétation de l’avocat se différencie des interprétations authentiques car ces dernières sont à l’origine de normes en vigueur. Il apparaît alors indispensable de présenter ce type d’interprétations car non seulement elles sont les seules à créer du droit conformément à la TRI, mais également parce qu’elles permettent de mieux comprendre, en arrière-plan, ce qui les différencie de l’interprétation de l’avocat. Comme le souligne Michel Troper, pour identifier une interprétation authentique, il ne faut pas s’interroger sur la qualité de l’interprète mais sur la qualité de l’interprétation302. Il ne faut pas non plus se demander si le sens découvert est le sens véritable303, mais se demander si ce sens produit ou non des effets dans le système juridique. Selon Michel Troper, l’interprétation authentique, seule créatrice de droit, se caractérise par deux critères cumulatifs : le système juridique lui fait produire des effets et elle est irréfutable.

67. La production d’effets juridiques - L’interprétation authentique est « l'interprétation à laquelle l'ordre juridique fait produire des effets »304. Loin d’affirmer qu’une interprétation produit des effets juridiques lorsque les acteurs juridiques doivent s’y conformer 305, la TRI retient qu’une interprétation produit des effets juridiques lorsque les acteurs juridiques sont effectivement contraint de s’y soumettre, par exemple lorsqu’il « existe des procédures permettant [à l’auteur de l’interprétation authentique] de sanctionner les

302 M. Troper, « Réplique à Otto Pfersmann », RFDC, 2002, p. 335!353, v. spéc. p. 342 où l'auteur repousse une critique d'Otto Pfersmann en indiquant qu'elle repose sur une confusion selon laquelle « c’est la qualité de l’organe qui détermine la qualité de l’interprétation » alors que « ce n'est pas la qualité de l'organe qui fait l'interprétation authentique, c'est l'interprétation authentique qui fait l'organe » (p. 348).

303

Sur ce point v. D. de Béchillon, « L’ordre de la hiérarchie des normes et la théorie réaliste de l’interprétation. Réflexions critiques », RRJ, n°1, 1994, p. 250 : « Auteur du sens, l’interprète est donc auteur de la norme ». L’auteur décrit fidèlement la théorie réaliste, en reconnaissant l’acte d’interprétation comme un pur acte de volonté et en s’intéressant ensuite aux critères d’authenticité, sur lesquels, en revanche, il se méprend. Cette citation crée la double confusion dans l’esprit du lecteur qu’il y aurait un sens et non plusieurs sens possibles, et qu’il suffirait d’être interprète pour être auteur d’une norme. Une formulation plus fidèle de la pensée tropérienne pourrait être : Auteur d’un sens authentique, l’interprète est donc auteur de la norme.

304 M. Troper, « La liberté de l’interprète », in L’office du juge, Actes du colloque du 29 et 30 septembre 2006 au Sénat, Paris, 2006, [en ligne, http://www.senat.fr], p. 28 ; v. également l'expression « efficacité interprétative » retenue par O. Pfersmann, in « Contre le néoréalisme. Pour un débat sur l'interprétation », RFDC, n°50, 2000, p. 289.

305 Selon cette conception, la loi de Hume n’est pas transgressée puisque les normes sont appréhendées comme des faits. V. en ce sens la conception expressive des normes, cf. infra n°74 et 76.

comportements contraires »306. Autrement dit, les effets de cette interprétation sont tels que « les autres autorités sont tenues d’attribuer à un énoncé la même signification que l’interprète authentique »307. C’est le cas des interprétations de la Cour de cassation. Ce phénomène est particulièrement saillant devant son Assemblée plénière, lorsque cette formation, saisie d’un second pourvoi suite à une résistance des juges du fond, est en mesure d’imposer son interprétation aux juridictions inférieures qui n’ont plus le pouvoir de la remettre en cause308. Même en cas de renvoi, la juridiction du fond doit effectivement se conformer à la « doctrine »309 de la Cour de cassation. Au contraire, les interprétations formulées par les universitaires, les avocats ou encore les justiciables ne sont pas authentiques car le système juridique ne leur fait pas produire des effets sauf lorsqu’elles sont reprises par une interprétation authentique, mais dans cette hypothèse, elles produiront des effets pour cette seule et même raison310.

