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La mise en évidence d’une polarisation des discours dogmatiques

b. Les discours opératifs extra-juridictionnels

B. La mise en évidence d’une polarisation des discours dogmatiques

200. Il a déjà été démontré une certaine unité des discours dogmatiques notamment dans leurs mises en perspectives avec les discours authentiques et scientifiques664. Toutefois, la confrontation ne s’arrête pas ici et s’enrichit dès lors que la dualité de l’activité dogmatique est prise en considération. Elle permet en effet de percevoir une polarisation des discours dogmatiques. S’éloignant l’un de l’autre, les discours opératifs et doctrinaux se rapprochent respectivement des discours authentiques et scientifiques. En d’autres termes, plusieurs similitudes apparaissent entre, d’une part, les activités scientifiques et doctrinales (1) et d’autre part, les activités opératives et authentiques (2).

1. Le rapprochement entre le discours doctrinal et le discours scientifique

201. Les points de contact entre discours dogmatiques et scientifiques - Si le discours doctrinal s’oppose au discours scientifique car il poursuit une fonction prescriptive, des similarités les unissent. Elles tiennent d’abord à l’objet et ensuite à la qualité des auteurs de ces discours.

202. La possibilité d’une identité d’objet : les décisions de la Cour de cassation - Les interprétations scientifiques et doctrinales peuvent avoir le même objet, ce qui n’est pas le cas des interprétations scientifiques et opératives. Cet objet est la norme en vigueur. Il convient de rappeler sa définition selon la TRI, théorie sur laquelle se fonde cette étude. Si les

664 Cf. supra n°140 et s. : tous les discours dogmatiques ont, à l’instar des interprétations authentiques et contrairement aux interprétations scientifiques, une fonction prescriptive et sont les seuls à produire une norme applicable.

positivistes s’accordent sur le fait que le droit est constitué des règles positives posées par les autorités, les normativistes et les réalistes sont en désaccord sur la définition du droit. Contrairement aux partisans d’une théorie normativiste, Michel Troper définit la norme en vigueur comme une interprétation authentique relevant de la seule volonté de son auteur, c'est-à-dire, pour ce qui nous intéresse, de la Cour de cassation665. En conséquence et de ce point de vue, la décision de la Cour de cassation est le seul objet d’intérêt admissible pour tout discours à prétention scientifique alors qu’elle constitue seulement, pour le discours doctrinal, un objet d’étude parmi d’autres666. Autrement dit, les décisions de la Cour de cassation peuvent faire l’objet de propositions scientifiques mais également d’interprétations doctrinales. Dans le premier cas, il s’agit de décrire les significations choisies par la Cour de cassation sans en apprécier la pertinence, et dans le second, il s’agit au contraire d’évaluer ces significations pour les saluer ou les contester. En toutes hypothèses, lorsqu’ils partagent le même objet, les discours doctrinaux et scientifiques présentent un même caractère rétrospectif dans la mesure où ils interviennent après l’apparition des normes en vigueur667.

La possibilité d’une identité relative à l’objet étudié témoigne ainsi d’un lien entre les activités scientifiques et doctrinales qui rejaillit d’ailleurs à propos de leurs auteurs.

203. La possibilité d’une identité d’auteurs - Les discours scientifiques et doctrinaux sont souvent produits par les mêmes auteurs. Ceci provient de la circonstance, déjà abordée, selon laquelle il est très rare de rencontrer dans la littérature juridique, un discours purement scientifique. Son intérêt est d’ailleurs mince puisque sauf à relever de la théorie du droit, il consiste en une retranscription fidèle, ou au mieux à une systématisation des décisions de la Cour de cassation, ôtant ainsi toute influence normative à son auteur. Un même discours peut donc contenir propositions scientifiques et prescriptions doctrinales et émaner d’un seul et même auteur. En d’autres termes, et parce que les membres de la doctrine prétendent à une certaine scientificité (prétention absente chez les interprètes opératifs), il existe une possibilité d’identité d’auteurs dans les discours scientifiques et doctrinaux qui tendent même à se confondre. C’est ce que Jacques Chevallier explique. Même si en théorie, les deux discours poursuivent des finalités distinctes (influencer la production du droit ou analyser le phénomène juridique), l’auteur retient que « la nature propre du phénomène juridique