68. L’irréfutabilité - L’interprétation authentique est également irréfutable en ce sens qu’elle n’est pas susceptible de recours. Cette caractéristique permet de spécifier ce qu’elle représente par rapport aux autres interprétations. Déjà, et à l’évidence, elle se distingue de l’interprétation d’un avocat, qui peut être réfutée par la partie adverse ou écartée par le juge ou encore de l’interprétation d’un universitaire qui peut être remise en cause par un autre universitaire, ignorée ou écartée par le juge.

Par ailleurs, elle ne peut pas provenir d’une juridiction inférieure puisque son interprétation peut faire l’objet d’un recours. Comme le souligne en effet Michel Troper, dans l’opération de détermination des interprétations authentiques, « il convient d’exclure les interprétations rendues par les juridictions inférieures, c'est-à-dire les juridictions du fond »311 car même si elles peuvent produire des effets, ces effets peuvent être réfutés. Il ne faut effectivement pas confondre l’aptitude à être réfuté, observable a priori, qu’on peut appeler la réfutabilité, et la

306 M. Troper, « Réplique à Otto Pfersmann », RFDC, 2002, p. 352.

307 Ibid., p. 350.

308

V. sur ce point S.-L. Texier, « De la possibilité pour la Cour de cassation de mettre fin au procès civil », D. 2011, p. 116 et s. et sur les compétences spécifiques de l’Assemblée plénière cf. infra n°288, n°344 et n°418.

309 C’est la Cour de cassation qui utilise cette expression à propos de sa jurisprudence antérieure, cf. infra n°344, n°401 et n°404.

310

On peut citer une illustration emblématique de cette hypothèse dans l’arrêt Com., 10 juil. 2007, n°01-14768, Bull. civ. IV, n°188. La Cour de cassation pose, à propos de l’article 1134 du C. civ. et du pouvoir des juges une distinction entre « l’usage déloyal d’une prérogative contractuelle » et la « substance même des droits et obligations légalement convenus entre les parties ». Dans son communiqué relatif à l’arrêt, la Haute juridiction indique expressément que cette distinction, inédite en jurisprudence, se fonde sur les analyses doctrinales proposées par Ph. Malaurie, P. Aynès , Ph. Stoffel-Munck et P. Ancel, v. Communiqué relatif à l'arrêt n°966 du 10 juil. 2007, Service de documentation et d’études de la Cour de cassation.

311 M. Troper, « La liberté de l’interprète », in L’office du juge. Actes du colloque du 29 et 30 septembre 2006 au Sénat, Paris, 2006, [en ligne, http://www.senat.fr], p. 28.

réfutation qui se produit ou qui ne se produit pas. Autrement dit, ce n’est pas parce qu’une décision d’appel n’est pas réfutée par une Cour souveraine (sur saisine du justiciable) qu’elle est irréfutable. A priori, les décisions des juridictions du fond sont toujours réfutables alors que les décisions des hautes juridictions ne le sont jamais.

69. L’auteur d’interprétations authentiques dans l’ordre judiciaire : la Cour de cassation - Il faut en déduire que les interprétations authentiques sont principalement produites par les juridictions suprêmes312, car leurs interprétations ne sont pas susceptibles d’être directement remises en cause par une autre juridiction313. En droit privé, ou plus précisément au sein de l’ordre judiciaire, c’est la Cour de cassation qui est l’interprète authentique. En matière civile, cette juridiction se compose de cinq chambres (trois chambres civiles, une chambre sociale et une chambre commerciale) qui ne sont pas hiérarchisées de sorte que l’interprétation authentique de l’une n’entache en rien le caractère authentique de l’autre. Deux interprétations authentiques contraires peuvent ainsi coexister au

312

Dans l’ordre administratif, c’est le Conseil d’État qui est l’interprète authentique et dans l’ordre judiciaire, c’est la Cour de cassation. D’autres acteurs ont parfois la qualité d’interprète authentique Sur ce point v. M. Troper, « Une théorie réaliste de l’interprétation », in Dossiers réalistes du droit, PUF Strasbourg, 2000, n°4, p. 61 : l’auteur cite l’exemple du Président de la République qui pourrait interpréter l’article 16 de la Constitution qui dispose : « Lorsque les institutions de la République, l'indépendance de la Nation, l'intégrité de son territoire ou l'exécution de ses engagements internationaux sont menacés d'une manière grave et immédiate et que le fonctionnement régulier des pouvoirs publics constitutionnels est interrompu, le Président de la République prend les mesures exigées par ces circonstances, après consultation officielle du Premier ministre, des Présidents des Assemblées ainsi que du Conseil constitutionnel ». Ce faisant, il s’attribuerait le pouvoir d’interpréter la Constitution tout en lui reconnaissant le caractère de norme (interprétation du statut du texte interprété et de l’interprète) et attribuerait à l’article 16 tel ou tel sens en fonction des circonstances.