665 Sur la définition normativiste du droit, cf. supra n°32. V. égal. A. Viala, Philosophie du droit, Paris, Ellipses, 2010, p. 141, n°71 : Kelsen idéalise le droit en posant que « la norme ne saurait se confondre avec l’acte de volonté qui a contribué à la produire et qui est un fait dont elle n’est que la signification ».

666 cf. supra n°190 et s. : les objets du discours doctrinal sont le fait ou l’acte juridique, l’énoncé textuel, la norme applicable ou la norme en vigueur.

implique en effet que, dans son étude, les dimensions doctrinale et scientifique soient indissociables »668.

La plupart du temps produit par les mêmes auteurs, le discours doctrinal est par ailleurs susceptible de porter sur le même objet que le discours scientifique, à savoir une norme en vigueur. A l’inverse, les discours opératifs et les discours authentiques se singularisent en ce qu’ils n’ont jamais pour objet une norme en vigueur.

2. Le rapprochement entre le discours opératif et le discours authentique

204. Les discours opératifs et authentiques sont produits dans le même contexte : le contexte juridictionnel. Cette circonstance entraîne plusieurs conséquences : une conséquence relative à la délimitation de l’objet interprété (a) et une conséquence relative au lien de causalité qui unit les deux types d’interprétation (b).

a. L’objet interprété : une restriction commune

205. Les normes en vigueur, objet exclu des discours opératifs et authentiques - Les discours opératifs sont ceux qui sont produits en vue de résoudre un litige porté devant les juridictions. Comme nous l’avons expliqué, leurs objets sont circonscrits. Ils portent soit sur un fait ou un acte juridique en première instance, soit sur le jugement de première instance en appel. De même, en cas de pourvoi en cassation, l’objet de l’interprétation est l’arrêt de la cour d’appel. Ainsi, les discours opératifs s’appuient, selon le niveau d’avancement de l’instance, tantôt sur un acte ou un fait, tantôt sur une norme applicable. Jamais en revanche ils n’ont pour objet une norme en vigueur. Ils relèvent tous d’une activité de « prédiction » en ce sens que chacun des interprètes concernés habille les dispositions législatives au cœur du litige de ses propres interprétations. En d’autres termes, les avocats et les magistrats qui interviennent antérieurement à la Cour de cassation disent avant elle le sens à donner aux dispositions discutées à l’occasion du litige. De cette façon, ils contribuent à l’élaboration de la norme en vigueur, et non à son évaluation puisque par définition elle n’existe pas encore.

Si l’on s’intéresse maintenant aux discours authentiques, c'est-à-dire aux décisions de la Cour de cassation, il faut constater qu’ils portent toujours sur un seul et même objet, à savoir une décision rendue en premier et dernier ressort par les juges du fond.

668 J. Chevallier, « Doctrine juridique et science juridique », Droit et société, n°50, 2002, p. 103!120, spéc. p. 120.

La Haute juridiction peut rejeter le pourvoi et confirmer ainsi la décision des juges du fond ou casser et annuler la décision relayée par le recours. Le support de l’interprétation rendue par la Cour suprême est donc la norme applicable recommandée par la cour d’appel.

En conséquence, et à l’instar des discours opératifs, les discours authentiques ne portent jamais sur une norme en vigueur. En d’autres termes, si l’objet de l’activité opérative n’est pas forcément identique à celui des discours authentiques, il subit la même restriction c'est-à-dire qu’il n’est jamais constitué d’une norme en vigueur. Ce point commun est également un élément distinctif par rapport aux discours doctrinaux et scientifiques, lesquels, respectivement, peuvent ou doivent porter sur la norme en vigueur669.

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