313 Il faut toutefois réserver le cas, déjà survenu, d’une question prioritaire de constitutionnalité tendant à remettre en cause la constitutionnalité d’une interprétation de la Cour de cassation devant le Conseil constitutionnel. La Cour de cassation a d’abord refusé de transmettre ses interprétations au Conseil (Ass. plén., QPC, ass. 19 mai 2010, n°09-70.161 : « Attendu qu'aux termes de l'article 61-1 de la Constitution, la question dont peut être saisi le Conseil constitutionnel est seulement celle qui invoque l'atteinte portée par une disposition législative aux droits et libertés que la Constitution garantit ; que la question posée déduit une telle atteinte non du texte même d'une disposition législative mais de l'interprétation qu'en donne la jurisprudence ; que, comme telle, elle ne satisfait pas aux exigences du texte précité ») puis s’y est résolue à deux reprises (V. Civ. 1ère, QPC, 20 févr. 2013, n°12-20.544, Civ. 1ère, QPC, 17 sept. 2014, 14-13.236). Le Conseil constitutionnel a toutefois considéré les interprétations de la Cour de cassation comme conformes à la Constitution sans émettre de réserve (Cons. const. no2013-311 QPC du 17 mai 2013, Société Écocert France, JORF du 19 mai 2013, p. 8379 ; Cons. const. n°2014-430 QPC 21 nov. 2014, - Mme Barbara D. et autres, JORF 23 nov. 2014, p. 19678). Si tel n’avait pas été le cas, soit l’interprétation aurait été déclarée inconstitutionnelle (et alors l’interprète authentique devient le Conseil constitutionnel), soit le Conseil aurait formulé des réserves d’interprétation (et alors la Cour de cassation, même si elle est fortement contrainte d’adopter l’interprétation suggérée par le Conseil, reste l’interprète authentique car elle conserve le dernier mot). La question reste toutefois entière et les analyses doctrinales sur ce point sont nombreuses et éclairantes : A. Viala, « De la puissance à l’acte : la QPC et les nouveaux horizons de l’interprétation conforme », RDP, juil. 2011, n°4, p. 966 : « Passant de la puissance à l'acte, le Conseil n'a plus seulement à évaluer un texte dont il extrait, en la suggérant aux autorités administratives et judiciaires, la potentialité normative conforme à la Constitution; il peut désormais jauger, par rapport à la Constitution, la réalité normative produite par ces mêmes autorités » ; v. égal. P. Deumier, « QPC : la question fondamentale du pouvoir d’interprétation (à propos du contrôle de l’interprétation de la loi) », RTD civ., 2010, p. 508 et s.; N. Molfessis, « La jurisprudence supra-constitutionem », JCP G., p. 1955 et s.

sein de la Cour de cassation, mais également au sein du système juridique. Le Conseil d’État peut par exemple, sur une même question de droit opter pour une réponse différente de celle de la Cour de cassation314. Ceci s’explique par le fait que ces autorités « ne soient pas directement hiérarchisées et que l’énoncé interprétatif de l’une fasse l’objet d’une interprétation que la première désapprouve, sans pour autant pouvoir la sanctionner »315 et cette contrariété dure tant que l’interprétation de l’une ne l’a pas emporté sur celle de l’autre. La Cour de cassation est donc, dans l’ordre judiciaire, l’auteur des normes dans la mesure où elle attribue aux textes de lois une signification qu’elle est en mesure d’imposer dans l’ordonnancement juridique.

70. L’autodétermination de ses compétences par la Cour de cassation - Cette présentation a été remise en cause par plusieurs auteurs au motif qu’elle ne parviendrait pas à « expliquer l’apparition – parfaitement objective – d’une institution juridique si les énoncés prescrivant cette apparition sont eux-mêmes dépourvus de toute objectivité »316. En d’autres termes, même si les Chambres civiles de la Cour de cassation interprètent la loi par des décisions qui ne peuvent pas être réformées, il faut bien qu’un texte leur ait d’abord reconnu cette compétence. Ainsi, selon ces universitaires, contrairement à ce que soutient Michel Troper, le texte serait au moins doté d’une signification objective, celle d’habiliter les juridictions suprêmes du pouvoir d’émettre des interprétations authentiques.

À ces analyses critiques, Michel Troper répond que ce sont les cours suprêmes qui déterminent elles-mêmes le principe et l’étendue de leurs compétences car elles n’interprètent pas uniquement le contenu de l’énoncé textuel, elles en déterminent également le statut.

314 C’est par exemple le cas de la règle de concentration des moyens qui ne s’applique que devant les juridictions judiciaires, la Cour de cassation restant insensible à l’argumentaire des avocats demandant une harmonisation des procédures sur ce point, V. par ex. 2ème branche du moyen unique au pourvoi n°13-23.962 (Civ. 2ème, 16 oct. 2014, rejet): « le principe dit de concentration des moyens selon lequel il incombe au demandeur de présenter dès l'instance relative à la première demande l'ensemble des moyens qu'il estime de nature à fonder celle-ci, règle prétorienne spécifique à la procédure devant les juridictions judiciaires, ne s'applique pas devant les juridictions administratives ; que, selon la jurisprudence du Conseil d'État, l'autorité attachée à la décision même définitive rendue sur une action en responsabilité sans faute ne fait pas obstacle à l'exercice ultérieur d'une action en responsabilité pour faute ».

315 M. Troper, « Réplique à Otto Pfersmann », RFDC, 2002, p. 353.

316

D. de Béchillon, « L’ordre de la hiérarchie des normes et la théorie réaliste de l’interprétation. Réflexions critiques », RRJ, n°1, 1994, p. 263; v. égal. E. Picard, « Contre la théorie réaliste de l’interprétation juridique. Pour un débat sur l'interprétation », in L’office du juge, Actes du colloque du 29 et 30 septembre 2006 au Sénat, Paris, 2006 [en ligne, http://www.senat.fr], p. 44: « si l'interprète est le seul maître, en droit, de son habilitation (et donc le seul maître de ce qu'est le droit qui détermine son habilitation, puisqu'il n'y a pas de norme avant qu'il ne se prononce, tandis qu'il n'a lui-même aucune norme de droit à connaître et à respecter pour dire ce qui est le droit, ni même pour reconnaître ce qui est une norme en général), il n'y a plus, objectivement, ni norme ni ordre juridique qui soient objectivement connaissable et obligatoire : le droit est donc à proprement parler liquidé » .

Ce faisant, l’interprète authentique « détermine à la fois les limites de la compétence du législateur et la sienne propre »317. Par exemple, lorsque dans l’arrêt Jacques Vabre318, la Cour de cassation décide que le Traité de Rome a une autorité supérieure à celle de la loi, elle en détermine le statut et surtout, sans qu’aucun texte ne le prévoie expressément, elle se déclare compétente pour examiner la conventionalité des lois. Les exemples pourraient être multipliés à l’infini puisqu’à chaque fois que la Cour de cassation interprète une loi, elle se reconnaît de facto, et souvent implicitement, le pouvoir de le faire.

71. Le résultat de l’interprétation authentique, une norme - La décision, résultat de l’interprétation authentique, « est une norme appartenant au niveau de l’énoncé interprété de sorte qu’une Cour chargée, comme notre Cour de cassation, de contrôler l’application des lois, donc de les interpréter, doit être considérée comme disposant d’un pouvoir législatif »319.

Plusieurs auteurs se sont interrogés sur la stabilité d’une norme dans ce contexte d’interprétation souveraine. Certains universitaires ont en effet soutenu que cette interprétation peut, à très court terme, être concurrencée par celle des organes chargés de l’exécution de la décision juridictionnelle (huissiers, services de police etc.) qui sont « dans le processus normatif qu’il clôture eux-mêmes, (…) les derniers à intervenir »320 de sorte que la norme, résultat de l’interprétation authentique, pourrait in fine être interprétée par ceux qui ont la mission de la rendre effective.

Cet argument fait pourtant fi des caractéristiques de l’interprétation authentique et semble

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